Bernard Bégaud Vers une pharmacologie éclairée
The Good Life : Vous venez d’intervenir en qualité de témoin au procès du Mediator. Selon vous, derrière les centaines de morts, s’est joué un cas de figure très français : l’emploi d’un médicament de manière non appropriée…
Bernard Bégaud : La France n’est pas le seul pays dans lequel il y a des usages non justifiés des médicaments ou bien des prescriptions abusives, mais c’est celui dans lequel ce phénomène est le plus répandu. Beaucoup d’études montrent que la France est la championne d’Europe, voire du monde, pour la consommation de médicaments par habitant, et malheureusement aussi pour le non-respect des règles de bon usage, sur la dose, la durée, etc. Ça touche presque toutes les grandes familles de médicaments. Ce n’est pas très glorieux, et je le dis avec d’autant plus de tristesse que mon métier est de former les médecins à la bonne prescription de ces médicaments.
TGL : Comment cela s’explique-t-il ?
B. B. : C’est d’abord culturel. Nous sommes des Latins. Les Britanniques, par exemple, du point de vue collectif, utilisent très rationnellement les médicaments. Par ailleurs, la France est une nation riche. On n’a donc pas imposé, pour des raisons économiques, des contrôles stricts. C’est le pays de la liberté de prescription et du choix des médecins. Même aux Etats-Unis, patrie du libéralisme, on ne fait pas ce qu’on veut : chacun paie un forfait d’assurance privée, et il en a pour son argent, pas plus ; les gens font donc attention. Le troisième facteur tient à la formation des médecins. En nombre d’heures, la prescription rationnelle des médicaments est l’une des plus insuffisantes d’Europe, et elle est positionnée trop tôt [dans le cursusEn Allemagne, par exemple, il y a beaucoup de en situation. Et puis, il faut bien le dire, ce problème n’a jamais été une priorité politique, alors qu’il y a un grand nombre d’effets indésirables et de morts. Ces quatre facteurs se rejoignent et font que la France, plus encore que d’autres pays latins comme l’Italie et l’Espagne, multiplie les mauvais usages.
