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Gilles Dorival

La postérité littéraire des chaînes exégétiques grecques


In: Revue des études byzantines, tome 43, 1985. pp. 209-226.

Résumé
REB 43 1985 France p. 209-226
G. Dorival, "La postérité littéraire des chaînes exégétiques grecques". — L'auteur attire l'attention sur un phénomène littéraire qui
n'a pas été véritablement signalé jusqu'ici : les chaînes exégétiques grecques ont une postérité littéraire. Des auteurs, en général
anonymes, ont opéré la transformation de la forme caténale en une forme exégétique traditionnelle, Commentaires (6 exemples
dans la littérature qui interprète les psaumes), Scholies (2 exemples), Homélies (3 exemples). Ce processus de transformation
est bien attesté à partir du 10e siècle. Grâce à lui, on peut affirmer que les chaînes occupent une place centrale, médiatrice, dans
l'histoire de l'exégèse byzantine : élaborées à l'origine à partir de commentaires, de scholies et d'homélies, les chaînes
permettent à leur tour de fabriquer des commentaires, des scholies et des homélies. La boucle est bouclée.

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Dorival Gilles. La postérité littéraire des chaînes exégétiques grecques. In: Revue des études byzantines, tome 43, 1985. pp.
209-226.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1985_num_43_1_2173
La postérité littéraire des chaînes exégétiques grecques1

Gilles DORIVAL

Le sujet que je me propose de traiter réclame quelques développements


préalables sur les chaînes exégétiques grecques. C'est au 6e siècle qu'est
apparue, dans l'Église grecque de Palestine, cette nouvelle forme d'inter
prétation de l'Écriture, dont le πρώτος εύρετής est sans nul doute Procope
de Gaza, le célèbre sophiste chrétien. Peu à peu, cette forme nouvelle se
diffuse à travers l'ensemble du monde byzantin, et au-delà (par le biais de
traductions). Elle se montre d'une fécondité remarquable, puisqu'elle est
attestée à l'heure actuelle par plusieurs centaines de manuscrits grecs. Elle
reste productive jusqu'à la fin de l'empire byzantin et, dans une certaine
mesure, même plus tard, dans l'Italie du 16e siècle et dans les monastères
du Mont-Athos. Cette forme nouvelle a reçu, dans les pays francophones,
le nom de chaînes ; il s'agit ici d'une terminologie empruntée à la latinité
du Moyen Âge : le terme « chaînes » est la traduction du latin « catenae » ;
dans les langues modernes, le terme latin est tantôt conservé, comme en
anglais, tantôt traduit, en français, dans l'allemand « Katenen » et même
dans le grec moderne σειρά. Pourtant, la terminologie ancienne n'est pas
celle-là. Au début du 6e siècle, il est question α'έξηγητικαι έκλογαί, d'ext
raits exégétiques ; tel est le titre attesté pour les différentes chaînes de

1. Cette étude reproduit, avec quelques modifications, une communication prononc


ée à l'occasion de la 9e conférence internationale des études patristiques (Oxford,
5-10 septembre 1983). Sur les chaînes, l'instrument de travail le plus récent et le plus
complet se lit désormais chez M. Geerard, Catenae, in Clavis Patrum Graecorum, IV,
Turnhout 1980, p. 185-259.
Revue des Études byzantines 43, 1985. p. 209-226.

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Procope de Gaza. Vers 540, le titre de συναγωγή των έξηγητικων εκλογών,


d'assemblage, de collection d'extraits exégétiques, est attribué à la première
chaîne palestinienne sur les psaumes. Au 12e siècle, le terme le plus
répandu est celui de συναγωγή εξηγήσεων, d'assemblage, de collection
d'exégèses.
La terminologie grecque renvoie au genre littéraire bien attesté dans
l'Antiquité tardive des έκλογαί, des collections choisies de citations. Mais
le genre littéraire des eclogés ne rend pas compte, de manière satisfaisante,
de la forme exégétique nouvelle ; certes les citations sont normalement
précédées du nom de leurs auteurs au génitif, mais, au lieu d'être regrou
péespar sujet, selon un ordre thématique, les citations tirées d'œuvres
exégétiques diverses dont sont faites les chaînes sont données selon l'ordre
même des versets de l'Écriture : le premier verset (ou groupe de versets)
d'un livre de la Bible est commenté par un ou plusieurs extraits exégétiques,
puis l'auteur de la chaîne procède de même pour le deuxième verset, et
ainsi de suite. En d'autres termes, il y a un « enchaînement » de citations
exégétiques dont l'ordre est exactement déterminé par la « chaîne » des
(groupes de) versets qui constituent un livre de la Bible. Telle est la
définition que l'on peut donner du genre caténal.
Les chaînes exégétiques grecques ont une histoire, qui reste mal connue.
J'ai consacré plusieurs années à l'étude de l'apparition et du développe
ment des chaînes exégétiques sur les psaumes ; les résultats de ce travail
font l'objet de mon doctorat d'État, soutenu en mars 1984 et qui sera, je
l'espère, prochainement publié. Il faut savoir que les chaînes sur les
psaumes constituent un biais privilégié pour étudier l'histoire des chaînes
en général. Tout d'abord, les plus anciennes chaînes sur les psaumes sont
de peu postérieures aux toutes premières chaînes, et, semble-t-il, il n'existe
pas de chaînes plus récentes que les plus récentes chaînes sur les psaumes.
En second lieu, les chaînes sur les psaumes forment le cas le plus complexe
parmi tous les livres sur l'Ancien et le Nouveau Testament. C'est pour le
psautier que le nombre de manuscrits caténaux est de loin le plus import
ant,mais aussi que le chiffre de collections différentes est le plus élevé.
Moyennant quoi l'on peut espérer que l'analyse centrée sur les psaumes a
des chances de valoir pour les autres livres de la Bible.
Il est possible de résumer l'histoire des chaînes sur les psaumes en
quelques phrases. Elle se divise en deux étapes. La première étape, qui voit
la naissance et les premiers développements des chaînes, a pour centre la
Palestine. La seconde étape, qui se caractérise par la multiplication des
collections, mais aussi par l'apparition de formes nouvelles, se déroule à
Constantinople et dans ses dépendances.
Les chaînes de la période palestinienne, ou héritées de la période
palestinienne, sont fabriquées conformément à trois modèles caténaux :
LA POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE DES CHAÎNES EXÉGÉTIQUES GRECQUES 21 1

