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L'exécuteur
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Ebook479 pages7 hours

L'exécuteur

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About this ebook

Las de l'agitation urbaine, Marie-Paule et Pierre se portent acquéreurs d'une maison de campagne, rêvant d'y couler des week-ends paisibles. Malheureusement, la quiétude tant espérée ne sera pas au rendez-vous. Des événements inquiétants se produisent et, bientôt, se multiplient. Délaissant l'écriture de son roman, Marie-Paule se penche sur le passé mystérieux de la région : nombreuses disparitions, morts suspectes, exorcismes et, surtout, le troublant suicide de la mère d'un enfant jadis rejeté par la communauté. Sa curiosité la mènera à la rencontre de Simon Bernard, détective en rébellion contre l'autorité qui suit la piste d'un tueur en série.Au moment où Marie-Paule et Simon croyaient enfin détenir la vérité, les éléments de leur enquête se mettent en place, précipitant la jeune femme à la rencontre de son destin...Un thriller essoufflant, porté par une remarquable tension dramatique, qui vous clouera sur votre fauteuil !
LanguageFrançais
PublisherDe Mortagne
Release dateFeb 22, 2012
ISBN9782896621408
L'exécuteur
Author

Catherine Doré

Catherine Doré a passé son enfance à Québec avant de partir vivre à Montréal afin d'y compléter un baccalauréat en théâtre à l'Université du Québec. Elle décide ensuite de faire une maîtrise en sciences de l'Éducation à l'Université de Montréal. Son mémoire de thèse va porter portait sur la formation du comédien au Québec. Après quelques années à travailler dans le domaine de la télévision, au service audiovisuel de l'UQAM où elle a participé à la réalisation de documentaires diffusés sur le CanalSavoir, elle accepte un poste de professionnelle de recherche au département de psychologie. Son intérêt pour les livres s'est manifesté très tôt. Dès qu'elle a su lire, la lecture devint une véritable passion. Le plus beau cadeau qu'on pouvait lui offrir : un livre. À l'adolescence, elle entreprit l'écriture d'un roman avec un copain du cégep. Cette expérience lui permit de vérifier que l'inspiration était là et que cette voie lui était ouverte. Toutefois, le moment n'était pas encore venu. Elle devait vivre autre chose auparavant. Les années passant, et des idées de roman lui trottaient dans la tête. À l'aube de la quarantaine, les hasards de la vie lui ménagèrent un moment de pause. Elle profita de ce temps libre pour se mettre à l'écriture sérieusement. Cette première tentative devait se conclure par un recueil de nouvelles, comme on le conseille aux écrivains en herbe. La nouvelle attendue se transforma en un roman de 450 pages : L'exécuteur voyait le jour et le personnage de Marie-Paule Chevalier était ainsi créé. Étant ainsi créé, sorte d'alter ego de l'auteure, cette jeune femme réclamait son droit à la vie et exigeait une suite. Les Éditions de Mortagne, en acceptant de publier le premier manuscrit, scellaient le destin de Marie-Paule : il y aurait au moins un deuxième roman. Catherine Doré trouve son inspiration dans ses personnages, qui lui servent de guide. Elle se documente abondamment sur les sujets traités et sur les milieux qu'elle met soigneusement en scène. Elle accorde beaucoup d'importance à la crédibilité de l'action et des environnements présentés.

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    L'exécuteur - Catherine Doré

    Catherine Doré

    L’exécuteur

    Édition

    Les Éditions de Mortagne

    Case postale 116

    Boucherville (Québec)

    J4B 5E6

    Distribution

    Tél. : (450) 641-2387

    Téléc. : (450) 655-6092

    Courriel : edm@editionsdemortagne.qc.ca

    Tous droits réservés

    Les Éditions de Mortagne

    © Copyright Ottawa 2005

    Dépôt légal

    Bibliothèque nationale du Canada

    Bibliothèque nationale du Québec

    Bibliothèque Nationale de France

    4e trimestre 2005

    Conversion au format ePub : Studio C1C4

    Pour toutes questions techniques

    concernant ce ePub

    contactez-nous par courriel

    service@studioc1c4.com

    ISBN : 978-2-89662-140-8

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) et celle du gouvernement du Québec par l’entremise de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour nos activités d’édition. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

    Vous êtes l’expression de votre plus profond désir

    Tel est votre désir, telle est votre volonté

    Telle est votre volonté, tels sont vos actes

    Tels sont vos actes, telle sera votre destinée.

    Extrait de Brihadaranyaka Upanishad

    Dans toutes les existences, on note une date

    où bifurque la destinée, soit vers une

    catastrophe, soit vers le succès.

    La Rochefoucauld

    Prologue

    Dans la vie, certains choix sont définitifs et déterminent notre avenir. Au moment où on les fait, on ignore à quoi ils conduisent. Sinon, bien sûr, on y regarderait à deux fois. Parce qu’ensuite, on ne peut plus rien y changer.

