Chaperon Roux au pays des loups spirituels
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Chaperon Roux au pays des loups spirituels - Dotrice Pierrette
Pierrette
Introduction
Quand je serai grande…
je serai moi !
Il était une fois…
Une petite fille à la houppette rousse, très sage et gazouillante née dans une des nombreuses familles dysfonctionnelles que compte notre époque.
Comme ses semblables, cette petite fille était née avec un « potentiel de départ » : un don pour le dessin, la poésie et une oreille plutôt musicale. Quand elle ne griffonnait pas de petits personnages sur tout ce qui lui tombait sous la main — ou à défaut sur les murs — elle laissait courir ses doigts potelés sur le piano familial… en prenant soin d’enfoncer la pédale.
Vers dix ans, cette délicieuse petite fille devint mystérieusement imbuvable : on l’avait mise au solfège, où, à coups de fa et de bémols, on la dégoûta tout à fait du piano. Les voisins poussèrent un « ouf » de soulagement.
Au cours de dessin, la maîtresse décréta que ses gribouillis n’étaient pas dans la Norme, et la fillette arrêta de dessiner. Elle se vengea plus tard en faisant des caricatures très méchantes.
À treize ans, la petite fille était devenu un modèle de conformisme à l’école, de rébellion à la maison : elle affublait sa maman et son papa de noms d’oiseaux et passait son temps à mentir et à chaparder.
À quinze ans, plus révoltée que jamais, elle s’offrit une belle anorexie, qui poussa au désespoir son entourage.
À dix-huit ans, gavée jusqu’aux dents de formules mathématiques et de dates historiques, la petite fille était devenue une demoiselle fade, insipide, rongée à son insu par la colère et avide de revanche.
Comme rien ne l’intéressait sur le marché de l’emploi, son papa la colla dans une école d’hôtesses où elle devint, après deux ans, une parfaite potiche répondant sur commande… mais tellement malhabile qu’elle passait pour une dinde, et en rougissait de confusion.
À 21 ans, cette demoiselle complètement refoulée rencontra un Pygmalion aussi perturbé qu’elle, qui, inconscient du ravage, se fit une joie de la former à son image. Gonflant son plumage, ignorant son babillage, il lui tint à peu près ce langage :
« Pour devenir quelqu’un (*), il te faut un diplôme universitaire… avec un graduat, tu seras toujours une tarte ». Le discours fut porteur, et quatre ans plus tard la demoiselle brandissait fièrement une licence en traduction sous le nez de son Pygmalion, qui lui offrit du champagne pour l’occasion.
Toujours aussi désorientée (elle détestait la traduction), la demoiselle fut engagée au Ministère, où elle eut le choix entre deux activités : tricoter ou casser du sucre sur les collègues. Nullement douée pour ces hobbies ministériels, elle préféra dévorer des livres « Nouvel Age », qui lui remirent au moins la tête à l’endroit.
À 32 ans, bien réveillée cette fois, la jeune femme regarda autour d’elle avec effarement ; une indiscible colère la saisit , et, poussée par son inconscient, elle se fit renvoyer sur le champ. Sa soif de vivre perturbait le sommeil de ses semblables. Le réveil fut brutal, mais salutaire.
Arborant insolemment sa houppette rousse — vestige de l’enfance-, la rescapée trouva enfin sa Voie. Étape première : révéler les potentialités affectives et créatives de ses semblables, à l’aide — entre autres — du Tarot de Marseille dont elle avait découvert les merveilles au Ministère.
Parmi ses premiers consultants : celui qui devint — un temps — son Prince Charmant.
Trop amoureux et fusionnant ; car, sitôt venu l’« enfant », il le rejeta passionnément.
Et pour cause : Passerelles était la raison d’être de la maman.
Alchimiste, Passerelles nous avait appris cette leçon :
Plus forte que tout, notre raison d’être nous guide vers un futur créatif et exaltant. L’amour consiste à laisser chacun suivre sa route… qui peut — au mieux — être parallèle à la nôtre.
Ceci est le début d’une autre belle histoire, celle de Passerelles, que je vous raconte en ces pages.
Pierrette.
(*) L’erreur fondamentale de nos éducations consiste à nous « faire devenir quelqu’un », alors que chacun devrait plutôt « devenir lui-même » et ressembler à ce qu’il est profondément.
