Discover millions of ebooks, audiobooks, and so much more with a free trial

Only $11.99/month after trial. Cancel anytime.

Le pacte des elfes-sphinx 3 : La déesse de cristal
Le pacte des elfes-sphinx 3 : La déesse de cristal
Le pacte des elfes-sphinx 3 : La déesse de cristal
Ebook642 pages8 hours

Le pacte des elfes-sphinx 3 : La déesse de cristal

Rating: 0 out of 5 stars

()

Read preview

About this ebook

Dans la légendaire Cité des sphinx, tandis que les porteurs des clés approchent, l'Autre tend ses pièges. Hurtö et Mauhna se préparent soigneusement à l'affrontement, sachant que s'ils échouent, le sorcier noir verra enfin l'avènement de son empire, forgé de haine et de cruauté. A l'instar des maîtres magiciens, d'autres valeureux se dressent sur sa route. Parmi eux se trouvent Mélénor et ses troupes. S'opposant aux aspirations de Verlon, ils affrontent héroïquement les effroyables machines de guerre engendrées par Naq le borgne. Pour leur part, bien que dispersés et perdus, les membres de la communauté bravent la périlleuse Terre des Damnés, convaincus qu'un dessein insondable guide leurs pas.Sous les apparences trompeuses de l'amour, des forces mystérieuses tentent de retenir Thelma loin du château des miroirs. Là-bas, un esprit doit lui révéler le sens de son destin, car rien ne sera accompli avant le retour de l'héritière des silences. Pendant que leur univers sombre dans les ténèbres, pendant qu'ils livrent chacun leur combat, les protecteurs des races pensantes s'interrogent quant à la nature de l'arme annoncée par la prophétie. S'il existe un glaive capable de vaincre la déesse de cristal, où se cache-t-il?
LanguageFrançais
PublisherDe Mortagne
Release dateFeb 11, 2012
ISBN9782896621279
Le pacte des elfes-sphinx 3 : La déesse de cristal

Read more from Gauthier Louise

Related to Le pacte des elfes-sphinx 3

Related ebooks

Fantasy For You

View More

Related articles

Reviews for Le pacte des elfes-sphinx 3

Rating: 0 out of 5 stars
0 ratings

0 ratings0 reviews

What did you think?

Tap to rate

Review must be at least 10 words

    Book preview

    Le pacte des elfes-sphinx 3 - Gauthier Louise

    De la même auteure

    Parus
    • Le pacte des elfes-sphinx
    tome I : Mélénor de Gohtes
    • Le pacte des elfes-sphinx
    tome II : L’héritière des silences

    Louise Gauthier

    Tome III

    La déesse de cristal

    Édition

    Les Éditions de Mortagne

    Case postale 116

    Boucherville (Québec)

    J4B 5E6

    Distribution

    Tél. : 450 641-2387

    Téléc. : 450 655-6092

    Courriel : edm@editionsdemortagne.qc.ca

    Tous droits réservés

    Les Éditions de Mortagne

    © Copyright Ottawa 2007

    Dépôt légal

    Bibliothèque nationale du Canada

    Bibliothèque nationale du Québec

    Bibliothèque Nationale de France

    2e trimestre 2007

    Conversion au format ePub : Studio C1C4

    Pour toutes questions techniques

    concernant ce ePub

    contactez-nous par courriel

    service@studioc1c4.com

    ISBN : 978-2-89074-723-4

    ISBN : 978-2-89662-127-9 (ePub)

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) et celle du gouvernement du Québec par l’entremise de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour nos activités d’édition. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

    À la mémoire de Gaétan, mon frère

    À toi, passionné géologue, à toi qui faisais parler les pierres, je dédie cette Déesse de cristal. Je crois qu’elle t’aurait plu, toi qui étais…

       Curieux, joyeux, un brin moqueur.

       Fou des mystères, oh ! quel bonheur.

       La tête solide comme le roc,

       La terre entière, un jeu de blocs.

       Tant de ferveur, un cœur si tendre,

       Comme le schiste qu’on peut fendre.

       Prendre l’amour, cent fois le rendre,

       Traquer le doute et le pourfendre.

    Parfois je rêve de voguer avec toi parmi les étoiles. Nous nous posons sur un croissant de lune, dégustons un nectar rubis. Le regard perdu dans le miroir de nos âmes, il n’y a plus que le silence, et là, nous connaissons enfin la paix.

    Affectueusement, éternellement

    Remerciements

    Maintenant que s’achève la merveilleuse aventure du Pacte des elfes-sphinx, je désire saluer ceux qui m’ont soutenue sans réserve depuis le début : Lise Joyal pour son amour indéfectible, Chantal Gauthier pour son enthousiasme contagieux et Ginette Gauthier pour sa complicité affectueuse. Des remerciements chaleureux à Marie-Michèle Jaouich pour son soutien inspirant et à Karina Chami, sans qui l’écriture n’aurait pas la même saveur ludique.

    Toute ma gratitude à Carolyn Bergeron pour sa confiance et ses conseils inestimables, à Éric Chouteau-Tissier pour ses magnifiques illustrations, ainsi qu’à Caroline Pellerin et toute l’équipe des Éditions de Mortagne pour leur travail exceptionnel.

    Vous êtes des phares quand le vent tourne et des feux de joie quand la bise se fait plus douce. Grâce à vous, inquiète mais fébrile, je m’embarque vers une nouvelle aventure.

    Anastavar après guerre

    Tyr Op Komme

    Le cours des saisons d’Anastavar

    Prologue

    Depuis le jour de ses vingt-quatre ans, Mélénor a oublié ce qu’est le repos. Autrefois volage et fier, le roi de Gohtes a gagné en sagesse ce qu’il a perdu en insouciance. Aucun aspect de son existence tumultueuse n’est épargné. Sa vie conjugale est parsemée de querelles, Isadora étant plus encline à la rancune qu’au pardon. Du côté politique, ses efforts pour maintenir la paix en Nouvelle-Bortka demeurent aussi stériles que le ventre de la reine. Ajoutant à la confusion, la princesse Sabbee tourmente la chair du souverain, mettant à rude épreuve ses promesses d’époux fidèle. Et pour comble, ses ancêtres magiciens lui annoncent qu’une menace plane sur le continent, plus spécifiquement sur la race des elfes-sphinx.