    Vous connaissez sans doute l’adage « Être au bon endroit au bon moment ». Il existe aussi son contraire « Être au mauvais endroit au mauvais moment ». On ne sait jamais ce qui nous attend au détour du chemin. Ah ! si nous avions tourné à droite au lieu de choisir la gauche à cette intersection ; si nous avions roulé un peu moins vite ou un peu plus vite, nous serions passés juste après ou juste avant le train, n’est-ce pas ? Cette question qui ne nous lâche pas : aurions-nous pu éviter cela ? Dans mon cas, ce n’est pas un train qui pulvérisa ma vie un beau jour du mois de mai. Non. Ce fut autre chose. Mais le choc fut tout aussi brutal.

    Aujourd’hui, lorsque je repense aux événements qui nous menèrent, Pierre et moi, à acheter la maison du 112, rue du Chanoine, ils me semblent bien anodins en regard du séisme que cette décision déclencha dans nos vies. Pierre et moi partagions, depuis quatre ans, un charmant quatre et demi situé sur le Plateau-Mont-Royal, ce quartier de Montréal prisé par les étudiants et les artistes branchés. Las de l’agitation urbaine, nous cherchions avidement, depuis deux ans, un coin tranquille et campagnard pour y couler une retraite précoce et économe. Sensibles aux arguments des tenants de la simplicité volontaire¹, nous avions réussi à nous convaincre que le calme et la sérénité valaient bien quelques privations matérielles. Avec notre chien, Fred, un splendide labrador blanc aussi agité que chaleureux, nous parcourions la province chaque été afin de dénicher l’endroit rêvé. Malgré nos emplois respectifs à l’Université du Québec à Montréal, nos économies étaient maigres. Un style de vie échevelé, dispersé dans les restaurants, les salles de spectacle et les bars, les vêtements signés et les babioles qu’il faut absolument posséder parce qu’elles représentent le nec plus ultra de l’année, nous avait empêchés d’amasser le moindre pécule.

    Nous étions à deux doigts de tout abandonner lorsque nous découvrîmes la maison du 112, rue du Chanoine. Ce fut un réel éblouissement ! Une adorable petite maison de campagne comme on en voit dans les albums de photos d’époque. On aurait dit que cette maison était là pour nous. Qu’elle nous attendait depuis toujours. C’était très exactement ce que nous cherchions : une maison centenaire avec des lucarnes, bâtie sur deux étages, entourée d’une grande galerie, toute en lattes de bois à l’intérieur, avec des planchers vernis, des boiseries aux fenêtres, située à flanc de montagne, avec un bois derrière, une rivière à droite et le fleuve devant ! Le rêve absolu ! De plus, son prix était précisément celui que nous nous étions fixé.

    Nous aurions dû nous méfier. C’était trop beau…

    Nicole

    Portneuf

    10 novembre, 19 h

    Nicole vient de terminer son repas. Seule. Encore. Son mari est resté au garage pour terminer un travail en retard. Il a du travail en retard presque tous les soirs maintenant. C’est un homme bon, un peu bonasse même, un brave type qui ne demande qu’à mener une vie bien tranquille. Nicole comprend que son comportement des derniers temps dépasse largement les capacités émotives de son compagnon. Elle sait que ses crises de larmes et ses cris l’éloignent d’elle. Elle revoit son mari, dimanche dernier, hébété, muet devant sa détresse, ses gros bras ballants, balançant son corps trapu d’un pied sur l’autre, ne sachant que faire. Il la regardait avec tendresse, ses yeux la suppliant de se calmer. Elle ne pouvait pas. Elle n’y pouvait rien. De plus en plus souvent maintenant, ses nerfs la lâchent… Son corps, soumis depuis trop longtemps à un stress intense, est au bout du rouleau. Elle retournera voir le médecin, au village, demain. Elle acceptera ces calmants qu’il la supplie de prendre depuis un mois.

    Avec sa fourchette, elle retourne les restes de son repas dans son assiette, l’appétit coupé par la nervosité, et observe sa maison. Elle scrute les fenêtres ; elle a cru apercevoir une ombre fugitive. Elle examine le grand miroir du salon qui fait face à la salle à manger et tente d’y déceler une vague image ; elle écoute tous les bruits ambiants, guettant l’intrus. Elle a tant aimé cet endroit qui maintenant la glace d’effroi.

    * *

    *

    Le rôdeur s’approche de la maison. Il guette sa proie depuis longtemps. Il a pris le temps de l’observer, de la humer, de capter toutes les nuances de sa peur. Il l’a préparée longuement, l’épiant, la pourchassant, l’affolant, pour sentir la terreur s’installer en elle, sentir les effluves musqués de la peur, en voir les effets physiques : les pupilles dilatées, les mouvements saccadés, désordonnés. Ce soir, elle est prête. Ce soir, elle sera délivrée. Il ne ressent pas l’urgence de tuer comme au printemps. La chasse a été fructueuse cette année et, en fait, il serait plus sage de remettre cela à l’année prochaine ; la saison est trop avancée. Ce sera la dernière, se dit-il. Il prendra son temps. Il en savourera chaque moment. Juste une dernière, se répète-t-il en frissonnant de plaisir anticipé. Il s’avance tout près du mur extérieur, juste sous l’entrée des fils téléphoniques. Lentement, il sort un téléphone cellulaire de son havresac et attend.

