Diapason

LES 160 DU MOIS CRITIQUES

en studio

• Harmonia Mundi a confié à Pablo Heras-Casado une intégrale des symphonies de Schumann avec le Philharmonique de Munich, à Javier Perianes les Sonates pour piano nos 2 et 3 de Chopin, et à Marc Mauillon un bouquet d’« Airs de cour » signés par Lambert, Bacilly, D’Ambruis, Le Camus et Du Mont sur des poèmes d’Henriette de Coligny.

• Après leur « Beethoven Journey », le pianiste Leif Ove Andsnes et le Mahler Chamber Orchestra se lancent dans un « Mozart Momentum », embrassant les compositions des années 1785-1786. Au menu du premier volume, les Concertos nos 20 à 22, le Quatuor KV 478, la Fantaisie KV 475… A guetter chez Sony.

Mozart aussi pour Isabelle Faust et Alexandre Melnikov, qui ont mis en boîte le troisième volume des sonates pour pianoforte et violon (HM), Mozart encore pour Olga Pashchenko qui gravait les Concertos pour clavier nos 17 et 20 avec Il Gardellino (Alpha).

• Chostakovitch était sur le piano de Simon Trpceski, qui a enregistré les concertos avec l’Orchestre Janacek et Cristian Macelaru (Linn) et du jeune Trio Metral (La Dolce Volta).

• Leonardo Garcia Alarcon et sa Cappella Mediterranea inventent une « isola d’amore » de Sigismondo d’India (Alpha).

• Un récital américain à deux pianos par Wilhem Latchoumia et Vanessa Wagner, un programme Liszt par Olivier Latry sur l’orgue de la Philharmonie de Paris : aussi à paraître chez La Dolce Volta.

• « Rameau triomphant », promesses du premier récital de Mathias Vidal, avec l’Ensemble Marguerite Louise de Gaétan Jarry (CVS).

• « When do we dance? » Lise de la Salle nous met en jambes avec un programme mêlant Ravel, Ginastera, Gershwin, Piazzolla, Bartok… (Naïve).

CARL PHILIPP EMANUEL BACH 1714-1788

YYY Symphonies Wq 182. Sinfonia Wq 177.

Gli Incogniti, Amandine Beyer.

HM. Ø 2019. TT : 1 h 13’.

TECHNIQUE : 3,5/5

« Faites comme il vous plaira. » Après trente années aux ordres d’un roi qui ne goûtait guère l’excentricité de sa musique, Emanuel Bach, installé à Hambourg depuis 1768, se vit offrir par le baron Gottfried Van Swieten une opportunité dont rêveraient nombre de créateurs : composer des symphonies en laissant la bride sur le cou à son imagination. Ainsi naquirent, en 1773, six partitions atypiques pour cordes et continuo.

Elles exaucent le vœu du commanditaire avec une joyeuse frénésie, une débauche de relations harmoniques tortueuses (Wq 182/4), de silences soudains (Wq 182/1), de changements de pied et d’éclairage abrupts (Wq 182/3), d’échevèlements parfois extrêmes (Presto des Wq 182/2 et 5), et même d’un humour que Haydn n’aurait pas renié (Wq 182/6). Gli Incogniti ajoutent à ces ébouriffées une Wq 177 à peine mieux peignée. Ces partitions, qu’ils savent faire trépigner, semblent aussi leur faire frôler les limites de leurs capacités expressives. Entendons-nous bien : la maîtrise technique du collectif mené par Amandine Beyer n’est pas en cause, comme l’attestent une vélocité, une discipline qui sont partout l’évidence. Mais, sauf dans les Wq 182/3 et 2, ils échouent à

JOHANN SEBASTIAN BACH 1685-1750

YYYYY Cantates BWV 72, 92 et 156.

Anna Gschwend (soprano), Lucia Napoli (alto), Stephan Scherpe (ténor), Thomas Bauer (basse), La Petite Bande, Sigiswald Kuijken.

Accent. Ø 2020. TT : 1 h 02’.

TECHNIQUE : 3/5  faire saillir la singularité débridée du compositeur, comme s’ils n’osaient pas. Dommage pour les Wq 182/1, 5 ou 6 qui, énervées, restent à quai. Face à l’instinct de l’Akademie für Alte Musik (HM, 1997), à la fougue du Café Zimmermann (Alpha, 2006), enregistrements hélas partiels, cette interprétation trop sage sonne terne, émaciée. Les « symphonies de Hambourg » attendent toujours leurs hérauts. Jean-Christophe Pucek

Contre vents et marées, La Petite Bande poursuit son exploration intimiste des cantates de Bach entamée en 1994. A un chanteur par partie, elle dévoile les rouages de ces mécanismes d’émotion et de foi au lieu de bâtir des cathédrales. Les trois œuvres ici réunies ont pour point commun d’avoir été données en janvier et de faire appel au hautbois. C’est même un hautbois d’amour que requiert la BWV 92, la plus exigeante des trois, spectaculaire avec sa tempête d’opéra (« Seht! Seht! ») et son cheminement tonal ardu, les sombres si, mi et fa dièse mineur contrastant avec le radieux majeur.

