Diapason

LES 120 CRITIQUES

NOS COTATIONS

DANIEL-FRANÇOIS-ESPRIT AUBER

1782-1871

Le Philtre.

Patrick Kabongo (Guillaume), Emmanuel Franco (Joli-Cœur), Eugenio Di Lieto (Fontanarose), Luiz Fatyol (Térézine), Adina Vilichi (Jeannette), Chœur et Orchestre de la Philharmonie de Cracovie, Luciano Acocella.

Naxos (2 CD). Ø 2022. TT : 2 h 04’.

TECHNIQUE : 3/5

Avant Adina, Nemorino, Belcore et Dulcamara, il y eut Térézine, Guillaume, Joli-Cœur et Fontanarose : Le Philtre, qui se passe à Mauléon, au pays basque, précède de onze mois L’Elixir d’amour. Les deux ouvrages sont tirés du même livret de Scribe, même si le melodramma giocoso de Donizetti fait plus de place à la psychologie – n’espérez pas trouver chez Auber une « Furtiva lagrima » avant l’heure. Saluons d’autant plus sa résurrection par le Festival Rossini de Wildbad que la partition en est savoureuse, à commencer par le finale de l’acte I, ou la Barcarolle de Térézine et Fontanarose sur le sénateur et la gondolière.

Notre plaisir, malheureusement, ne va guère plus loin. Certes Patrick Kabongo fait honneur au style français en paysan naïf, malgré des aigus un peu tendus. Si elle savonne sa colorature et devient légère dans le médium, la coquette Térézine de Luiz Fatyol montre du fruité et de l’abattage, une jolie ligne, une articulation honorable, même si elle savonne sa colorature et devient légère dans le médium. Le Joli-Cœur d’Emmanuel Franco a du jarret en matamore mais le chant est débraillé et le français pour le moins exotique. Celui d’Eugenio Di Lieto nous met carrément au supplice : quand on massacre les mots à ce point, on ne peut que massacrer aussi les notes. Le chœur et l’orchestre cracoviens, nonobstant leurs qualités, n’entretiennent pas une grande intimité avec ce répertoire et Luciano Acocella a plus de métier que de subtilité ou de fraîcheur. Quand on pense que l’œuvre fut portée sur les fonts baptismaux par des étoiles de l’Académie royale de musique nommées Adolphe Nourrit, Henri-Bernard Dabadie, Nicolas-Prosper Levasseur et Julie Dorus-Gras, on reste songeur. Au sein de l’école française d’aujourd’hui se trouverait facilement une distribution pour Le Philtre, dont cette version ne présente guère, malgré Kabongo, qu’un intérêt documentaire.

Didier Van Moere

JOHANN CHRISTIAN BACH

1735-1782

Les deux concertos pour basson. M. HAYDN : Symphonie no 14.

Sophie Dervaux (basson et direction), Münchener Kammerorchester.

Berlin Classics. Ø 2021. TT : 59’.

TECHNIQUE : 4,5/5

Sophie Dervaux, basson solo des Wiener Philharmoniker, donne à Munich un pendant au programme concertant (Mozart, Hummel, Vanhal) qu’elle gravait à Salzbourg avec l’Orchestre du Mozarteum (cf. no 715). Comme précédemment, elle tient la baguette et le fagott avec une égale excellence. Tempo, articulation, dynamique : concertos et symphonie bénéficient d’une interprétation soignée, où rien n’est laissé au hasard, pas même les cadences qui auraient pu apporter un peu de spontanéité.

Niché au cœur de la Symphonie no 14, le Concertino per il fagotto de Michel Haydn, cadet de Joseph, ne manque pas d’intérêt. Mais fallait-il l’encadrer par les deux concertos de Johann Christian Bach, qui lui retirent de son originalité ? L’introduire par le WC 82 (en mi bémol majeur) aurait par ailleurs permis de rompre la monotonie harmonique du si bémol majeur et de conclure brillamment l’ensemble avec le Presto du WC 83, seul vrai mouvement vif de l’album.

Plus-value non négligeable, la prise de son reproduit fidèlement la rondeur des timbres et l’aisance des interprètes. Si la soliste paraît un peu isolée des instruments qui l’accompagnent, le lyrisme de Dervaux dissipe vite ce sentiment et séduit malgré tout.

Bertrand Hainaut

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Transcription des concertos BWV 972, 974, 1054, 1055R, 1056R. Concerto italien BWV 971 (orch. Doni).

Mario Brunello (violoncelle piccolo), Accademia dell’Annunciata, Riccardo Doni.

Arcana. Ø 2021. TT : 1 h 20’.

TECHNIQUE : 2,5/5

Tel qu’il nous est parvenu, le corpus concertant de Bach ne comporte rien pour le violoncelle soliste. Mario Brunello a donc imaginé pour lui six concertos se fondant sur des œuvres qui sont déjà des transcriptions (le BWV 1054 pour clavecin adapté du BWV 1042 pour violon, les BWV 972 d’après Vivaldi et BWV 974 d’après Marcello), certaines n’étant connues (BWV 1055R, 1056R) que dans leur version pour clavier. S’ajoute une orchestration habile du Concerto italien par Riccardo Doni.