    * *

    *

    Nicole décide de secouer son inertie. Il ne sert à rien de rester là à attendre son mari. Il rentrera sans doute très tard, comme d’habitude, espérant qu’elle se soit endormie. Elle s’active dans la cuisine, rince la vaisselle sale, frotte le comptoir. L’activité lui fait du bien et l’énergie lui revient. Elle met le lave-vaisselle en marche, et c’est alors que l’électricité est brusquement coupée. La maison est plongée dans l’obscurité la plus complète. Zut ! C’est vrai ! se dit-elle, le sèche-linge fonctionne encore et, par cette froide soirée d’automne, la fournaise chauffe à plein rendement. Merde ! quand donc mon ballot de mari va-t-il se décider à changer la boîte électrique ? Elle ne suffit plus à nos besoins depuis longtemps, et il le sait.

    Nerveuse, Nicole saisit la torche électrique pour se diriger maladroitement vers l’escalier qui mène au sous-sol où se trouvent la boîte électrique fautive et les fusibles de rechange. L’obscurité lui rappelle ses terreurs d’enfant, et un malaise la saisit chaque fois que cette foutue boîte fait des siennes. Au moment où elle tourne la poignée de la porte de la cave, la sonnerie du téléphone la fait sursauter. Elle laisse échapper sa torche, qui dévale l’escalier avec fracas. De plus en plus anxieuse, elle jure, maudissant sa maladresse, et avance à tâtons vers le combiné en souhaitant ardemment qu’il s’agisse de son mari. Dans le noir, l’opération se révèle ardue, et Nicole se demande si elle aura le temps de décrocher avant que la personne qui l’appelle ne se lasse. Encore deux pas… Enfin, elle y est.

    – Allô ! fait-elle d’une voix tendue.

    Une lente respiration rauque lui répond à l’autre bout du fil. Ah non ! Pas lui ! Pas encore ! Pas maintenant ! gémit Nicole tout bas. Elle est sur le point de raccrocher lorsque la respiration s’interrompt brutalement comme si la ligne venait d’être coupée. Cela décuple son inquiétude, et elle se met à hurler des « Allô » désespérés. L’angoisse, qu’elle connaît très bien désormais, recommence à l’envahir. Depuis trois mois, les appels anonymes se multiplient, d’inquiétantes silhouettes fugitives traversent son terrain ou passent dans la rue. Cette sensation de présence de plus en plus tangible, qui semble se resserrer comme un étau, la met dans un état de tension permanent, état qui est à l’origine des nombreuses querelles qui éclatent entre elle et son conjoint. L’homme en noir surgit à l’improviste, la surprenant lorsqu’elle travaille dans ses plates-bandes ou qu’elle nettoie la piscine ; puis il disparaît, la laissant tremblante d’effroi. Est-elle folle, comme le pense son mari ? A-t-elle des hallucinations, comme le lui répète son médecin ? Le rôdeur existe. Elle en a la certitude. Il reste tapi quelque part, tout près, à l’épier. C’est lui qui a coupé la communication, se dit-elle. Elle raccroche le combiné et le décroche de nouveau afin de composer le numéro du garage, mais il n’y a plus de tonalité ; la ligne a bel et bien été coupée. Un léger tremblement agite ses mains, et elle sent la peur s’insinuer en elle, inexorable. Elle respire profondément et sait que, cette fois, ce sera différent. Elle doit conserver son calme. C’est primordial. Elle tente de réfléchir, de chercher une issue. Les voisins ! Non, ils sont absents pendant la semaine. Sa voiture ! Non, elle est en réparation au garage de son mari qui se trouve beaucoup trop loin pour qu’elle s’y rende à pied. Évidemment, son conjoint est parti avec le téléphone cellulaire… Elle n’a donc aucun moyen de communiquer avec l’extérieur. Les idées se bousculent dans sa tête à une vitesse folle et elle ne parvient à en saisir aucune. Elle ne peut que répéter fébrilement : Qu’est-ce que je vais faire ? Qu’est-ce que je vais faire ? en tournant sur elle-même comme une toupie.

    Soudain, elle pense à la maison située de l’autre côté de la rivière. Elle a été inoccupée pendant six mois, mais de nouveaux propriétaires viennent d’y emménager. Peut-être y aura-t-il quelqu’un. Sans même prendre le temps d’enfiler son manteau, elle sort dans la cour, attirée par la lumière du réverbère qui lui semble plus rassurante que la profonde obscurité de la maison. Quand elle arrive dans la rue, une vague de froid la saisit. Mais il est trop tard pour rebrousser chemin. Courant à toutes jambes, elle se rend jusqu’au pont où elle peut constater que, bien qu’aucune voiture ne se trouve dans l’entrée, une lumière brille à l’intérieur de la maison.

    Une vague de soulagement se répand dans ses membres. S’enhardissant, elle file vers ce refuge inespéré. De ses poings, elle tambourine à la porte en criant : À l’aide ! Au secours ! Aidez-moi, s’il vous plaît ! Pas de réponse. Le froid la mord cruellement ; elle ne peut plus rester là. Terrifiée à l’idée de retourner chez elle, Nicole cherche fébrilement une issue. Se diriger vers le bois ? Courir vers la route afin d’intercepter une voiture ? Non. Dans le noir, on risque de la renverser, et le bois ne peut lui être d’aucun secours, elle le sait bien. Elle n’a pas d’autre choix, il faut rentrer à la maison. Courageusement, elle rebrousse chemin, ignorant qu’elle se précipite ainsi dans la gueule du loup. En passant près du réverbère situé à l’angle de sa galerie, elle le voit. Non. Elle perçoit un mouvement. Elle se retourne lentement et voit, dans la lumière blanche, une silhouette qui s’avance et lui barre le chemin. Il est debout, les bras le long du corps, tout de noir vêtu, immobile. Comme à son habitude, il tient une torche électrique. Dans l’autre main, brille une lame, une longue lame.

