Comme deux gouttes d'eau
By Aimée Verret
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About this ebook
Aimée Verret
Née à Montréal, où elle réside toujours, Aimée Verret fait son entrée dans le monde de l’édition en 2009. Réviseuse linguistique, elle est recherchée pour sa connaissance pointue de la langue qui ne sacrifie rien à la musicalité du texte. Elle devient ensuite directrice littéraire, notamment de la collection « La boîte à outils » des Éditions de Mortagne, qui aborde divers sujets d’actualité touchant les enfants, comme le TDA/H, l’anxiété et l’autisme. Au sein de la même maison, elle dirige la série Les Éternels et la reprise du Royaume de Lénacie de Priska Poirier, de même que plusieurs titres de la populaire collection « Tabou ». Parallèlement, Aimée publie quatre recueils de poésie, dont Monstres marins (Del Busso, 2019) et Dans mon garde-robe (La courte échelle, 2021), qui a figuré sur la liste préliminaire du Prix des libraires jeunesse 2022. Elle est aussi très connue pour ses nombreux livres qui s’adressent tant aux enfants du primaire qu’aux adolescents (Déracinée, Éditions de Mortagne, « Tabou », 2022). En 2021, après une résidence de création à la Bibliothèque de Rivière-des-Prairies, elle se joint au Cheval d’août à titre d’éditrice.
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Comme deux gouttes d'eau - Aimée Verret
tout !
Felixe
La Magic 8 Ball a toujours raison !
Samuelle s’énerve en entendant la remarque d’Adèle. On s’est tellement fait dire souvent qu’on est pareilles qu’on n’en peut plus. Mais je connais notre grande sœur : elle fait exprès pour l’agacer. Je connais aussi Samuelle : elle a dû le chercher.
Je ne sais pas comment mes parents ont fait pour nous endurer, toutes les trois, quand on était enfants. Encore aujourd’hui, nous nous chamaillons souvent (à une fréquence et à un volume un peu moins élevés, c’est vrai).
Je me présente : je suis Félixe. Ma sœur a dû vous parler de moi. Et vous vous doutez donc que je suis une blonde de quinze ans aux cheveux raides, moi aussi. Ma mère, mon père, Adèle, mes amies : tout le monde dit que je (nous) suis (sommes) jolie(s). (Bon, je ne mettrai pas des parenthèses partout, vous comprenez le principe !) Je sais que Sam le pense aussi, mais elle n’en fait pas de cas. Son apparence ne compte tout simplement pas parmi les choses qui la préoccupent. Pour ça, j’aimerais être un peu plus comme elle.
Nous étudions pendant une bonne demi-heure (un exploit, en ce qui concerne Sam), puis je pose mes cahiers et m’affale de tout mon long sur son lit en soupirant. Ma jumelle se penche vers moi, un sourcil levé, et me demande :
— Qu’est-ce que t’as à soupirer comme ça ?
J’attends un peu avant de lui fournir une explication, même si j’avoue que j’espérais qu’elle me pose la question.
— C’est juste que… c’est long avant d’avoir la réponse. J’ai hâte de savoir si j’aurai l’emploi au Jardin botanique.
Sam ouvre la bouche, mais Adèle réapparaît auprès de nous et la prend de court :
— Il n’y a qu’un moyen de le savoir !
Puis elle détale sans nous en dire plus.
— Elle nous espionne ou quoi ? s’exclame Sam.
Perplexe, je lui jette un coup d’œil. Est-ce qu’elle est vraiment fâchée parce qu’Adèle a entendu de quoi on parlait ? C’est toujours un peu difficile de savoir à quoi ma jumelle pense. Même pour moi. Tout le monde s’imagine qu’on ressent et qu’on comprend la moindre petite émotion que l’autre vit, mais ce n’est pas notre cas.
Adèle revient peu après, cachant quelque chose derrière son dos.
— Peux-tu me répéter ta question ? me demande-t-elle sur un ton étrangement solennel.
— Euh… Est-ce que je vais travailler au camp de jour du Jardin botanique cet été ?
Adèle brandit un objet et le retourne d’un coup. C’est notre vieille Magic 8 Ball ! Une boule de billard noire qui a « réponse à tout ».
— « Vous pouvez compter là-dessus », lit Adèle. Tu vois ! C’est comme si c’était fait !
Samuelle saute sur ses pieds, déjà prête à célébrer.
— Ah wow ! C’est vraiment le fun ! s’exclame-t-elle.
