Une Atalaya pour Gerry Roufs
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Une Atalaya pour Gerry Roufs - Cartier Michèle
UNE ATALAYA
POUR GERRY ROUFS
Carnet du souvenir
Atalaya : mot espagnol signifiant tour de guet, d'observation, vigie. Nom de l'île sur laquelle on a retrouvé le voilier Groupe LG2.
5, rue Sainte-Ursule
Québec (Québec)
G1R 4C7
Tél. : (418) 692.0377
Téléc. : (418) 692.0605
Site Internet : www.michelbrule.com
Illustration de la couverture : Entre ciel et mer, de Hervé Teboul, d'après une photo de Jacques Vapillon.
Maquette de la couverture : Louise Durocher
Mise en pages : Andréa Joseph [PageXpress]
Conversion en livre numérique : Cynthia Gervais
Distribution :
Prologue :
Tél. : (450) 434.0306 / 1.800.363.3864
Téléc. : (450) 434.2627 ou 1.800.361.8088
Distribution en Europe : Librairie du Québec 30, rue Gay-Lussac 75005 Paris
France
Téléc. : 43.54.39.15
Nous remercions le ministère du Patrimoine canadien et le Conseil des arts du Canada de l'aide accordée à notre programme de publication. Nous remercions également la SODEC, du ministère de la Culture et des Communications du Québec, de son soutien. Lanctôt éditeur bénéficie du Programme de crédit d'impôt pour l'édition de livres du gouvernement du Québec, géré par la SODEC.
Les éditions Michel Brûlé bénéficient du soutien financier du gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC et sont inscrites au Programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour des activités de développement de notre entreprise.
ISBN 2-89485-294-0
À Gerry, mon arc-en-ciel bien nommé.
À tous nos amours perdus, dans la vie
et dans la mort.
Pour Emma, notre fille.
Il y a les Conquérants de l'inutile.
Il y a aussi les Combattants des causes
désespérées.
Il n'y a de repos que pour celui qui cherche.
Il n'y a de repos que pour celui qui trouve
la vérité.
RAOUL DUGUAY
La survivance, c'est une belle histoire d'amour…
PIERRE FLYNN
En guise de préface
En septembre 2003, au moment où je finissais d’écrire ce récit, j’ai été, une fois de plus, hantée par le souvenir de Gerry. Cette nuit-là, j’ai fait ce rêve d’une force étonnante : j’étais couchée dans notre chambre et Gerry m’est apparu. Il se tenait debout, tenant un petit balai à la main, et il me regardait avec une intensité incroyable. Ce qui était frappant, à ce moment, c’était le sentiment de sa présence réelle. Il y avait quelque chose de très tangible, de presque physique dans cette présence. Quelque chose qui échappait à l’univers onirique pour rejoindre la dimension matérielle. Gerry me regardait et, soudainement, il s’est effondré en pleurs. Il me suppliait de l’aimer, de l’aimer encore. En sanglotant, il me demandait : « Aime-moi encore un peu. » Et moi, je pensais : « Mais qu’est-ce que je peux faire de plus pour toi ? » Et c’est précisément à ce moment-là que sa présence est devenue la plus forte. Comme un fantôme qui s’unirait à moi, j’ai senti son corps, ou plutôt, tout son être me pénétrer. C’était lui qui entrait en moi. C’était une chose incroyable, une sensation si réelle, si forte… J’ai compris alors que je n’étais ni libérée ni détachée de Gerry. Mon deuil n’était pas terminé.
Gerry a évolué dans un monde de son choix qui est d’une dimension tout autre que celle des terriens. Ce monde était à son image, à la hauteur de sa force et de son courage. J’ai accepté de partager cette vie, ce rêve, en m’exilant au prix fort d’absences de plus en plus prolongées, adaptées aux calendriers de courses, à la taille des bateaux et à la réduction des équipages, passant de six mois d’absence (ou de présence, suivant que le verre soit à moitié vide ou à moitié plein) à sa disparition totale et définitive.
