Diapason

NOS COTATIONS

CARL PHILIPP EMANUEL BACH

1714-1788

YYYYY Für Kenner und Liebhaber Wq 55 à 59 et 61. Pièces caractéristiques Wq 117/18, 117/26, 117/30. Fantaisie Wq 67.

Pierre Goy (clavicorde, pantalon et pianoforte).

Claves (3 CD). Ø 2016. TT : 3 h 22’.

TECHNIQUE : 4,5/5

Les six recueils Für Kenner und Liebhaber (Pour connaisseurs et amateurs) publiés par Carl Philipp Emanuel Bach entre 1779 et 1787 offrent aux exécutants de tout niveau des pièces pour clavier à leurs doigts. Composé pour moitié de sonates faciles et plus relevées, le premier cahier remporta un franc succès ; l’introduction de rondos dès le deuxième fâcha les esthètes qui jugeaient cette forme trop légère ; l’apparition de fantaisies dans le quatrième contenta leur goût pour la complexité.

Mais la surprise n’est jamais loin : la fantaisie peut s’alléger de son sérieux (la Wq 61/6 en ut majeur), le rondo concentrer son propos (le très haydnien Wq 56/5). Des sonates en apparence anodines s’envolent vers des sphères d’une élévation inattendue (Larghetto e sostenuto de la Wq 58/2), d’autres offrent des chefs-d’œuvre d’équilibre (Wq 58/4) et d’expressivité (Wq 57/6) ; toutes sont traversées par des ondoiements saisissants.

La notice détaille les spécifications des quatre instruments choisis par Pierre Goy et les jeux utilisés pour chacune des vingt-six pièces de son florilège (sur les trente-sept que totalise la série). De cette riche palette, il tire une variété de caractères, de la confidence du clavicorde à l’éclat des pianoforte, mais aussi un univers de résonances assez fascinants. Rien des foucades (Allegro assai de la Sonate Wq 55/2), de la tendresse (Fantaisie Wq 59/6) ou de mélancolie (Cantabile e mesto de la Sonate Wq 57/6) propres à la langue du compositeur n’échappe par ailleurs à l’interprète. La construction de l’imposant Rondo Wq 59/2 est impeccable, le petit menuet La Pott gagne une poésie insoupçonnée et sa vision bourrelée de drames de la Fantaisie Wq 67 rivalise avec celle, plus méditative, de Jocelyne Cuiller (Fuga Libera, 2007). Marcia Hadjimarkos (Zig-Zag Territoires, « Pièces de caractère »), dans les pièces communes aux deux anthologies, atteignait à une expressivité plus puissamment colorée, mais les curieux se laisseront séduire par l’éventail plus large de la nouvelle venue. Ce C.P.E. Bach aux mille reflets se révèle à la fois brillant et proche, comme une étoile apprivoisée.

Jean-Christophe Pucek

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

YYYYYSonates pour piano nos 8 « Pathétique », 14 « Clair de lune », 17 « La Tempête », 21 « Waldstein » et 23 « Appassionata ».

Cyril Huvé (pianoforte).

Calliope (2 CD). Ø 2019 et 2020.TT : 1 h 49’.

TECHNIQUE : 4/5

Ceux qui pensent que le Grand Sourd composait pour un piano qui n’existait pas encore en seront pour leurs frais. Car Cyril Huvé joue ici des instruments contemporains de Beethoven – un Mathias Müller de 1810 (Sonates nos 8, 14), un Johannes Schanz de 1818 (no 17), un Conrad Graf de 1827 (nos 21, 23) – et démontre qu’un pianoforte est parfaitement à même de clarifier les accords, les lignes médianes et basses, de faire jaillir la polyphonie et la verdeur des timbres.

