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Résumé
REB 43 1985 France p. 209-226
G. Dorival, "La postérité littéraire des chaînes exégétiques grecques". — L'auteur attire l'attention sur un phénomène littéraire qui
n'a pas été véritablement signalé jusqu'ici : les chaînes exégétiques grecques ont une postérité littéraire. Des auteurs, en général
anonymes, ont opéré la transformation de la forme caténale en une forme exégétique traditionnelle, Commentaires (6 exemples
dans la littérature qui interprète les psaumes), Scholies (2 exemples), Homélies (3 exemples). Ce processus de transformation
est bien attesté à partir du 10e siècle. Grâce à lui, on peut affirmer que les chaînes occupent une place centrale, médiatrice, dans
l'histoire de l'exégèse byzantine : élaborées à l'origine à partir de commentaires, de scholies et d'homélies, les chaînes
permettent à leur tour de fabriquer des commentaires, des scholies et des homélies. La boucle est bouclée.
Dorival Gilles. La postérité littéraire des chaînes exégétiques grecques. In: Revue des études byzantines, tome 43, 1985. pp.
209-226.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1985_num_43_1_2173
La postérité littéraire des chaînes exégétiques grecques1
Gilles DORIVAL
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210 G. DORIVAL
Les chaînes sur les psaumes ont une postérité littéraire sur laquelle,
à ma connaissance, l'on n'a jamais véritablement attiré l'attention. Seul
M. Richard a signalé que les Homélies sur les psaumes 101 à 107, impri
mées en PG 55, 635-676, étaient en fait une chaîne sans sigles d'auteurs3.
Mais il ne s'agit là que d'un cas particulier, qui doit être mis en rapport avec
un phénomène littéraire d'ordre général. Ce phénomène consiste à opérer
la transformation de la forme caténale en une forme exégétique tradition
nelle, commentaires, homélies ou scholies. Ce processus de transformation,
dont la date d'apparition reste incertaine, est bien attesté à partir du
10e siècle. Il reste productif jusqu'à une période tardive de l'empire
byzantin. Grâce à lui, l'on peut dire que les chaînes occupent une place
centrale, médiatrice, dans l'histoire de l'exégèse byzantine : élaborées à
l'origine à partir de commentaires, d'homélies et de scholies, les chaînes
permettent à leur tour de fabriquer des commentaires, des homélies et des
scholies. La boucle est ainsi bouclée.
5. M. Richard, Quelques manuscrits grecs peu connus des chaînes exégétiques et des
commentaires grecs sur le psautier, Bulletin d'information de l'IRHT3, 1954, p. 87-106.
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(psaume 50), aux Lexeis des psaumes (psaume 1), à des auteurs non ident
ifiés.
2. Il n'y a pas de sigles d'auteurs. Le commentateur a voulu créer un
nouveau commentaire sur les psaumes à partir du Commentaire sur les
psaumes de Théodoret.
3. Le commentateur opère sur sa source principale un triple traitement :
tantôt il donne des fragments littéraux, tantôt il abrège, tout en conservant
les phrases mêmes de Théodoret, tantôt il récrit.
André Darmarios est-il l'auteur du Commentaire sur les psaumes ?
Impossible, puisque Γ Atheniensis et YAthous datent respectivement des 10e
et 14e siècles. En revanche André Darmarios est sûrement celui qui a eu
l'idée de diffuser, à partir de l'Escurial, un commentaire sur les psaumes
anonyme ; pour assurer le succès de cette diffusion, il a attribué à notre
Commentaire diverses paternités prestigieuses ou mystérieuses du monde
byzantin tardif : Nicéphore Xanthopoulos, Nicéphore Grégoras, Théodore
Prodrome et Joseph.
A quelle époque a été fabriqué le Commentaire sur les psaumes ? Le
terminus ante quern est apparemment le 10e siècle, date de confection de
Y Atheniensis. Mais j'ai des doutes sur cette datation. Il paraît prudent de se
fonder uniquement sur la date du Lavra : avant le 14e siècle par conséquent.
12. Ainsi nommé parce que ses Scholies sur les psaumes ont été éditées par V. Jagic,
Incerti auctoris explanatio psalmorum graeca, Vienne 1917.
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E. Remarques complémentaires
1. Dans quelle mesure est-il possible de rapprocher les chaînes transformées
en commentaires avec les Épitomés de Procope de Gaza ?