Aujourd'hui, il ne reste plus qu'un fantôme dont j'ignore s'il ne vit que dans mon imaginaire ou non. C'est pourquoi finalement j'ai décidé de sortir ce texte de mon tiroir et, par sa publication, tenté d'aller au bout de ce vertigineux voyage pour ainsi libérer nos cœurs tourmentés.
Je vous raconte et partage donc avec vous notre histoire.
Prologue
J’ai toujours rêvé d’écrire un roman sur le bonheur. Le bonheur, c’est le nom que nous avions donné à la maison que nous possédions, Gerry et moi, en Bretagne, à Locmariaquer plus précisément. Dans mon roman, on retrouverait un jardin, le jardin du bonheur, bien entendu, avec ses pommiers et quelques autres arbres fruitiers. L’océan Atlantique serait au bout du jardin. De la maison, on apercevrait des dolmens, ces symboles du souvenir — ceux-là mêmes que nous apercevions depuis notre jardin. Le roman prendrait naissance dans ces mêmes lieux où j’ai habité avec Gerry pendant près de huit ans. On dit que les dolmens sont possiblement des sépultures collectives. Pour moi, j’y vois le tombeau de mes souvenirs du temps passé avec Gerry dans ce fabuleux pays de la Bretagne. Oui, j’aurais aimé écrire un roman sur le bonheur. En lieu et place, j’écrirai sur ce bonheur qui ne se contemple que de loin. Un bonheur qui gît enseveli quelque part dans les eaux de cette mer J’écrirai sur le malheur de voir le bonheur nous échapper et de ne jamais savoir s’il refera surface un jour. Le temps a passé et malgré quelques amertumes, je conserve encore aujourd’hui les plus doux souvenirs du village de Locmariaquer. Installé sur une presqu’île donnant accès au magnifique golfe du Morbihan, Locmariaquer est un très joli village mégalithique voisin de celui de La Trinité sur Mer, qui est devenu avec le temps La Mecque des voiliers de course grâce à son port naturel qui permet en tout temps les départs et les arrivées des bateaux. La présence du granit en ces lieux expliquerait le tempérament bien particulier des Bretons, selon leurs propres dires.
Ce récit n'est donc pas un roman, mais notre histoire, à notre fille Emma et à moi. Une histoire tristement réelle sur la disparition et la recherche de mon compagnon Gerry Roufs, disparu lors de la très prestigieuse course à la voile du Vendée Globe, en solitaire et sans escale « autour du monde », dont le départ a été donné aux Sables d'Olonne, en France, le 3 novembre 1996, le lendemain de son quarante-troisième anniversaire de naissance.
Je prends le risque de cette écriture sachant que je pourrais être critiquée, décriée, jugée, condamnée à nouveau, mais peut-être aussi comprise, acceptée, voire aimée un peu plus. Ce risque, je l’assume pleinement.
J’aurai cherché Gerry à travers tous les pores de ma peau, avec ma culture, mon intuition, mon amour, ma volonté, mon passé, mon présent, mon futur aussi. Cette histoire est définitivement trop lourde à porter pour moi toute seule. J’aurai tenté toutes les formes d’exercices physiques et méditatifs pour m’en libérer, mais chaque fois, ce ne fut bénéfique que quelques brefs instants. Cette histoire m’obsédait toujours, m’empêchant d’arriver à me centrer sur ma vie. Je dirais que je suis condamnée à l’écrire, pour vivre. Et il est impératif que je la partage en entier avec vous.
J’écris pour Gerry et remplis enfin ma promesse, car il m’avait un jour demandé de tracer quelques lignes sur lui, sachant que j’aimais bien jouer de la plume. Il tenait par ailleurs à ce que son travail n’ait pas été fait en vain.
J'écris pour notre fille Emma, pour qu'elle comprenne un jour certaines choses qui m'ont transformée, dans ma chair.
Je connaissais Gerry comme si je l'avais tricoté. Je possédais également ce sixième sens particulièrement développé que l'on nomme l'intuition et que partagent probablement la plupart des compagnes de marins, les mères et les femmes en général, je pense.
