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Les conditions de recevabilité

des requêtes devant


la Cour Européenne
des Droits de l’Homme
Les 20 et 21 mars 2009, à STRASBOURG, res et extraordinaires (par exemple, de- elle ne peut statuer (exemple : affaire
s’est tenu, au Palais des droits de l’hom- mande de grâce auprès du Président de la Mikolenko c/ Estonie, du 5 janvier 2006,
me, locaux de la Cour européenne des République en matière pénale). où était déjà saisi le Comité des Nations
droits de l’homme, un séminaire organisé Unies, à propos de personnes disparues
par l’A.I.J.A. et la F.N.U.J.A. concernant En revanche, pour un certain nombre de à Chypre).
les aspects pratiques des recours devant recours, la question peut réellement se
cette Juridiction. poser. Un deuxième cas d’irrecevabilité (qui
Il s’agit plus particulièrement, en France, pourrait être considéré, dans le cadre
Dans le cadre de cette formation, a été du pourvoi en cassation. d’une procédure interne, plutôt comme un
notamment évoqué le problème de la problème de fond) est le fait que, confor-
recevabilité des requêtes. La Cour de cassation n’étant pas un troi- mément à l’article 34 de la Convention :
sième degré de Juridiction, selon le cas, «La Cour peut être saisie d’une requête
En effet, la complexité des règles en la le recours devant la Cour de cassation par toute personne physique, toute or-
matière et une certaine méconnaissance peut ou non être considéré comme utile. ganisation non gouvernementale ou tout
de la procédure devant la Cour européen- groupe de particuliers qui se prétend vic-
ne des droits de l’homme font que plus Il convient aussi de rappeler que, dans le time d’une violation par l’une des Hautes
de 90% des recours sont déclarés irrece- cadre de ces recours internes, doivent être Parties contractantes des droits reconnus
vables alors qu’un certain nombre d’entre développés (au moins en substance, selon dans la Convention ou ses Protocoles ».
eux aurait pu donner lieu à des arrêts sur une Jurisprudence devenue source de la
des problèmes de fond importants. Cour européenne des droits de l’homme) Cet article pose les problèmes classiques
les griefs et les fondements qui seront de recevabilité quant aux personnes phy-
Il convient donc que les praticiens évoqués devant cette Juridiction. siques et/ou morales pouvant saisir la
que nous sommes soient extrêmement Cour européenne, mais aussi un problè-
vigilants quant aux modalités de mise Il y a lieu également de préciser que toutes me de fond : ces personnes doivent être
en œuvre de la requête qu’ils déposent les voies de recours doivent avoir été épui- victimes de la violation d’un des droits
lorsqu’ils se prévalent, dans un cas parti- sées en respectant les conditions de forme reconnus par la Convention européenne
culier, d’une atteinte aux principes posés et de délais imposés en droit interne. des droits de l’homme.
par la Convention européenne des droits
de l’homme tels qu’amendés par 13 Pro- Un appel tardif ne peut pas être considéré Or, la Convention européenne des droits
tocoles et Protocoles additionnels, et plus comme un épuisement normal des voies de l’homme couvre une liste exhaustive
particulièrement par le protocole n°11 de recours. de droits.
concernant la procédure.
Il faut, dans tous les cas, que la Juridic- Un certain nombre de droits ne sont pas
Tout d’abord, il convient de rappeler que tion saisie ait pu statuer sur le fond du garantis par cette Convention (droit au
l’article 35 paragraphe 1 de la Conven- dossier, notamment sur les griefs qui se- travail, droit au logement, droit à la santé,
tion dispose que : ront tranchés par la Cour européenne des droit à l’adoption, etc…).
«La Cour ne peut être saisie qu’après droits de l’homme.
l’épuisement des voies de recours inter- De même, conformément à l’article 6
nes, tel qu’il est entendu selon les prin- C’est uniquement à l’issue de cet épuise- de la Convention, concernant le droit à
cipes de droit international généralement ment des voies de recours que court un un procès équitable, un certain nombre
reconnus, et dans un délai de six mois délai strict de 6 mois pour déposer une de contentieux ne sont pas concernés
à partir de la date de la décision interne requête auprès du Greffe de la Cour euro- (conventions électorales, procédures fis-
définitive.» péenne des droits de l’homme. cales, procédures d’octroi de l’asile poli-
tique, etc…).
Lorsque l’on parle d’épuisement des La Cour européenne des droits de l’hom- La Jurisprudence est pléthorique afin de
voies de recours internes (règle qui a me ne peut statuer qu’en l’absence de li- déterminer les cas où un droit est garanti
pour but de préserver la souveraineté des tispendance. et où il ne l’est pas.
Etats), il s’agit des recours utiles et nor- En effet, si le dossier dont elle est saisie
malement disponibles. est déjà pendant devant une autre instance Il s’agit de problèmes d’interprétation de
En sont exclus, les recours discrétionnai- internationale d’enquête ou de règlement, la Convention et de ses Protocoles.

