Les Veillées des chaumières

Le balcon de Syracuse

Quand on demandait à Pierre-Yves où il était né, il répondait invariablement : au bout du monde. C’était vrai. Son village, proche de la pointe Saint-Mathieu, semblait s’accrocher à la terre avant qu’elle ne se dissolve dans les embruns ou se perde dans le brouillard.

La maison de ses parents, une longue bâtisse, se confondait avec le granit de la côte finistérienne et avait la particularité de n’ouvrir aucune fenêtre au sud. « Chez nous, on n’aime pas la chaleur », s’amusait sa mère. Comme ses huit jeunes frères, Pierre-Yves avait été élevé à la dure. Le crachin ne troublait pas le bleu de son regard et ses épaules résistaient au vent de noroît. Mais lui, il aimait la chaleur. Et, plus que tout, la lumière.

Son père, capitaine au long cours dans la marine marchande, était absent la moitié de l’année. L’autre moitié, il ne s’octroyait jamais de repos : le jour, au travail sur le bateau d’un ami marin-pêcheur ; le soir, dans une petite pièce à l’étage avec des livres rapportés de Brest ; et pendant les repas, il paraissait ailleurs, autant retiré dans ses pensées que la pointe Saint-Mathieu dans ses brumes. Mais parfois…

« Je me souviens, le jour où… » À table, ces mots faisaient taire tout le monde. Plissant les yeux, le capitaine racontait une anecdote maritime. Ses enfants, fascinés d’entrevoir la vie d’un père à mi-temps, respiraient à peine pendant qu’il parlait. Pierre-Yves, rêvant d’ailleurs, sentait, dès les premières phrases, son âme hisser les voiles pour découvrir le monde.

Et dès que son père avait pris à nouveau le large, le sillage de ses récits restait longtemps derrière lui. Ses frères et lui revivaient, comme s’ils y étaient, le retournement d’un iceberg au nord de l’Islande, la panne au large des îles Fidji ou les débordements d’une cérémonie hindoue dans le port de Cochin. Tremblant de peur ou piétinant d’impatience, chacun défendait sa vision de la scène et chacun campait sur ses positions.

Ainsi se constitua une collection de « souvenirs familiaux », sorte de livre d’images des pays

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