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Casse-croûte
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Ebook124 pages1 hour

Casse-croûte

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About this ebook

L’homme vient de marcher sur la Lune quand le baroudeur de rêve commence son apprentissage du monde.
Parachuté en plein conflit du Vietnam, il redoute que chaque aube ne devienne aussi fugace qu’une balle traçante... et finit par plier bagage, désemparé comme un funambule ayant perdu son balancier.
Impatient de trouver sa place et soucieux d’échapper à l’interminable cohorte des damnés de l’usine, il cumule les petits boulots-boulets pour vivre : distributeur de paquets de lessive « Dixan », volontaire dans un kibboutz en Israël après la guerre du Kippour, guide de chasse au Cameroun sans avoir jamais tenu un fusil de sa vie.
Après avoir troqué sa casquette de gardien de musée contre celle de gardien de nuit, il s’exerce au métier de remplaçant dans une école professionnelle avant d’affronter la confrérie des méthodologues assermentés.
Perpétuel insatisfait, souffrant d’un trou d’être à combler, le braconnier de mappemonde ne cesse de courir après son ombre, multipliant les allers-retours entre Tropiques, Outre-mer et Europe, en étouffant au coeur de villes barbelées d’interdits où tous les possibles semblent verrouillés.

LanguageFrançais
Release dateOct 20, 2013
ISBN9781301586165
Casse-croûte
Author

Alain Dizerens

[ENGLISH] · Alain Dizerens was born in Geneva in 1948. In his 20s, feeling restless and with a constant urge to explore the world, he finds a job with a humanitarian organization and so his adventures begin, often more life threatening than recreational. In his book Breadline one can discover the autobiographical account of a young man impatient to find his place in this world and escape the endless cohort of the industrialized society, he combines the odd jobs to make a living and saves up just enough to finance his trips abroad. From Switzerland to the Vietnam war, back to Europe and again off to Cameroon, the author describes his personal story of survival through continuous curiosity and courage to face life in most dangerous of places. Throughout his life, Alain Dizerens has also worked in kabbutz (Israel) and in Hong Kong among other places around the world. After a Bachelor of Arts in Philosophy and several decades of teaching, Alain Dizerens also presented a variety of “crosstalk kinetic” (dance, electro) performances, particularly in the context of the Swiss summer in Geneva in 1986. He has written other books – Miroir-Temps and l’Arpenteur sidéral among many as well as published a number of photo e-books. Written with a poetic touch, his books quickly absorb the reader in a realistically magical universe, which at the same time never lacks a bit humor. [FRANÇAIS] · Alain Dizerens est né à Genève en 1948. Dans ses jeunes années, avec l’envie très profonde d'explorer le monde, il trouve un emploi dans une organisation humanitaire et se lance ainsi dans des aventures souvent périlleuses. Dans un de ses livres, «Casse-croûte», on peut découvrir le récit autobiographique d'un jeune homme impatient de trouver sa place dans le monde et d'échapper à la société de consommation. Il combine les petits boulots pour gagner sa vie en économisant juste assez pour être en mesure de financer ses voyages à l'étranger. Du Cameroun au kibboutz (Israël), de la guerre du Vietnam à Hong Kong, l'auteur décrit son histoire personnelle en affrontant avec courage la vie dans des lieux parfois dangereux. Après un baccalauréat en philosophie et plusieurs décennies d'enseignement, Alain Dizerens a également présenté des concerts de " diaphonie cinétique " (danse, électroacoustique), en particulier dans le cadre de l'été suisse, à Genève, en 1986. Il a publié d'autres livres - Miroir-Temps, Mica D’eau, l'Arpenteur sidéral ainsi qu’un certain nombre de photos e-books. Écrits avec une touche poétique, ses récits plongent rapidement le lecteur dans un univers magique qui ne manque pourtant jamais d’humour. BIBLIOGRAPHIE - 2007 - Casse-Croûte, traduit en anglais sous le titre Breadline - 2008 - Miroir-Temps - 2010 - L'Arpenteur sidéral et Le Pèse-Providence - 2012 - Coquards pour Somnambules - 2013 - Miroir-Temps 2 - 2014 - Babouchier Migrateur - 2014 - Mica d'eau

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    Casse-croûte - Alain Dizerens

    I

    Juillet 1969 : on a marché sur la Lune.

    « Un petit pas pour l’homme, un grand bond pour l’humanité. »

    Des milliards de fourmis humaines découvrent avec fascination leur unique fourmilière : la terre.

    Planète bleue flottant au cœur d’un silence ténébreux.

    Bulle dans l’univers, poussière de cosmos.

    Du rien cerclé d’abîme.

    Infini de la nuit.