Elève de Claudio Arrau et de Dominique Merlet, le pianiste français respire large, architecture avec netteté, use d’un beau sens des nuances et sait combien la lutte avec l’instrument fait partie de l’interprétation. Sa« Pathétique », sa « Clair de lune » témoignent d’une grande pureté de style. Mais est-ce la couleur mate du Schanz ? Le sentiment tragique du premier volet, si audacieux, de « La Tempête », celui serein et interrogatif de l’Adagio semblent un rien corsetés, alors même que Huvé s’y montre plus ardent et engagé qu’un Staier voici quelques mois (cf. no 689), et qu’il retrouve l’humeur exacte, entre joie et peine, lumière et tristesse, de l’Allegretto final.

Grevées par l’ambitus dynamique plus restreint du pianoforte, la « Waldstein » et l’« Appassionata » ne pourront rivaliser, aux oreilles de certains, avec les splendeurs du grand piano moderne sous les doigts d’un Pollini, d’un Brendel, d’un Arrau. Dans la «Waldstein », Huvé joue l’ampleur, l’intégrité, la profondeur. Sa lecture de haut vol invente une liberté neuve et hardie contre la facilité du rubato, restitue un médium grave, moelleux, un aigu plein et chantant. Eloquente, âpre, émouvante dans la sonorité et les colorations des divers registres, l’« Appassionata » n’offre pas toujours une transparence aussi exemplaire (finale). Remarquables de souplesse, de naturel sont, en revanche, la contre-exposition (développement), la reprise amplifiée du premier Allegro, le chant pur de l’Andante con variazioni. Patrick Szersnovicz

YYYYSonates pour piano nos 30 à 32.

Fabrizio Chiovetta (piano).

Aparté. Ø 2020. TT : 1 h 02’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Pas la moindre trace d’outrance ou de narcissisme dans le jeu de Fabrizio Chiovetta. Tout y est juste, d un goût très sûr : les équilibres entre main droite et main gauche, la finesse de l’articulation (comme dans la Variation V de l’Opus 109), les tempos, toujours convaincants. La Sonate op. 109 rayonne d’une lumière salutaire. C’est superbe quant à la lettre et très beau plastiquement, malgré une certaine réserve expressive et des fortissimos quelque peu contraints – Jonathan Biss (Orchid) y apparaît plus vibrant encore, poussant à un degré supérieur l’alliage de limpidité et de jubilation.

L’autorité de Chiovetta jaillit dans un Allegro molto de l’Opus 110 particulièrement flamboyant. Dans le finale, le pianiste helvète se garde bien d’entamer une ascension alla Cioran des « cimes du désespoir ». Le chant plaintif se déploie naturellement, sans surenchère douloureuse. Mais les deux minutes conclusives n’irradient pas d’une joie aussi extatique que sous les doigts d’Igor Levit (Sony). C’est surtout dans l’Opus 111 que ce dernier fait la différence, par l’élan, la présence sonore, la clarté polyphonique, la richesse des textures : si l’exécution de Chiovetta ne souffre d’aucune faiblesse digitale, elle n’étonne jamais. Ce beethovénien impeccable a, au fond, pour seul tort de s’effacer exagérément derrière les par-

Bertrand Boissard

Y Y Y Les trente-deux sonates pour piano. Variations Diabelli.

Daniel Barenboim (piano).

DG (13 CD). Ø 2020. TT : 14 h 46’.

TECHNIQUE : 3/5

La quatrième intégrale des sonates de Beethoven par Daniel Barenboim est-elle celle de trop ? Après ses cycles des années 1960 (Emi), 1980 (DG) et 2000 (Decca), sans compter celui filmé à Vienne (EuroArts), voici donc qu’il remet, à soixante-dix-sept ans, son ouvrage sur le métier.

Comparé à son embarrassant album Debussy (cf. no 666), l’artiste a recouvré une certaine santé digitale. Il reste que vitalité et vigueur font défaut aux épisodes les plus expansifs. Les tempos sont sages (Allegro molto e vivace vraiment, ce deuxième volet de la Sonate no 13 ?), la gamme de nuances restreinte, la sonorité peu avenante. Brouillonne, l’« Appasionata » se perd en effets théâtraux, la « Hammerklavier » sent l’effort, l’Opus 111 marche sur des œufs. Des Variations Diabelli engagées achèvent l’ensemble sur une note plus digne.