L’engagement, l’aplomb technique, la sonorité généreuse de Brunello s’y expriment avec une telle plénitude qu’on en oublierait presque les originaux. A commencer par un BWV 1054 à l’énergie ensoleillée (premier Allegro) sur l’Adagio duquel le violoncelliste fait passer un souffle passionné. Chaleureuse, l’Accademia dell’Annunciata s’y montre à son avantage. Même réussite pour un BWV 972 particulièrement lyrique (Larghetto), ou pour un BWV 1056R aux humeurs changeantes restituées avec subtilité.

Le bonheur est moins égal dans le BWV 974, plombé par un positif prosaïque dont la présence appuyée met à mal la cantilène de l’Adagio. Certaines parties orchestrales sont épaisses. Le premier mouvement du BWV 1055R fait du surplace, tandis que des fluctuations de tempo affectent celui du BWV 971. En dépit d’une captation trop proche et réverbérée, la proposition vaut pour l’abattage (ébouriffant Presto du BWV 971), la sensibilité d’un soliste dont le bonheur de jouer est communicatif.

Jean-Christophe Pucek

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

Concerto pour violon op. 61. Concerto pour violon WoO 5 (fragment).

Veronika Eberle (violon), London Symphony Orchestra, Simon Rattle.

LSO Live (SACD). Ø 2022. TT : 1 h 01’.

TECHNIQUE : 4,5/5

« Le Beethoven de Rattle repose sur une esthétique et même une théorie de la mobilité et du contraste », écrivait Rémy Louis lorsque paraissait en 2016 une intégrale des symphonies avec le Philharmonique de Berlin (BPH, Diapason d’or de l’année). Le constat vaut pour ce Concerto op. 61 (1806) allégé côté cordes (neuf premiers violons) mais sonnant avec un volume et un relief rares (bois très présents). Ampleur des phrasés et des tempos, hauteur de vue, profondeur dans l’éclairage de la polyphonie, clarté des voix médianes et basses offrent un corps quasi idéal où s’enracine le chant, plein d’élan et de naturel, de Veronika Eberle, dont captive aussi la souveraine beauté de timbres. En réelle osmose avec le chef, elle habite chaque ligne, déploie une sonorité intensément pure et sereine et domine d’audacieuses cadences dans lesquelles Jörg Widmann juxtapose son propre langage au matériau thématique de Beethoven. Celle du premier mouvement, frisant l’extravagance par sa longueur, convie timbales, premier violon et contrebasse; celles du Larghetto et du finale sont plus éthérées et discrètes.

En apparence plus ouvertement « romantique » que les décapantes références signées par Faust et Abbado (HM, Diapason d’or) ou récemment par Frang avec Kuusisto (Warner, idem, cf. no 717), cette nouvelle version marie, dans une esthétique différente, radicalité et tradition revisitée. Elle est complétée par un fragmentaire (à peine huit minutes) Concerto en ut majeur esquissé en 1790 et resté inachevé : une musique encore très respectueuse du classicisme viennois, qui ne laisse à peu près rien entrevoir de l’évolution de son auteur.

Patrick Szersnovicz

Variations « Eroica ». Variations op. 34 et 76, WoO 69, 70, 75 et 76. MOZART : Sonate pour piano no 11. SCHUMANN : Etudes en forme de variations sur un thème de Beethoven WoO 31. Geistervariationen WoO 24. WEBERN : Variations op. 27.

Cédric Tiberghien (piano).

HM (2 CD). Ø 2022. TT : 2 h 22’.

 TECHNIQUE : 4,5/5

Le premier de six volumes d’une intégrale annoncée des variations pour piano de Beethoven invite, pour d’intéressants jeux de miroirs, Mozart, Schumann et Webern. Les timbres amènes de Cédric Tiberghien siéent aux épisodes les plus expressifs des Variations « Eroica » (tel le Largo de la Variation XV), mais Selim Mazari, plus franc et allant, mettait mieux en valeur la verve et l’inventivité de la partition (Diapason d’or, Mirare). Dans l’Opus 34, le nouveau venu ne retrouve pas non plus l’inquiétante étrangeté, ni la densité sonore de son cadet dans la Marcia, passage soudainement génial de cette partition attachante. Les quatre cahiers de variations sur des airs d’opéras de Paisiello (WoO 69 et 70), Winter (WoO 75) et Süssmayr (WoO 76), toutes œuvres sans conséquence, bénéficient du jeu élégamment délié du pianiste français.

Aimable divertissement, l’Opus 76 s’appuie sur un thème qui prendra toute sa célébrité quand Beethoven en tirera la Marche turque de sa musique de scène pour Les Ruines d’Athènes. Jouée de manière particulièrement retenue, la Sonate KV 331 de Mozart fait doublement écho : par son finale Alla turca et par son premier mouvement constitué d’une série de variations.

Tiberghien explore avec une vaste gamme de nuances et un geste d’une étonnante séduction sonore les Variations op. 27 de Webern, s’éloignant autant de l’ascétisme de Pollini (DG) que de la vision décapante de Gould (Sony).