1. Le modèle procopien, qui offre deux caractéristiques : a. les extraits


sont empruntés soit à des commentaires (hypomnèmata) soit à des homélies
(logoi) d'auteurs palestiniens ou de mouvance palestinienne ; b. la mise en
pages est celle des commentaires chrétiens et sans doute des homélies : la
pleine page soit sur une colonne d'écriture soit, dans les manuscrits
particulièrement soignés, sur deux colonnes d'écriture. Le modèle proco
pienest l'objet, dans les psaumes, d'une double innovation : a. utilisation,
très rare, de Scholies sur les psaumes ; b. utilisation, exceptionnelle, d'ext
raits d'œuvres qui ne commentent pas directement le psautier, mais dans
lesquelles, à l'occasion, est cité et rapidement expliqué tel ou tel verset.
C'est de ce modèle que relève notamment la première chaîne palestinienne,
dont Marguerite Harl a donné l'édition en 1972 pour le psaume 1182.
2. Le deuxième modèle palestinien est celui que je propose d'appeler les
chaînes-scholies. Son origine doit être cherchée dans la forme littéraire des
Scholies à l'Écriture, genre littéraire apparu en Palestine à l'époque
d'Origène. Il se caractérise par la brièveté de l'explication, mais aussi, au
moins dans les témoignages les plus anciens, par sa discontinuité. Les
scholies étaient disposées sur une colonne d'écriture parallèle à la colonne
des versets bibliques ; chaque scholie était écrite sur la même ligne que le
stique correspondant, l'ensemble des scholies étant à côté de l'ensemble
des stiques. Les scholies étant brèves et discontinues, la colonne réservée
aux scholies offrait des vides ; ces vides, les copistes les ont comblés en
faisant appel à des scholies empruntées à un ou plusieurs autres auteurs.
Plus tard, ils ont eu recours à des extraits de commentaires ou d'homélies
transformés ainsi en scholies. De véritables chaînes à auteurs multiples sont
ainsi apparues. Il faut signaler que le modèle des chaînes-scholies a
subsisté au cours de la deuxième étape des chaînes : il a été légué par la
Palestine à Constantinople.
3. Le troisième modèle palestinien offre les deux caractéristiques suivant
es : a. les auteurs cités sont de mouvance palestinienne, comme dans les
deux modèles précédents, b. à la différence du modèle procopien, il
exploite des Scholies sur les psaumes ; à la différence des chaînes-scholies,
il utilise abondamment des commentaires ou des homélies ; bref il combine
le modèle procopien et le modèle des chaînes-scholies ; il s'agit donc d'un
modèle mixte. Ce modèle a subsisté, comme le modèle des chaînes-schol
ies, lors de la seconde étape de l'histoire des chaînes.
Cette seconde étape paraît débuter dans les années 650-700. Elle présente
plusieurs caractéristiques, qu'il serait trop long de développer maintenant.

2. Marguerite Harl, avec la collaboration de G. Dorival, La chaîne palestinienne sur


le psaume 118{SCnos 189-190), Paris 1972.
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Le sujet que je désire traiter m'oblige cependant à dire quelques mots de


l'une d'entre elles : l'apparition de nouveaux modèles caténaux, au nombre
de trois :
1. Le premier modèle constantinopolitain des chaînes consiste à utiliser
systématiquement et prioritairement les œuvres de Jean Chrysostome.
Lorsque ce dernier est absent, les caténistes le remplacent par Théodoret,
qui développe une exégèse historico-littérale proche de celle de Jean.
Quelques fragments d'autres auteurs sont combinés aux extraits chrysos-
tomico-théodorétiens.
2. Le deuxième modèle constantinopolitain est celui des chaînes à deux
auteurs ; sa caractéristique est d'offrir, non pas un choix des deux commenta
ires, mais les deux commentaires dans leur intégralité. Ce modèle se
rattache sûrement à l'humanisme byzantin.
3. Le troisième modèle est le modèle mixte constantinopolitain, à ne pas
confondre avec le modèle mixte palestinien. C'est le modèle constantinop
olitain par excellence. Il opère la fusion entre les modèles palestiniens et
le premier modèle constantinopolitain, caractérisé par le recours prioritaire
à Jean Chrysostome et à Théodoret. Dans la combinaison nouvelle, ces
derniers auteurs ne sont plus prioritaires, ou majoritaires ; ils sont simple
mentdes auteurs fondamentaux, à côté d'autres auteurs fondamentaux de
mouvance palestinienne. C'est conformément à ce modèle mixte qu'ont été
fabriquées d'une part des chaînes primaires (qui ne font pas appel à des
chaînes parmi leurs sources), mais aussi des chaînes secondaires et com
plexes (qui utilisent parmi leurs sources au moins une chaîne, et parfois
bien davantage).
Ces développements concernant les chaînes exégétiques étaient néces
saires pour la compréhension du sujet que je vais aborder maintenant. Je
demande à mon lecteur en particulier de bien garder à l'esprit deux
éléments : d'une part la distinction, au sein du genre herméneutique, entre
les commentaires, les homélies et les scholies ; par opposition aux scholies,
qui sont brèves et discontinues, les commentaires et les homélies se
caractérisent par leur ampleur, ainsi que par la notion d'acolouthie :
chaque verset fait sens avec le verset précédent et l'ensemble des versets a
une signification globale, qui s'accorde avec la signification particulière
des unités de sens ; les homélies se distinguent des commentaires par leur
aspect parénétique, exhortatif, que symbolise en quelque sorte la présence
de la doxologie finale. Le second élément à conserver en mémoire est la
notion de modèle caténal telle que je l'ai explicitée.

Je me limiterai, dans la suite de mon propos, aux psaumes, car c'est un


domaine sur lequel j'ai pu travailler de manière exhaustive. Mais, je l'ai
déjà signalé, ce que l'on peut dire des psaumes vaut sans doute pour le reste
de l'Écriture.
LA POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE DES CHAÎNES EXÉGÉTIQUES GRECQUES 213

Les chaînes sur les psaumes ont une postérité littéraire sur laquelle,
à ma connaissance, l'on n'a jamais véritablement attiré l'attention. Seul
M. Richard a signalé que les Homélies sur les psaumes 101 à 107, impri
mées en PG 55, 635-676, étaient en fait une chaîne sans sigles d'auteurs3.
Mais il ne s'agit là que d'un cas particulier, qui doit être mis en rapport avec
un phénomène littéraire d'ordre général. Ce phénomène consiste à opérer
la transformation de la forme caténale en une forme exégétique tradition
nelle, commentaires, homélies ou scholies. Ce processus de transformation,
dont la date d'apparition reste incertaine, est bien attesté à partir du
10e siècle. Il reste productif jusqu'à une période tardive de l'empire
byzantin. Grâce à lui, l'on peut dire que les chaînes occupent une place
centrale, médiatrice, dans l'histoire de l'exégèse byzantine : élaborées à
l'origine à partir de commentaires, d'homélies et de scholies, les chaînes
permettent à leur tour de fabriquer des commentaires, des homélies et des
scholies. La boucle est ainsi bouclée.

