Le Soleil de Cristal

— « Nous sommes ravis de l'entente cordiale qui existe entre nos deux royaumes : Notre mirifique Atlantide, et Khemet, la Grande Égypte que tu représentes. Tu ne voudrais pas l'assombrir inconsidérément, général ? Et qu'en diraient tes supérieurs hiérarchiques par delà l'Atlantique ? N'est-ce pas afin de resserrer les liens fraternels qui unissent nos peuples que Pharaon vous a envoyés en mission officielle parmi nous ? Tu voudrais tout remettre en question pour un petit différend ? »

C'est avec une extrême gravité que ces mots sortirent de la bouche de l'illustre Grand Sage de l'Assemblée Atlante. Il s'adressait au Général Makonnen. Il n'y avait d'ailleurs aucune équivoque possible, car le généralissime faisait face à l'assemblée seul. Il n'était, heureusement, pas d'une nature impressionnable.

Makonnen était la fleur de l'armée égyptienne, il s'était illustré lors de nombreuses glorieuses batailles, et sa réputation avait franchi l'océan. Il n'avait guère envie de diriger cette mission diplomatique, mais Pharaon avait tant insisté qu'il n'avait littéralement pas pu refuser. S'il avait eu le choix, il serait sans aucun doute remonté au front contre les Perses à qui il vouait une haine parfaite. Il avait digéré cette contrariété et commençait même à trouver quelque charme à ce royaume, sentiment qui s’évanouit aussitôt quand il découvrit qu'ils tentaient de manipuler les intempéries pour faire pleuvoir ou pas à leur guise, et que leur dernière tentative s'était soldée par un échec cuisant qui avait conduit à la formation d'un ouragan de nature inconnue. De nombreux villages côtiers avaient été rayés de la carte ainsi qu'une grande agglomération. Un véritable exode menait les rescapés vers la capitale de l'empire.

Les Atlantes étaient si imbus de leur technologie qu'ils semblaient avoir atteint le paroxysme de l'orgueil : se prendre pour Dieu, auquel ils ne croyaient d'ailleurs pas. Des images de destruction éventuelle s'entrechoquaient dans la tête du Général égyptien pendant qu'il contemplait les soi-disant sages, profondément écoeuré par leur suffisance.

— « Un petit différend, dites-vous ? », répliqua-t-il, « personne chez nous en Égypte ne se serait aventuré à défier la nature, notre mère nourricière. », rétorqua le maître d'armes avec un aplomb propre aux grands officiers, mais qui pouvait s'apparenter facilement à de la condescendance.

Il lui fallut beaucoup de pragmatisme pour museler ses émotions et se focaliser sur son devoir d'officier, mais il avait finalement pris sa décision, et se devait d'en informer ses hôtes. Il reprit donc la parole :

— « Je vous avais exhorté à abandonner ce projet. Vous m'aviez garanti que votre honorable assemblée, le parlement des sages, y veillerait personnellement. Et voilà que cette invention démoniaque a déclenché une tempête des plus destructrices qui n’aient jamais été donné de contempler à l'oeuvre si on en croit le récit de vos concitoyens. Vous n'êtes pourtant pas sans savoir que depuis hier, des réfugiés affluent en masse, traumatisés à jamais pour la plupart. Tous racontent comment votre riche et orgueilleuse province de Mu a été engloutie. Voilà que cette tourmente arrive bientôt aux portes de la Cité qui fait votre orgueil, la perle de votre civilisation. Que vous faut-il encore pour réagir ? Il est temps de brûler vos illusions ! Vous avez franchi la ligne qui sépare le génie de la folie et libéré des forces qui nous dépassent tous. Vous qui en avez le pouvoir, ordonnez donc qu'on arrête cette maudite machine ! »

Le Général était habitué à faire vibrer les foules voix de sa voix puissante. En résonnant dans l'hémicycle, elle amplifiait le caractère audacieux de son intervention. Après tout Makonnen n'était pas chez lui. Pouvait-il décemment aller plus loin sans que cela apparaisse comme un affront ?

C'était déjà trop pour certains. Une clameur malveillante s'éleva et Makonnen fut ouvertement hué par une partie de l'hémicycle. Un des agitateurs se dressa avec solennité.

— « Nos savants contrôlent la situation, général Makonnen. Ils sont formés pour gérer ce genre de problèmes. Je comprends que vous soyez quelque peu dérouté par notre technologie, mais nous avons foi en nos scientifiques. Nous ne perdons pas de temps comme vous à invoquer un dieu qui brille uniquement par son absence. Dois-je de plus vous rappeler que vous êtes notre invité ? »

Rien ne semblait troubler le regard hautain du vénérable sage du conseil, pas même les cris déchirants au dehors de citoyens frappés par l'angoisse de tout perdre en une nuit.

Makonnen reprit la parole devant l'assemblée des « sages » tout en tentant de dissimuler son aversion naturelle pour les politiciens. Lui, le Généralissime mandaté par Pharaon n'entendait pas se laisser intimider par une poignée de planqués, même s'il reconnaissait une certaine majesté à ces lieux.