    Son mari n’a jamais cru à l’existence de l’homme en noir. Le médecin non plus. Même sa famille n’y croyait pas. Et pourtant, la preuve se tient là, devant elle. Comme il est cruel, parfois, d’avoir raison ! Elle n’est donc pas folle, ni victime d’hallucinations. À cet instant, elle comprend qu’elle n’aura jamais l’occasion d’en apporter la preuve. Il est là pour en finir. Une bonne fois pour toutes. La panique la saisit et, au lieu de retourner dans sa maison et de s’y barricader, elle s’enfuit droit devant, vers le cap. Elle escalade péniblement le promontoire en ahanant. Ses pieds glissent, les feuilles d’automne se dérobent sous ses pas, mais elle s’accroche à l’idée du fermier qui demeure en haut du cap. Elle a beau déployer des efforts surhumains, tenter de se retenir aux branches, elle trébuche sans cesse sur le sol accidenté. Le rôdeur se rapproche. Elle l’entend. Elle sait alors qu’elle n’arrivera pas en haut à temps. Elle bifurque vers la droite, vers la rivière et la profondeur de la forêt. Elle court maintenant, ne sentant ni le froid ni la douleur causée par les branches qui fouettent son visage et s’agrippent à ses bras en déchirant sa peau. La panique la submerge et elle n’a plus qu’une seule idée : fuir ! Aller de plus en plus vite, de plus en plus loin, sans direction particulière, pour échapper à l’homme qui la pourchasse. Elle obéit à un réflexe stupide : elle se retourne afin de localiser son poursuivant. Erreur fatale. Ses pieds sont fauchés par une souche et elle s’affale rudement sur le sol. Sa tête heurte douloureusement un arbre. Étourdie par le choc, elle tente de ramper vers la rivière, vers ce refuge improbable dont l’agréable clapotis a bercé ses quatre dernières années.

    Dans un ultime effort, elle se relève et atteint la pente menant au cours d’eau. La rivière ! Enfin ! Se perdre dans la caresse de l’eau qui sera douce sur sa peau écorchée, disparaître dans cette profondeur bienfaisante qui la protégera de son agresseur, la cachera à jamais de cet homme qui lui a volé ses nuits, s’immisçant dans ses rêves pour les transformer en cauchemars. Elle avance un pied sur la pente avec reconnaissance. À ce moment, le rôdeur la saisit par les cheveux et la retourne brutalement vers lui afin de lire la peur dans ses yeux. L’excitation de la course, l’ivresse de la capture et la terreur de sa proie décuplent l’agressivité du chasseur. En dépit de ses résolutions, il ne peut se contenir. Avec une violente jouissance, il enfonce la lame dans le torse de sa victime, s’abreuvant de ses yeux agrandis d’effroi ; puis, saisissant le manche de son couteau à deux mains, il remonte la lame vers la gorge, faisant gicler le sang sur ses mains.

    Nicole ne voit pas le visage de son meurtrier, car il est dissimulé sous un passe-montagne noir, mais à l’instant où sa vue s’obscurcit pour toujours, elle comprend que rien n’aurait pu la soustraire à son funeste destin.

    * *

    *

    Sa rage assouvie, le tueur halète doucement dans la nuit. L’adrénaline et le violent plaisir qu’il vient de ressentir le laissent un peu étourdi, comme toujours, et il met un certain temps avant de reprendre ses esprits. Quand il émerge de cet état second, il sait qu’il doit agir vite avant que le mari ne revienne. Il court chercher la pelle dans sa voiture et se met à creuser à l’endroit précis de son forfait. Rompu à cet exercice, le tueur creuse méthodiquement, parfaitement concentré sur sa tâche. L’automne étant avancé, le froid a déjà durci la terre, et cela prend plus de temps que prévu. Il doit maintenant maquiller le meurtre en disparition. Pas de traces de lutte, pas de cadavre, pas de coupable : une autre enquête irrésolue comme il y en a tant. Il enlève son costume maculé de sang, change de gants, entre dans la maison et se dirige sans hésitation vers la chambre. Il sait précisément ce qu’il doit faire ; contrôlant parfaitement la situation, les gestes assurés, il ne perd pas une seconde. Son temps est compté ; le mari risque d’arriver à tout instant. Il ne souhaite pas cette rencontre. Il déteste les imprévus. Les imprévus constituent le grain de sable qui peut enrayer l’engrenage le mieux huilé. Il finit de vider la penderie et, en levant la tête vers la tablette du haut, il avise la trappe donnant accès aux combles. Une idée germe alors dans son esprit.

    Première partie

    LA MAISON

    DU 112, RUE DU CHANOINE

    On ne met pas son passé dans sa poche ;

    il faut avoir une maison pour l’y ranger.

