nton Tchékhov, médecin, est mort jeune dans une station thermale en Allemagne, un verre de champagne à la main, lui qui buvait si peu. Sur la paroi du wagon qui ramène son corps à Moscou on peut lire: « Huîtres fraîches ». Tout ici-bas nous surprend, rien n’est écrit avant. Même une pièce de théâtre, même un opéra. Peter Brook ne, à l’oreille de Michel Piccoli pendant une répétition de : « Oublie. Tu ne sais pas ce que tu vas dire. Dis-le sans y penser. » Enlevez tout. Les murs, les rideaux, les accoudoirs, le plateau, la fosse, les didascalies, la ponctuation dans les pièces de Shakespeare (« ce sont les éditeurs qui l’ont ajoutée »), les mots « acte » et « scène », tout ce qui sépare. Enlevez la date. L’opéra n’est pas né à Florence il y a quatre siècles et quart. « L’opéra est né il y a cinq mille ans, quand des gens émettaient des sons en sortant de leur caverne. De ces bruits sont issus Verdi, Puccini ou Wagner » ( 1984, moi je les aime bien, les dates). Dès à Covent Garden (1949), s’il demande à Salvador Dalí de peindre son décor, c’est pour désarmer le protocole de la Représentation, pour retrouver « la dégénérescence érotique de Strauss et l’imagerie de Wilde » ( 1949). La critique râle, le public râle, il ne se sent pas libre. Ou plutôt il ne la sent pas libre, elle, l’oeuvre, . à Londres, et à New York, encore quelques tentatives dans les années 1950. Mais, pour si peu de théâtre, que d’efforts! Que de moyens, que de contraintes! Que ces vains ornements, que ces voiles lui pèsent! Un jour de 1974, son associée Micheline Rozan et lui poussent une porte en carton, traversent un tunnel « pour soudain nous redresser et découvrir, délabrées, carbonisées, ruinées par la pluie, grêlées, et pourtant nobles, humaines, lumineuses, à couper le souffle: les Bouffes du Nord. » Le voici, « l’espace vide », condition du théâtre. Même du théâtre musical, de cet opéra pris en otage depuis trois siècles par des institutions rigides comme des momies et lourdes comme des dinosaures.