La vague « Nouvel Age »
Comme tous ceux qui connaissent l’« expérience d’éveil », j’étais touchée par le « virus de transmission ». C’est-à-dire qu’il fallait, urgemment, colporter la nouvelle : « Mes frères, mes sœurs, nous sommes à l’aube d’un monde meilleur. Changeons-nous… et le monde changera ! » Et, pourquoi pas, d’un claquement de doigt.
Tout est possible dans le Nouvel Age, ou l’« Ere du Verseau ».
À ce moment-là, dans la hâte de vivre à l’endroit, on ignore que l’éveil dure, en réalité, toute la vie. Et que les stages de « développement personnel » qui transforment en un week-end grèvent, parfois, sérieusement notre budget, pour une métamorphose qui ne s’achète jamais.
Oui, les stages et ouvrages New Age font rage.
Ils éveillent… ou ils détruisent. Car, au début, on distingue mal le New Age du nouillage (mais ça vient avec l’âge).
* * * * * * * * * *
Ainsi, en 1992, ma vision du monde se modifia. De rouge et noir, mon univers devint multicolore. Au désespoir, aujourd’hui, je préfère l’espoir.
Surtout, à mon existence sans but se révéla, un jour et dans tout son éclat, ma raison d’être. Ce jour-là, je fus rescapée : pour la vie.
* * * * * * * * * *
Trois livres me tirèrent du coma, ou du manque à être ouaté, nauséeux, dans lequel je baignais depuis vingt ans. Trois recueils New Age qui parlaient, justement, de raison d’être. Et qui m’enseignèrent sans doute la plus grande vérité qu’en des centaines d’ouvrages je pus trouver : « Chacun d’entre nous, fût-il blanc ou bronzé, riche ou pauvre, jeune ou vieux, sain ou malade, a le droit de naître, de vivre, de se réaliser. Avec, pour capital de base, le talent que les fées lui ont donné. »
Dieu merci, en trois semaines j’accomplis ce qui, jamais, ne germa en 20 ans d’écoles et de « thérapies ». Je me donnai, seule, le droit à naître — et à être-, cloîtrée dans mon studio d’infortunes et de galères.
Au terme de cette régression, je savais pourquoi j’étais venue au monde.
Je connaissais, en diagonale mais sans douter, ma carte d’identité.
Avant d’aller plus loin, plus profondément dans mon intérieur pour extraire les séquelles d’un passé douloureux et éventré, j’étais sûre, en cet instant unique, d’enfin me ressembler.
* * * * * * * * * *
« Plus jamais », me dis-je dès lors, « je n’accepterai le compromis ».
Par respect de moi, par respect d’autrui, je ne pouvais plus mentir.
J’étais redevenue, pour toujours, la petite fille qui ne mentait jamais.
Qui, jusqu’à douze ans, parlait haut, et disait vrai.
* * * * * * * * * *
La magie de l’enfance
Je suis née au Zaïre, en pleine guerre d’indépendance, par une nuit d’orage.
« Votre fille a les cheveux rouges » annonça, comme un présage, l’infirmière — zaïroise — à mes parents désemparés. Poil de Carotte et le diable, c’est connu, sont associés.
« Tu es une concentration d’éclairs », me rappelle volontiers mon entourage.
C’est ainsi : ce 11 février 1960, Uranus avait frappé.
Verseau ascendant Scorpion, je suis, dit-on, « parrainée » par Uranus et Pluton.
J’en ai pris mon parti : je choque, tant à l’oral qu’à l’écrit. Seulement, sur papier, les mots sont plus digestes. Et provoquent, par ricochet, des réactions vraies.
Car, depuis ma naissance, j’ai le coup de foudre pour la transparence.
* * * * * * * * * *
Mon souvenir le plus lointain remonte à mes deux ans.
Sur les genoux de ma marraine, je sirotais, entre deux soupirs d’aise, un biberon de jus d’orange. Je me pâmais de ce nectar sur mon palais.
Le plaisir fut, immanquablement, un moteur important de mon existence.