    Jean-Paul Sartre

    La nausée

    -1-

    Calme, la campagne ?

    Deschambault

    Six mois plus tard, le 20 mai

    Excités et nerveux, nous prenons enfin possession de notre maison. Elle me paraît encore plus belle que dans mon souvenir. Les arbres en fleurs et de charmantes plates-bandes ont remplacé les énormes bancs de neige qui recouvraient le terrain lors de notre visite, en mars. La cour arrière, à flanc de colline, est aménagée en trois grandes terrasses de largeurs et de hauteurs différentes. Une petite piscine, chauffée par une thermopompe, se prélasse en plein soleil. À partir de la terrasse la plus élevée, deux escaliers abrupts grimpent vers une verte prairie et un ciel à perte de vue. Là, à une centaine de pas, une clôture métallique borde notre terrain, car les vaches du fermier complètent notre voisinage. Dans l’autre direction, face au sud, nous pouvons contempler, du haut de ce cap, le fleuve Saint-Laurent, paisible, avec ses immenses cargos, paresseux et prudents, qui naviguent vers Québec en tentant de se diriger dans l’étroit chenal.

    Le camion est déchargé, les déménageurs sont partis, les meubles installés, et nous défaisons tranquillement nos boîtes pendant que notre chien explore son nouveau territoire. Habitué au centre-ville de Montréal, Fred découvre avec délice les riches odeurs de la campagne. Un doux bonheur de vivre nous habite. Du coin de l’œil, j’observe Pierre pendant qu’il déplace de lourds cartons. Grand et mince, la silhouette sportive, des cheveux soyeux frôlant ses épaules, de larges moustaches descendant sur son menton, une paire de lunettes lui donnant un petit air de poète, il m’a conquise au premier regard. J’adore son petit look hippie des années soixante-dix, époque bénie que j’idéalise un peu. L’aura de liberté, d’espoir et de joie de vivre qui se dégage de cette décennie exerce un attrait irrésistible sur ceux qui, comme moi, ont grandi dans la déprime postréférendaire.

    La radio syntonise un poste local qui diffuse de vieux tubes des années soixante. Je m’approche doucement de Pierre et, l’air coquine, j’esquisse un pas de danse, l’invitant à m’accompagner. Il m’enlace tendrement. Nous entamons une danse lascive sur la voix envoûtante d’Elvis, qui chante Love me tender, lorsqu’une grosse voix bourrue rompt le charme du moment.

    – Hum hum… prr… hum hum… J’voudrais pas vous déranger là… prr…

    Saisis, nous nous retournons si brutalement que, dans un geste maladroit, je fais un croc-en-jambe à Pierre qui réussit, par miracle, à ne pas s’étaler par terre. La porte d’entrée est ouverte. Dans notre salon se tient un petit homme robuste et trapu, avec des jambes et des bras comme des troncs d’arbre, un buste puissant surmonté d’une petite tête ronde, au front bas, habitée par de gros yeux ébahis et des lèvres boudeuses. Interloquée et légèrement apeurée, je m’apprête à jeter l’importun dehors lorsque je reconnais l’inénarrable propriétaire qui nous a vendu la maison. Comment ai-je pu oublier l’australopithèque prénommé Steve, qui nous a fait visiter les lieux en mars dernier ? Un épisode surréaliste…

    * *

    *

    Il nous avait alors accueillis avec un flot de paroles discontinues qui ne s’était tari qu’à notre départ, et son débit était tel que nous ne saisissions qu’un mot sur deux. Et encore ! L’accent très prononcé de Steve représentait un défi pour des urbains, non familiers avec le parler des gens de la campagne. Nous tentions vainement de suivre le discours échevelé de cet être nerveux et bavard. Il ouvrait les portes, les refermait, montait et descendait les escaliers à un rythme affolant et, surtout, étonnant pour un homme de sa corpulence. Le tout, accompagné de nombreux commentaires ponctués d’étranges sonorités ressemblant à celles d’un cheval qui s’ébroue. En effet, comme d’autres agrémentent leurs conversations de « n’est-ce pas » ou de « bien entendu », lui émettait de curieux grognements à la fin de ses phrases ou entre deux mots, subitement, comme on prend sa respiration.

    Malgré les nombreuses tentatives de l’agent immobilier pour expulser ce propriétaire envahissant, dès qu’il avait le dos tourné, Steve était de retour, gesticulant et soufflant comme une forge. Quel que soit le sujet abordé, son discours revenait toujours à ce qui semblait être une obsession chez lui : son « annncienne ».

    – Mon annncienne, elle voulait des tablettes en bouâ, fais que j’y ai faite. Mais aprâs, elle aimait pu çâ, prr. La cave, c’est moé qui l’a creusée. C’est ben faite, prr. C’est solide.

    En disant cela, il présentait ses deux bras musclés, velus et légèrement arqués, en raison de la taille de ses biceps.

    – J’ai refaite le toit aussi, prr. J’voulais l’mettre rouge. Mais mon annncienne aimait pas çâ. Mais ça fait rien. J’l’ai mis verte. Icitte, c’est l’trou du boyau pour l’aspirateur central, ah oui, ah oui, j’ai mis l’aspirateur central. Pour mon annncienne, prr.