I. La transformation de la forme caténale en commentaire

Les Commentaires sur les psaumes dont il va être question maintenant


peuvent être considérés à première analyse comme de véritables chaînes
sans sigles d'auteurs. Faut-il dès lors parler de pseudo-commentaires,
comme le fait R. Devreesse à propos des Hermèneiai de Pierre de Laodicée4
et ranger nos compilations parmi les chaînes ? En réalité, l'absence de ces
sigles d'auteurs n'est pas accidentelle, elle est concertée : les commentat
eurs ont voulu fabriquer des commentaires dans l'esprit des Pères, nourris
de la tradition patristique. Il est juste de signaler que, parfois, de très rares
sigles d'auteurs sont présents. Mais ils ne fonctionnent pas comme dans les
chaînes traditionnelles. Ils doivent être rapprochés des indications de
sources que l'on trouve dans les commentaires anciens, où les commentat
eurs signalent parfois une référence. Ainsi Didyme citant Eusèbe dans son
commentaire du psaume 90, 14-16 (fragment n° 908 E. Mühlenberg).

3. M. Richard, Les premières chaînes sur le psautier, Bulletin d'information de


l'Institut de recherche et d'histoire des textes 5, 1956, p. 87-98.
4. R. Devreesse, Chaînes exégétiques grecques, Dictionnaire de la Bible, Supplément,
I, 1928, c. 1115.
214 G. DORIVAL

A. La transformation en commentaire de chaînes qui se rattachent au


premier modèle constantinopolitain des chaînes
Deux exemples.
1. La collection chrysostomico-théodorétienne
Connue par trois manuscrits (Athous Lavra A 89, 10e siècle ; New Haven
Yalensis 249, vers 900 ; Oxoniensis Auct. D.3.17, deuxième moitié du
10e siècle), elle présente les Homélies sur les psaumes de Jean Chrysostome,
complétées, aux psaumes où elles manquaient, par le Commentaire sur les
psaumes de Théodoret. Il n'y a pas de sigle d'auteur. L'ensemble paraît
revenir à un auteur unique et constituer un commentaire sur les psaumes.
La collection a été élaborée vers 700-750. Les sigles d'auteurs, s'ils ont
existé au départ, ont disparu dans les plus anciens témoins, qui datent du
début du 10e siècle. La transformation en commentaire est donc antérieure
au début du 10e siècle.
2. Le commentaire sur les psaumes pseudépigraphique
II s'agit d'un commentaire sur les psaumes que nos manuscrits attribuent
tantôt à Nicéphore Grégoras (Matritensis 4773, après 1560), tantôt à
Nicéphore Xanthopoulos (Matritensis ΑΊΊ 2, vers 1574-1575 ; Parisinus gr.
149, an. 1561), tantôt à Théodore Prodrome (Basilensis Bibl. Univ. A III 15,
milieu du 16e siècle ; Matritensis Bibl. Pal. 3214, du 16e siècle ; Matritensis
4815, deuxième moitié du 16e siècle), tantôt à Théodore Prodrome et Joseph
(Scorialensis Φ III 13, an. 1571) ; parfois il est anonyme (Atheniensis B.N. 4,
du 10e siècle, sur les psaumes 82 à 1 18, 45 ; Athous Lavra Β 83, du 14e siècle,
sur les psaumes 1 18, 65 à 150). Cet anonymat est dû au fait que le début
du texte est lacunaire.
L' Athous Lavra Β 83, le Scorialensis Φ III 13 et le Matritensis 4773
constituent une première famille de manuscrits, qui a conservé le comment
aire dans un meilleur état textuel que la deuxième famille attestée par les
trois autres Matritenses et le Parisinus. Dans l'état actuel de mes connais
sances, il n'est pas possible de classer Y Atheniensis et le Basilensis.
M. Richard a voulu démontrer qu'il s'agissait en réalité d'une « Eclogé
assez misérable du Commentaire de Théodoret », dont l'auteur était « le
célèbre et peu scrupuleux copiste André Darmarios »5. Qu'en est-il ?
L'analyse, psaume par psaume, de notre commentaire montre qu'il offre
les caractéristiques suivantes :
1. Il est fabriqué avant tout à l'aide du Commentaire sur les psaumes de
Théodoret. Ce dernier est complété à l'aide de quelques fragments supplé
mentaires, qui reviennent à Basile (psaume 1), Théodore d'Héraclée

5. M. Richard, Quelques manuscrits grecs peu connus des chaînes exégétiques et des
commentaires grecs sur le psautier, Bulletin d'information de l'IRHT3, 1954, p. 87-106.
LA POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE DES CHAÎNES EXÉGÉTIQUES GRECQUES 215

(psaume 50), aux Lexeis des psaumes (psaume 1), à des auteurs non ident
ifiés.
2. Il n'y a pas de sigles d'auteurs. Le commentateur a voulu créer un
nouveau commentaire sur les psaumes à partir du Commentaire sur les
psaumes de Théodoret.
3. Le commentateur opère sur sa source principale un triple traitement :
tantôt il donne des fragments littéraux, tantôt il abrège, tout en conservant
les phrases mêmes de Théodoret, tantôt il récrit.
André Darmarios est-il l'auteur du Commentaire sur les psaumes ?
Impossible, puisque Γ Atheniensis et YAthous datent respectivement des 10e
et 14e siècles. En revanche André Darmarios est sûrement celui qui a eu
l'idée de diffuser, à partir de l'Escurial, un commentaire sur les psaumes
anonyme ; pour assurer le succès de cette diffusion, il a attribué à notre
Commentaire diverses paternités prestigieuses ou mystérieuses du monde
byzantin tardif : Nicéphore Xanthopoulos, Nicéphore Grégoras, Théodore
Prodrome et Joseph.
A quelle époque a été fabriqué le Commentaire sur les psaumes ? Le
terminus ante quern est apparemment le 10e siècle, date de confection de
Y Atheniensis. Mais j'ai des doutes sur cette datation. Il paraît prudent de se
fonder uniquement sur la date du Lavra : avant le 14e siècle par conséquent.