— T’emballe pas trop vite ! rétorqué-je en souriant. Je dis pas que la boule est pas fiable (Adèle me fait un clin d’œil), mais mettons que c’est pas une confirmation officielle.
— J’étais déjà certaine qu’on allait t’engager, ça fait juste me convaincre encore plus ! insiste ma jumelle. T’es la meilleure, Félixe ! Les enfants vont t’adorer !
On peut dire de Sam qu’elle a parfois un sale caractère, mais elle est toujours derrière moi quand il s’agit de mes projets. Elle est la première à m’encourager, à me pousser à foncer.
J’aimerais vraiment avoir cet emploi au camp de jour, même si mes chances sont minces. C’est la chose que je souhaite le plus au monde en ce moment. Pour gagner de l’argent, bien sûr (je me vois déjà avec une nouvelle garde-robe pour la rentrée en cinquième secondaire), mais c’est surtout que j’ai l’impression de tourner en rond ces temps-ci. J’ai besoin de changement, je pense. J’ai besoin de m’occuper. De faire quelque chose d’utile.
Il y a des camps de jour un peu partout à Montréal, et j’aurais probablement pu être engagée à celui de l’école primaire au coin de ma rue, mais, tant qu’à travailler, j’aimerais que ce soit au Jardin botanique. Ce serait trop le fun ! ! Je sais que ça fait nerd de dire ça, mais j’aime les plantes et je voudrais en apprendre plus sur elles que ce qu’on voit en bio à l’école. J’ai tellement hésité avant de poser ma candidature comme aide-animatrice que je m’y suis prise trop tard. Marie-Claire, la personne en charge des employés du camp, m’a quand même convoquée pour une entrevue après avoir lu ma lettre de motivation. Elle m’a dit qu’elle m’appellerait si quelqu’un se désistait. Elle était très gentille.
Qui sait, quand je serai plus vieille, je pourrais devenir une vraie animatrice et, si je me familiarise bien avec le Jardin, je pourrai même y faire carrière ! Bon, ça y est, je m’emballe. Maman dit que je m’emballe toujours trop. Pas comme Sam ; elle, elle s’excite rapidement pour rien et ça se manifeste physiquement. Elle saute partout si elle est heureuse et, quand elle se fâche, elle casse ce qui a le malheur de se trouver sur son chemin. Mais ça lui passe aussi vite que ça lui vient. Moi, je suis peu démonstrative, mais, quand je souhaite quelque chose, j’y pense sans arrêt. Je deviens tellement obsédée par mon idée que je déprime quand ça ne fonctionne pas. Il faut que je fasse attention. Rêver, oui ; m’illusionner, non.
Sam attrape la boule. Elle regarde le huit et dit à voix haute, le plus sérieusement du monde :
— Est-ce que je marcherai sur la Lune un jour ? (Elle la retourne pour lire la réponse.) « Le sort en est jeté. » Ha ! Ha ! Ça veut tellement rien dire ! Est-ce qu’Adélard gagnera un jour un prix Nobel ? « Faut pas rêver. » Eille, je pense que ça marche pour de vrai, finalement !
Adèle lui tire la langue tandis que je m’empare à mon tour de la boule.
— Est-ce que je vais passer un bel été ?
— Pfff ! siffle Sam. Maudite question plate !
— « Peu probable. » Ah bien, c’est le fun ! Apparemment, je vais avoir mon emploi, mais je vais haïr ça !
— Bah, laisse faire, lance Adèle. La boule a sûrement compris : « Est-ce que je vais ramasser un cell pété. »
— C’est la pire interprétation du monde ! s’esclaffe Sam.
— C’est pas grave, hein ! protesté-je. De toute façon, c’est juste un jeu ! Ha ! Ha ! Ha !
Mais je ris quand même un peu jaune, et ça paraît. Sam avance une théorie :
— Moi, je dis que tu vas tellement aimer ta nouvelle job que tu vas passer tous tes temps libres au Jardin et que tu ne profiteras pas de l’été en tant que tel.
— Peut-être que je vais avoir un accident au travail, suggéré-je.
Je dis ça pour plaisanter, mais mon estomac se noue à cette idée.
— Tu vas te couper un doigt avec un sécateur ! s’emporte ma jumelle.
— Tu vas te faire engloutir par une plante carnivore géante !
