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VIXI
R. I. P. R.P.
(Robert Pioche).
II
III
IV
Amours d’enfance
Amours de jeunesse.
VI
VII
J’aurai été le septième des six enfants du fidèle des fidèles aux
yeux de cristal, centaure des dernières masses belles. J’entends, dans
ma mémoire, la voix grave et noble d’Arno, dans le parc de Lohausen
recouvert de neige:
- «Olivier, mon ami»…
Et le docteur Josef, en Amérique du Sud:
- «Je n’ai pas beaucoup de visiteurs»…
Ma mère fredonnait un Lied de Schubert, un thème de Wagner,
de Grieg ou de
Beethoven. Ses larmes coulaient. Elle avait eu vingt ans au temps des
bombes atomiques
sur le Japon, et du Procès de Nuremberg. Toujours, dans mon coeur,
sonne le dernier concert de l’Empire.
Les hommes de demain ne salueront pas ma liberté. Ils ne
connaîtront plus le sens de ce mot. Les pauvres.
VIII
12 août 1988.
Encore cinq minutes plus tard, en effet, ma mère est morte. Son
agonie avait duré deux ans. J’ai choisi ses habits les moins élimés,
ceux qu’elle emporterait dans son cercueil. J’ai embrassé le front froid
du cadavre. Personne n’est venu aux humbles funérailles. Mais je lui ai
offert une obole frappée au Signe du Soleil.
Le août 9 au soir, quai Malaquais, le soleil était du même pourpre
que la robe d’Eglantine, la jeune fille de la Rue des Bernardins à qui
j’écrivis deux cents lettres, ce
printemps-là. Marguerite avait tracé, sur la boîte où elle conservait
quelques lettres d’amour, les mots: «A brûler, si je meurs». Elle n’avait
donc pas été sûre de mourir. Mais elle était morte.
IX
Amours de jeunesse
de Rue des Pyramides.
Il Culo di Colei...
(Pontormo, Diario).
Puisque l’on m’avait ostracisé, j’en ai parfois été réduit à lire les
tarots et les lignes de la main à des demoiselles férues d’horoscopes.
Aux femmes cyniques, je rendais la monnaie. Pas aux émouvantes.
Vasso la Grecque, dont je m’aperçus qu’elle était vierge, fut l’une de
celles que je refusai de déflorer, me contentant de les initier à
d’arétins plaisirs.
Au catalogue des filles que j’ai embrassées sans que nous ayons
échangé un seul mot, de celles avec qui j’ai couché sans les
embrasser, de celles que j’ai embrassées sans coucher, de celles qui
ont détourné la tête, de celles que j’ai dédaignées, sans parler des
Zonzons de Baillon, il conviendrait d’ajouter la jeune brésilienne dont,
si je l’ai jamais su, j’ai oublié le prénom, et avec qui je sirotai un café
sans lendemain, par un après-midi de printemps.
Une nuit de neige, l’aube pointait quand, dans une rue mal
famée, j’enlaçai une divinité brune aux yeux lapis-lazuli, blouson de
cuir, la peau diaphane, les seins élastiques mouchetés de taches de
rousseur. Il y eut des romans, écrits ou pas, qui durèrent une heure.
Ainsi j’ai goûté aux ventres dorés, aux cheveux et aux yeux de toutes
les couleurs, aux chairs tendres, aux bijoux indiscrets, aux toisons
musquées, aux perles savoureuses, à l’ultime jeunesse de l’Europe
assassinée. J’ai brûlé les mèches de cheveux, les fleurs séchées, les
photographies. Mais ce n’est pas rien, quand il reste, derrière les
paupières, des images.
O jeunes filles devant ma porte de Rue Jolie à potron-minet dans
l’aurore d’été, que
vous fûtes jolies folies ! Sourires enjôleurs, chignons fous, regards
chatoyants, froufrous et
rires citronnés, blessures, baisers à la vanille, mains qui se joignirent
et puis se déjoignirent,
jupes longues volant au vent. Flammèches de soleil, étincelles de lune
sur le duvet des épaules lisses, ovales, dorées. Sonorité d’un pas
féminin au coeur des nuits d’Etoile mystérieuse. Dentelles fusant en
cascades satinées le long de flancs marmoréens. Et dire que tout sera
englouti par l’oubli.
L’innocence n’était pas dans les femmes modernes. La leur est
éphémère. Les cornes, il m’a fallu tantôt les planter, tantôt les
arracher comme des dents gâtées. Mais la candeur d’enfance n’a
jamais quitté mon coeur.