    Cinq heures du matin : froid glacial.

    Neige.

    Couché sur un matelas pourri qui a remplacé la banquette arrière de ma Peugeot 203, j’ouvre un œil : pare-brise tout blanc.

    Emmitouflé dans un vieux manteau de l’armée du salut, je claque des dents.

    À chaque expiration, un halo de buée se forme sur les vitres.

    Coudes appuyés sur le volant, je me rase avec des moufles face au rétroviseur en attendant l’ouverture du premier bistrot.

    Silhouettes frileuses, de rares passants longent les murs alors qu’au loin, lancinant appel, une sirène d’ambulance retentit dans le calme ouaté de la ville.

    Phares allumés, quelques véhicules avancent avec une infinie prudence à travers une aube irréelle où les arbres, spectres cotonneux formant un étrange décor boréal, tendent leurs ramifications givrées en direction du ciel.

    Jour vide.

    Jour blanc.

    Jour sans argent.

    Exténué d’avoir sonné à toutes les portes et rempli en vain des formulaires d’embauche, je marche sans relâche à travers la cité jusqu’au moment où, éreinté, il ne me reste plus qu’à regagner ma guimbarde.

    Nez collé à la vitre, je regarde mon rituel film du soir : l’intimité cossue des appartements illuminés qui étalent leur bonheur douillet dans la rue.

    Ce confort bourgeois me fait tellement pâlir d’envie qu’il rend la lumière de mon habitacle encore plus glauque que celle d’une morgue...

    Accrochée à la poignée du toit ouvrant, ma montre indique six heures du matin.

    En me débarbouillant à une fontaine située près de mon igloo de voiture, une idée lumineuse me vient tout à coup à l’esprit : travailler en faveur d’une association caritative.

    Être payé pour voyager : solution idéale.

    Après avoir extirpé la bouteille d’antigel coincée dans un accoudoir et donné à boire à ma Peugeot, je pars faire le tour des organisations humanitaires.

    Coup de chance inouï : il reste une place libre dans un projet qui se déroule au Vietnam.

    Pas de qualifications requises, mais salaire de misère : tant pis ! Tout vaut mieux que de végéter dans ma 203.

    Rien n’est encore sûr, mais le compte à rebours a commencé.

    Dans trois semaines, si tout va bien, je serai dans l’avion pour Saigon.

    Rêve ? Réalité ?

    Tapis volant d’illusions ?

    Tout est blafard et bruineux.

    Assis sur mon matelas, j’écoute le son métallique de mon transistor, chattertoné au plafond, qui ressemble à une guêpe piégée au fond d’un bidon...

    Dans ce brouillard givrant où la nuit tombe à cinq heures, j’observe de loin les fenêtres allumées en rêvant déjà à des aubes ensorcelantes ou à de miraculeuses lumières tropicales au bord d’un océan turquoise, avec une feuille de parasolier [1] pour seul oreiller !

    Une fringale de soleil m’embrase et il me tarde de changer de peau, de vie et d’envies à travers les villes roses et blanches d’Asie.

    En arrière-fond, des rengaines d’époque me trottent dans la tête :

    « Faites l’amour, pas la guerre. »

    Ne rentrez pas dans le moule du rendement.

    Fuyez l’aliénation et le conformisme.

    Haro sur le boulot et la société de consommation.

    Pas de profit à tout prix.

    Crachez sur l’argent et la réussite.

    Quittez ce vieux monde sans vous retourner.

    Faites la route en cheveux longs, jeans troués, chemises à fleurs ou robes indiennes.

    Défoncez-vous à Madras, Calcutta ou Katmandu.

    Guitare-pétard et nirvana.

    Folk-rock-pop et Woodstock.

    Came, cône ou acide.

    À bas les bourgeois.

    À bas cette foutue cotte de mailles de la moralité.

    Vive la crasse baba cool, la sueur suave, l’entêtante puanteur et les capiteux relents du rut.

    Dépêchez-vous : l’existence est courte.

    Vivez votre vie comme un long voyage en stop, à pieds nus, baluchon sur le dos, étoiles plein les yeux.

    Citoyens du monde, colons d’une nouvelle terre promise, fuyez aussi vite que des souffleurs d’arcs-en-ciel ou des déracineurs d’éternité en herbe qui marchent jusqu’à l’au-delà pour trouver leur oasis de bonheur... »

    Cette fois-ci, ça y est : engagement signé pour le Vietnam !

    Je ne tiens plus en place et songe en permanence à mon nouveau statut d’engagé volontaire.

    J’attends l’ultime minute pour vendre ma 203, véritable symbole d’indépendance dont je n’arrive pas à me séparer.

    L’heure du grand départ approche.

