SONPROJET, C'EST EQUITE
PLUTOT QUE EALITE*
Pour lephilosophe Marcel-Gauchet,
Emmanuel Macron est le premier orai libéral a surgir
sur lascéne politique francaise depuis trés longtemps.
Unpositionnement “acrobatique mais payant”
Propos reewellis par CAROLE BARJON
MARCEL
GAUCHET
cestrédacteuren
chef delarewe
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{vient depuber
«Tlvenement de
ladémocrais,
Uh sletouvean
Mondoschez
almard.
EN GOUVERTURE
Comprenez-vous les interrogations
qui subsistent autour de la candida-
tured’EmmanuelMacron?Limpres-
sionde lou?
Les interrogations ne concernent pas
quEmmanuel Macron. Cette campagne
estconfuse et méme ténébreuse, pour une
raison simple : A cause du renoncement
de Frangois Hollande, le bilan du quin-
quennat est escamoté et avec lui Ie di
gnostic sur Pétat du pays, Oiten sommes-
nous? Pourquoi ce sentiment dimpasse?
Leseul i fautle i accorder,quiproposait
une analyse, discutable, mais étayée, sur
le sujet, était Francois Fillon. Mais les
affaires ont rendu inaudible,
Quantau candidat socialist ilne porte
pas le bilan et n'a pour toute explication
de Véchee du quinquennat que celi-ci
était pas sutfisamment & gauche. Du
coup, la campagne tourne & vide. Com-
‘ment dire oiznous pouvonsaller sie point
oii nous partons rest pas situé? My a
des raisons aux difficultés sur lesquelles
Hollande a buté. Un débat « normal », si
Jose dire, entre Hollande et Fillon, aurait
permis de les faire émerger. Le passé
semble évacué sans autre forme de pro-
c&s, alors quil est omniprésent dans la
téte des électeurs. Ce décalage rend la
bataille des programmes iréelle
Que comprenez-vous du projet
@’Emmanuel Macron? Vous parait-
il correspondre aux aspirations de
Pélectorat socialiste?
Aurdela du détail des programmes, sur
lequel les médias se concentrent de
maniére absurde, ce qui importe, cest la
philosophie sous-jacente qui les inspire
et que les futurs électeurs pergoivent,
en fait, au travers de la posture et de la
personnalité des candidats, Emmanuel
‘Macron porte le projet d'une société de
Youverture dans tous les domaines. Cela
peut saccorder avec le versant sociétal
des projets quise réclament de la gauche
socialste, mais pasdu toutavec le versant
économique
Macron est le premier vrai libéral, au
sens philosophique du terme, surgir sur
la scéne politique francaise depuis trés
longtemps. Il incarne un libéralisme
positif, qui ne se contente pas de défaire
des protections, mais pour lequel le jew
deslibertés personnelles est, par principe,
profitable &tous.
Cest pourquoi son programme compte
peu et que les reproches qui lui sont
faitsli-dessusne/atteignent pas. Son‘be succes est dabord lié & un facteur
_générationnel.Ilest le héraut d'une nou-
‘elle génération politique, a lceuvre dans
laplupartdes camps, donttoutle monde,
Acommencer pares vieux, attend quielle
prenne la reléve d'une « génération 81»
= celle de Mitterrand et de Chirac - mani-
festement épuisée. Il fait en outre une
campagne trés intelligente, purement
politique, oii joue tout sur son position-
rnement, Ila eu le flair de saisir que les
sectarismes enkystés de gauche et de
droite ne faisaient plus recette et qu'il
sSagissait de dépasser ce clivage sans le
nier. II existe, mais il est fait pour étre
enjambé. Pourquoi ne pas prendre un
juste constat 4 droite, une bonne idée &
‘gauche? Cest acrobatique, mais payant,
car cela correspond aux attentes démo-
cratiques et pluralistes du. moment
Contrairement aux recettes éprouvées,
Macron montre, en marchant, quil est
plus convaincant détre conciliant que
d'étre clivant. Dans un paysage politique
dévasté, A gauche et & droite, il est fondé
Amisersurleffet comparatif Ilestrassu-
rant par son pragmatisme en regard
de Tidéalisme de gauche, et il est plus
sympathique que les représentants dut
réalisme de droite
Sillest le premier candidat sérieux é
etre «unvrailibéral», nest-cepas
handicap? Les Francais ne sont pas
franchement libéraux, quils soient
de droite ou de gauche. Aucontraire,
ilsrrontjamais étéaussidemandeurs
deprotection...