Dans sa préface à son Épitomé sur l'Octateuque, Procope de Gaza
explique qu'il a fabriqué sa compilation à partir d'une chaîne14. En ce sens,
les épitomés procopiens font partie de la postérité des chaînes, tout comme
les Commentaires sur les psaumes issus de chaînes que nous venons
13. L. Mariés, Études préliminaires à l'édition de Diodore de Tarse sur les psaumes. La
tradition manuscrite. Deux nouveaux manuscrits. Le caractère diodorien du Commentaire,
Paris 1933, p. 45-48.
14. .PG 87', 21-24.
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(PG 128). Il semble bien, en effet, que ce Commentaire soit fabriqué dans
la tradition patristique, avec la réutilisation de fragments d'auteurs anté
rieurs, notamment Théodoret. Euthyme Zigabène cite parfois, tout comme
nos compilateurs, les auteurs qu'il utilise : ainsi Basile au psaume 32, 2,
Grégoire de Nazianze au psaume 76, 21, Maxime le confesseur au
psaume 75, 2b. On doit noter, pour terminer, que le Commentaire sur les
psaumes de Théophylacte de Bulgarie, considéré comme inédit et repéré
dans le Parisinus gr. 14715 est en fait le Commentaire sur les psaumes
d'Euthyme Zigabène.
II n'est pas étonnant que les Scholies sur les psaumes que je vais présenter
maintenant soient issues du modèle des chaînes-scholies (versets sur une
colonne d'écriture, chaîne sur la colonne parallèle) ; c'est ce modèle qui se
prêtait le mieux à la création de nouvelles collections de Scholies sur les
psaumes, puisqu'il est fait de scholies.
Deux exemples :
1 . La série des fragments marginaux qu'on lit dans le Parisinus Suppl. gr.
1335 ; il s'agit d'un psautier pourvu de fragments marginaux en petit
nombre copiés par une autre main de la fin du 13e siècle ou du début du
14e siècle. La plupart de ces scholies anonymes proviennent des Scholies sur
les psaumes d'Évagre ; mais il y a également de courts fragments empruntés
au Commentaire sur les psaumes de Théodoret et quelques gloses non
identifiées.
2. Beaucoup plus importante est Γ Hermèneia qu'on lit dans Γ Atheniensis
B.N. 46, du 14e siècle, et YAthous Xenophontos 5, de 1303.
Cette Hermèneia mériterait d'être éditée. Parmi les auteurs auxquels le
compilateur a fait appel, il y a essentiellement Athanase et Hésychius Jagic,
auteurs de Scholies sur les psaumes, ainsi que des lexeis. On trouve aussi
quelques extraits de Basile, Germanos, Grégoire de Nazianze, Tarasios,
Théodoret.
Chaque verset est suivi d'une unique hermèneia anonyme. Tous les
versets ne sont pas commentés. Brièveté et discontinuité rapprochent notre
collection du genre des Scholies sur les psaumes. Le fait même que le
compilateur cite en priorité Athanase et Hésychius Jagic est un argument
supplémentaire pour classer la collection parmi les Scholies sur les
psaumes.
Conclusions
les psaumes fabriqués selon le processus que j'ai décrit sont cités
par les caténistes. Ainsi la collection chrysostomico-thédorétienne est-elle
fusionnée avec les Scholies sur les psaumes d'Origène dans YAthous Lavra
A 89 ; le Commentaire de Pierre de Laodicée est cité dans 5 chaînes
différentes : Scorialensis^V I 2 (psaumes 1 à 86), Vaticanus gr. 753 (psaumes
77 à 141), Atheniensis B.N. 2988 (psaumes 101 et 131), Athous Lavra Β 83
(psaume 75, précédé du sigle « Eusèbe »), Parisinus gr. 166 (psaume 50) ;
enfin le commentaire ambrosien constitue la source principale du Nico-
sianus 2 1 .
3. Ce serait une erreur d'assimiler les œuvres issues du processus de
transformation qui a fait l'objet de cette rapide étude à une simple curiosité
littéraire. Le nombre même de ces nouvelles compilations l'interdit. En
réalité ces compilations nouvelles permettent à leurs auteurs de concilier
deux exigences quelque peu contradictoires qui caractérisent l'histoire
religieuse et culturelle byzantine : d'un côté, dans la mesure où elles sont
faites de matériaux préexistants, elles les situent dans la tradition, la
paradosis, des Pères, dont on connaît trop l'importance pour qu'il soit
nécessaire d'insister ; d'un autre côté, dans la mesure où ces matériaux
anciens sont réorganisés et « repensés », les nouveaux auteurs évitent de se
livrer à un travail superfétatoire : ils ne répètent pas purement et simple
mentce qu'ont dit les Pères, mais, avec de l'ancien, ils font du nouveau.
Gilles Dorival
Université de Tours et Centre Lenain de Tillemont