    Pendant que son père se démène avec ses soucis, Thelma apprend que la vie de princesse n’est pas exempte de chagrins ; du moins, pour elle, l’héritière des silences. Elle trouve néanmoins un peu de réconfort auprès de son protecteur, Chéri le cerisier. Par ailleurs, un apaisant séjour dans l’Île-aux-Tortues lui permet de découvrir le monde fascinant des Longs-Doigts. Dans cet univers où vivent ses grands-parents, Hµrtö et Mauhna, Thelma rencontre des gens qui lui témoignent respect et tendresse. Il y a Noa, sa demi-sœur panthère, Aglaë, la savante à la tunique rouge des grands sages, Atthal, chef du Clan des rives ainsi que son fils Cid, charmant protecteur des dauphins.

    Lors de sa deuxième révélation, la princesse reçoit une Marque exceptionnelle : sur son ventre s’est greffé un fœtus de sphinx. Un seul autre enfant avant elle a porté ce symbole annonçant un grand péril pour les elfes-sphinx. Est-ce pour cette raison que les Anciens lui offrent un présent inestimable ? À quoi le livre de Danze peut-il bien servir puisque toutes ses pages semblent vierges ?

    Devant l’évidence du réveil de Korza, les magiciens dévoilent à Mélénor des faits troublants qui datent de plusieurs siècles. Le roi apprend alors que les nuages émis par la déesse de cristal transportent des effluves capables de pervertir le cœur des hommes. Le responsable de ce désastre se nomme Artos. Autrefois, ce talentueux magicien était un ami d’Hµrtö et un disciple d’Hodmar. Amoureux de Mauhna et éconduit par elle, Artos a basculé dans la magie noire. Après avoir assassiné son maître pour lui voler une des clés de la prison de Korza, Artos a voulu châtier Mauhna. Il l’a fait de bien cruelle manière en corrompant son fils Jordan, l’entraînant avec lui dans sa déchéance et sacrifiant l’âme du jeune homme pour ranimer la pierre du mal. Depuis ces terribles événements, les maîtres de magie appellent le sorcier noir L’Autre ou Le Troisième.

    Tandis que Mélénor prend conscience du danger qui guette son univers, L’Autre prépare sa vengeance. Il a pour complices les souverains de Yzsar, Verlon et Delia, ainsi que leur conseiller, Naq, le monstre borgne. Assoiffés de pouvoir, les trois serviteurs du seigneur des ténèbres désirent l’immortalité. Pour ce faire, celui qu’ils connaissent sous l’apparence d’un loup-serpent leur offre une potion déshumanisante. À l’image de leur maître, les disciples se nourrissent bientôt de la misère des citoyens. Afin de s’assurer des réserves inépuisables d’énergie noire, Naq construit cinq « garde-manger », cinq nirvanas. Pour les malheureux soumis aux conditions de vie exécrables qui prévalent au pays de Verlon, ces lieux d’abondance deviennent les « cités des élus ».

    Modregal, ancien lieutenant de Verlon, y entraîne sa famille ; une retraite bien méritée, pense-t-il, loin des tracasseries militaires. Son épouse Noemi et son fils Hauns l’accompagnent, l’une ravie, l’autre beaucoup moins. Quand des amis sont injustement chassés du nirvana, Hauns s’enfuit et ses parents commencent à soupçonner la supercherie dissimulée derrière ces cités mystérieuses.

    Artos ne se contente pas de narguer Hµrtö et Mauhna. Il ensorcelle des objets appartenant aux souverains du continent pour les soumettre à son pouvoir. C’est ainsi qu’il enferme dans une boule de verre une lettre d’Isadora et une feuille de chêne cueillie sur la poitrine de Mélénor. Imbibant le tout de l’essence du mal suprême, Le Cobra lance la sphère dans le gouffre de Korza ; là, commence le somahtys. Les monarques de Gohtes sont alors soumis à la fureur de la déesse, perdant, entre autres, leur compassion naturelle envers les enfants. Au plus fort de la domination, un voile rouge leur couvre la vue et une odeur de soufre les fait suffoquer.

    Sous cette emprise, Isadora tue Sarah, une ancienne maîtresse de Mélénor. Ce crime pousse le bébé que porte la reine à accélérer sa croissance ; vivement, l’enfant veut quitter ce sein. À sa naissance, on découvre une curieuse tache au creux de la main de Nathan. Selon Mélénor, la forme représente une cuirasse. « Mon fils deviendra un grand guerrier », se plaît-il à répéter. Toutefois, à l’âge de dix ans, le prince révèle à son père un mystérieux secret : « J’ai arraché cette sangle qui enfermait le cœur de ma mère et l’empêchait d’aimer. »

    Les années passent mais, toujours soumis au somahtys, le roi et la reine traitent leur fille Thelma sans complaisance. La vie auprès d’Isadora devient un véritable supplice pour la princesse. Pensant gagner le respect et l’affection de sa mère, la jeune fille lui offre ses cheveux. Ceux-ci possèdent le pouvoir très particulier de rajeunir la personne qui les arrache. Sans égard aux souffrances de sa fille, la reine ne se prive pas de tirer profit de ce don. Désireuse de reconquérir son époux, même en rendant la princesse presque chauve, elle retrouve la fraîcheur de sa jeunesse.

    Alors qu’elle a quinze ans, à la demande des Anciens, Thelma accompagne son père dans l’Île-aux-Tortues ; là-bas, les elfes-sphinx se préparent à former la communauté – ou la marjh. D’après la tradition, ce groupe de volontaires doit compter huit membres. Leur mission est périlleuse puisqu’elle vise à rendormir Korza et à maîtriser L’Autre. Valeureux combattants, ils devront boire le sang des espèces qu’ils protègent, sinon ils succomberont aux effets déstabilisants du continent. En tant que porteurs des clés d’or et de platine, Hµrtö et Mauhna sont nécessairement du nombre. Se joindront à eux : Aglaë, leur fille ; Bhöris, son époux et chef du Clan des rebelles ; Muscade, le maître de combat ; Rysqey, le beau professeur de magie ; Leani, son protégé, et Cid, le fils d’Atthal. Après quelques péripéties sur le sol de Yzsar, la marjh atteint enfin la Terre des Damnés. Toutefois, une terrible fatalité les jette dans les filets d’une bande d’hommes sauvages.