Quand le tissu se clarifie, les qualités de l’artiste peuvent s’exprimer. Ainsi Barenboim trouve-t-il le climat intimiste idéal dans le premier mouvement de la « Clair de lune », prise à raison pas trop lentement, et le ton bonhomme, presque indolent, du suivant. Gracile comme jamais, le Scherzo de la Sonate no 12 se métamorphose en déambulation presque tranquille. Le lyrisme enjôleur de la no 27 et le rare point d’équilibre entre poésie et tension trouvé pour « La Tempête » comptent au nombre des réussites.

Il arrive que les intentions expressives de l’interprète, soulignées plutôt deux fois qu’une, versent dans l’affectation (tels les appuis insistants dans le Menuetto de la Sonate no 1 ou du Largo de la no 7). Et que cette émotion à fleur de peau, cette absence absolue de pudeur nous touchent, comme la Variation IV de la no 30, aux inflexions toujours plus étudiées au fil des ans.

Au final, cette nouvelle intégrale gagne en liberté ce qu’elle perd en maîtrise instrumentale. Pour son relief et son énergie, celle des années 1960 reste la plus recommandable. Glissées en bonus, les cinq sonates enregistrées il y a soixante-deux ans pour Westminster valent surtout pour une terrifiante « Hammerklavier ». Un Barenboim de seize ans à peine l’attaque en un geste plein de crânerie : celui d’un jeune loup du clavier prêt à conquérir le monde. Bertrand Boissard

YYYYSonates pour violon et piano nos 1, 5 et 8.

Tamsin Waley-Cohen (violon), Huw Watkins (piano).

Signum. Ø 2019. TT : 1 h 03’.

TECHNIQUE : 4/5

Ce premier volume d’une intégrale à venir met en scène deux artistes britanniques encore mal connus de ce côté du Channel : la violoniste Tamsin Waley-Cohen (née en 1986), fondatrice du Quatuor Albion, et le pianiste Huw Watkins, partenaire régulier de son frère Paul, violoncelliste du Quatuor Emerson. Ces deux chambristes accomplis, complices de longue date, ont signé déjà plusieurs disques ensemble. Et c’est une vision très personnelle qu’ils nous proposent ici, certes parfois dérangeante, mais cohérente et bien assumée.

L’Allegro initial de l’Opus 12 no 1, pourra surprendre : le ton est solennel, presque violent (notamment côté archet), et des changements de tempo cassent parfois l’élan. Passons sur d’inutiles rinforzandos de Waley-Cohen, et saluons un Andante à variations inventif, tantôt résolument séducteur, ailleurs carrément héroïque, et un finale à la sève toute beethovénienne.

Leur lecture de la « Printemps », vive et nuancée, offre un dialogue ferme dans le premier mouvement, touchant dans l’Adagio malgré quelques préciosités de la violoniste. A un pétillant scherzo, où le duo démontre une cohésion parfaite, succède un finale gracieux, respirant la tendresse et l’insouciance, hormis dans le combatif intermède central.

L’entame de l’Opus 30 no 3 séduit par sa vigueur, son élan irrésistible, malgré encore des suspensions de tempo inhabituelles. La violoniste, très investie, ose une large variété des timbres jusqu’aux plus rageurs, tandis que le pianiste conserve aisance et aplomb. Après un Tempo di minuetto trop affecté, le finale est pris à bras-le-corps, bravant les risques, non sans quelques fantaisies et vigoureux contrastes. Le tout signe une interprétation de belle facture, surprenante, non dépourvue de personnalité.

Jean-Michel Molkhou

YYYY Les dix sonates pour violon et piano.

Susanna Ogata (violon), Ian Watson (pianoforte).

Coro (4 CD). Ø 2014-2017.TT : 3 h 55’.