Nous rions un bon coup, ça me détend. Adèle se lève et nous demande si on a le goût de se mettre du vernis à ongles. On acquiesce en même temps, Sam et moi, puis on va s’installer toutes les trois dans le salon, devant Un amour fou. (Ah, Ryan Gosling…) On l’a vu au moins cent fois, mais c’est trop difficile de suivre l’intrigue d’un nouveau film en essayant de ne pas dépasser. Il y a aussi la technique « Samuelle », qui consiste à ne pas faire attention et à mettre du vernis à la fois sur l’ongle et partout autour, pour ensuite enlever l’excédent avec une petite ouate et du dissolvant. Moi, j’aime mieux prendre mon temps et réussir du premier coup, même si ça ne change apparemment rien.
C’est seulement au moment d’aller me coucher que je repense aux prédictions de la boule de billard. Qu’est-ce qui pourrait bien m’arriver pour que je n’aime pas mon été, malgré un emploi de rêve ?
Samuelle
Hugo l’écœurant
Je rejoins Félixe devant l’école après l’examen de maths. On n’est pas dans la même classe, mais tous les élèves ont passé l’examen final en même temps.
— Ç’a bien été ? veut-elle savoir.
Je hoche la tête. C’est vrai que ça s’est mieux déroulé que je ne le pensais. Une chance que ma jumelle m’a « forcée » à étudier avec elle hier, finalement. J’étais tellement détendue que j’ai même trouvé ça le fun de pitonner sur ma calculatrice avec mes beaux ongles rouges !
Pas besoin de demander à Félixe si elle a trouvé l’examen facile : elle est super bonne à l’école. Même que monsieur Lambert, le prof de maths, lance encore des jokes plates du genre : « N’envoie pas ta sœur faire le test à ta place, hein, Samuelle ! » Pathétique. À part lui, notre condition de jumelles n’impressionne plus grand monde à la poly, sauf les nouveaux et les première secondaire (mais ça finit par leur passer). Après quatre ans, il était temps que les élèves apprennent à nous différencier !
J’entends souvent dire que ma sœur et moi, on se ressemble comme deux gouttes d’eau. Pas de danger que l’expression soit comme deux marguerites, deux couchers de soleil ou deux étoiles. Eh non ! Deux affaires minuscules et transparentes.
On me dit aussi tout le temps : « Wow, ça doit être le fun d’avoir une jumelle, quelqu’un avec qui tout partager, qui a le même âge que toi, qui te comprend. » Oui, c’est vraiment le fun d’avoir une sœur, oui on partage plein de choses, et peut-être qu’on se comprend plus parce qu’on est du même âge. On peut même revenir de l’école ensemble tous les jours si ça nous chante ! Mais je ne vois pas ce que le fait d’être jumelles nous apporte de si extraordinaire. Certains pensent qu’on a des pouvoirs magiques, le don de télépathie, ou qu’on ne se chicane jamais, mais ce n’est pas vrai. Je m’entends aussi bien avec Adèle qu’avec Félixe. Sauf que je passe mon temps à me faire appeler par son prénom à elle plutôt que par le mien.
En plus, en tant que jumelles, on est victimes de discrimination parentale. Avant, nous partagions la même chambre. Un jour, je me suis révoltée et j’ai décrété que c’était injuste. Pour couper court à ma crise, Félixe a dit que ça ne la dérangeait pas de s’installer dans la chambre d’Adèle. Quand j’y repense, j’ai l’impression que ça lui a fait de la peine que je refuse désormais de dormir avec elle. Je ne voulais pas qu’elle le prenne mal ; dans ma tête, ce n’était pas personnel. Je l’adore, Félixe, mais j’avais besoin d’espace.
C’est comme pour les vacances, cet été. Son emploi au Jardin botanique tomberait pile : mes parents ont loué un chalet dans le Bas-du-Fleuve et, si elle est engagée, elle ne viendra pas avec nous. Elle restera ici avec Adèle, qui travaille comme serveuse dans un restaurant, et j’aurai la place à MOI TOUTE SEULE.
Et puis, si Félixe est prête à rester en ville durant tout l’été alors qu’elle adore la nature, c’est que cet emploi est vraiment important à ses yeux. Vous voyez ? Dans le fond, je ne suis pas aussi égoïste que j’en ai l’air, je veux autant le bonheur de ma jumelle que le mien ! ;-)
Il y a toutefois une autre raison qui fait que je suis pressée de partir loin d’ici : j’ai hâte de ne plus croiser Hugo !
