L’épidémie oubliée
En 1918, Netflix n’existait pas, la télévision non plus d’ailleurs. C’est pourquoi Violet Harris, 15 ans, s’ennuyait ferme en ce début d’octobre pluvieux dans sa maison de Seattle, dans l’État de Washington, où le confinement avait été décrété afin de juguler l’épidémie de grippe espagnole qui dévorait la planète entière. Pour tromper la déprime, Violet se mit à tenir un journal intime, auquel elle confiait ses tourments et son impatience. Sa petite-nièce, journaliste à USA Today, a exhumé ces carnets, tenus d’une plume appliquée dans des cahiers d’écolier, plus d’un siècle après. Violet s’y réjouit d’abord, le 5 octobre, de la suspension des classes : « Une bonne idée ? Je dirais que oui ! » Deux semaines plus tard, elle s’inquiète d’apprendre que sa meilleure amie, Rena, et sa mère sont tombées malades. Pas de télévision, mais il y a le téléphone : le 27 octobre, Rena, à peu près remise, appelle son amie. Celle-ci lui demande « ce que ça fait » d’avoir cette fameuse grippe. Réponse sibylline et lourde de sous-entendus : « Ne l’attrape pas… » Violet s’efforce donc de chasser sa mélancolie en s’adonnant à la couture ou à la pâtisserie, sans mettre un pied dehors.
Tout accablée qu’elle fût, Violet était une privilégiée. On croit parfois que Seattle était un foyer majeur de l’épidémie de grippe espagnole de 1918 et 1919, dont l’une des photos emblématiques montre un groupe de policiers de la ville masqués et alignés en rangs d’oignons. C’est pourtant tout l’inverse : la métropole
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