YOUGOSIAVIE
Pour la réconciliation
par Komnen Becirovic
le 7 mai dernier a Sremski-
Karlovei, entre le patriache
serbe Paul et le cardinal Kuharic,
primat de Croatie, représente une
tentative dea part du pouvoir
spirituel d'aider & ta solution du
problame serbo-croate, que le pou-
ir temporel semble bien dans
incapacité, sinon dans Timpossi-
bilité, de résoudre, Aussi le pape
Jean-Paul II s'est-il exprimé der-
nigrement & deux reprises sur la
trop grave crise yougoslave, invi-
tant & la paix les fréres divisés de
autre cOté de I'Adriatique. Mais
la venue du pape en Yougoslavie,
dont on parle et que l'on attend
depuis des' années, contribuerait
sans nul doute a surmonter Métat
actuel de choses au seuil d'un nou-
veau déchirement,
I est certain que les Croates, en
fils dévoués de Rome, obéiront au
souverain pontife et que les
Serbes, en bons. chrétiens, lenten-
dront. En tout cas, on se plait a
imaginer une rencontre rédemp-,
rice entre les deux’ chefs spiri-
tuels, le pape et le patriarche,
priant et officiant ensemble dans
Pun des tieux du martyre du peu-
ple serbe sous la terreur oustachie
croate pendant la deuxitme guerre
mondiale. Par exemple, & Jaseno-
vac, le terrible camp de la mort ot
péricent des centaines de milliers
de Serbes innocents. Ou bien au
bord de l'un de ces mille treize
pulls, dlssémings a travers, ta
rajina, la Dalmatie et I'Herz
vine, ou d’autres multitude:
horhmes, de femmes et d'enfants
serbes furent précipités. Ou
encore, prés des ruines de fun de
ces trés nombreux temples ortho-
doxes détruits ou incendiés, par-
is avec les fidties enfermés a
Tintéricur. Et puisque ces horreurs,
hélas ! furent eruvre des siens, le
Saint-Pére pourrait également y
poser la premiére pierrre d'un
grand temple du repenti
L’ rencontre qui s'est déroulée |
Seul
le pape...
Alors’ que les corps des victimes
serbes commencent seulement
d’étre remontés du fond des gout-
fres pour recevoir enfin une sépul-
ture décente, leurs ames attendent
toujours quion leur demande de
pardonner. La nation allemande,
faisant preuve de grandeur d'ame,
a meme réitéré, encore récemment
par la bouche du chancelier Kohl,
ce geste envers les juifs et les
autres peuples d'Europe victimes |
de Ia barbarie nazic. La nation et, |
" de Croatie, elles,
de tel envers les
Serbes, les juifS et les tziganes, vic-
times de la variante croate de. la
méme barbarie. Bien au contraire,
les Croates, dans leur majorité,
gardérent le’silence sur les crimes
Oustachis quand. ils n’eurent pas
recours a la dénégation ou méme
la justification de ces méfaits.
Crest; en somme, en se considé-
rant ‘comme Thétitier du_sinistre
Pavelic, dont il déclara: qu'il avait
«incarné certaines aspirations his-
toriques du peuple croate », que
M, Franjo Tudjman gagna les élec-
tions dans un raz de marée l'an
dernier en Croatie et en devint le
président. Comment dés lors
stétonner que les Serbes de Croatie
‘insurgent et que ceux de Serbie,
de Bosnie, d’Herzégovine et du
Monténégro veuillent les secourir ?
Seul le pape, de par son autoite
de chef de l'Eglise catholique tout
entire, pourrait y remédier en
enjoignant a IEglise de Croatie de
procéder, dans Tesprit du concile
Vatican II, d'ailleurs, un examen
de conscience quant son com-
Ftement peu chrétien envers les |
ferbes sous le régime oustachi. En
effet, le primat de Croatie, le car-
dinal Stepinac, vit un temps dans
le criminel Pavelic "homme provi-
dentiel venu réaliser le réve millé-
naire croate d’un Etat dans le
cadre. du réve d'Hitler d’un Reich
millénaire. Il fit saluer par un
Te Deum dans la cathédrale de
Zagreb et dans toutes les églises de
la Croatie l'instauration de cet
Etat, qui cut lieu le 10 avril 1941,
le jour méme de l'entrée des
troupes allemandes dans une capi-
tale croate en liesse, alors que Bel-
grade fumait sous les bombardiers
de la Luftwaffe et comptait ses
milliers de morts. Et bien que,
plus tard, le prélat se soit démar-
qué du « Poglavnik » et méme
Pait critiqué, il laissa le clergé
croate tremper dans des massacres
orthodoxes, considérés comme
schismatiques, ou procéder a leur
conversion forcée.
Le fardeau
de Cain
Le plus incroyable, c’est que
Rome, jamais a ce jour, pas plus_
| £e Monde
Mardi 28 mai 1991
que les autorités ecclésiastiques
croates, ne condamna ces hommes
ct ces actes répréhensibles. Le scul
qui le fit, et les Serbes lui en
savent gré, fut 1é cardinal Eugtne
Tisserant, ‘préfet de la Congréga-
tion orientale au Vatican, qui, lors
de deux rencontres avec 'ambassa-
deur oustachi 4 Rome, Rusinovic,
venu plaider la cause croate auprés
du prélat, s'éleva contre les persé-
cutions des Serbes. Au point que
le diplomate, dans le rapport qu'il
adressa 4 Zagreb, s’exclama au
sujet du prélat : « Attention,
ennemi du peuple croate ! »
Voici pour l’actuel pape une
occasion excellente et meme. pres-
sante de lever une terrible hypo-
theque ! Car il serait inconcevable
que la conscience de la nation
croate demeurit & jamais accablée
par le monstrueux fardeau de Cain
que représentent un million de
martyrs serbes ! D’aucuns trouve-
raient ce chiffre exagéré, mais lais-
sons de cdté les sources serbes,
pouvant étre suspectées d’impar-
tialité, pour ne considérer que les
sources étrangtres. Le méme cardi-
nal Tisserant, en 1943, torsqu’il
tanga et littéralement chassa le
diplomate croate, parla de 350 000
Serbes exterminés, tandis que, un
an plus tard, le général SS. Ernst
Fick, dans une lettre a Heinrich
Himmler, estima ce nombre a
700 000. Ii faut se rappeler qu’au
cours d'une seule nuit 'Oustachi
Petar Brzica égorgea 1 100
Serbes | Et, pendant les quatre
années que dura la terreur ousta-
chie, il y eut prés de 1500 nuits
assassines, et autant de jours !
Seules des paroles de vérité et
de justice desta part du pape
condamnant le mal commis et
incitant les Croates a tendre la
main aux Serbes, dont la main est
toujours ouverte, pourraient jeter
des ponts durables de réconcilia-
tion, voire de nouvelle fraternité,
entre les deux peuples. Si, par
bonheur, on y parvenait, ce qui
équivaudrait & un vrai miracle, le
pape et le patriarche, toujours
dans I'hypothése de leur rencontre,
pourraient alors poser une autre
premiere pierre commune, celle
d'un temple de la réconciliation.
> Komnen Becirovic est journa:
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