B. La transformation en commentaire de chaînes qui se rattachent au


deuxième modèle constantinopolitain des chaînes
Un seul exemple, le Commentaire de YAthous Dionysiou 60, que je ne
connais que par un microfilm partiel (folios 15-53) de l'Institut de recher
che et d'histoire des textes. Le manuscrit date de la fin du 13e siècle ou du
début du 14e siècle.
Le Commentaire sur les psaumes présente les caractères suivants :
1. Il est fabriqué essentiellement à partir des Commentaires sur les
psaumes d'Euthyme Zigabène (vers 1070, édité en PG 128) et de Nicéphore
Blemmydès (PG 142). En ce qui concerne ce dernier, qui a composé trois
Commentaires sur les psaumes différents, ainsi que l'a montré H. Idriss-
Bell6, on a affaire au premier commentaire, dit court (avant 1248).
Le commentateur complète Euthyme et Nicéphore à l'aide de Théodoret
(un exemple au psaume 1) et peut-être des Scholies sur les psaumes d'Évagre
(qui posent un problème délicat).
2. L'absence des sigles d'auteurs est concertée. Le compilateur n'a pas
voulu donner une chaîne à deux auteurs, mais un commentaire fabriqué à
partir de deux Hermèneiai sur les psaumes.

6. H. Idriss-Bell, The Commentary on the psalms by Nicephorus Blemmydès, BZ 30,


1929-1930, p. 295-300.
216 G. DORIVAL

3. Les fragments empruntés à Euthyme et Nicéphore sont littéraux.


Une remarque supplémentaire. Il est à noter que, lorsque Nicéphore écrit
son Commentaire sur les psaumes, il a sous les yeux le Commentaire sur les
psaumes d'Euthyme, comme le rappelle H. Idriss-Bell. On peut penser que
notre caténiste a été sensible à cette relation qui unit les deux auteurs.
De quand date notre compilation ? Elle est postérieure aux années 1248
et antérieure à 1300 environ. Le nouveau Commentaire sur les psaumes peut
être daté des années 1250 et suivantes.

C. La transformation en commentaire de chaînes qui se rattachent au


modèle mixte constantinopolitain
Deux exemples.
1. Le Commentaire sur les psaumes de Pierre de Laodicée
II est traditionnellement classé parmi les chaînes (type XXV de la
classification de G. Karo et I. Lietzmann)7.
De Pierre de Laodicée, l'on ne sait rien. R. Devreesse le qualifie
d'« énigmatique », d'« hypothétique », et même de « soi-disant » ou de
« pseudo »8. M. Rauer situe son activité à la fin du 6e siècle ou au début du
7e siècle9. En réalité, s'il est vraiment l'auteur de Γ Hermèneia du Vaticanus
gr. 412 (la raison de cette restriction sera expliquée dans un instant), il est
beaucoup plus tardif : il utilise parmi ses sources Métrophane et Aréthas.
Il faut dater son activité des années 940.
L'œuvre de Pierre de Laodicée est mieux connue que le personnage. Les
manuscrits lui attribuent :
1. Un Commentaire du Notre Père {PG 86, 3329).
2. Une Hermèneia sur les 4 Évangiles.
3. Une Hermèneia sur les psaumes. Seul, parmi les témoins de cette
œuvre, le Vaticanus gr. 412 offre le nom de Pierre de Laodicée, mais dans
des conditions très particulières : le titre donné au folio 1 est gratté. Seules
quelques lettres subsistent. G. Mercati, suivi par R. Devreesse, a proposé
la reconstitution suivante : Πέτρο(υ) Λ(αοδικαίο>υ έρ<μηνεία εις τους)
ψαλμούς10. Lorsque j'ai examiné le manuscrit en 1976, je n'ai pu déchiffrer,
à l'aide d'une lampe de Wood, que les lettres suivantes : Πετρ (...) τους
ψαλμούς. Il est curieux que G. Mercati restitue τους, qui est nettement
lisible à la lampe de Wood. Est-ce suffisant pour nourrir des doutes à

7. G. Karo, I. Lietzmann, Catenarum graecarum Catalogue, Nachrichten von der


königl. Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen. Phil-hist. KL, 1902, p. 1-66.
8. R. Devreesse, art. cit.
9. M. Rauer, Der dem Petrus von Laodikaia zugeschriebene Lukaskommentar, Münster
1920.
10. R. Devreesse, Bibliothecae Apostolicae Vaticanae codices. Codices Vaticani graeci.
II. Codices 330-603, Vatican 1937, p. 119.
LA POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE DES CHAÎNES EXÉGÉTIQUES GRECQUES 217