    Puis, soudainement, il s’adressa à Pierre :

    – T’es chanceux, toi, t’as une femme pour faire ton ménage. J’y avais installé une piscine à mon annncienne, pis est chauffée, toute toute, prr.

    * *

    *

    Au souvenir de cette incroyable visite, un vague malaise m’envahit. Je détaille avec effarement l’homme de Cro-Magnon qui occupe mon salon et n’ose croire qu’il fera désormais partie de mon environnement. Pierre se dirige vers lui, un peu raide, et demande sèchement :

    – Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ?

    – Ah, j’pense que j’tombe pas trop bien, hein ? Mais j’peux r’passer un autre tantôt, prr… C’est parce que tu m’avais d’mandé d’venir faire un tour aujourd’hui, pour la fournaise. Pour expliquer la fournaise…

    – Ah oui ! C’est vrai, j’avais complètement oublié. Désolé ! s’exclame Pierre.

    Je décoche alors un regard acerbe à l’étourdi qui partage ma vie, mais je suis tout de même plus rassurée. Steve avait reçu une invitation. Ce n’est pas comme s’il prenait la mauvaise habitude de débarquer sans avertissement.

    Pierre poursuit :

    – Oui, je vous avais demandé de passer aujourd’hui, mais je n’ai pas eu le temps de faire le tour de la maison. Alors, si vous pouviez repasser… Enfin, si ce n’est pas trop demander… Je ne veux pas non plus abuser de votre temps.

    – Y a rien là ! Moé j’passe par icitte souvent. Mon garâge est juste au coin d’la route qui mène au village, prr. Mon annncienne, elle trouvait ça ben pratique.

    Quoique encore légèrement intimidée par la carrure néandertalienne du bonhomme, je me laisse gagner tranquillement par sa bonne humeur et sa simplicité. Et puis, on ne reçoit pas ainsi les gens lorsqu’on s’installe dans une nouvelle région. Un peu de savoir-vivre, que diable !

    – Vous prendriez peut-être un café ? Nous ne sommes pas encore très bien installés, mais…

    Il me coupe la parole plutôt cavalièrement :

    – Non, laissez faire, prr. Faut j’m’en aille là. C’est ça.

    Il bat soudainement en retraite, l’air mécontent ou gêné, je ne sais trop. Et avant que nous n’ayons le temps de dire ouf, il remonte dans sa voiture et disparaît. Quel personnage ! Ébahis, nous éclatons de rire et retournons tranquillement à notre installation.

    * *

    *

    Mardi. Quatre jours se sont écoulés depuis notre emménagement. Il est treize heures trente et nous revenons du village avec Fred. Il manque toujours quelque chose pour terminer l’installation. J’aperçois dans l’entrée la voiture de mes parents, qui demeurent à Québec. Bien sûr, ils n’en pouvaient plus d’attendre pour voir notre nouvelle acquisition. Mais où sont-ils ? Peut-être ont-ils décidé de monter sur le cap. Mon père n’a pourtant pas l’énergie pour entreprendre cette ascension. Fumeur invétéré, il souffre d’emphysème pulmonaire, et son cœur montre des signes évidents de fatigue. Il a bien changé depuis cinq ans. Après une mise à pied hâtive, à l’âge de cinquante-trois ans, résultat de la vague de restructuration ou de rationalisation – les euphémismes ne manquent pas – des années quatre-vingt-dix, il s’est refermé comme une huître. Cet homme fier, optimiste, à la personnalité extravertie, qui avait une opinion sur tout et qui la partageait bruyamment, s’est transformé en ce vieillard avant l’âge, maigre, essoufflé et silencieux. Mon idole de toujours, celui qui a guidé mes pas, qui a éclairé mes questionnements et calmé mes angoisses, n’est plus que l’ombre de lui-même. Nos rapports se sont distancés, refroidis, parce que je ne sais plus comment aborder cet être diminué par la vieillesse et la maladie.

    Ma mère, elle, a curieusement suivi le chemin inverse. Autrefois confinée aux tâches ménagères, puisque mon père présidait aux destinées de la famille, elle n’a pas été consultée autant qu’elle l’aurait souhaité. Aujourd’hui, elle prend sa revanche. Ainsi, plus mon père s’amenuise, plus elle s’épanouit. Avec la maladie de son mari, elle s’est découvert un nouveau rôle, celui d’infirmière, et elle se confère une autorité dont elle abuse allègrement. Deux fois sur trois, lorsqu’elle m’appelle, c’est pour se plaindre de lui : il a encore mangé quelque chose d’interdit, il a fourni trop d’efforts contre les avis des médecins, il fume – ô sacrilège ! –, il a bu quelques bières – quelle inconscience ! –, « c’est donc pas drôle de vivre avec un mari malade » ! Je dois admettre que mes rapports avec ma mère n’ont jamais été faciles et que la nouvelle situation n’améliore rien. Jalouse depuis toujours de mes rapports privilégiés avec papa, elle ne manque pas une occasion pour lui reprocher ses fautes.