Dire que j’ai tout essayé pour me rapprocher de lui au début de l’année… Ce gars-là m’obsédait. J’y pensais le soir avant de me coucher. Et j’y pensais en ouvrant les yeux le matin, en déjeunant, en dînant et en soupant. Hugo, ce n’était pas le plus beau gars de l’école ni le plus populaire, mais c’est lui qui avait les plus beaux yeux de tous, et de loin. Puis, il était vraiment drôle. Je trouvais que j’avais des chances, parce que je n’avais pas trop de compétition. À part peut-être Félixe, mais elle et moi n’avons pas du tout les mêmes goûts en matière de gars. Ma jumelle est difficile. Je l’entends souvent parler des acteurs et des chanteurs qu’elle trouve de son goût, mais ça arrive très rarement qu’elle a un kick sur un « vrai » gars. Même le nouveau prof à l’école primaire au coin de la rue n’a pas l’air de trop l’intéresser. (Et pourtant il est TELLEMENT hot ! Je me tords le cou dès qu’on passe devant la bâtisse, au cas où je pourrais l’apercevoir. Bon, OK, il est trop vieux pour moi, mais on peut regarder, non ? Je magasine pour Adélard ! Ha ! Ha ! Ha !)
D’habitude, je ne suis pas gênée, et surtout pas du genre à attendre, quand je veux quelque chose. Il faut presque m’attacher sur une chaise ! Pourtant, avec Hugo, j’étais incapable de faire les premiers pas. Ça ne m’était jamais arrivé avant. Heureusement – ou malheureusement –, Hugo a fini par m’aborder. C’était en mars. Je m’en revenais de l’école, toute seule, parce que Félixe était partie sans m’attendre. Imaginez ma surprise quand MON Hugo m’a rattrapée sur le trottoir ! Il m’a demandé si je voulais aller voir un film avec lui durant la fin de semaine. Je capotais : le cinéma, c’est foule officiel, comme premier rendez-vous ! On s’est embrassés pendant le film. On n’a pas pu résister jusqu’à la fin !
Il disait qu’il sortait avec la plus belle fille de la poly, à cause de mes cheveux blonds, de mes yeux bleus et de mes jambes infinies (moi, je les appelle plutôt mes poteaux, mais bon). Il prétendait même que j’étais vraiment plus jolie que Félixe, et je trouvais ça mignon qu’il veuille me plaire, même si ça me paraissait un peu bizarre comme compliment. J’ai été tellement naïve ! Pourquoi ? Parce qu’il ne voulait pas plaire juste à moi.
Comme vous avez dû le remarquer, je n’ai pas le caractère le plus calme et posé qui soit. J’ai donc fait toute une scène devant nos amis à cause d’Hugo et de son penchant pour le « don juanisme ».
On était en éduc. En temps normal, les gars et les filles suivent ce cours séparément, mais à la même période. Cette fois-là, nos profs avaient décidé de nous amener dehors, dans le grand parc en face de l’école, pour qu’on joue au baseball tous ensemble. Les gars couraient autour du terrain pour se réchauffer. Chloé, Fatima, Audrey – mes meilleures amies – et moi, nous nous lancions la balle à quatre. Deux autres filles du groupe, Annette et Jarianne (c’est rare que je dis ça, mais, elle, son nom est encore pire que le mien ! !), ne participaient pas. Elles parlaient. Tout en me regardant bizarrement. J’avais le goût de leur tirer la langue, sauf que, pour une fois, je me suis retenue et j’ai agi comme si de rien n’était. C’est là qu’Annette m’a fait signe de les rejoindre.
— Sam, on sait pas trop comment te dire ça…, a-t-elle commencé. On pense que t’as un petit problème.
J’ai pris deux secondes avant de répondre, cherchant ce à quoi elles pouvaient bien faire référence. Aucune idée.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Bien, c’est juste que… Hugo arrête pas de faire des avances à Jarianne.
— Il me texte tous les jours, puis, des fois, il passe devant ma maison à vélo pour me voir, a dit la principale intéressée en rougissant. Je lui ai dit d’arrêter, mais il continue. Je sais que c’est ton chum. Je te jure que c’est pas allé plus loin, nous deux, a-t-elle ajouté précipitamment.
J’étais tellement enragée que je suis restée bouche bée. Je n’étais pas vraiment fâchée contre Jarianne ; plutôt contre moi. Ça faisait un bout de temps que je me doutais de quelque