Petite, je suçais, bruyamment, tous les bonbons que je trouvais ; ainsi, on savait toujours où j’étais. Comme le bonhomme en carton-pâte du Meli qui avale les papiers, j’ouvrais la bouche et je disais : « Par ici les gougouilles ! »
J’adorais qu’on me gratte le dos, qu’on me peigne les cheveux, qu’on me chatouille les pieds. Très tôt, mes six sens furent en éveil.
* * * * * * * * * *
Intuitive, j’accueillais la magie qui, pour moi, faisait partie du quotidien.
Petite fille sauvage, enfermée dans ma chambre, je jouais en solitaire.
Je m’inventais des histoires ; d’autres étaient vraies. Les poupées russes, surtout, me fascinaient, découvrant un monde étrange fait de perspectives toujours plus « englobantes », ouvrant sur l’infini.
Les loups, déjà, peuplaient mon univers.
* * * * * * * * * *
À la maison, trônait une série de statuettes zaïroises que je soupçonne d’être liées, d’une certaine façon, aux drames familiaux, nombreux et traumatisants, dont j’ai été gavée pendant ma jeunesse.
Ainsi, à cinq ans, j’observais avec fascination un petit bonhomme noir — guerrier africain — qui, narquois, se mit à bouger sous mon nez. « Coucou ! » me fit-il, comme enchanté. Toute contente, je courus chez maman lui dire la bonne nouvelle : « Que tu es bête ! » me répondit-elle. « Comment veux-tu qu’une statuette ait la bougeotte ? »
Je refoulai, dès lors, mon sixième sens.
* * * * * * * * * *
À dix ans, je lisais goulûment, et avec volupté. Je vivais avec Fantômette, le Club des Cinq et Bennett, des bibliothèques roses et vertes. Je triais, je classais, j’enseignais à d’hypothétiques « élèves » que j’abritais frileusement dans des maisons en legos, pour les préserver des « grands méchants loups ». Je bricolais en solitaire, silencieusement. Je préparais d’infâmes bouillies — mixant pêle mêle dans deux bols le contenu du frigo — pour « nourrir » mes parents. Je collectionnais, amoureusement, des images et des coquillages. Je réparais, astucieusement, les poupées cassées du voisinage. Je jouais d’oreille des airs populaires au piano. Guerrière, je défendais les chiens maltraités et les personnes âgées. J’écoutais, passionnément, les histoires d’OVNI. J’écrivais des poèmes que les enfants, à l’école, recopiaient sous la dictée de la maîtresse dans leurs cahiers. Je crayonnais, à toute vitesse, des bandes dessinées. J’imposais des jeux hardis à mes amis séduits. Je magnétisais mes peluches, atteintes des maux les plus divers. À la mer, je pilotais hardiment — au pif — des bateaux loués en cachette, bravant du haut de mes dix ans les navires croisant ma trajectoire. Enfant, je savourais la vie, dans tous ses états.
« Vous verrez », disais-je avec aplomb au tout venant. « Un jour, je construirai quelque chose de grand ». Irascible, je ne tolérais pas qu’on me contredise. Souvent seule, plutôt gaie, j’étais une petite fille audacieuse et créative.
* * * * * * * * * *
« Surtout, laissez-la faire ses expériences » disait le médecin de famille à Maman. « Votre fille butera contre des réverbères, mais elle le veut ainsi. »
Le médecin avait compris.
Pas l’Ecole, qui me broya.
* * * * * * * * * *
Enfant, j’étais gaie, franche, aventurière. À quatorze ans, je devins une épave boutonneuse, morose, sans caractère. Vaincue par les bétonneuses d’une « éducation » meurtrière. Qui récompensait, par de beaux points, le port d’« œillères ».
Que se passa-t-il à l’école secondaire ?
En deux mots et en deux ans, je fus niée dans ma raison d’être.
Soudain, je dessinais mal, je chantais faux, j’écrivais « non conforme ».
« Médiocre, peut mieux faire » disaient mes bulletins.
La loi du moindre effort — ou de la résistance passive — était devenue la mienne.
* * * * * * * * * *
Je ratai l’examen de maturité : pour moi, celle-ci avait, sans doute, un autre sens. Je n’ai jamais été mûre, en fait, pour jouer un rôle.
Je choisis l’anesthésie : ainsi, durant vingt ans, je m’enfermai dans ma coquille. J’obtins néanmoins de beaux diplômes, surprenant l’entourage, qui me croyait assoupie. Il est vrai