    Perdue dans ces tristes pensées, je cherche mes parents du regard lorsque Pierre remarque une autre voiture dans l’entrée… Ah non ! Ce ne peut pas être… Le temps d’échanger un regard anxieux, la porte de la maison s’ouvre pour confirmer nos soupçons et laisser passer notre cher Steve, tout bonnement occupé à faire visiter notre demeure à mes parents. Le bougre d’animal a un don particulier pour se présenter au mauvais moment. Et comme à son habitude, agité, éructant des commentaires étourdissants, il captive son auditoire, qui, ébahi, n’ose l’interrompre. Pourtant, mes parents ne semblent absolument pas étonnés ou choqués par son attitude intempestive ni par sa présence, qui nous paraît, à nous, plutôt déplacée. Mon père est attentif à ses propos, absolument pas dérouté par son accent ou son étrange tic verbal. Il le suit lentement et approuve de la tête sans un mot. Ma mère trottine devant eux, en examinant avec minutie ce qui l’intéresse sans trop se préoccuper de ce qui se passe derrière.

    Extrêmement agacée par la situation, j’ai une furieuse envie d’expulser l’intrus manu militari. Mais je ne peux quand même pas faire un esclandre alors que mes parents semblent si satisfaits de leur guide. Pierre me jette un regard en coin, un sourire narquois suspendu aux lèvres, et ses yeux rieurs achèvent de me dérider.

    – Allons-y donc, puisqu’il le faut ! soupiré-je.

    Fred, lui, ne se fait pas prier. Dès que la portière s’ouvre, il fonce droit sur nos visiteurs, heureux de trouver des connaissances. Et ce n’est pas Steve qui reçoit le moins de manifestations de joie. Pourquoi suis-je la seule à éprouver des réticences envers ce personnage débonnaire qui, somme toute, s’est montré plutôt serviable jusqu’à présent ?

    Dès qu’il nous aperçoit, Steve délaisse son auditoire, vient vers nous, le sourire fendu jusqu’aux oreilles et, sans aucun avertissement, il me prend dans ses bras et dépose deux vigoureux baisers sur mes joues. Je n’ai pas le temps de réagir ou de dire quoi que ce soit, que mes parents sont là à leur tour. Tandis que je tente de répondre aux multiples questions de ma mère, Steve est déjà reparti, entraînant Pierre et mon père à sa suite pour leur expliquer le fonctionnement de sa piscine. Fred hésite quelques secondes et décide de suivre la mâle troupe.

    Restée seule avec ma mère, j’amorce maladroitement la conversation, comme toujours.

    – Ah maman, tu aurais dû attendre que nous ayons terminé de nous installer. Nous aurions pu mieux vous recevoir.

    – Mais enfin, ma chouette, qu’est-ce que c’est que ces idées ? Je viens t’aider, voyons ! Tu dois être épuisée à tout faire seule !

    – Mais je ne suis pas seule. Pierre m’aide beaucoup. Et depuis que je suis ici, j’ai une énergie de tous les diables ! Je ne me suis pas sentie aussi vivante depuis au moins dix ans. L’air pur me fait un bien immense. Entrons, je vais te faire une tisane et nous pourrons parler un peu pendant que l’ancien propriétaire vante les qualités de ses travaux à nos hommes… Tu ne le trouves pas un peu bizarre, ce Steve ?

    – Bizarre comment ?

    – Je ne sais pas. Sa manière de s’exprimer…, sa façon d’être…

    – Franchement, Marie-Paule, on voit bien que tu as été élevée en ville. C’est de son accent que tu parles ?

    – Non. Oui. Peut-être. Je ne sais pas, il me fait une drôle d’impression.

    – Tu vas t’habituer à la manière d’être des gens du coin. Ici, les gens sont simples et directs. Tu vas voir, dans quelques semaines, vous serez des amis. De plus, il a l’air d’avoir un savoir-faire impressionnant. Ce n’est pas à dédaigner.

    – Pour ça, tu as raison. Pierre et moi n’arrêtons pas de remarquer la qualité des travaux qu’il a effectués ici. Et il a tout fait seul, tu sais ! Les terrasses arrière, la galerie avant, il a creusé la cave, remplacé le toit.

    – Mais il ne vivait quand même pas seul ici !

    – Non. Sa femme l’a quitté cet hiver, et c’est la raison pour laquelle il a vendu la maison.

    – Mon Dieu ! Ç’a dû lui briser le cœur de devoir vendre après y avoir tant travaillé.

    – Oui, peut-être… Je n’avais pas songé à cela.

    * *

    *

    Outre les vaches du fermier, nous avons pour voisins deux familles et l’immense moulin de pierre, construit de l’autre côté de la rivière, qui n’est plus utilisé depuis quarante ans. Derrière le moulin, d’agréables sentiers pédestres longent la rivière sur quelques kilomètres. Semés çà et là, des aires de repos, des écriteaux didactiques et des sites d’observation jalonnent le parcours.

    Les deux maisons, l’une de pierre, jouxtant notre terrain, sur le même modèle que le moulin, et l’autre en brique, d’architecture victorienne, située de l’autre côté de la rivière, ne sont habitées que le week-end par des gens de Québec, ce qui nous permet de penser que nous trouverons ici la paix que nous sommes venus chercher.