Moins ambitieuses, les deux autres ne le cèdent cependant ni en charme, ni en élévation : comment ne pas être impressionné par le chœur d’entrée de la BWV 72, envoûté par le traitement distinct des voix de ténor et de soprano pour incarner la différence de réaction de l’âme et du corps face à la mort dans « Ich steh mit einem Fuss » de la BWV 156 ?

Hormis la ductilité de la conduite des voix, chantées comme instrumentales, dessinant de transparentes et impeccables polyphonies, rien n’impressionne dans le Bach de La Petite Bande. Tout y sonne, en revanche, avec une justesse de ton et d’intentions nourrie par une longue fréquentation du Cantor. Sans doute les solistes ne sont-ils pas des stentors – on note même des faiblesses du côté du ténor et de l’alto –, mais ils s’intègrent sans hiatus dans la vision modeste, « chambriste », du chef. L’humilité pétrie de conviction imprègne cette lecture qui jamais ne cherche à démontrer. Loin de tout histrionisme, c’est la sensibilité et la réflexion seules qui parlent ici ; la foi du charbonnier. Jean-Christophe Pucek

YYYYY « Meins Lebens Licht » Cantates BWV 45 et 198. Motet BWV 118.

Dorothee Mields (soprano), Alex Potter (contre-ténor), Thomas Hobbs (ténor), Peter Kooij (basse), Collegium Vocale Gent, Philippe Herreweghe.

Phi. Ø 2020. TT : 58’.

TECHNIQUE : 3,5/5

« Meins Lebens Licht ». Ces mots (« Lumière de ma vie ») pourraient s’appliquer au rapport que Philippe Herreweghe entretient avec la musique de Bach, dont il reste depuis cinquante ans un serviteur fidèle. Un enregistrement du chef flamand se reconnaît à sa quête d’homogénéité et de sérénité. Cette marque de fabrique se retrouve ici, mais avec un sens de la pulsation, une ardeur qui la transcendent. Dès le chœur d’entrée de la BWV 45, encore jamais abordée par l’ensemble, l’avancée nous happe, nous captive ; elle nourrit une splendide transparence polyphonique. La paisible coulée vers l’au-delà, l’espérance que porte le Motet BWV 118, se parent ici de teintes automnales ; la ferveur s’y fait frisson, celui de l’adieu, de l’aile du temps qui passe et emporte. Aucune intention n’y est jamais surlignée, l’émotion palpite à chaque mesure.

Mais la surprise vient de la célèbre Trauerode BWV 198. A la version gravée en 1988 par Herreweghe (HM), la nouvelle – témoignage d’un art parvenu à sa plénitude – oppose un indéniable supplément d’expressivité, un orchestre qui fait saillir détails et couleurs, et surtout une direction sachant ménager les dynamiques autant que la contemplation. Le dramatisme de « Verstummt! », la méditation de « Wie starb » sont rendues avec la même justesse des affects. L’oraison débordante de confiance et de tendre luminosité qui s’élève du chœur final laisse ébahi, rasséréné. La mort peut menacer, frapper : le rayon de vie qui l’illumine aura toujours le dernier mot. Jean-Christophe Pucek

Y Y Messe en si mineur BWV 232.

Aleksandra Lewandowska, Zoë Brookshaw (sopranos), Marianne Beate Kielland (mezzo), Alex Potter (contre-ténor), Valerio Contaldo (ténor), Gli Angeli Genève, Stephan MacLeod (basse et direction).

Claves (2 CD). Ø 2020. TT : 1 h 41’.

TECHNIQUE : 4/5

Après une Passion selon saint Matthieu que sa luxueuse distribution ne sauvait pas de la routine (cf. no 691), Gli Angeli abordent la Messe en si. Et font pire encore. La lenteur peut, certes, représenter une option ; reste à ne pas s’en contenter. Le Kyrie I, pris dans un tempo alla Karl Richter, se fait marche funèbre languide plus qu’imploration, évacuant toute tension au profit d’une pâte molle, étirée avec complaisance. La coquille creuse du Christe, chant éteint sur fond d’orchestre en pilotage automatique, enfonce un clou que le Kyrie II, sans ampleur, émousse dans une grisaille polie.

