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SERIAL ANALYSTE

Soixante-dix ans, c’est un drôle d’âge pour découvrir la peur. Les yeux s’ouvrent grand au-dessus de larges cernes, le regard cherche une issue, les ridules semblent soudain disparaître dans une grimace figée. Assis près du divan, le docteur Daniel Zagury mime des snipers imaginaires prêts à sceller son sort au «moindre raclement de gorge ». Il la refait. Œil fermé. Doigts pistolet. Poum. « Je ne suis pas un homme qui suscite la haine, dit-il. Mais là, je découvre quelque chose qui me dépasse. »

Quel crime le psychiatre a-t-il donc commis pour s’inquiéter autant? Son boulot. En 2019, il a accepté d’expertiser six des femmes qui accusent Tariq Ramadan de viol afin de déterminer si elles se trouvaient « sous emprise » au moment des faits. L’avocat de l’islamologue a aussitôt dégainé : « Le docteur Daniel Zagury ne présente pas les garanties d’indépendance, d’impartialité et de neutralité requises. » La preuve, insistait Me Emmanuel Marsigny, ce médecin appartiendrait à une mystérieuse association au nom hébraïque, Schibboleth. En langage des réseaux sociaux, cela donne : « défenseur de la colonisation », « islamophobe », « sioniste ». « De la folie », souffle le psychiatre, comme on tire des fusées de détresse dans la nuit. Mais il refuse d’en parler, du moins pour l’instant. C’est un piège, si grossier, si évident... D’ailleurs, il me le répète : il ne lit pas ce qu’on dit à son sujet. Ou juste un peu, en diagonale. Il a quand même fallu annuler les vacances en famille au Maroc, on ne sait jamais. « Je suis obligé d’être parano », confie-t-il, avant de se reprendre. Attention, ce n’est pas lui qui a la trouille, mais eux : « Ils ont peur du danger que je représente. »

Daniel Zagury, c’est l’expert psychiatre le plus réputé des tribunaux, le plus recherché, le plus redouté aussi. Son métier : sonder les âmes pour guider la justice. En plus de trente ans d’exercice, il a navigué dans la psyché de mères infanticides, de terroristes, de génocidaires... « Il est un de ces hommes à lanterne auxquels on demande d’éclairer les cavernes humaines », a écrit à son sujet Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Quand une affaire criminelle est susceptible d’être renvoyée aux assises, les juges d’instruction se tournent vers lui comme une évidence, le consultant pour tout et n’importe quoi: abolition du discernement, troubles psychologiques de l’accusé, risques de récidive, crédibilité des témoignages et même, aujourd’hui, « l’emprise ». Daniel Zagury est un psychiatre qui ne juge pas, mais il livre

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