rencontre de l'ensemble de sa restitution ? Sans doute pas, mais une


certaine prudence reste de mise.
J.-M. Olivier a proposé une liste presque exhaustive des manuscrits du
Commentaire sur les psaumesu . Il est connu par 12 manuscrits : 1. quelques
folios de YAthous Lavra Θ 70 (12e ou 13e siècle) ; 2. YAthous Vatopedinus
196 (dont certains folios se retrouvent dans trois manuscrits de Paris, le
Parisinus Suppl. gr. 689, le Paris. Suppl. gr. 1 1 56, le Paris. Suppl. gr. 474), de
la fin du 10e siècle ; 3. YAthous Vatopedinus 197, de la fin du 1Γ siècle ;
4. Y Oxoniensis Auct. T. 1.1. (non signalé par J.-M. Olivier), du 17e siècle ;
5. le Parisinus gr. 143, du 12e siècle ; 6. les Patmenses 65 et 66, du 1 Γ siècle ;
7. le Romanus Casanatensis 1908, du 12e siècle ; 8. le Sinaiticus gr. 22, du
12e siècle ; 9. le Sinaiticus gr. 25, du 1 Ie siècle ; 10. le Vaticanus gr. 412, du
1 Γ siècle ; 11. le Vaticanus Barberinianus gr. 525, de la fin du 10e siècle ;
12. le Vindobonensis th. gr. 17, du 13e siècle.
Deux types de regroupements peuvent être effectués parmi les manusc
rits :
a. tous les exemplaires sont disposés à pleine page, sauf les Parisinus gr.
143 et Casanatensis 1908, marginaux.
b. du psaume 1 au psaume 76, deux familles : 1. la tradition longue du
Commentaire est celle des Paris. 143 et Casanat. 1908 (+ Oxon. Auct. T.
1.1) ; 2. la tradition courte est attestée par les autres témoins. Il est à noter
que tous les fragments de la tradition courte ne sont pas présents dans la
tradition longue. Les deux traditions sont issues indépendamment d'un
modèle commun.
A partir du psaume 77, une seule tradition.
Le Commentaire sur les psaumes offre trois caractéristiques :
1. Il met à contribution de nombreux commentateurs du psautier. Pierre
de Laodicée a fait appel tantôt à la tradition directe des œuvres que l'on
peut reconnaître dans son Commentaire, tantôt à des traditions caténales.
Tradition directe d'abord. Il est certain que Pierre de Laodicée avait sous
les yeux les Commentaires sur les psaumes de Diodore de Tarse, d'Hésy-
chius et de Théodoret, les Homélies sur les psaumes d'Aréthas, Basile, Jean
Chrysostome et les Scholies sur les psaumes d'Origène. Tradition caténale
ensuite. Pierre de Laodicée a sûrement utilisé la première chaîne palest
inienne pour Apolinaire, Didyme, Eusèbe et Origène, la chaîne du Parisinus
gr. 139 (d'où proviennent certains des fragments récrits d' Apolinaire,
Didyme, Eusèbe, Origène, Théodoret et Théodore de Mopsueste), la chaîne
du Vaticanus gr. 754 (certains fragments de Cyrille, Grégoire de Nazianze,

1 1. J.-M. Olivier, Les fragments « Métrophane » des chaînes exégétiques grecques du


psautier, Revue d'histoire des textes 6, 1976, p. 31-78.
218 G. DORIVAL

Grégoire de Nysse, Hésychius Jagic12, Isidore, Maxime). Bref, Pierre de


Laodicée a travaillé à la manière d'un caténiste constantinopolitain consti
tuant une chaîne mixte.
2. Pierre de Laodicée a systématiquement éliminé les sigles d'auteurs. La
disparition de ces sigles n'est pas accidentelle, puisque Pierre de Laodicée
utilise des indications comme άλλος/άλλως ou qu'il organise ses matériaux
de départ en distinguant entre « les uns (...) les autres ». Il y a, dans le cours
du Commentaire, quelques indications d'auteurs, mais à l'imitation de ce
qui se passe dans les Commentaires anciens, au nominatif accompagné
d'un verbe signifiant dire. Seul le Casanatensis 1908 présente, au psaume 1,
des sigles, mais il est probable que ces sigles ont été introduits en un second
temps par un lecteur de chaînes.
3. Pierre de Laodicée a réorganisé ses matériaux de départ :
a. il abrège, récrit ou résume certains fragments.
b. en général, un même groupe de versets n'est pas commenté par un
unique extrait regroupant plusieurs auteurs, mais par deux ou trois
extraits ; les extraits qui ne sont pas en première position sont précédés
d'une indication du type άλλος, άλλως, έτερος ; mais cette indication ne
fonctionne pas comme dans les chaînes, où elle introduit soit un fragment
d'un nouvel auteur, soit le commentaire du même auteur sur un autre
(demi) verset ; ici elle est présente devant des extraits qui sont en général
fabriqués à l'aide de plusieurs auteurs ; ces auteurs peuvent être différents
des auteurs retenus pour le fragment de tête, mais ils peuvent être aussi les
mêmes. En d'autres termes l'indication signalée a perdu son sens caténal ;
elle est un moyen commode d'aérer les matériaux de départ. En ce sens,
l'on peut caractériser le Commentaire sur les psaumes de Pierre de Laodicée
comme un commentaire à άλλος.
c. inversement, Pierre de Laodicée organise parfois les textes de départ
selon leur contenu, ainsi au psaume 21, où il distingue entre ceux qui
acceptent l'interprétation messianique du psaume et ceux qui la refusent.
A quelle époque Pierre de Laodicée a-t-il composé son Commentaire ?
Terminus ante quern : la fin du 10e siècle, date à laquelle ont été confection
nés les plus anciens exemplaires du Commentaire. Terminus a quo : les
sources les plus récentes, et notamment Γ Homélie sur le psaume 1 d'Aréthas,
qui est postérieure à 902 ou 903. Vers 920 sans doute.
2. Le Commentaire ambrosien
Ce Commentaire anonyme tire son nom du principal manuscrit qui le
présente et qui est conservé à la Bibliothèque ambrosienne de Milan.

12. Ainsi nommé parce que ses Scholies sur les psaumes ont été éditées par V. Jagic,
Incerti auctoris explanatio psalmorum graeca, Vienne 1917.
LA POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE DES CHAÎNES EXÉGÉTIQUES GRECQUES 219

II est connu par deux manuscrits : Y Ambrosianus H 112 sup., du


13e siècle, et le Nicosianus 21 (qui contient une chaîne fille, dont une source
est notre Commentaire).
Le Commentaire présente des caractéristiques voisines de celles du
Commentaire sur les psaumes de Pierre de Laodicée :
1. Il met à contribution un nombre relativement élevé d'Hermèneiai,
tantôt dans une tradition directe, tantôt en tradition caténale. Tradition
directe : Commentaires sur les psaumes de Diodore, d'Eusèbe et de
Théodoret (parfois), Homélies sur les psaumes de Basile, Scholies sur les
psaumes d'Origène. Tradition indirecte : de la chaîne chrysostomico-théo-
dorétienne (type XVII) proviennent bon nombre de fragments de Jean
Chrysostome et de Théodoret ; de la première chaîne palestinienne sont
issus la plupart des fragments d'Apolinaire, de Didyme et quelques frag
ments d'Eusèbe. En ce sens, le Commentaire ambrosien se rattache au
modèle des chaînes mixtes constantinopolitaines.
2. Il ne possède aucun sigle d'auteur, et cette absence est volontaire,
puisque le commentateur a organisé ses matériaux de départ de manière
spécifique.
3. Le commentateur a retravaillé ses sources :
a. même lorsqu'il a eu recours à plusieurs Hermèneiai, chaque verset est
suivi d'un unique extrait ; il n'y a pas, comme chez Pierre de Laodicée,
d'indication du type άλλος.
b. chaque extrait est fabriqué à l'aide de plusieurs Hermèneiai ; la
transition d'un fragment à un autre peut être marquée par une indication
d'allure caténale comme ή ou ήγουν ; mais il peut y avoir simplement une
particule de liaison comme δέ ou και.
c. enfin le commentateur abrège, résume ou récrit.
A quelle époque le Commentaire ambrosien a-t-il été fabriqué ? Terminus
ante quern : le 13e siècle, date de confection de Y Ambrosianus. Terminus a
quo : les années 940, époque où a été confectionnée la chaîne chrysosto-
mico-théodorétienne utilisée par notre Commentaire. Ce dernier a pu être
fabriqué à n'importe quel moment entre 950 et 1200.