    Pendant ce temps, accablé par le maléfice, Mélénor a peine à se reconnaître. Il se querelle avec Alban et voit son chêne s’étioler, tandis qu’un abominable sphinx parasite se développe sur son ventre. De retour en Nouvelle-Bortka, le roi cède à la pression politique et à ses pulsions intimes : il épouse Sabbee, mettant un terme aux dissidences qui l’empêchaient de lever une véritable armée. De justesse, il parvient à s’opposer aux premiers affrontements des troupes de Verlon. Cependant, la force de son adversaire l’oblige bien vite à chercher du renfort. C’est ainsi qu’il vole un trésor à Isadora afin de recruter des mercenaires. Cet affront porte la folie de la reine de Gohtes à son paroxysme.

    Cinq ans plus tard, Isadora mutile Thelma lors d’une violente scène à propos d’un ruban magique. Ce ruban, imprudemment noué par Mélénor au poignet de sa fille, devient le motif de son bannissement. Menacée d’être décapitée si elle ne quitte pas le pays de Gohtes, la princesse part seule sur les routes ; elle espère que son père voudra bien l’accueillir au palais de Celtoria. En chemin, elle rencontre Damyen et ses parents, des commerçants au cœur bienveillant. Ayant failli être violée par des brigands, elle accepte leur offre et poursuit son voyage en leur compagnie.

    Très loin de là, Mauhna, Hµrtö et Leani reprennent conscience dans le temple des servants des dunes. Après leur évasion du lieu sacré, les trois magiciens se retrouvent en plein cœur d’un désert glacial, constatant avec désespoir que le sort les a séparés des cinq autres membres de la marjh. Guidés par les tracés que forment les clés des maîtres de magie, ils décident de retourner à l’endroit du rapt. Peut-être y rejoindront-ils leurs amis.

    Plus au sud, dans la capitale de la Nouvelle-Bortka, les activités ont repris leur cours. La guerre contre le Yzsar a subitement pris fin. Pourtant, Sabbee reste convaincue que cette trêve ne durera pas. Elle tremblerait si elle savait ce qui se trame aux confins des mines de Verlon. Là-bas, issue de l’atelier des monstres, une créature redoutable se dresse, gagnante incontestée d’un combat de champions.

    Dès lors, il ne reste plus d’obstacle entre Naq et la victoire ; sous peu, ses soldats-scorpions seront prêts à envahir les champs de bataille. Confiant, L’Autre peut se concentrer sur un autre objectif : détruire l’Île-aux-Tortues.

    Sa détermination est telle qu’il néglige d’alimenter la fureur de Korza. Lentement, les nuages se dispersent dans le ciel. Au moment où le sorcier noir transforme l’Île-aux-Tortues en brasier, forçant les elfes-sphinx à fuir sur les vaisseaux d’Atthal, la déesse s’assoupit.

    Inconsciente de ces événements, Thelma se présente au palais de Celtoria. Non seulement Mélénor refuse-t-il de lui donner asile, mais il pousse l’audace jusqu’à lui réclamer son ruban magique. Désabusée, l’héritière des silences tend le bras. Le sphinx parasite de Mélénor, un dragon, s’extirpe alors de sa chair. D’un coup de dents, il sectionne le poignet ténu de Thelma et dévore sa main droite. La blessure se referme en un effroyable moignon grâce au pouvoir de guérison de la princesse. Toutefois, sans l’apaisement que lui procurait le ruban, comment l’héritière pourra-t-elle guérir son âme torturée ? Ivre de douleur, sourde aux supplications de son père, la jeune femme s’enfuit vers la mer.

    Dans le gouffre de Korza, la déesse sommeille. Soudain, elle suspend son souffle, laissant tomber dans le vide les récipients des sortilèges. La trop fragile sphère de verre se fracasse contre les flancs de lave durcie du volcan maudit, libérant Mélénor et Isadora du somahtys. Les deux souverains ne s’éveillent alors de leur affreux cauchemar que pour affronter une réalité bien cruelle, leur impuissance à réparer leurs torts s’ajoutant inexorablement au poids de leurs remords. Toutefois, hors de la portée de ces regrets, une détresse sans fin envahit l’âme de leur fille. Maintes fois meurtrie, humiliée, bafouée, les cheveux arrachés, la main droite coupée, la princesse déchue renonce. Damyen la surprend dans la mer glacée, prête à se livrer à la consolation de la mort. Lui, qui l’aime en dépit de tout, la ramène, inconsciente, à la caravane de ses parents. Lorsque Thelma émerge de ses fièvres, elle se souvient qu’elle a rêvé de Danze. Dans ce songe, le sphinx lui a confié que son destin l’attend dans la Forêt des Fantômes.

    Un peu partout sur le continent, les gens sont témoins des éclaircies dans les nuages. Mélénor jubile ; il est persuadé que la marjh a accompli sa mission. Pour Naq, par contre, la situation s’avère fort décevante ; Le Cobra, qu’il croyait infaillible, a manqué de vigilance. Le monstre borgne court néanmoins prévenir son maître, le pressant de réveiller Korza.

    Pendant que les habitants du continent d’Anastavar admirent les rayons du soleil, la prophétie se dévoile dans le livre de Danze ainsi que sur les fresques d’un temple de la Cité des sphinx.

    Plutôt que d’admettre la trahison de la pierre du mal, Artos soumet son conseiller au supplice. Toutefois, devant l’entêtement de Naq à soutenir que des trous percent les nuages, Le Cobra ouvre une porte des ténèbres et se rend vérifier l’état de la déesse. « Viens », ordonne-t-il au monstre borgne. Malgré les mauvais traitements qu’il vient de subir, ce dernier n’a d’autre choix que de suivre son maître. En son for intérieur, cependant, naît une froide lucidité quant aux pouvoirs et aux défaillances du sorcier.

    Confronté à l’indocilité de Korza, Artos demeure imperturbable. « Elle ne somnolera pas bien longtemps », promet-il à son disciple. Sans attendre, L’Autre jette des poudres magiques dans le volcan. N’obtenant en retour que de faibles vapeurs nauséabondes, le mage noir intensifie son action ; il entend bien démontrer à la déesse de cristal que lui seul gouverne en ce monde.