    Nos voisins immédiats, ceux de la maison de pierre, habitent l’endroit depuis vingt ans. Enfin, lui, car ils ne sont ensemble que depuis deux ans. Lorsqu’ils viennent, ils travaillent invariablement sur le terrain ou la maison. Cette vénérable demeure, âgée de cent soixante-dix ans, semble demander bien de l’entretien pour que son état original soit conservé. Et le terrain, bordé par la rivière sur deux côtés, bien qu’encore imposant, diminue d’année en année par l’effet de l’érosion, a-t-on appris. Nos voisins doivent donc aménager la berge pour tenter de ralentir sa lente désagrégation, paraît-il. Le terrain est d’abord constitué d’arbres et de branchages épars, puis couvert de gazon à l’endroit où il s’élargit. Ensuite, notre voisine s’est substituée à la nature pour créer un ravissant jardin de fleurs et de plantes de plus en plus fourni à mesure que l’on se rapproche de la maison, et qui finit en une explosion de couleurs sur le devant.

    Fred provoque la première rencontre en allant gaiement saluer notre voisine dès qu’il la voit s’approcher de son territoire.

    – Fred ! Ici !… Bonjour ! Je suis désolée, sa sociabilité devient parfois un défaut.

    – Bonjour le chien, bonjour ! Non, non, il est superbe et très gentil. Qu’il est doux ! Quel est son nom ?

    – Fred.

    – Ah ! J’ai un frère qui s’appelle Frédéric aussi.

    Aïe ! Ça commence plutôt mal. Vaut mieux changer de sujet.

    – Moi, c’est Marie-Paule. Et toi… ?

    – Élise. Et voilà Denis qui arrive, conclut-elle en se retournant pour désigner son compagnon.

    Élise est blonde, très grande et très mince. La métaphore de l’échalote lui convient parfaitement. Pas vraiment jolie, elle doit être à la fin de la trentaine ou au début de la quarantaine. Ses yeux d’un gris terne donnent peu d’expression à un visage mince terminé par un menton volontaire. Habillée d’un pantalon molletonné et d’un large tee-shirt long et souple, les cheveux mi-longs négligemment attachés, équipée de gants de jardinage et de genouillères, elle semble très à l’aise sur ce territoire. Denis, lui, a le teint brun, un visage carré, les cheveux assez fournis, avec quelques mèches grises, et un corps ferme et en santé. Il semble plus âgé qu’elle de quelques années et dégage un charme indéniable.

    Pierre vient nous rejoindre. Après les présentations d’usage, nous discutons déjà à bâtons rompus. Elle parle lentement. Dans sa voix transparaissent des accents de tristesse. Les jambes raides, elle se dandine d’un pied sur l’autre comme si son corps attendait de reprendre son ouvrage. Lui, au contraire, s’exprime avec des phrases courtes. Son débit haché dément une attitude corporelle particulièrement passive. Il ne bouge presque pas, appuyé sur une seule jambe, les bras croisés négligemment.

    – Vous allez voir, c’est un coin tranquille et paisible. On a accès au fleuve, vous savez ! Ici, c’est une ancienne seigneurie, et les maisons qui entourent le moulin étaient toutes habitées par la même famille. La seigneurie a toujours conservé son droit d’accès au fleuve. Vous passez là, par le sentier sous la route.

    – Oui. À l’automne, on peut voir les bernaches s’arrêter… de passage pour le Sud. C’est très beau, ajoute Élise, en secouant la tête affirmativement.

    – Et l’hiver, on peut faire du ski de fond. Sur le fleuve. C’est un paysage féerique ! On se croirait complètement ailleurs. Et il y a un microclimat ici. À cause de la vallée. On est dans un creux. Par conséquent, on est presque toujours à l’abri du vent. Parfois, il y a des tornades ! Il y a cinq ans, j’ai perdu la moitié de mes arbres. Un vent violent a longé la rivière et a tout fauché sur son passage.

    – Oui… Je n’y étais pas… heureusement ! J’ai toujours un peu peur ici… la nuit. À cause des animaux… entre autres. Il y a beaucoup d’animaux qui viennent s’abreuver à la rivière…

    – Votre chien, il va faire de drôles de rencontres. Ça oui ! J’ai eu un terre-neuve déjà. Ah ! Les mouffettes ! Et les porcs-épics. C’est dangereux, les porcs-épics, pour les chiens. Un chien, ça attrape tout avec sa gueule, alors il reçoit les piquants dans la gorge et ça peut le tuer ! Mon terre-neuve, il avait réussi à acculer un raton laveur dans un coin du terrain. C’est brave, un raton laveur. Ça ne se sauve pas, ça attaque. Mon chien s’est fait déchirer la lèvre jusqu’ici ! Ah oui ! Le beau Fred. Il est beau, votre chien, vraiment.

    * *

    *

    Lorsque nous revenons vers la maison, je ressens un certain malaise. Cette conversation apparemment anodine me laisse une drôle d’impression. Je n’ai pas tendance à m’énerver facilement, mais je suis quand même un peu inquiète pour Fred, qui n’a aucune expérience de la faune sylvestre.

    – Pierre, on devrait peut-être attacher Fred à l’extérieur, hein ? Tu sais comment il est. Avec son enthousiasme, il risque de se lancer à la rencontre de n’importe quel animal sauvage, croyant que c’est un nouvel ami.

    De

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