Je nous considère, Emma et moi, comme des survivantes. À la suite de la disparition de Gerry, nous avons traversé des courants dangereux, vécu des tourments terribles; nous nous sommes accrochées aux moindres rayons de soleil et nos regards comme nos espoirs se sont tournés vers toutes les mains qui se sont tendues vers nous. En quittant précipitamment la Bretagne, après douze années passées entre ses bras de mers et de terre, il m’a été impossible temporellement et physiquement de répondre à ceux qui m’ont donné de leur temps, de leur affection et de leur amitié. Malgré bien des déboires, malgré toutes les heures à désespérer du genre humain, je demeure une irrécupérable optimiste. Sans vouloir faire porter le poids de ma détresse à qui que ce soit, j’ai tenté de partager mes doutes comme mes peurs afin de les alléger et je remercie seulement maintenant tous ceux qui ont été présents dans ces moments-là. J’écris ce récit en guise de conclusion à ce trop long marathon pour sauver un homme, son honneur et sa mémoire. J’écris aussi pour témoigner de tout ce que je ne comprendrai jamais, des énigmes comme des mesquineries, des mystères comme de l’incompétence, du courage comme de la lâcheté.
Gerry mérite bien cette goutte d'encre dans notre océan de papier.
Aujourd’hui, sept années après la disparition de Gerry (chiffre sept « chanceux » et combien symbolique qu’il affectionnait pour l’avoir donné à son bateau, Lucky Seven, et qui malheureusement correspond au premier jour de sa disparition, le 7 janvier 1997), je tiens à souligner son courage, par ce récit auquel j’ai donné le soustitre de Carnet du souvenir.
Trop de souffrances, trop d'abandons, trop de désillusions répétées, trop d'amères déceptions ressenties comme autant de trahisons, trop de pleurs retenus, tout cela pêle-mêle, en lutte contre un esprit de laisser-aller, un immobilisme assassin et trop de futilités déplacées. Je n'aurai été sauvée de la folie, de la haine ou de la maladie que par un travail et un soutien associatif aussi résistants, aussi tenaces et aussi intenses que la tension de l'insupportable.
Ce récit s’impose de lui-même et survit au temps. Je retrouve aujourd’hui l’énergie et la force nécessaires pour replonger dans ces eaux troubles. C’est une question vitale de délivrance de quelque chose qui m’étouffera tant que je n’en aurai pas terminé la narration. Cette histoire, je l’écris avant qu’elle ne me ronge définitivement l’intérieur, corps et âme, tel un cancer latent. Le corps parle pour l’âme, et ma main est guidée par mon coeur et ses débordements rebelles.
Gerry est disparu dans l'enfer de féroces tourmentes océaniques et c'est bien là qu'il nous a laissées, Emma et moi, à affronter de multiples orages terrestres déclenchés par sa perte, avec comme boucliers la rage, l'ironie et beaucoup d'amour.
Je souhaite enfin trouver la paix de l’esprit en écrivant cet ouvrage et retrouver une mer intérieure plus calme et plus sereine. J’ai confiance de la retrouver. Le mot « confiance » a été le mot de passe de nos journées tout au long de ce calvaire. Tout a donc commencé au moment où tout a chaviré, le 7 janvier 1997.
Première partie
1
La course
Ma vie privée avec Gerry n’offre pas d’intérêt particulier. Elle a été sensiblement la même que celle de tout le monde, à la différence près que le métier qu’exerçait Gerry nous mettait, ma fille et moi, sur un mode d’alerte et d’urgence pratiquement permanent, avec des moments d’accalmie trop brefs. Ceux qui pratiquent des métiers extrêmes ou qui vivent sous les feux de la rampe connaissent cet état intense d’euphorie permanente, doublé d’une pression provoquée par la médiatisation de leur métier, de leurs exploits, de leurs performances ou de leurs créations. Le succès est un juge féroce qui oblige sans cesse au dépassement.
À cette