    – I –

    S ous la surface polie et noire de la pierre, les proies et les bourreaux recommencèrent leur macabre pantomime, rejouant à l’infini la gamme complète des crimes inventés par les races pensantes. Hommes et femmes, elfes ou humains, emmêlaient à nouveau leurs membres tordus pour offrir le spectacle cru de leurs meurtres, vols, guerres et viols. Le sang des victimes macula l’intérieur du corps de cristal, provoquant une première pulsation nourrie de frissons horrifiés.

    – Ghnoe ! gémit la déesse.

    Survolant le gouffre, Artos se réjouit de cette petite victoire. Un peu en retrait, Naq observait Le Cobra. Encore étonné d’avoir survécu à la torture, le monstre borgne grommelait : « Cela m’apprendra à dire la vérité. » Le maître noir avait d’abord refusé de croire son disciple quand il lui avait annoncé que les nuages du mal se dispersaient sur le continent, libérant le soleil frileux de cette fin d’hiver.

    – Korza n’est qu’assoupie, avait précisé le sorcier. Seul un sortilège peut la plonger dans un véritable sommeil.

    Agacé de se sentir épié, le sorcier somma Naq de le rejoindre au-dessus du vide puis il fit voler une bourse de peau jusqu’à lui.

    – Donne-moi un coup de main.

    L’elfe au visage tatoué jeta la poudre noire dans le gouffre tout en surveillant prudemment le loup-serpent.

    – Sors de ton inertie, traîtresse ! ordonnèrent les voix d’Artos, alors qu’il renforçait la puissance de ses rayons.

    – Ghnoe !

    Le sorcier ignorait que la plainte de Korza annonçait sa farouche intention de résister aux élans de sa chair corrompue. La déesse s’accrocha à cette partie lumineuse qu’elle avait conservée en dépit de l’interdiction des sphinx. Si, au moment de son immolation, elle avait obéi aux prêtres Nagù, elle se serait abandonnée entièrement au mal dont elle était la geôlière. Mais voilà, refusant de sacrifier toute sa pureté, elle avait caché son âme dans une gemme à peine plus grosse que le poing d’un nourrisson. Lorsque son tortionnaire manquait à sa vigilance, la pierre du mal retrouvait la mémoire de son ancienne nature. Grâce à cette parcelle scintillante dissimulée dans son énorme masse de diamant, Korza la blanche pouvait encore ressentir de la compassion pour les créatures vivantes. Tant qu’il durait, cet état de conscience confrontait la déesse des Ejbälas à sa déchéance. Cela la faisait souffrir, mais elle assumait les conséquences de son insubordination.

    Le maître noir la darda une autre fois de ses rayons violacés.

    – Ghnoe !

    Cette fois, la pression pour ranimer l’horreur faillit l’emporter. Dans son abri de lumière, la pierre chanta pour s’apaiser.

    Elle est fille de Balah,

    Mère des montagnes qui dominent le monde.

    Engendrée par Moela,

    Fils des étoiles qui gouvernent le vent.

    Incubée dans la terre,

    Perle précieuse qu’un grain de sable féconde,

    Allaitée de cette glaire,

    Fille bénie par les dieux et le temps.

    Les vierges polissent tes flancs si purs,

    Les femmes engendrent tes servants fidèles,

    Les hommes érigent ton temple d’azur,

    Les enfants rient de te voir si belle.

    Oh ! Déesse, veille sur ton peuple aimant,

    Garde-le dans tes feux irisés.

    Des Ejbälas tu es le présent,

    Le passé, le futur oubliés.

    Ce que chantait Korza, c’était l’hommage que les pensants avaient jadis composé pour elle : l’hymne à l’incomparable déesse de cristal. La pierre du mal s’accrocha au rêve merveilleux du monde du début des temps.

    Vivant dans les cavernes, les sphinx l’avaient découverte, incrustée dans un amas de granit. Les maîtres Nagù avaient mis des siècles à lui faire voir le jour. Après l’avoir dégagée de son vulgaire manteau de roc, ils avaient pu admirer un joyau à nul autre pareil : de la taille d’une petite colline, le cristal présentait une pureté parfaite.

    Des cités et des temples avaient été construits autour de la pierre précieuse qu’on avait sertie dans l’or rose. À l’aube, le soleil la pénétrait. Jaillissant de ce prisme, un large rayon violet inondait le clan des Nagù magiciens. L’heure suivante saluait les habitants des rives, puis ceux des vallées. Chaque clan des géants ou des pensants recevait ainsi sa douce caresse irisée puis, finalement, les couleurs se mariaient : un ultime faisceau blanc faisait étinceler les neiges éternelles où vivaient les gens des sommets. C’était le temps béni des Ejbälas, avant que les hommes et les elfes ne viennent troubler la paix des races anciennes.

    Dans le cœur des hybrides, issus des croisements entre les Ghör et les Nagù, résidaient des promesses de fabuleuses réalisations. Malheureusement, ces races couvaient aussi un germe sournois : l’intolérance s’attaqua d’abord aux ancêtres du vieux monde, elle gagna ensuite les nations, puis les cités, s’infiltrant jusqu’au sein des familles. Le sectarisme des descendants des Ejbälas avait ouvert la voie à la convoitise, réveillant au passage sa proche voisine : la guerre. Les actes militaires avaient banalisé le vol et le viol, légitimé la trahison et le meurtre. Quittant le théâtre des champs de bataille, ces crimes avaient rapidement semé la désolation dans les ruelles, les auberges, le cercle fermé des foyers prospères.

    Korza aurait préféré ne pas penser à la naissance du mal, elle aurait préféré continuer de rêver aux paysages illuminés des terres anciennes, mais le souvenir de son sacrifice la hantait. Pour restituer au monde sa paix originelle, la déesse avait accepté la proposition des maîtres sphinx ; elle s’était immolée en aspirant toutes les plaies des races elfiques et humaines. Les mages Nagù l’avaient cloîtrée dans le gouffre qui portait désormais son nom, un nom autrefois béni qui maintenant faisait trembler les hommes.

