LA PHILOSOPHIE DANS LE BOUDOIR D.A.F. de Sade
Sade doit à Richard von Krafft-Ebing d’avoir son nom associé à l’une des principales « perversions de l’instinct sexuel ». Dans la cinquième édition de sa Psychopathia sexualis (1890), le célèbre psychiatre y introduit le « sadisme » dans sa nomenclature, aux côtés de l’homosexualité, du fétichisme et du masochisme. Au xxe siècle, Sade sort du « second rayon » des librairies auquel son statut d’auteur libertin et pornographique l’a longtemps confiné et s’impose comme une figure importante, sinon majeure, de la littérature. Si, dans les années 1950, Jean-Jacques Pauvert, le premier à avoir publié les œuvres du marquis sous son nom d’éditeur, a encore maille à partir avec la justice, l’œuvre de Sade, devenue accessible à tous, quitte peu après « l’enfer » des bibliothèques. Le Sade sadique, le Sade effrayant et sombre, est supplanté par un Sade « sadien », voluptueux, sinon joyeux, libertin qui, à l’école de la nature et du plaisir, professerait une philosophie individualiste jubilatoire et émancipatrice.
Cette évolution ne s’est pas faite sans une certaine banalisation du pouvoir subversif des écrits du marquis. À cause de son style enlevé, le « bonheur de plume » de l’auteur se doublant de la « haute félicité » que semble éprouver « le narrateur en train de forger le caractère de son héroïne préférée: Eugénie de Mistival1 », La Philosophie dans le boudoir est sans doute le texte qui corrobore le mieux ce changement.
Un passé sulfureux
En 1795, lorsque paraît Sade a 55 ans. L’homme a un passé sulfureux. Le 29 octobre 1763, le jeune marquis a été enfermé une première fois à Vincennes pour (preuve que, dans la France de l’Ancien Régime, une débaucheformé par les jésuites dans l’un des meilleurs collèges du royaume (Louis-le-Grand). Après une brève et brillante carrière militaire pendant la guerre de Sept Ans et ayant épousé une femme fortunée, on aurait pu le croire en train de s’assagir. En 1764, il succède à son père dans la charge de lieutenant général pour le roi. Las ! Sade est un libertin au tempérament En 1768, premier grand scandale : on l’incarcère pour avoir, le dimanche de Pâques, flagellé une certaine Rose Keller. En 1772, second grand scandale : il intoxique des filles à Marseille en leur faisant consommer des bonbons à la cantharide censés avoir des vertus aphrodisiaques. Les magistrats d’Aix-en-Provence le condamnent même (par contumace) à avoir la tête tranchée. L’arrêt cassé, Sade demeure sous la menace d’une lettre de cachet; d’autant plus qu’il fait des dettes.Aussi, de 1777 à 1787, passe-t-il le plus clair de son temps enfermé. La chasteté plus ou moins inhérente à la détention contribue à développer chez Donatien Alphonse François une lubricité en imagination qui trouve sa pleine expression dans ses écrits. Passionné par le théâtre, il rédige des comédies une tragédie ainsi qu’un premier dialogue philosophique, (1782). C’est à la Bastille qu’il achève, en 1785, une première grande fresque sexuelle : . Sade, le libertin comme l’écrivain, semble pris dans une logique de surenchère. première version d’une série de – suivront (1791) puis (1797) – ou encore (1795) sont des contes philosophiques qui tournent au roman noir.
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