Après tant de léthargie, la fanfare du Gloria devrait sonner un réveil salutaire ; il faudra se contenter d’un léger sursaut. Nous ne trouvons pas grand-chose à louer dans ce Laudamus Te à la ligne de chant parfois laborieuse, comme l’est celle du Qui sedes. En comparaison, le Domine Deus offre un havre accueillant grâce à des solistes plus aguerris et un traverso subtil, bonheur qui se prolonge jusqu’au Qui tollis.

La suite fait alterner relative satisfaction et intense perplexité : pour le mordant retrouvé au début du Credo, il faut endurer un Et incarnatus prosaïque, un Crucifixus indifférent ; pour un Sanctus réconcilié avec la vastitude, un Agnus Dei précautionneux. Oublions cette lecture sans saveur, et retournons bien vite écouter Brüggen (Philips, 1990), qui a su comme bien peu conjuguer ardeur et spiritualité. Jean-Christophe Pucek

YYYY « OEuvres et transcriptions pour orgue et violon ». Concertos BWV 596 et 974. Prélude BWV 1001. Fugue BWV 539/2. Toccata et fugue BWV 565. Sonate BWV 528. Cantate BWV 22 (extrait). Chorals BWV 650, 659, 660. Jesus meine Freude BWV 227.

Annegret Siedel (violons Stainer [1670] et Widhalm [ca. 1770]), Ute Gremmel-Geuchen (orgue König [1752]/Verschueren [2000] de la Paterskirche de Kempen).

Aeolus (SACD). Ø 2020. TT : 1 h 18’.

TECHNIQUE : 4/5

TECHNIQUE SACD : 4/5

C’est le troisième disque en quelques mois à réunir violon et orgue dans la musique de Bach (cf. nos 695 et 699). Interprété avec virtuosité et dynamisme, le programme s’ingénie à brouiller les pistes. Dans le mouvement lent de deux concertos d’après Vivaldi et Marcello joués à l’orgue, le violon se réapproprie son bien, de même que pour Kommst du nun des Chorals Schübler. Dans Ertöt uns durch dein Güte de la Cantate BWV 22, c’est l’orgue qui s’attribue la partie des cordes, le cantus se voyant confié au violon. Quant à la fameuse Toccata et fugue en ré mineur, la voici dans une reconstitution de sa très probable version originale pour violon seul. Peut-être pour prendre le contre-pied du modèle, l’interprète en fait une pièce presque méditative : choix aussi surprenant que peu convaincant. Tandis que le duo Paulet-Geiger (Paraty) souffrait d’un orgue quelque peu « noyé » et en retrait, l’instrument à tuyaux est, chez les nouveaux venus, à l’avant-scène, dans une acoustique très sèche. Hélas, les sonorités reconstituées par Verschueren se révèlent tour à tour cotonneuses, acidulées ou rauques, faisant presque regretter la proximité de la captation. Face aux superbes violons anciens d’Annegret Siedel, le déséquilibre se révèle non pas dynamique, mais, en quelque sorte, qualitatif. Sur ce point, seuls Odile Edouard et Freddy Eichelberger (L’Encelade) sont parvenus à un compromis (car il ne saurait être question d’autre chose) ne desservant aucun des deux instruments. Vincent Genvrin

YYYYYSonates et partitas pour violon BWV 1001 à 1006.

Augustin Hadelich (violon).

Warner (2 CD). Ø 2020. TT : 2 h 21’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Ce n’est pas sans émotion qu’on retrouve ici pour la première fois, le Guarneri del Gesù dit « Le-duc », instrument de concert de Henryk Szeryng, qui s’était tu depuis la disparition du maître en 1988, et sur lequel il avait enregistré sa seconde et légendaire intégrale de ces mêmes Sonates et partitas (DG, 1968). La vision qu’en propose ici Augustin Hadelich, dont nous avons souvent salué le talent (cf. nos 655, 660, 665), fait honneur à cette prestigieuse filiation. La prise de son, en proximité de l’instrument, rend justice à la richesse exceptionnelle de ses timbres.

Sur le plan instrumental, on sait que l’interprète, né en 1984 en Italie et désormais américain, s’est imposé en quelques années comme un éblouissant virtuose, mais ce qui séduit ici c’est tout autant la qualité de sa réflexion. L’articulation tout d’abord, résolument vivante, jamais pesante (fugue de la Sonate BWV 1001), dont il affirme qu’elle ne lui fut possible qu’avec un archet baroque. L’aisance ensuite, admirable (Presto de la BWV 1001). Contrôle de l’émission, longueurs d’archet et justesse atteignent des sommets de perfection.

Le vibrato est subtilement dosé, les ornementations rares et très discrètes, la nostalgie distillée là où il faut et jamais traînante (). La fluidité ( de l’ de la ), le pétillement (, plus impressionnante encore dans son ) sont animés d’une saine). Quand le ton se fait plus sombre ( de la ), Hadelich trouve noblesse et sérénité sans perdre le sens du récit.

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