    Les vierges polissent tes flancs si purs,

    Les femmes engendrent tes servants fidèles,

    Les hommes érigent ton temple d’azur,

    Les enfants rient de te voir si…

    Le dernier assaut d’Artos rompit le rêve : l’hymne se transforma en hurlement.

    – Ghnoe !

    Sinistre, la gigantesque masse de Korza la noire étouffa la petite flamme de conscience qu’entretenait Korza la blanche. Après plusieurs tentatives, le sorcier avait enfin remporté la victoire. Une fois de plus, Artos avait réussi à attiser le mal. Tel un voile funèbre, la haine se déploya dans chacune des fibres de la chair sacrifiée de la pierre.

    Un tourbillon saisit son âme, l’entraînant dans la danse des corps suppliciés. Tous les crimes se répétaient là, funestes reflets d’une même volonté : détourner contre la victime la souffrance de son bourreau. Les proies – femmes, enfants, parents, indigents, marginaux ou peuples entiers – ouvraient inutilement des bras implorants vers un salut qui leur échappait. Korza la noire fit le tour de son jardin et se désola devant la médiocrité de l’esprit créateur des vivants ; toujours les mêmes tourments, toujours la même cupidité des sots et des lâches.

    Heurtant violemment les parois putrides de sa chair, ses pensées devinrent progressivement confuses. La déesse des ténèbres s’abandonna à sa colère et cracha une première véritable plainte de fumée nauséabonde. Satisfait, Artos huma avec délice les nouvelles vapeurs de Korza ; le mal retournait à sa source, il rejoignait le flux qui fait battre le cœur des hommes.

    – II –

    A ux dernières lunes de pluies, des trous avaient percé la masse des nuages maléfiques, faisant naître l’espoir dans le cœur des habitants du continent d’Anastavar. Tandis que commençaient les chaleurs torrides de l’été, le voile brumeux enfermait à nouveau le bleu du ciel, forçant Mélénor à reconnaître son erreur   : il avait célébré trop vite la victoire de la marjh et des porteurs des clés.

    Comme pour souligner encore plus cruellement la vacuité de ses illusions, les combats avaient repris aux frontières. Sous la conduite de Naq, les forces alliées de Verlon attaquaient avec une fureur meurtrière. L’armée de la Nouvelle-Bortka, forte de l’appui de ses mercenaires, tenait bravement l’ennemi en dehors de ses territoires, mais le roi ne se faisait pas d’illusion. À ce rythme, les siens seraient bientôt débordés.

    À l’aube d’une nouvelle journée de folie guerrière, monté sur son destrier, Mélénor se recueillait. Pour un elfe-sphinx, le monarque se savait prématurément vieilli. Victime d’un somahtys et d’un parasite, il avait laissé son ascendance humaine le dominer, causant un tort irrémédiable à l’harmonie de sa nature. Noué à sa chevelure subitement grisonnante, le ruban de sa fille Thelma lui servait de talisman. Ce comportement singulier le faisait sourire, car il avait toujours dénoncé les superstitieux.

    – Je n’y peux rien, tentait-il d’expliquer à sa deuxième épouse. J’ai l’intime conviction que ce ruban me protège.

    La reine Sabbee l’encourageait à suivre son cœur. Fort de ses expériences passées, le roi déchu de Gohtes accueillait désormais son destin avec sagesse. L’amour de son épouse l’aidait à résister aux influences néfastes des vapeurs de Korza, influences qui s’intensifiaient depuis le retour des nuages. Le sphinx parasite du roi avait cessé de croître, favorisant la santé de son chêne qui s’ornait de quelques feuilles timides mais saines. Une conscience nouvelle de la vraie nature du courage avait transformé Mélénor. En plus de se montrer un guerrier inébranlable, il s’imposait comme un souverain scrupuleusement intègre. Surtout, il surmontait vaillamment sa pudeur pour exprimer son attachement à ceux qu’il aimait. La force morale ne lui faisait défaut qu’à la pensée de ses enfants : Thelma évidemment, mais aussi Noa, Nathan et Collin. Il rêvait du jour où il pourrait réparer ses fautes, regagner leur confiance et, peut-être même, leur affection.

    Le matin se pointait en lueurs vibrantes déjà chargées d’une moiteur caniculaire. Les militaires se tenaient prêts, alignés, la cuirasse astiquée, les armes brillantes et affûtées. Les cavaliers tentaient de calmer leurs montures, visiblement sensibles à l’anxiété croissante de leurs maîtres.

    Le sol se mit à trembler, et la plainte grave des cornes rompit le silence, annonçant l’approche de l’armée ennemie. Un fin brouillard masquait l’horizon, transformant le pré en une bouillie grisâtre qui allait rendre difficile le travail des archers. Ils virent d’abord apparaître les taches rouges des uniformes des soldats de Lombre. Les alliés de Verlon n’allaient toutefois pas seuls au combat : les fantassins du pays de Yzsar découpaient des blocs sombres dans la ligne de tête. Derrière eux, chevauchant des bêtes harnachées de noir, les officiers ennemis brandissaient leur sabre. Bien maniées, ces armes pouvaient faucher un homme comme un fétu de paille. Mélénor regarda d’abord Sabbee puis se tourna vers le général de leur armée.

    – Étrange, vous ne trouvez pas ?

    Le général Kylön était un colosse blond qui portait la barbe pour donner plus de caractère à son visage candide. L’homme était pourtant un valeureux guerrier qui avait largement mérité le respect de ses supérieurs et de ses hommes.

    – En effet, approuva l’officier. Verlon n’a pas l’habitude d’exposer ses soldats aussi tôt dans les engagements. Les généraux de Yzsar ne sont pas des imbéciles ; jusqu’à présent, ils n’avaient jamais failli à cette stratégie.

    – Ils préfèrent généralement attendre que les mercenaires de Lombre aient épuisé nos forces avant d’intervenir, observa Mélénor.

    – Cela ne me dit rien qui vaille, s’alarma Sabbee.

    La jeune femme entêtée refusait de rester à l’écart des combats. En dépit de l’angoisse provoquée par l’imminence de l’affrontement, le roi ne put s’empêcher d’admirer la beauté farouche de sa compagne.

    – Ou bien ils ont perdu l’esprit, raisonna-t-elle, ou bien ils nous réservent une mauvaise surprise !

    – Je n’aime pas cela, renchérit le roi. Général, doit-on modifier nos positions ?