D. La transformation en commentaire de chaînes fragmentaires


Un seul exemple, le Coislinianus 275, qui date de la fin du 10e siècle ou
du début du 11e siècle.
Caractéristiques :
1 . Seul un petit nombre de versets à chaque psaume est commenté ; d'où
le rapprochement avec les chaînes fragmentaires.
2. Le commentateur utilise un nombre assez important d'auteurs em
pruntés tantôt à la tradition directe de leurs œuvres, tantôt à une tradition
caténale. Tradition directe : le Commentaire sur les psaumes d'Eusèbe, les
220 G. DORIVAL

Homélies sur les psaumes de Basile, peut-être le Commentaire sur les


psaumes de Théodoret et les Homélies sur les psaumes de Jean Chrysostome.
Tradition caténale : Cyrille, Didyme, parfois Eusèbe, Origène proviennent
de la première chaîne palestinienne ou d'une fille de cette dernière
(Lesbous Leimon 49).
3. L'élimination des sigles d'auteurs est presque totale : L. Mariés en a
certes repéré 2613, mais ces sigles apparaissent comme de rares survivan
ces ; il est possible d'ailleurs que certains d'entre eux aient été ajoutés en
un second temps. D'autres sigles sont donnés dans le texte même du
Commentaire et fonctionnent comme indication de sources, le compilateur
signalant en quelque sorte ses lectures. Par conséquent, on peut porter au
choix deux appréciations sur notre compilation : ou bien elle illustre le
processus même de la transformation d'une chaîne fragmentaire en
Commentaire ; ou bien, si l'on estime que les sigles marginaux ont été
ajoutés en un second temps, elle est purement et simplement un Commenta
ire sur les psaumes annoté par un lecteur de chaînes ou d'œuvres
patristiques.
4. Le commentateur a opéré un travail sur ses sources comparable à
celui du compilateur du Commentaire ambrosien : a. chaque verset est
suivi d'un unique fragment, qui est fabriqué à l'aide d'une ou de plusieurs
Hermèneiai ; b. la transition d'une source à l'autre dans un même fragment
peut être marquée par une indication de type caténal comme ή ; mais
la présence de ce type de transition n'est pas obligatoire ; c. enfin, le
commentateur se livre à des processus d'extraction, d'abrègement et de
récriture.
A quelle époque le Commentaire sur les psaumes a-t-il été confectionné ?
Il est antérieur à la fin du 10e siècle et postérieur aux années 850, puisqu'il
cite Métrophane.

E. Remarques complémentaires
1. Dans quelle mesure est-il possible de rapprocher les chaînes transformées
en commentaires avec les Épitomés de Procope de Gaza ?
Dans sa préface à son Épitomé sur l'Octateuque, Procope de Gaza
explique qu'il a fabriqué sa compilation à partir d'une chaîne14. En ce sens,
les épitomés procopiens font partie de la postérité des chaînes, tout comme
les Commentaires sur les psaumes issus de chaînes que nous venons

13. L. Mariés, Études préliminaires à l'édition de Diodore de Tarse sur les psaumes. La
tradition manuscrite. Deux nouveaux manuscrits. Le caractère diodorien du Commentaire,
Paris 1933, p. 45-48.
14. .PG 87', 21-24.
LA POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE DES CHAÎNES EXÉGÉTIQUES GRECQUES 221

d'examiner. Faut-il pour autant rapprocher nos Commentaires du modèle


procopien de l'épitomé ? Les traits communs qui les rapprochent sont en
fait moins importants que les différences essentielles qui les séparent,
comme nous allons le voir maintenant.
Les caractéristiques communes entre nos compilations et celles de
Procope sont au nombre de trois : a. Procope nous dit que « le corps de
l'écrit ( = l'épitomé) est toujours unique, comme si c'était un seul et unique
auteur qui donnait les mots de tous les auteurs » ; plusieurs de nos
compilations présentent cet aspect ; ainsi le Commentaire ambrosien.
D'autres, il est vrai, utilisent l'indication άλλος/άλλως pour créer, à chaque
verset, plusieurs fragments, b. Procope se livre à un travail d'abrègement
systématique, que l'on constate aussi dans nos Commentaires, c. Procope
ajoute parfois « quelque chose d'extérieur » à ses sources « pour rendre
l'explication plus claire » ; il est possible que, parmi les fragments non
identifiés de nos Commentaires, certains reviennent au compilateur.
Mais deux différences fondamentales distinguent l'épitomé procopien
de nos Commentaires :
a. l'épitomé procopien est fabriqué à partir d'une chaîne réelle ; Procope
explique, par exemple, que « dans le passé » il avait « rassemblé les
exégèses sur l'Octateuque que les Pères et les autres auteurs avaient
proposées » ; il avait donné « littéralement les phrases elles-mêmes des
passages considérés » ; ce n'est pas parce que cette chaîne ne nous est pas
parvenue qu'elle n'a pas existé. Dans le cas de nos compilations, il n'y a
pas de chaînes préexistantes. Certes il y a, dans certains cas, utilisation de
chaînes par nos compilateurs, mais ces chaînes ne donnent que quelques
fragments ; les compilateurs ont recours également à la tradition directe de
Commentaires, d'Homélies et de Scholies sur les psaumes. Ainsi Procope
transforme une chaîne préexistante en un abrégé, tandis que c'est le genre
même de la chaîne que nos compilateurs transforment en commentaire, par
la suppression des sigles d'auteurs.
b. Procope explique que, pour abréger la chaîne de départ, il dit « en une
seule fois » ce que les auteurs ont dit « de concordant » ; dans nos
Commentaires, au contraire, il est parfaitement possible de repérer les
diverses sources utilisées ; ces sources peuvent être abrégées et récrites,
mais elles ne sont pas fusionnées en un seul fragment.

