Une photo doit-elle être corrigée ? Conversation autour de la retouche

Quand nous avons commencé à évoquer à la rédaction le sujet de la retouche, nous avons vite fait le constat qu’il existe autant de définitions de ce terme que de photographes. Que l’on se place du point de vue d’un portraitiste, d’un photojournaliste ou d’un photographe plasticien, les termes et les usages entourant la post-production d’une image varient énormément, sans compter que chacun en a ensuite une interprétation personnelle et sera plus ou moins libre de fixer ses propres règles “déontologiques”. On s’aperçoit aussi que d’une époque à l’autre, les frontières sont très fluctuantes entre ce qui est considéré ou non comme acceptable. Et l’arrivée du numérique est venue chambouler les certitudes autrefois acquises. Plutôt que des assertions gravées dans le marbre, nous avons préféré vous livrer, quasi “non retouchée”, la discussion ouverte entre nos deux journalistes Philippe Bachelier et Julien Bolle autour de ce sujet en perpétuelle mutation.

JB : La retouche reste un sujet tabou en photographie. Un photographe pris en flagrant délit de Photoshop doit faire repentance comme un cycliste testé positif au dopage, alors que l’on ne va pas reprocher à un écrivain de faire corriger sa copie par son éditeur avant publication, ou à un musicien de faire mixer son enregistrement pour en gommer les aspérités. En photo, un simple coup de tampon peut jeter le discrédit sur toute l’œuvre d’un photographe. Certains retoucheurs signent même des clauses de confidentialité les obligeant à rester dans l’ombre des photographes pour lesquels ils travaillent. Pourtant, c’est un métier à part entière, injustement reconnu. Sauf peut-être dans la mode et la publicité où la retouche est acceptée comme un passage obligé.

PB : En littérature, de grands écrivains comme Alexandre Dumas avaient recours à des nègres pour rédiger certaines œuvres, et déjà ils ne s’en vantaient pas !

JB : Oui mais aucun écrivain ne prétend corriger lui-même ses fautes d’orthographe. La question est peut-être de savoir si la retouche photographique s’assimile à de simples corrections de forme ou si elle modifie le propos et le fond. En tous cas, je crois qu’elle est bien plus répandue qu’on ne le pense. Comment expliques-tu que la photographie doive encore et toujours, dans l’esprit du grand public, coller fidèlement, voire platement, à la réalité ? Est-ce une vue naïve ? Pourquoi cette idée que retoucher c’est tricher, même s’il ne s’agit que d’enlever un poteau mal placé ?

Un simple coup de tampon peut discréditer toute une oeuvre

PB :Ce n’est pas une question de naïveté, mais une réponse à nos interrogations perpétuelles sur la vie et le monde qui nous entoure. On a besoin d’une représentation fidèle de la réalité, un besoin de vérité, de même que l’on a besoin d’avoir confiance dans les propos d’autrui. C’est un besoin ontologique. Quitte à se mentir à soi-même en préférant une réalité différente, alternative, que ce soit une image ou une “fake news”. C’est vrai que l’opinion générale associe la photographie à une transcription impartiale de la réalité, fiable, facile à comprendre.  L’image est la forme de communication primaire la plus répandue sur les réseaux sociaux, elle est omniprésente dans notre