Personne n’a réussi à éradiquer mon amour du drame, de la
démesure, de la vérité,
ou à souiller ma limpidité. «Aime ce que jamais tu ne verras deux
fois». Au vingtième
siècle, voilà une quête ingrate. Si l’époque était incapable d’héroïsme
et la masse enne-
mie de tout hérétisme, il restait une révolution possible: l’érotisme.
L’écriture, au milieu de la tempête, fut le seul port. Parfois, je
fredonne la chanson de Modugno qui raconte l’arrivée d’un train «en
provenance de Milan». Et lorsque, pareil au pêcheur quand le soir
descend, je retire mes filets, j’y trouve des saisons miraculeuses.
Quelque chose fut. Dans les pages de mon lit, des rires et des
dames et des drames, des orgasmes et des agonies, des parfums de
lune. Aux pages de ce livre, quand tout aura vieilli, il se trouvera
quelqu’une pour ajouter une annotation, souligner quelque double
sens, ou un jeu lettriste. Avec le temps, on y découvrira la trace d’une
larme, ou des taches de café, de poudre d’un revolver, de sang, un
trifoglio à quatre feuilles, une fleur séchée…
Toi, Soleil, mon ami, tu n’as jamais menti.
Mémoires du coeur battant.
XI
Mémoires de ma Quarantaine.
Une promenade sous les étoiles de mai, et, trois ans après notre
premier sourire, nous nous embrassâmes. Ciel de colombes et de
ballons coloriés. L’été survint. Elle chuchotait:
XIII
PER HOC.
S’’
il s’en est fallu d’un jour d’un hasard d’un
souffle ou de vingt ans
Dans le ciel de ma mort aux étoiles fixées
que le feu de mon plus grand rêve rêvé
pleure
l’instant qui ne fut pas rien ne l’a abîmé
les nuages te diront-ils
qu’un mort y pensera à toi
XVII
XIX
A Irene et à Deborah.
A Xavier Valla.
XXI
XXII
A la mémoire de ma mère.
XXV
XXVI
J’ai raccompagné chez elles
Au soir, maintes jolies demoiselles.
O filles de l’amour, en poudre de désir
Les fruits de vos corps éclataient, belles grenades
Du Grognard de la Garde à l’heure de mourir.
Nous avons mélangé sueur, semence et règles.
Puis à l’orient quand se levait un vent riant,
Pailletée de lumière que l’aube était immense!
Depuis l’amour naïf de mes vingt ans,
Jeunes filles qu’affolait le retour du printemps
Jusqu’à l’écoeurement qui gâte l’allégresse,
Vous parfumâtes, chers beaux seins,
Mes mains jamais d’un assassin.
Et j’unissais mon coeur au Soleil en culbute:
Sa fontaine effaçait le cruor des menstrues.
XXVII
XXVIII
XXX
ANZI
A Xavier Valla.
XXXI
XXXII
et de MORT
hic tamen ce vertige: commedia dell’
arte, tragedia dell’AMOR
un baiser
XXXIII
A Minnie Bibble.
XXXV
XXXVI
Bel Automne le ciel de mes yeux d’enfant est
De lucide cristal douce mélancolie
Malheureux qui saura quand il sera trop tard
Malheureux qui ne saura jamais rien
Malheureux qui a tout su trop tôt et tout seul
Les temps étaient navrants funestes et sinistres
Le temps va s’accomplir je n’ai aucun regret
Et qui est né mourra et qui naîtra mourra
Qui sans vivre naquit pareillement mourra
Le temps me fut donné le temps m’emportera
Fin de la comédie et que restera-t-il ?
Je rends grâces aux Dieux de mes instants bénis
Grâces aux filles fatales des minutes futiles
Mes yeux bleus de cristal te pleurent doucement
O malheureuse Europe aux occasions manquées
XXXVII
XXXVIII
QUASI
Je fus une façon de sentir. Au soleil, aux Dieux grecs, aux empires
déchus, au Grand Souffrant du vingtième siècle, à quelques artistes,
aux chats de mon enfance, au dernier Mélibée, à Però, aux nuages, et
à l’Europe, ma gratitude.
Je suis né le quatorze octobre. Ce sera le quatorze octobre que, si
tout va à merveille, je mourrai. Le dernier soleil plongera derrière
l’horizon. Mi viene quasi una malinconia…
Il faudra soigner et signer ma sortie de scène. Qu’as-tu fait,
Robert Pioche, de ta jeunesse? Je ne me suis pas prosterné sous le
joug. Je ne me suis ni renié, ni repenti. J’ai étreint, et je m’éteindrai. Je
n’ai pas trahi mes ancêtres. C’est à eux que je lègue - hic tamen - ce
petit peu d’encre, de larmes, de poudre et puis de sang.
Olivier Mathieu.
Livre « Un peu d’encre, de larmes, de poudre et puis de sang ».
Décembre 2006.