a Chine a toujours fasciné les aventuriers.
Particuliérement les entrepreneurs. Ala pensée
qu'un milliard trois cents millions de Chinois
pourralent faire leur fortune par le simple fait de
vouloir porter une chemise plus longue d'un
centimetre, bien des hommes d'affaires
‘occidentaux se mettent 4 nourrir cette ambition fatale :
devenit les « Mr. China » de leur temps. Le réve, pour mol, a
commence au début des années 90. Quinze ans plus tard, jen.
reviens, ayant perdu 450 millions de dollars. Niqué 4 Nankin,
piqué 4 Pékin, plume 4 Canton - en vérité, dans de lointaines
provinces -, je peux me livrer en maniére de dérision 3 tous
Jes joux de mots, mais je garde quand méme l'espolr, car
Vaventure est loin d’ttre close. Soleil rouge de notre coeur, le
président Mao livra cette pensée au monde : « Tout sous le ciet
est dants to chaos total : a situation est excellent. »
Deng Xiaoping préciss : « Sila Chine ovare ses ports, des
mouches entreront forcement. » Les mouches, etait nous.
‘Céest pourquoi il fallait tout d’abord parler chinois. Quittant la
compagnie de service financier Arthur Andersen a Londres, je
suis allt deux ans 4 l'université de Pékin. Alors que mes amis
sgrimpaient les échelons et senrichissatent dans notre belle
Albion, j‘eus froid, faim, je devins aussi sale qu'un étudiant
local. Je fs la queue durant des heures au restaurant
universitaire 08, par un passe-plat taillé dans un mur de
brique, on nous servait du chou patriotique et du riz dans des
bols émailés. Un jour, mon frére vint me voir. II coucha par
terre dans ma chambre. Etait-ce permis ? Pas de réponse. Mais
Je fus dénonce. Mon frére part, je présental mes excuses au
chef du dortoir, et demandai qu’on me transmit le réglement.
Le chef répondit :
= Impossible.
im puoi?
= Nos regles sont internes et ne peuvent étre
communiquées.
~ Si jeles ignore, comment les respecterai-je?
~ Notre rdghement cst trés clair.
= ul, mais si je ne le connais pas...
Rien d faire. Dans les années qui suivirent, je découvris
que ce concept de « régle interne » était trés largement
appliqué en Chine.
Mab je parla chinots ; /‘allais me lancer dans tes affaires. Les.
discours de Deng Xiaoping galvanisaient le pays. Partout, on
catait des zones d’investissement, on oxganisait effort
commercial pour attirer les capitaux étrangers. Je me retrouvai
‘en cheville avec un puissant banguler de Wall Street pour
acheter des usines sur tout le territoire chinois, Pendant des
années, nous sommesallés d’échec en échec. Chaque fois,
‘nous penstons le contrat bien ficelé, et nous découvrions 4 nos
dépens que la Chine n’admettait que ses propres régles. Le
monde parait st simple du haut des gratte-ciel de Wall Street :
manger ou étre mangé, acheter ou étre acheté. Le capital est Ia
36 LE NGARO MAGAZINE. Samedi 24 jute 2006
IDEES « J’ai été niqué a Nankin,
piqué a Pékin, plumé a Canton...
mais j’y crois toujours ! »
clé de la survie. Wall Street, dans son paisseur occidentale,
rédutsait la Chine & quelques tendances économiques s1
tes qu’en moins de dix ans elles transformeraient cet
‘empire multimilKénaire en superpuissance. Les responsables
chinois adoraient ce discours, mais lorsque nous avons.
commencéa mettre en relation les entreprises ct es
ministéres, nous Nous sommes apercus que les clirecteurs
d'usine méprisaient ouvertement les hauts fonctionnaires
pékinols. « Les collines sont hautes et Vempercur est loin » : ainst,
Jes extrémtés les plus reculées du royaume ne s'intéressent-
celles guére a la capitale. Aux yeux des étrangers, la Chine
parait centralisée, contrdlée par un parti tout-puissant situé au
coeur d'un Etat monolithique, mais ce n’est partout qu’une
sorte de confusion institutionnalisée. Il existe en Chine deux
structures distinctes : le gouvernement ct le parti, Chacun
surveiliant I'autre, il devrait en résulter
TIMCLISSOLD, —_un équilibre des pouvoirs. Mais chaque
financier haut responsable du gouvernement est
britannique, publie aussi un membre éminent du parti.
«MR CHINA, Le véritable pouvoir se trouve donc
ou comment ‘entre les mains d'individus plutdt que
480 millionsde ——_ ‘administrations. Certaines fonctions
dollars apres se chevauchent et les luttes intestines
avoir fait fortune sont interminables. Les ministéres
4 Wall Street » se battent pour des terrains, tandis
aux Editions ‘que I'armée se lance dans des activités
Saint-Simon commerciales, fabrique des
(222 p., 186). médicaments ou investit dans les
hotels. Quant 3 la police de Canton,
celle gére une chalne de patisseries. C’est de cette confusion
des genres que profitent les chefs d'entreprise chinols
ct les fonctionnaires pour contourer les rgles mal congues.
Une remarque ma frappé : « Hl ft chotsir entre Uusine et les
J'ai trés vite senti que les Chinois n‘avaient pas oublit le passé
colonial de leur pays. Dans la conversation, il est souvent
question des Anglais, arrivés au XIX" siécle avec leurs
canonnieres et leur opium indien. Cette longue période
d’nhumiliation nationale n'est pas effacée : Mao avait promis
de renverser le renversement de histoire. 450 millions:
de dollars envolés | Cela étant, le temps a passé.
Etaprés n’avoir eude cesse de nous prendre Fargent que
ene is ae cea
planéiaire, se sont mis & penser plus par échange que
aplaton. Chaque semalne, millads de dollars iennent
du monde entier s'y investir. Parallélement, on voit
Jes Chinois prendre pied en Afrique. Voili pourquot jy crois
toujours. Mais, 6 jeune Occidental, avant de te lancer
dans Faventure, apprends l'histoire et la mentalité chinotses
avec humilité. Et, muni de ces armes d’intelligence, lance-toi
« Situ ne vas pas das la taniere ce tigre, coemanert pours
compter ses petits ? »