Sept

La mort du Lion

Le combat d’une vie. Et une vie pour un combat. J’attendais le commandant Massoud et Ahmed Chah Massoud attendait ses tueurs. En ce mois d’août 2001, le temps est au beau fixe au Tadjikistan, royaume des cimes et des hauts plateaux. J’ai quitté Paris une semaine plus tôt en compagnie d’une amie afghane, la chirurgienne Nilab Mobarez, pour rejoindre l’Afghanistan et le Pandjchir de Massoud. «Doktor Nilab» n’était pas revenue dans son pays depuis sa fuite d’Afghanistan à la fin des années 90, occupé par les talibans. Ce voyage s’avère compliqué, avec un visa pour la vallée rebelle que j’ai obtenu à Londres par le biais de plusieurs contacts. Il s’agit dans un premier temps de rallier Moscou, puis Tachkent et Samarcande. A partir de la frontière entre l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, l’affaire se corse. Les deux pays se détestent, se disputent des droits d’accès à l’eau et la tension est palpable lorsque l’on quitte le dernier poste ouzbek. Le passage s’effectue à pied et à vélo, avec un intermédiaire qui pousse dans un no man’s land de grande fébrilité et sur plusieurs kilomètres une bicyclette chargée de nos sacs jusqu’aux abords de Pendjikent, ville rurale et paisible baignée par la rivière Zeravchan au bout des steppes. Après plusieurs jours d’un périple tourmenté dans une Asie centrale qui l’est tout autant, marque des empires disloqués, nous parvenons enfin à Douchanbé, la petite capitale du Tadjikistan. C’est une étape singulière de ce voyage renouvelé vers l’Afghanistan, un pays qui m’a toujours attiré depuis la lecture des Cavaliers de Kessel et de L’Homme qui voulut être roi de Kipling, sans compter les écrivains voyageurs britanniques, d’Eric Newby à Bruce Chatwin. Un royaume de l’insoumission qui a eu raison dans son histoire profonde de tout envahisseur, jusqu’aux Britanniques de l’Empire des Indes et aux Soviétiques.

Balayée par une brise d’été, la ville des confins est calme, posée dans son écrin de verdure entre les montagnes. Aussitôt arrivé, je reprends contact avec les fidèles de Massoud dont son bras droit, le docteur Abdullah Abdullah que je connais depuis des années, depuis mes premiers voyages dans les maquis avec les moudjahidines, les combattants du chef de file de la résistance contre les Soviétiques puis contre l’obscurantisme et les talibans. A Abdullah, je remets les épreuves de mon livre que je viens d’écrire à l’issue de mon séjour chez les talibans afin qu’il les transmette à Massoud, que je dois rencontrer dans les prochains jours. Après ces derniers mois de combat et de plaidoyers agités, après mon aventure compliquée dans le fief des mollahs de la pureté incendiaire et de la foi confisquée, la tête chamboulée par cette banalité du mal qui grandit, par ces barbares aux portes du monde, il me tarde de voir à nouveau le rebelle éternel au charisme naturel tout en simplicité, le front barré de

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