2. La liste des Commentaires issus de la transformation du genre caténal η 'est


pas limitative
II est probable que des compilations actuellement cataloguées comme
Commentaires sur les psaumes ou Hermèneiai sur les psaumes sont en fait
fabriquées à partir d'auteurs différents. Il faudra donc compléter la liste
proposée dans les pages qui précèdent. Un Commentaire sur les psaumes
mériterait d'être étudié de ce point de vue : celui d'Euthyme Zigabène
222 G. DORIVAL

(PG 128). Il semble bien, en effet, que ce Commentaire soit fabriqué dans
la tradition patristique, avec la réutilisation de fragments d'auteurs anté
rieurs, notamment Théodoret. Euthyme Zigabène cite parfois, tout comme
nos compilateurs, les auteurs qu'il utilise : ainsi Basile au psaume 32, 2,
Grégoire de Nazianze au psaume 76, 21, Maxime le confesseur au
psaume 75, 2b. On doit noter, pour terminer, que le Commentaire sur les
psaumes de Théophylacte de Bulgarie, considéré comme inédit et repéré
dans le Parisinus gr. 14715 est en fait le Commentaire sur les psaumes
d'Euthyme Zigabène.

II. La transformation de la forme caténale en scholies

II n'est pas étonnant que les Scholies sur les psaumes que je vais présenter
maintenant soient issues du modèle des chaînes-scholies (versets sur une
colonne d'écriture, chaîne sur la colonne parallèle) ; c'est ce modèle qui se
prêtait le mieux à la création de nouvelles collections de Scholies sur les
psaumes, puisqu'il est fait de scholies.
Deux exemples :
1 . La série des fragments marginaux qu'on lit dans le Parisinus Suppl. gr.
1335 ; il s'agit d'un psautier pourvu de fragments marginaux en petit
nombre copiés par une autre main de la fin du 13e siècle ou du début du
14e siècle. La plupart de ces scholies anonymes proviennent des Scholies sur
les psaumes d'Évagre ; mais il y a également de courts fragments empruntés
au Commentaire sur les psaumes de Théodoret et quelques gloses non
identifiées.
2. Beaucoup plus importante est Γ Hermèneia qu'on lit dans Γ Atheniensis
B.N. 46, du 14e siècle, et YAthous Xenophontos 5, de 1303.
Cette Hermèneia mériterait d'être éditée. Parmi les auteurs auxquels le
compilateur a fait appel, il y a essentiellement Athanase et Hésychius Jagic,
auteurs de Scholies sur les psaumes, ainsi que des lexeis. On trouve aussi
quelques extraits de Basile, Germanos, Grégoire de Nazianze, Tarasios,
Théodoret.
Chaque verset est suivi d'une unique hermèneia anonyme. Tous les
versets ne sont pas commentés. Brièveté et discontinuité rapprochent notre
collection du genre des Scholies sur les psaumes. Le fait même que le
compilateur cite en priorité Athanase et Hésychius Jagic est un argument
supplémentaire pour classer la collection parmi les Scholies sur les
psaumes.

15. A. Ehrard, in K. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Literatur2, Munich


1897, p. 133.
LA POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE DES CHAÎNES EXÉGÉTIQUES GRECQUES 223

A quelle époque a-t-elle été fabriquée ? Terminus ante quern : 1303.


Terminus a quo : la présence de Germanos et Tarasios correspond aux
années 780-850. Entre le début du 9e siècle et la fin du 13e siècle.

III. La transformation de la forme caténale en homélies

Je connais trois exemples de cette transformation. Mais il est probable


qu'une enquête attentive permettrait d'en repérer d'autres.
/. Les Homélies sur les psaumes 101 à 107 du pseudo-Jean Chrysostome
fPG 55, 635-674)
C'est M. Richard qui a le premier signalé que les Homélies en question
étaient en réalité une chaîne sans sigle d'auteur16. Comme mon analyse
diffère quelque peu de celle de M. Richard, je signale que les Homélies sont
fabriquées à l'aide de 4 sources :
— le Commentaire sur les psaumes de Théodoret,
— quelques scholies d'Athanase,
— la récriture de la première chaîne palestinienne,
— la deuxième chaîne palestinienne, sous forme de fragments litt
éraux.
Il n'y a aucun sigle d'auteur. Les fragments d'auteurs différents sont
simplement juxtaposés, sans liaison de type caténal entre eux.
La date de confection de ces Homélies est inconnue. Elles ne peuvent être
antérieures aux années 750, puisqu'elles sont bâties sur le modèle mixte
constantinopolitain des chaînes.
2. L'Homélie sur le psaume 118 du pseudo-Jean Chrysostome (TG 55,
675-708)
II s'agit en réalité de 3 homélies qui commentent dans l'ordre la première,
la deuxième et la troisième stasis du psaume 1 18. Elles présentent, parmi
leurs sources, le Commentaire sur les psaumes de Théodoret, des scholies
d'Athanase, des fragments de Didyme et de nombreux fragments non
identifiés.
Comme il est fait allusion aux pauliciens, aux manichéens et aux
iconoclastes dans le commentaire des versets 85 et 134, nos Homélies ne
peuvent être antérieures aux années 850.
3. Certaines homélies dans le recueil d'homélies du Taurinensis B.N. Β 18
Le Taurinensis, du 11e siècle, et 4 autres manuscrits (Γ Alexandrinus 11,
qui date des années 1600 ; Γ Oxoniensis Thomas Roe 13, an. 1284 ou 1285 ;
le Parisinus gr. 145, de la deuxième moitié du 16e siècle ; le Vaticanus
gr. 525, du 1 Ie siècle) proposent une collection d'homélies sur les psaumes
1 à 150.

16. M. Richard, art. cit. (n. 3).


224 G. DORIVAL

L'analyse détaillée de ce recueil d'homélies reste à faire.