    – Ce serait certainement utile, reconnut Kylön en observant l’alignement des troupes qu’il commandait, mais je ne crois pas que nous ayons assez de temps. De toute manière…

    L’officier s’interrompit et ouvrit de grands yeux étonnés.

    – Bout de misère ! Que font-ils ?

    Quand le sphinx parasite de Mélénor avait attaqué Thelma, le corps du souverain avait subi un tel choc que sa vue s’était affaiblie. Cependant, en dépit du brouillard qui ne l’aidait pas, il ne pouvait pas rater la brèche s’élargissant au centre de la ligne ennemie. Un vrombissement s’éleva dans le silence matinal, rappelant étrangement le bruit amplifié d’une ruche. C’est alors qu’ils les aperçurent : certaines créatures bondissaient dans les broussailles telles de gigantesques sauterelles, les autres flottaient dans les airs, avançant librement au-dessus des armées immobiles. Toutes transportaient des armes et Kylön sut immédiatement que ces terribles insectes en maîtrisaient le maniement. Avant que ses troupes reculent devant l’horreur, le général ordonna l’assaut.

    – À l’attaque ! hurla-t-il en se dirigeant vers le maître des archers. Dites à vos hommes de viser la tête. Vite, commencez par les monstres volants ; avec de la chance, ils s’écraseront sur ceux qui sont restés au sol.

    Le roi et la reine se regardèrent. Le temps d’un battement de cœur, ils se parlèrent avec les yeux, se confiant leur crainte d’être séparés à jamais, leur tendresse immortelle, leur détermination à vaincre le mal. Conscients que leur courage dictait celui des hommes, ils rompirent le charme et entraînèrent les cavaliers dans un même mouvement impérieux. Bientôt, leur étonnement fit place à une peur animale, cette peur viscérale qui assure la survie. S’ils avaient écouté leur instinct, les souverains auraient fui très loin de ces créatures cauchemardesques.

    Tandis qu’il abattait un cavalier noir, Mélénor observait un des monstres. Cinq fantassins de la Nouvelle-Bortka le menaçaient de leurs lances. Le monarque constata que la créature dépassait largement la taille d’un homme normal. Sous la queue de scorpion de la bête, un organe faisait saillie ; une toile visqueuse en jaillit, clouant au sol les cinq attaquants. Le roi fonça pour secourir les malheureux. Trop tard. Plus vite que l’éclair, la créature darda chacun des soldats, les achevant de son venin mortel.

    À la droite de son roi, le général Kylön cessa de réfléchir ; il fallait se battre, car aucun repli n’était désormais possible.

    * *

    *

    La journée avait été épouvantable pour tout le monde, mais Basile Ez Isbra se sentait particulièrement affecté par cette cuisante défaite. Les aides de camp lui faisaient état d’un nombre désolant de victimes et, malgré les exhortations des souverains à demeurer confiants, l’ambiance de la dernière réunion d’état-major avait été particulièrement funeste.

    Il se faisait tard. L’elfe-ubu soupira, sentant qu’il ne pouvait plus demander ni à son corps ni à son esprit de travailler davantage. Il se proposait donc d’aller prendre du repos dans sa tente quand le sergent Del’Yian l’intercepta, suivi de son habituelle bande de fauteurs de troubles.

    Basile se souvenait très bien du jour où il avait recruté ce grand gaillard : chauve et bien musclé, l’homme possédait le regard animé des gens à l’esprit vif. Toutefois, quelques jours à peine avaient suffi pour révéler la nature détestable de ce grand militaire du Môjar. Il n’apportait que des embêtements, maugréant pour tout et pour rien, revendiquant sans cesse. Par contre, quand venait le temps de se battre, il trouvait toujours le moyen de se défiler. « Il ne manquait plus que celui-là pour finir de gâcher ma journée ! » morigéna-t-il. Il s’arrêta à la hauteur du groupe de militaires.

    – Que me veux-tu cette fois ? lança-t-il d’un ton cassant.

    L’officier se planta devant l’elfe-ubu en bombant le torse.

    – Nous avons discuté et sommes tombés d’accord !

    Basile le toisa sans se laisser intimider. Del’Yian avait rapidement peuplé sa cour de flemmards. Tout regroupement comptait invariablement sa part de feignants et l’armée de la Nouvelle-Bortka ne faisait malheureusement pas exception. L’elfe-ubu attendit que son silence énerve l’insolent personnage.

    – Notre contrat ne stipulait pas que nous aurions à affronter des monstres invulnérables, déclara finalement Del’Yian.

    – Invulnérables ?

    – Vous les avez vu fonctionner !

    – J’en ai aussi vu tomber sous les flèches de nos archers ! répliqua Basile.

    – Il nous faut une prime, sinon nous refusons de nous battre.

    – Ah ! Parce que vous vous battez maintenant ? ironisa l’elfe-ubu.

    L’officier modifia sa tactique et sourit, faussement conciliant.

    – Vous êtes si occupé, messire ! Notre bravoure vous aura échappé. Croyez-moi, nous étions aux premières loges.

    – Voilà pourquoi vos uniformes sont impeccables, rugit le chef de camp.

    Les yeux de Del’Yian brillèrent de haine.

    – Et vous ? Vous allez au combat peut-être ? Si j’étais à votre place…

    – Tu n’es pas à ma place, et tu ne le seras jamais, alors fais du vent. Ça pue le poisson ici.

    Originaire du Môjar, Basile connaissait la signification des particules en usage au pays de Sol’Maglian et « Del » signifiait « poissonnier ». L’affront fit rougir l’impudent aussi sûrement qu’une gifle.

    – Avorton ! grinça-t-il entre ses dents. Tu me le paieras, un jour.

    – Tu oses me menacer ? releva calmement l’elfe-ubu, heureux d’avoir fait perdre sa contenance à son adversaire. Sur ce point, ton contrat est très clair.

    Le sergent n’avait pas intérêt à être chassé : un sourire fourbe fendit à nouveau son visage.

    – Désolé, chef ! Je me suis laissé emporter mais quand on voit mourir ses compagnons… Les risques augmentent pour nous tous, vous devez bien l’admettre.

    – J’en parlerai au roi.

    – Vous acceptez alors ?