2 N° 15 - avril 2009
En revanche, la notion de « victime » est (notamment affaire Soering c/ Royaume Ce problème d’incompatibilité ratione
appréciée de façon assez large. Uni, du 7 juillet 1989). temporis donne lieu à une Jurisprudence
importante et pose des difficultés parfois
La Cour reconnait à la fois les victimes En cas de décès de la victime, la Cour, qui extrêmement délicates d’application dans
directes (il ne lui est cependant pas possi- théoriquement applique la règle selon la- le temps.
ble de statuer sur un cas qui n’est pas un quelle le procès peut être poursuivi par les
cas individuel par une actio popularis ) héritiers, en fait parfois une appréciation D’une façon générale, il est apparu, lors
mais aussi les victimes indirectes. pour le moins large puisque, dans une Ju- de ce séminaire où intervenaient 3 des
risprudence où elle estimait que des règles 47 hauts Magistrats de la Cour et 2 des
Il faut juste prouver qu’il existe un lien à portée générale étaient en cause, elle a 200 Juristes qui instruisent les dossiers,
particulier et personnel entre la vic- statué alors qu’en cours de procédure, le une volonté évidente de cette Juridiction
time directe et la personne qui exerce le requérant était décédé et qu’aucun héritier d’offrir aux justiciables la possibilité qu’il
recours, et que la violation du droit lui a n’avait repris la procédure. soit statué sur les violations des Etats, en
causé un préjudice ou qu’elle avait un in- essayant de leur expliquer le « parcours
térêt personnel justifié à ce qu’il soit mis Il faut, bien entendu, que le requérant du combattant » que constitue la mise en
fin à cette violation (notamment affaire soit une victime d’une violation de la œuvre d’une requête.1
McCann et autres c/ Royaume Uni, du 27 Convention ou d’un Protocole commise
septembre 1995). par un Etat contractant et qu’elle lui soit Les textes quant à la procédure sont très
imputable d’une façon ou d’une autre contraignants.
La Cour européenne des droits de l’hom- (peu importe les organes dont émanent
me reconnait aussi la notion de victimes les actes reprochés : Gouvernement, Lé- Il s’agit là d’une évidente volonté politi-
dites potentielles. gislateur, Autorités juridictionnelles ou que des Etats co-contractants qui, depuis
administratives). Peu importe également l’origine, souhaitent au maximum préser-
Il faut que des indices raisonnables et le lieu où ces actes déploient leurs effets ver leur souveraineté.
convaincants de la probabilité de réalisa- (c’est-à-dire même hors du territoire de
tion d’une violation touche le requérant l’Etat co-contractant). La Cour européenne des droits de l’hom-
qui est cette victime potentielle. me, consciente des enjeux de la protec-
Enfin, il convient que cette violation soit tion de ces droits, souhaite elle en faire
Il a, par exemple, été jugé dans plusieurs intervenue après l’entrée en vigueur de la une application la plus souple possible et
décisions que des mesures d’éloignement Convention à l’égard de l’Etat concerné. statuer ainsi à travers des cas particuliers
forcé d’étrangers (extradition, expulsion), Il est, pour cela, fondamental de savoir sur des violations qui ont une portée sou-
déjà décidées mais non encore exécutées, à quelle époque chaque Etat co-contrac- vent générale.
exposeraient les intéressés à subir, dans tant a ratifié la Convention mais aussi
le pays de destination, des traitements les différents Protocoles qui ont modifié
contraires à l’article 3 de la Convention celle-ci.
Emmanuel VOISIN-MONCHO
Avocat au Barreau de Grasse

Agnès PROTON
Avocat au Barreau de Grasse
Secrétaire Générale de l’AIJA

1 Un exemplaire complet de la
documentation fournie et explicite
remise par les Hauts Magistrats de
la CEDH lors de cette formation est
disponible pour consultation par tous
les confrères à la Bibliothèque de
l’Ordre.

Le Barreau de Grasse à la Cour Européenne !

N° 15 - avril 2009 3

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