Voici d'abord une rapide description des 61 premières homélies.
Psaumes 1 à 3 anonymes. Il ne s'agit pas d'Astérios.
4 à 12 attribuées à Jean Chrysostome
13 anonyme
14 Jean Chrysostome
15 à 27 anonymes
28-29 Basile
30-31 anonymes
32-33 Basile
34-38 anonymes
39 Jean de Constantinople (?)
40 anonyme
41 du même ( = Jean Chrysostome)
42 anonyme
43-49 du même ( = Jean Chrysostome)
50-58 anonymes. Ces homélies proviennent en fait du Commentaire
sur les psaumes d'Hésychius de Jérusalem, auquel on a ajouté
des doxologies.
59 Basile
60-6 1 anonymes (60 = Hésychius. 6 1 = Basile + Hésychius + ? ).
Les homélies de la suite du recueil sont faites à l'aide du Commentaire
sur les psaumes d'Hésychius (62 à 107 et 1 18) et des Homélies sur les psaumes
de Jean Chrysostome (108 à 117 et 1 19 à 150).
Le principe de fabrication de notre recueil est clair : l'auteur du recueil
donne les Homélies sur les psaumes de Jean Chrysostome lorsqu'elles
existent ; à défaut, il propose les Homélies sur les psaumes de Basile ; aux
psaumes où les homélies de ces deux auteurs n'existent pas, il fait appel au
Commentaire sur les psaumes d'Hésychius ; aux psaumes où le compilateur
n'avait à sa disposition ni Jean Chrysostome ni Basile ni Hésychius, il a eu
recours à des chaînes qu'il transforme en homélies. Ce sont ces homélies
que je vais maintenant présenter, à l'aide de quelques exemples.
Homélie sur le psaume 1 : la plupart des fragments proviennent de la
première chaîne palestinienne ; il y a aussi, au verset 2, un fragment issu
de Γ Homélie sur le psaume 1 d'Aréthas. Quelques fragments ne sont pas
identifiés.
Homélie sur le psaume 21 : tous les fragments proviennent de la première
chaîne palestinienne, à l'exception de la fin du commentaire sur le verset 7.
Homélie sur le psaume 31 : tous les fragments proviennent de la première
chaîne palestinienne. Il y a quelques fragments non identifiés aux versets
3, 7 et 9bc.
Homélie sur le psaume 41 : le début de l'homélie, attribué au même
( = Jean Chrysostome), revient à cet auteur ( = PG 55, 161,24-166, fin). A
LA POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE DES CHAÎNES EXÉGÉTIQUES GRECQUES 225

partir du verset 4, les fragments proviennent de la première chaîne


palestinienne, à l'exception de la fin du fragment sur les versets 7-8.
Homélie sur le psaume 50 : la plupart des fragments proviennent de la
première chaîne palestinienne. Quelques fragments ne sont pas identifiés.
Le fabricant des homélies qui viennent d'être signalées a essentiellement
mis à contribution la première chaîne palestinienne. Il a systématiquement
éliminé les sigles d'auteurs. Lorsqu'un même extrait est fabriqué à partir de
fragments de plusieurs auteurs, le passage d'un auteur à l'autre se fait
tantôt par une liaison de type caténal tantôt par simple juxtaposition.
L'auteur des homélies a souvent abrégé les fragments de départ.
Notre recueil ne peut être antérieur aux années 910-920, puisque Aréthas
est mis à contribution au psaume 1 .
Un trait original de nos homélies doit être signalé. Dans les Comment
aires sur les psaumes, les Scholies sur les psaumes et les Homélies sur les
psaumes analysés jusqu'ici, les compilateurs procédaient à la transformat
ion de la forme caténale à partir d'Hermèneiai d'auteurs différents, mais
ils ne partaient pas de chaînes préexistantes, même s'ils empruntaient tel
ou tel fragment à une chaîne. Ici, tout au contraire, le compilateur utilise
une chaîne préexistante, qu'il transforme en homélies et qu'il complète à
l'aide de quelques fragments. Cette manière de travailler rapproche nos
homélies des epitomes procopiens.

Conclusions

En conclusion, je voudrais insister sur trois points.


1. Le fait de me focaliser sur les psaumes fausse-t-il les perspectives ?
Sans doute quelque peu. J'ai fait allusion à Procope de Gaza. Françoise
Petit a pu montrer que ses chaînes avaient eu une postérité littéraire,
les compilations éditées en PG 8717, à une date sans doute plus ancienne
que ce qui ressort de mon exposé.
2. La postérité littéraire des chaînes a elle-même une postérité. Je veux
dire par là que les nouvelles compilations constituées par transformation
du genre caténal sont à leur tour introduites dans des chaînes comme
n'importe quel commentaire, homélie ou collection de scholies. Pour dire
les choses plus exactement, je n'ai pas pour le moment trouvé d'exemples
d'utilisation des nouvelles collections de Scholies et d'Homélies sur les
psaumes par les caténistes. En revanche certains des Commentaires sur

17. Françoise Petit, Catenae graecae in Genesim et in Exodum. I. Catena sinaitica,


Turnhout et Louvain 1977, p. xx.
226 G. DORIVAL

les psaumes fabriqués selon le processus que j'ai décrit sont cités
par les caténistes. Ainsi la collection chrysostomico-thédorétienne est-elle
fusionnée avec les Scholies sur les psaumes d'Origène dans YAthous Lavra
A 89 ; le Commentaire de Pierre de Laodicée est cité dans 5 chaînes
différentes : Scorialensis^V I 2 (psaumes 1 à 86), Vaticanus gr. 753 (psaumes
77 à 141), Atheniensis B.N. 2988 (psaumes 101 et 131), Athous Lavra Β 83
(psaume 75, précédé du sigle « Eusèbe »), Parisinus gr. 166 (psaume 50) ;
enfin le commentaire ambrosien constitue la source principale du Nico-
sianus 2 1 .
3. Ce serait une erreur d'assimiler les œuvres issues du processus de
transformation qui a fait l'objet de cette rapide étude à une simple curiosité
littéraire. Le nombre même de ces nouvelles compilations l'interdit. En
réalité ces compilations nouvelles permettent à leurs auteurs de concilier
deux exigences quelque peu contradictoires qui caractérisent l'histoire
religieuse et culturelle byzantine : d'un côté, dans la mesure où elles sont
faites de matériaux préexistants, elles les situent dans la tradition, la
paradosis, des Pères, dont on connaît trop l'importance pour qu'il soit
nécessaire d'insister ; d'un autre côté, dans la mesure où ces matériaux
anciens sont réorganisés et « repensés », les nouveaux auteurs évitent de se
livrer à un travail superfétatoire : ils ne répètent pas purement et simple
mentce qu'ont dit les Pères, mais, avec de l'ancien, ils font du nouveau.

Gilles Dorival
Université de Tours et Centre Lenain de Tillemont

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