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Olivier Mathieu
UNE
CICATRICE
Récit.
Les jours ont succédé aux jours, les semaines aux semaines.
C’est long, une année mauvaise. Celle-là comptait, d’ailleurs,
366 jours. Je pourrais raconter tellement d’autres histoires. Une
autre fois, peut-être. Les histoires, c’est comme les baisers.
Il y a le premier baiser rêvé, il y a le premier baiser volé. On
peut parfois attendre longtemps le premier baiser goûté.
Tout ça, donc, à quelques centaines de mètres du Trocadéro
– je deviendrais un habitué du « Malakoff » - et de ses bistrots
aux sièges de velours rouge, de ses restaurants italiens, grecs,
libanais – et des aquariums de ses restaurants chinois.
Trocadéro, un nom de bourg fortifié – un « dernier carré ».
J’avais déjà habité, quelques années plus tôt, rue B. : de
lettres énervantes en rendez-vous espérés, proposés, attendus,
remis, de rendez-vous manqués en rendez-vous secrets, ces
rendez-vous où, à force de tourner autour du pot que l’on boit,
les mains finissent par se lire. C’est parfois moi qui ai
commencé par menacer les plus riches promesses.
4
6.
8. « Ottavina reale »
12.
……………………….
- « Encore cinq minutes ! »… disais-je, quand j’étais enfant.
Plus le temps. Il fallait m’en aller. Juste, quelques secondes,
tirer les bouffées d’une dernière cigarette. Combien de
« dernières » cigarettes, dans ma vie ?
…………………………
Un feu modeste brûlait. Je revoyais dans ma mémoire ma
mère qui, jadis, au temps de mon enfance banlieusarde, portait
les trop lourdes bouteilles de gaz, courbée en deux, et qui avait
si mal au dos – vieille douleur jamais épuisée.
Je suis parti vite. Je pensais à François Villon, aux saisons de
la vie, et aux saisons que sont et la vie, et la mort.
…………………………………
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Mon livre de Robert Pioche, au fond, est fini mais n’est pas
fini. Je le recommencerai, peut-être. Ou je le publierai. Ou je le
brûlerai. Ou j’en écrirai un autre.
Tout ça est tellement plus compliqué – donc plus simple…
Simple comme « oui mais non », simple comme « non mais
oui »…
Je ne suis pas inquiet. Simplement apaisé, blessé,
indestructible, sensible, indifférent, vivant, serein, émerveillé.
Cette histoire est-elle finie ? C’est une histoire infinie. Je ne
pourrai la raconter, même dans 252 ans, qu’à qui la connaîtra.
Qui entendra la voix d’Aimé Donati ? – « Toi, tu sais écrire, tu
feras un roman… Travail, travail, amusement, amusement…
Giovinezza, testa di pignatta… J’espère que tu reviendras me
trouver à Berre… des Alpes ».
Qui entendra la voix de ma mère, partie après avoir dit : -
« J’ai fait ce que j’ai pu. Ce n’était pas grand-chose, mais j’ai
fait ce que j’ai pu ».
Qui entendra la voix de cet enfant blond qui avait prêté
serment à la Nuit de Trouville : - « Je tuerai la mort » ?…
Je sais que je suis né le 14 octobre 1960, et combien de fois
je suis mort, et quand je suis re-né.
Je regarde, vers l’intérieur de moi, le point où surgira le plus
bel instant – le pont dont il reprendra son essor ininterrompu.
Dans l’enfance, est-ce que je ne savais pas avoir raison en
annonçant toujours : « Demain » ?…
Mon chien est fatigué. Son regard semble dire que, pour lui,
approche la fin du chemin. Et qu’il a fait ce qu’il devait –
m’accompagner jusqu’à la limite de ses forces – et ce qu’il
pouvait.
[ Commentaire d’Olivier Mathieu (2007) : Le chien
Però, mort le 8 août 2001, apparaît dans un très grand
nombre de mes romans, et il est surtout le
personnage principal de mon roman « La
Quarantaine », publié le 26 novembre 2002.]
18.
19.
Trois fois sept, vingt et un. Je vieillis, les villes aussi – et les
filles, qui ont toujours dix-sept ans. Je n’ai jamais été aussi
jeune. Je n’ai déjà plus d’âge.
Le Ciel, le Soleil, les nuages, tant de bleu, et la nuit, les
étoiles, les constellations et les galaxies, l’arc-en-ciel et l’aube
et le crépuscule peignent des images, des visages et des corps,
et des animaux fantastiques – et la Licorne la plus belle à la
peau lisse de satin, adornée d’un signe sacré, mystérieux,
lumineux.
20.
21.
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Ici, là-bas, la Lune, la Lune… Elle dit que la vie est une
comédie. La Déesse a déjà pardonné. Je finirai dessous la terre,
et cela aussi, le sourire de la Lune le sait… Partir, c’est dire
adieu à une Mère, à une Sœur, à une Amante, à une Ere,
tourner une page. Partir c’est, parfois, se dire au revoir à soi-
même, et en sourire encore. Trois et cinq et sept et neuf…
FIN
Olivier Mathieu.
7 février 1997.