Schumann, enfin, est présent à travers deux partitions très particulières. Aux Geistervariationen, ces tristes lambeaux de phrases d’un compositeur exsangue, on préfère les rares Variations WoO 31 sur l’Al legretto de la Symphonie no 7 de Beethoven. Editées à partir de trois manuscrits différents (1831-1835), elles brillent d’éclats splendides, telles les cascades de lumière de la Variations VI ou les salves de la III, dont l’écriture rappelle l’une des Etudes symphoniques. Plus rayonnant que Claire Désert (Mirare), Tiberghien égrène avec éloquence les larmes de la toute dernière, avant que ne résonne l’accord conclusif, celui-là même qui ouvre le mouvement de la symphonie. Le moment le plus saisissant d’une pertinente ode à la variation.

Bertrand Boissard

JOSEF BENES

1795-1873

Les deux quatuors à cordes.

Quatuor Martinu.

Supraphon. Ø 2021. TT : 57’

TECHNIQUE 4/5'

Né aux confins de la Bohême et de la Moravie, Josef Benes s’imposa comme pédagogue du violon, d’abord à Ljubljana, puis à Vienne où, comme Konzertmeister du théâtre de la cour, son talent d’exécutant ne fit pas l’unanimité.

Lui reconnaissant certes de l’« habileté dans les traits », un critique relève qu’« avec des sons désagréables, parfois âcres, stridents, ses octaves sont presque toujours fausses et son interprétation, malgré toute sa précision, est froide et réservée. »

Au soir de sa vie, il compose en 1865 et 1871 deux quatuors à cordes dans un langage qui s’inspire sans beaucoup d’imagination des derniers de Haydn ou de l’Opus 18 de Beethoven, ignorant totalement ce que le dernier Beethoven, Schubert et même Mendelssohn ou Schumann ont apporté au genre. La lecture du Quatuor Martinu, irréprochable tant par la justesse et l’homogénéité que par sa musicalité, ne peut rendre ces œuvres plus captivantes qu’elles ne le sont. Ceux que passionne l’histoire de la musique tchèque verront toutefois leur curiosité satisfaite.

Jean-Claude Hulot

JOHANNES BRAHMS

1833-1897

Sérénades nos 1 et 2.

Orchestre Consuelo, Victor Julien-Laferrière.

Mirare. Ø 2022. TT : 1 h 17’.

TECHNIQUE : 4/5

Fondé en 2019 par le violoncelliste Victor Julien-Laferrière, l’Orchestre Consuelo réunit entre quinze et cinquante musiciens désireux d’aborder le répertoire symphonique par le prisme de la musique de chambre. Ses membres, jeunes pour la plupart, sont issus, tantôt de trios, quatuors et quintettes, tantôt de phalanges constituées. Choisir, pour ce premier disque, les Sérénades de Brahms était on ne peut plus judicieux : composées entre ses vingt-quatre et vingt-six ans, elles se situent ellesmêmes au croisement des sphères chambriste et symphonique.

Singulière en ce que Brahms y renonce aux violons, la Sérénade no 2 fait une entrée en matière idéale. Le geste de Julien-Laferrière montre, dans les trois mouvements vifs, une franchise, une verdeur même, remarquablement appariées aux timbres acidulés des vents. L’Adagio non troppo et le Quasi menuetto appellent par instants couleurs moins vertes, accents plus tamisés – c’est là que Haitink et Amsterdam (Philips), Abbado et Berlin (DG), Chailly et Leipzig (Decca) creusent l’écart.

Plus ouvertement symphonique, Brahms étoffant son instrumentation en 1875, la Sérénade no 1 expose davantage les limites de l’orchestre en termes de cohésion. Rendus jadis si magistralement par Heinz Bongartz et la Philharmonie de Dresde (Berlin Classics), ses élans « motoriques » mériteraient une pulsation mieux différenciée. La fragilité de certains automatismes se fait moins sentir dans la coda du I, le trio du II et l’Adagio ma non troppo, où prévalent confidence et mezza voce.

Hugues Mousseau

Les trois sonates pour violon et piano. Sonate « FAE » (Scherzo).

Ning Feng (violon), Zee Zee (piano).

Channel Classics. Ø 2022. TT : 1 h 13’.

TECHNIQUE : 4,5/5

Il faut se garder de trop uniformiser les climats respectifs de ces trois sonates de la maturité. Car les différences ne manquent pas entre la mélancolie et l’invention mélodique de l’ en majeur (1878), les en majeur (1886) et la forêt dense et inquiétante que traverse l’ en mineur (1886-1888). Ning Feng et Zee Zee savent prendre des risques et défendre des options parfois assez personnelles, même s’ils n’ont pas l’élégante sensualité de Hagai Shaham et Amon Erez (Nimbus) ou la palette raffinée et historiquement informée d’Aylen Ptrichin et Maxim Emelyanychev (Aparté), pour s’en tenir à deux références récentes. Leurs quelques libertés en matière d’accents et de nuances dynamiques, notamment dans une

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