    Période incroyablement intense où tout semble possible pour la première fois...

    Avec sa banquette arrière et sa carrosserie bleue soigneusement briquée, ma Peugeot fait toujours figure de pièce de musée, mais c’est un crève-cœur de l’abandonner entre les mains d’autrui.

    Au moment où le nouveau propriétaire démarre, je me retourne une dernière fois et me mets brusquement à courir comme un fou.

    Impression d’avoir rompu un pacte secret et qu’une part de moi-même disparaissait à tout jamais.

    Errant à travers la ville à la recherche de mon ombre, je me retrouve soudain étrangement nu et déboussolé.

    Symbiose perdue.

    Amputé.

    C’est le moment de partir.

    Visa, vaccins, valise, billet d’avion : tout est prêt.

    Je m’envole ce soir pour le Vietnam...

    II

    « Tu ne connais pas la vie,

    pourquoi t’occuper de la mort ? »

    Confucius

    1970 : pays en guerre.

    Urgence partout.

    Sur les pistes encombrées de l’aéroport de Saigon, les rares avions de ligne sont incongrus parmi une impressionnante armada de bombardiers aux soutes béantes, véhicules blindés, half-tracks, jeeps et camions militaires évoluant dans une fournaise aux odeurs de poudre calcinée et relents d’essence éœurants.

    Chaos et cohue sur le tarmac grouillant de soldats en treillis qui s’activent frénétiquement, armes pointées dans une lumière éclatante que la touffeur fait trembler en plein midi.

    Sous un incessant ballet d’hélicoptères aux bulles en plexiglas étincelant au soleil, des cris claquent au milieu des décollages stridents de chasseurs qui déchirent un ciel de coton.

    Saigon brûle d’une fièvre ardente, véritable bain de chaleur grouillant de cris, klaxons, sirènes d’ambulance, jungle de triporteurs, flot de jeeps, vélos et vieilles 4CV bleues à toit blanc, reconverties en taxis, qui crapahutent sous un ciel langé de craie mouillée.

    Infernale fourmilière à l’ahurissante pulsion sanguine qui vibre d’une perpétuelle trépidation au milieu des check-points [2] encerclés de barbelés, routes défoncées et fortins de sable érigés sous les cottes de mailles très basses de lignes téléphoniques qui étranglent la ville, noires araignées déroulant leur toile métallique le long des artères.

    Assises en amazone sur les porte-bagages des motos, de fines femmes en soie rient en retenant leur chapeau alors que d’autres, très droites sur leur bicyclette, ressemblent à des hérons en gants blancs avec leur aodaï [3] qui flotte au vent.

    Sous des arbres au long tronc nu et houppier en forme de champignon, des vendeurs changent des piastres au marché noir. Non loin de là, quelques filles faciles s’amusent à crier : « Hé, honey ! » en lançant de flamboyantes œillades à des Rambo qui se baladent en tee-shirt, bulle de chewing-gum... leur collant parfois au nez !

    Dans cette ville en état de siège, tout demeure en sursis, prêt à basculer en une fraction de seconde.

    Le temps menace d’éclater à chaque instant et la chaleur, gluante, donne au tabac un goût de paille de fer dans le gosier.

    Tout rancit, s’use, se décompose au soleil.

    Près d’une rivière mazoutée à la vase aussi puante que des relents d’algues putréfiées, les milliers d’échoppes de Cholon regorgent d’épices, de têtes de cobras comprimées dans de minuscules bouteilles, piles de casseroles entassées, poissons séchés, cartouchières et surplus américain vendu à la sauvette.

    En lunettes noires, des cyclo-pousse à pieds nus, tout en os sous leur chapeau conique, ont l’air de rabougries méduses aux membres en fil d’allumettes qui se profilent sur le jaune cassé des maisons lépreuses.

    Dans la douceur du soir, la cité prend d’étranges couleurs fanées au cœur d’une lumière de verre embuée.

    Au loin, sur le fleuve, des croiseurs à l’ancre pointent leurs canons vers les longues échancrures roses d’un ciel soufré alors que les premiers phares des autos fulgurent dans un grouillement de lucioles qui palpitent de fébrilité nocturne.

    À travers nuit, des ombres chinoises aux portraits d’ivoire se dessinent dans l’incandescence de petits braseros installés sur les trottoirs où de vieilles vendeuses, accroupies sur leurs talons, chiquent du bétel sous des cieux d’un velours bleu noir.

    Avec le couvre-feu, le silence fait enfin son apparition.

    Respiration au cœur des ténèbres.

    Calme trop pesant pour être normal.

    Sueur de coton sous la moustiquaire.

    Après une interminable attente à un guichet d’aéroport pris d’assaut, j’embarque

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