Les choses me semblent plus subtiles. La
demande de protection est réelle, cst
Le candidat en visite dans une start-up di Colomiers (Haute-Garonne) en novembre 2016.
“MAGRON SUSCITE
LE SCEPTICISME
OU LA PERPLEXITE, MAIS
‘AUSSI UNE VERITABLE
ENVIE D’Y GROIRE,”
vrai Elle résulte de Ta peur ressentie par
tune grande partie de Ia société frangaise
devant une évolution du monde persue
comme menacante sur tous les plans.
Mais en méme temps, la société a envie
de sortirde cette peur, et elle sait que les
protections n’en guérissent pas, au
contraire. La promesse de Macron est
justement c'y échapper par Toptimisme
entrepreneurial. C'est en ce sens que je
parlais d'un libéralisme posit par oppo-
sition au libéralisme punitif cultivé par
Frangois Fillon ~« fini de rigoler, mainte
nant vous allez en baver ». Au sein de la
droite frangaise, Ie ibéralisme a le plus
souwent fait figure de démarche diseipli-
naire, voire d'instrument d'une sorte de
sadisme social, Cestavec cette image que
Macron sefforce de rompre. II suscite le
scepticisme ou la perplexité, mais aussi
une veritable envie dy croire
Un vrai libéral qui wentend pas
réduire les impéts de maniére sigt
ficative... Les classes moyennes,
des plus modestes aux plus aisées,
pourraient-elles faire les frais de sa
‘Cest le problame structurel des poli-
tiques libérales dans le contexte actuel.
‘Comme il est exclu, méme pour les plus
dures, de laisser carrément tomber Ves-
sentiel des dépenses sociales, et comme
lapriorité est la bisse des prélevements
surlesentreprises, lnyadautre olution
que de pressurer les classes moyennes.
De surcroit, le libéralisme positif tel que
Tenvisage Macron cotite cher, Lorsque
par exemple, au lieu de supprimer les
rentes, vous les racheter, il faut paver.
Mais, encore une fois, est le probleme
général des politiques libérales au
jourd’hui. Elles tendentvers une alliance
des plus riches et des plus pauvres aux
dépens des « moyens riches » et des
‘«cmoyens pauvres », comme aurait dit le
président Mao, qui est politiquement
détonnante
Ise garde bien d’étre trop précis sur
lesuje
nya pas qu’hypocrisiela-dedans. Ilya
lavision véhiculée par Foptimisme libéral
‘qui est que tout le monde trouve son
compte, finalement, dans une société
‘ouverte: Dans ce cadre, le principe fonda-
‘mental est le principe d’équité, préféré &
celui dégalité. C’estclairement celui qui
sous-tend le projetde Macron. Il avait été
prénéjadis par Alain Mine, avec beaucoup
cho public et peu de stecés politique,
parcequfheurtelaculture politique fran-
sgaise dans ce quielle a de plus enracing,
et particuligrement sa composante de
gauche. Maiscestpeut-étre son heure. Le
principe d’équité, au liew de donner la
méme chose 4 tout le monde, consiste &
donner plus ceux quiontle moins, ce qui
permet ila fos faire des économies (en
ne donnant rien ceux qui ont déja) et
diller dans le sens de la justice. Lidée
source, Cest légalité des chances au point
de départ, quis’accommode de Finégalité
des résultats au point darrivée
La gauche dite « de gouvernement »
admetcepointdarrivée, maisneVas-
sume pas toujours clairement...
En effet, Traditionnellement, depuis Ia
Révolution, les Frangais ont toujours
aspiré a une société égalitaire. Mais le
‘monde d’aujourd’hui est celui de ’égalité
des libertés individuelles, avecce que cela
implique d'inégalités dans la société
‘Cest dans ce monde-l que Macron nous
propose dentrer. La question est de
savoirsilasociété frangaise est préte Ace
‘qui serait effectivement pour elle une
révolution culturelle.m