La tournée de l’amour

Ca fait quarante ans que je suis factrice. J’ai toujours aimé ça. Quarante ans que j’arpente en long en large et en travers ce joli coin du Périgord, sur les bords de la Dronne, à quelques kilomètres de Brantôme, en Dordogne. J’ai enfourché le vélo de la Poste à 20 ans à peine. Je m’en souviens bien : j’avais passé la nuit à pleurnicher. Pas à cause de ce premier jour de boulot, mais de mon petit ami qui venait de me quitter pour une autre. Enfin, « petit ami », faut le dire vite… J’avais à peine eu le temps de sentir le goût de ses lèvres contre les miennes que c’était déjà fini ! J’ai su plus tard, par l’indiscrétion d’une copine, que ce baiser était un pari. Il s’appelait Simon, le type.

Je n’étais pas très jolie à l’époque : tignasse noire et crépue, longues jambes de sauterelle et poitrine inexistante. Sans compter que j’étais fagotée comme l’as de pique et que je ne me maquillais pas. Simon avait gagné son pari, il avait récupéré la vieille mobylette rouillée de son copain, Gérald je crois. Et je pleurais ! Il ne me restait qu’à me remettre de cet affront dans les bras d’un autre, s’il s’en présentait un. Je ne pensais qu’à ça. Mes copines avaient toutes un petit ami, je n’en avais pas. C’était très humiliant.

C’était un autre temps. Et c’était la vie d’un petit village paumé dans la campagne, comme celle que j’arpente en scooter – autre temps ! – pour distribuer le courrier. D’ailleurs, peut-être que je vous connais. Peut-être que je distribue votre courrier. Peut-être que je connais votre nom, votre prénom. Peut-être que je sais qui vous écrit. Peut-être… Oh, ne cherchez pas à m’identifier à partir de la vague description que j’ai faite de moi : j’ai bien changé. Mes cheveux ne sont plus crépus, mes jambes ont pris un joli galbe, pour ma poitrine en revanche, il n’y a pas eu de miracle !

Je vois encore mon petit village, blotti dans un coin verdoyant, son vieux moulin à eau dont la roue tourne toujours, son lavoir auquel monsieur le