TECHNIQUE : 4/5

Interpréter les sonates pour violon et piano de Beethoven sur instruments « anciens » ne va pas toujours de soi. Desservi par sa prise de son, l’enregistrement pionnier de Jaap Schröder et Jos Van Immerseel (DHM, 1988) demeure un document émouvant traversé de belles intuitions ; les duos formés par Hiro Kurosaki et Laura Nicholson (Accent, 2008-2010) puis Midori Seiler et Van Immerseel (ZZT, 2012), posent des problèmes d’équilibre entre les parties, en défaveur du clavier dans le premier, de l’archet dans le second. Enfin, malgré le métier d’Elizabeth Wallfisch, sa proposition partagée avec David Breitman (Nimbus, 2014-2016), sonne trop verticale, raide et parfois maniérée.

Sur deux superbes instruments, un violon de Joseph Klotz (1772) et la copie d’un pianoforte d’Anton Walter réalisée par Paul McNulty (2000), Ian Watson et Susanna Ogata apportent, dans ce contexte, une évidence réconfortante. Leur belle connivence laisse respirer la musique avec simplicité sans pour autant lui rogner les ailes (Allegro con spirito de l’Opus 12 no 3, ample et léger). Modeste de prime abord, l’approche se révèle, au fil des écoutes, mûrie avec soin. Gorgé d’énergie, l’Opus 24Le Printemps ») déploie un paysage aux teintes fraîches et tendres très séduisant. La « Kreutzer » est propulsée par un insatiable élan vital, qui emballe aussi l’Andante con variazioni et suscite l’indulgence envers les quelques faiblesses du violon.

Il existe bien sûr lectures isolées plus dramatiques, en particulier dans les deux sonates en mineur (comme celle des enthousiasmants Staier et Sepec, HM, 2006), mais cette intégrale franche et raffinée, sachant tirer parti sans crispation de la clarté des sonorités « d’époque », n’en demeure pas moins une entreprise valeureuse, palpitante dans ses meilleurs moments.

Jean-Christophe Pucek

YYYYYSymphonies nos 1, 2, et 3 « Héroïque ». BARRY : Beethoven (a). Concerto pour piano (b).

Mark Stones (baryton) (a), John Hodges (piano) (b), Britten Sinfonia, Thomas Adès.

Signum (2 CD). Ø 2107 et 2018.TT : 2 h 22’.

TECHNIQUE : 4/5

L’un des très grands compositeurs de sa génération est aussi un brillant pianiste et… chef d’orchestre. C’est avec un sens enthousiasmant de la pulsation et de la projection du discours qu’il aborde Beethoven la tête d’une phalange de quarante à cinquante musiciens. Chaque symphonie reçoit une lecture vitaliste, contagieuse, très agile d’articulation (jusque dans les basses), au ton impérieux et aux contrastes imaginatifs.

Adès ne se contente pas de dégraisser, d’alléger, de privilégier un jeu sans vibrato. Il varie les traits, joue avec les silences, attise sans discontinuer le dialogue entre les pupitres, fait respirer ses tempos sans dogmatisme. L’énergie incoercible qui s’accomplit dans les finales évoque les Grands Anciens.

Forme vivante, forme vibrante : ce Beethoven est celui d’un musicien recréateur qui entretient un suspense constant, et dont le moteur intérieur tourne à plein régime. Réunion de chambristes de premier plan, le Britten Sinfonia démontre une parfaite réactivité. Que l’esprit soit doux (le cantabile) rude (Allegro con brio de l’« Eroica ») ou allègre (Menuetto-Scherzo et finale des 1re et 2e ), un feu clair embrase le texte. Bref, le Beethoven d’Adès est profondément dionysiaque – et revigorant.

Le goût du décalage présent dans les deux partitions de Gerald Barry (né en 1952), disciple irlandais de Stockhausen et Kagel, le rapprocherait plutôt du second. (2008), élaborée à partir de trois lettres à son « immortelle bien-aimée », s’apparente à un monologue (chanté-parlé) pour basse et ensemble. Un tiers de théâtre musical, un tiers d’ stravinskienne (profil rythmique, instrumentation) qui se déréglerait, un tiers de performance, non sans éléments comiques et surprises. Le grand écart temporel (avant-hier, hier, aujourd’hui)

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