    Les hommes de la bande frappèrent le dos de leur porte-parole pour le féliciter. Basile ne broncha pas.

    – J’ai dit ce que j’ai dit : j’en parlerai au roi. Rien de plus, rien de moins. Laissez-moi maintenant.

    Del’Yian s’éloignait quand la voix du chef de camp le rattrapa.

    – Je vous aurai à l’œil demain. Si vous n’êtes pas à vos postes, je vous mets à la corvée de latrines et je retiens vos gages. Me suis-je bien fait comprendre ?

    – Oui, messire.

    L’officier et ses acolytes s’enfuirent sans demander leur reste, laissant Basile complètement exténué, les poings si crispés que ses ongles de nacre avaient déchiré la peau de ses paumes. Il scruta le ciel nocturne, conscient de la présence obsédante des nuages. Horrifié, il découvrit une pensée abjecte dans son esprit : « Je commence à comprendre ce qui peut pousser un homme à commettre un meurtre. »

    – III –

    I sadora sentit son estomac se soulever. La jeune fille avait sûrement été très belle mais, dans la posture grotesque où la mort l’avait saisie, il ne subsistait plus rien de sa grâce juvénile. La reine pensa un moment à Thelma, qui errait loin du pays de Gohtes. Quels dangers la guettaient dans son exil   ? Sa propre fille, perdue par sa faute, n’était guère plus âgée que cette pauvre enfant assassinée.

    – Qu’attendez-vous pour la couvrir ? supplia la souveraine en dévisageant le chef des gardes civils.

    Des cernes gris se creusaient sous les yeux chagrinés de l’homme. Il retira sa cape et l’étendit sur le cadavre, chassant les mouches qui, dans l’étuve des lunes torrides, avaient déjà commencé à s’acharner sur la chair lacérée. Frissonnante de dégoût, la reine referma les bras sur sa poitrine.

    – Tentez de retrouver sa famille… Et, je vous en prie, épargnez ses pauvres parents ; ne leur montrez que son visage.

    – Ses traits semblent si purs, murmura l’officier.

    – Les sacrificateurs calment leurs victimes avec des potions soporifiques avant de… les immoler. Elle n’aura pas trop souffert.

    – J’espère bien, Votre Altesse. Mais avant, elle devait avoir si peur.

    Isadora hocha la tête péniblement puis releva le front.

    – Mettez la main au collet des prêtres et des adeptes de cette secte. Ils ont probablement enlevé d’autres jeunes femmes et nous devons les secourir avant qu’il ne soit trop tard.

    La reine sortit de l’enceinte du temple improvisé où les meurtriers avaient perpétré leur sacrifice humain. Cette fois, les forces de l’ordre étaient arrivées à temps pour arrêter quelques participants ; par contre, les prêtres leur avaient encore glissé entre les doigts.

    – Ils vont recommencer, se désespérait la souveraine de Gohtes.

    Harle, le nouveau conseiller d’Isadora, se faufila parmi les hommes en uniforme pour rejoindre la reine. Cet homme affable lui rappelait la bonté un peu guindée de Milirin.

    « Cher Milirin ! soupirait parfois la reine. Comme je vous ai sous-estimé. Pourquoi faut-il que les gens me quittent pour que j’apprécie enfin leur valeur ? »

    Harle posa une main réconfortante sur le bras de sa souveraine.

    – S’agit-il toujours de cette secte de criminels ? s’informa-t-il, soucieux.

    – Oui. Nous avons découvert les mêmes mots inscrits avec le sang de la jeune fille.

    – Vous êtes livide, ma reine ! Voulez-vous vous asseoir un moment ?

    – Non merci, Harle ! Partons.

    Ils se dirigèrent vers le carrosse.

    – Je suis horrifiée, gronda Isadora. Je ne me sentirai tranquille que lorsque nous aurons arrêté ces brutes ignobles.

    Harle ne servait Isadora que depuis peu. Il éprouvait pourtant une admiration sincère pour cette femme si dévouée à son peuple. Le conseiller de la reine aurait été étonné de découvrir que tout le monde ne partageait pas ses nobles sentiments. Avant de crier au miracle, ceux qui fréquentaient assidûment le palais attendaient de voir si cette transformation n’était pas un autre caprice de la reine de Gohtes, trop connue pour l’instabilité de son tempérament.

    Chose certaine, la reine avait vieilli d’un seul coup : ses cheveux châtains pâlissaient, virant lentement au gris argenté, tandis que sa peau se marquait de rides qui soulignaient son air mélancolique. Son corps, toutefois, demeurait souple et mince tellement elle s’activait, travaillant du matin jusqu’au soir sans s’accorder de repos. Naturelle mais soignée, elle n’avait jamais paru si souverainement belle. Même s’il savait qu’elle n’avait pas besoin de son aide, Harle lui tendit un bras galant pour grimper dans le carrosse.

    – Et maintenant ? demanda-t-il à la reine quand l’attelage s’ébranla.

    – J’ai trop vite congédié mes bourreaux, se désola Isadora.

    Depuis qu’elle n’était plus sous l’influence du somahtys, la souveraine avait beaucoup changé. Le nœud qui avait autrefois empêché son cœur de s’ouvrir à la compassion s’était délié ; désormais sensible à la misère d’autrui, elle ne prononçait plus de sentences capitales, n’envoyait plus personne à la torture. En contrepartie, elle multipliait les amendes et remplissait ses cachots, laissant ses gibets servir de nid aux termites. « Si un miracle s’est produit pour moi qui ai commis l’irréparable, si la grâce a touché mon âme meurtrière, cruelle et égoïste, alors peut-être accomplira-t-elle aussi son œuvre pour les mécréants que je juge. Peut-être répondront-ils mieux à la clémence qu’à la vengeance. » Dès lors, les bourreaux avaient dû trouver d’autres exutoires à leurs penchants sadiques.

    – L’idée me répugne, poursuivit la reine. Pourtant, si nous voulons mettre un terme à ces sacrifices, nous devrons forcer les confidences de nos prisonniers. Nous cherchons des noms et des lieux.

    – Vous pensez qu’ils vont céder sous la torture ?