— « Depuis que vous avez déclenché cette machine infernale, la terre proteste et la mer est furieuse. Vous êtes allés bien trop loin, s'il vous reste une étincelle de bon sens, de grâce, reprenez-vous, arrêtez l'expérience avant que se produise l'irréparable. Il serait également sage de procéder à une évacuation préventive. »

Le silence consensuel du grand sage et de ses confrères et consoeur se révéla éloquent. Par-ci, par-là, des rires moqueurs se faisaient entendre. Le général égyptien comprit alors que sa requête ne trouverait aucun écho favorable.

Alors que la panique, le chaos et l'anarchie s'emparaient progressivement des rues de la Cité merveilleuse, les sages du Grand Conseil persistaient à faire preuve d'un flegme étonnant.

Makonnen cherchait une oreille attentive, susceptible d'influencer les autres. En vain.

— « Ce n'est pas un étranger qui nous dira quoi faire chez nous, fût-il un illustre général ! », lança un notable de l'assemblée, réputé pour sa xénophobie. » Cette cité est insubmersible, inébranlable. Elle est le fruit du génie inégalé de notre peuple. Mais peut-être es-tu de nature quelque peu craintive, égyptienne ? »

— « Au nom de l'amitié séculaire entre nos deux peuples, je ne te ferai pas ravaler ces paroles. », répondit-il, « Pharaon m’a confié cette délégation, et je ne fuirai pas mes responsabilités. Nous quittons la cité pour rejoindre notre ambassade dans les montagnes de Gondwana. S'il vous reste un brin de lucidité, vous ferez évacuer la population vers les hauts plateaux. Puisse Amon-Râ avoir pitié de vous ! »

Ce furent les derniers mots du Haut Général Makonnen devant le Grand Conseil. Il remit son casque d'un geste majestueux, puis quitta avec empressement la salle du Conseil pour y rejoindre sa garde rapprochée qui pour des raisons protocolaires n'avait pas été autorisée à le suivre à l'intérieur. Ils s'empressèrent de rejoindre leurs quartiers afin d'organiser le grand départ. La délégation égyptienne comptait une trentaine de commerçants, autant d'ingénieurs, une dizaine de scribes et vingt soldats. Makonnen demanda à son second de ratisser une dernière fois leurs appartements afin de s'assurer que personne n'avait été oublié. Il vérifia personnellement que les réserves en eau potable et vivres étaient bien conditionnées puis fit signe à tout le monde.

— « Il est bien trop tard pour prendre la mer. C'est pourquoi j'ai décidé que nous rejoindrions la porte des Anciens par delà les hautes plaines de Gondwana. Nous devrions y être à l'abri des intempéries. Quittons sans tarder cet endroit. »

Cet édifice était la seule construction égyptienne en royaume atlante. Nichée dans la gueule d'un volcan, son existence n'était connue que des hautes autorités locales, car la population ne voyait pas toujours d'un bon oeil la présence d'infrastructures étrangères. Elle avait été bâtie par l'administration locale à la demande des Égyptiens en tant qu'outil diplomatique pour pouvoir communiquer avec pharaon en cas de crise majeure ou d'urgence. Le site de Pount avait été choisi pour son caractère montagneux et désertique, en effet, une région immense faite de plaines à perte de vue le séparait de la Cité. Pas de puits, pas de mines, pas de scierie. Cette gigantesque chaine de montagnes avait échappé comme par miracle à la frénésie « mécanisatrice » indigène.

La marche fut éreintante et particulièrement plus éprouvante pour les femmes de la délégation qui n'étaient évidemment pas formées à marcher en cadence. Makonnen était conscient qu'il leur était pénible de soutenir un tel rythme, mais il tenait à arriver à Pount avant la tombée de la nuit. De temps en temps, les hommes les plus robustes portaient celles qui n'en pouvaient plus et c'est ainsi qu'ils franchirent en quelques heures les hauts plateaux. La longue ascension vers les sommets commença alors, ainsi qu'une pluie diluvienne qui semblait surgir de nulle part. En quelques secondes, le ciel s'assombrit à perte de vue. Des vents violents soufflant en rafale surgirent. Les Égyptiens avaient appris à connaître les tempêtes au contact des marchands phéniciens qui étaient réputés pour être de grands marins. Néanmoins, les plus aguerris de la délégation, dont le général lui-même, reconnurent n'avoir jamais connu un ouragan semblable à celui qui arrivait vers eux.

— « Je ne veux pas mourir ici, je veux voir le soleil se lever sur le Nil d'abord ! », hurla un diplomate qui faisait pourtant partie des plus réticents à l'évacuation.

Ce changement brusque de climat était si déstabilisant que le courage de certains commençait à vaciller devant le fascinant spectacle. Des éclairs comme ils n'en avaient jamais vu apparurent. Ils se livraient à un étrange et terrifiant ballet entre ciel et terre. Voyant la plupart des siens tétanisés, makonnen cria vers eux :

— « Pensez à notre tendre Égypte, courage, vous tous, et grimpons ! Force, paix et vie ! », criait le général pour tenter de galvaniser les troupes, bien décidé à ramener tout le monde sain et sauf.

Ce ne fut pas sans peine, mais ils arrivèrent