    – Un seul dénonciateur nous suffit, répliqua Isadora en plissant le nez de dégoût. Le peuple de Gohtes doit apprendre que sa reine ne tolère pas le crime. Levez une armée de crieurs, Harle. Faites préparer des affiches où vous décrirez les châtiments encourus par ceux qui participent à ces rites. Et soyez imaginatif.

    – Ces descriptions feront frémir les pires bandits, n’ayez crainte, ma reine. Personne n’osera défier cette loi. Je consulterai les bourreaux pour les détails.

    Isadora se renfrogna. Harle n’aimait pas la voir triste ; il se promit de demander à la marquise Vor Listel de venir lui rendre visite. La grosse femme produisait un effet à la fois tonique et apaisant sur les humeurs de la souveraine. Le conseiller vit la reine se raidir tandis qu’ils longeaient une rue bordée de petites maisons proprettes.

    – Qu’y a-t-il, ma reine ? s’inquiéta-t-il.

    Isadora s’adossa et soupira.

    – Rien. Seulement… Vous voyez cette maison blanche ? Elle appartenait à mon oncle et à ma tante. J’ai grandi entre ces murs.

    – Désirez-vous vous arrêter ?

    La reine secoua la tête.

    – Non ! Vraiment, murmura-t-elle en détournant les yeux. Les souvenirs qu’elle évoque ne sont guère heureux.

    * *

    *

    Quand ils arrivèrent au palais, une autre mauvaise nouvelle les attendait. La tournée quotidienne avait rapporté onze nouveau-nés : deux avaient été abandonnés dans les caniveaux, cinq dans la décharge du port, un sur la place du marché et trois aux portes du palais. Chacun de ces bébés présentait des malformations sévères qui résultaient de l’effet maléfique des nuages de Korza. Pour Isadora cependant, le plus désolant résidait dans la défection des parents : cet égarement lui rappelait cruellement sa propre faute. Affectés par les effluves du mal suprême, pervertis ou incapables de surmonter leur douleur de vivre, les pères et mères reniaient cette progéniture qui leur faisait horreur.

    Isadora avait transformé une grande salle du palais en pouponnière destinée à ces bébés oubliés. Elle avait aussi recruté des citoyens que les nuages du mal n’affectaient guère ; il s’agissait d’hommes et de femmes dotés d’un tempérament combatif, naturellement bienveillant et peu enclin à la mélancolie. Ces bonnes gens avaient assez de cœur pour tenter de nourrir les petits et calmer leurs pleurs désespérés. En dépit des efforts de ces âmes charitables, la plupart du temps, les nourrissons ne survivaient pas. La reine insistait pourtant pour que ses gardes civils les recherchent et les ramènent, morts ou vivants.

    – Chaque habitant de Gohtes mérite la dignité, répétait-elle à ses conseillers.

    * *

    *

    La reine s’assura que les bébés survivants avaient été conduits à la pouponnière puis elle se rendit à ses appartements. Elle sortit sur le balcon qui surplombait les jardins désertés en dépit de la saison estivale. Partout où il se posait, son regard ne rencontrait que grisaille et désolation. Elle observa le ciel obstrué. Désormais consciente de sa propre fragilité devant le mal, elle s’accrochait à une image toute récente d’elle-même. Son fils, le prince Nathan, soutenait qu’il avait libéré le cœur de sa mère ; pour preuve, il brandissait une tache en forme de cuirasse qui marquait l’intérieur de sa paume droite. Mythe ou réalité, comment le savoir ? Depuis le début du printemps, depuis ce bref répit pendant lequel le soleil avait ressurgi entre les nuages crasseux, la reine de Gohtes se sentait habitée d’une sensibilité nouvelle qui lui apportait la joie de la tendresse et aussi la douleur du repentir.

    Malgré la tristesse qu’offrait le spectacle de la cité soumise au joug de Korza, Isadora sourit. Comme une provocation lancée à ses passions exclusives, supportée par l’affection de Nathan, la souveraine avait décidé d’aimer la vie, la vie sous toutes ses formes. Ce faisant, son monde avait été transformé, et elle était devenue la farouche ennemie de cette force destructrice qui s’attaquait aux elfes et aux hommes.

    La reine regrettait amèrement de ne pas avoir prêté plus d’attention aux explications de Mélénor. Son époux avait vainement tenté de lui parler de la menace qui grondait. À cette époque, Isadora était trop préoccupée par ses amours contrariées. Elle avait accusé le roi d’inventer des histoires invraisemblables pour justifier ses longues absences loin de Döv Marez. Maintenant, elle aurait bien aimé connaître la vraie nature de cet adversaire sournois qui viciait la beauté et injuriait la vie.

    Un bruissement discret la sortit de sa méditation : Nathan hésitait visiblement à troubler la reine.

    – Mère ?

    – Oui, mon fils ?

    Elle s’approcha du jeune homme et toucha délicatement sa joue. Le prince rasait déjà son visage, même s’il n’était encore couvert que d’un fin duvet. Grandi trop vite, ce garçon semblait poussé par un irrépressible besoin de devenir un homme. Même s’il était né douze ans auparavant, il en paraissait seize et se comportait comme tel.

    – Des gens vous demandent. Je crois que vous devriez les recevoir.

    – Qui sont-ils ?

    L’adolescent ne répondit pas directement à la question.

    – Dame Cassandra les accompagne, lança-t-il plutôt.

    Isadora traversa subitement les voilages qui séparaient le balcon de ses appartements.

    – Où m’attend-elle ?

    – Dans votre cabinet.

    * *

    *

    La reine faisait face à un groupe composé de gens à l’allure exceptionnelle. Elle avait immédiatement reconnu Atthal, le grand chef du Clan des rives ainsi que Teyho, le patriarche des vallées qui l’avait accueillie dans son domaine, cette unique fois où elle avait séjourné chez les elfes-sphinx, dans l’Île-aux-Tortues. Elle accueillit chacun solennellement, devinant qu’il s’agissait des chefs des autres clans. Les dignitaires s’écartèrent d’un même mouvement fluide pour laisser passer l’ancienne ministre qui salua la reine d’un gracieux mouvement de tête.

    – Votre Altesse !

    Isadora s’avança vers elle. Les chefs refermèrent leurs rangs autour de Cassandra, guettant la reine avec méfiance.

    – Je devine, madame, que

    Enjoying the preview?
    Page 1 of 1