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Les cuvettes du diable
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Les cuvettes du diable

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About this ebook

Après une veillée funèbre, quand ils se séparèrent en pleine nuit, dans un état voisin de l’ivresse, les deux amis d’enfance pouvaient-ils s’imaginer que dans un proche avenir, ils se retrouveraient les armes à la main dans une série de conflits sur le sol de la lointaine Europe ? Sur les territoires coloniaux encore plus éloignés de l’Asie ? Le sympathique Pedro connaîtra, dans une série d’aventures enrichissantes, les plaisirs de l’amitié, le bruit d’enfer des canons, la vision apocalyptique des cadavres humains et métalliques jonchant les montagnes et les plateaux déchiquetés, la liesse des troupes victorieuses, l’humiliation des vaincus. Survivant des guerres coloniales, trouvera-t-il enfin le bonheur dans un monde réconcilié ?

LanguageFrançais
PublisherGuy Miolard
Release dateMar 7, 2017
ISBN9781370625192
Les cuvettes du diable
Author

Guy Miolard

Né à Capesterre Belle-Eau le 23 octobre 1941, il fit ses études au Collège de sa commune et entra à l'Ecole Normale. Après des études supérieures, il devint professeur de Mathématiques. Parallèlement, il entama une carrière poétique et obtint de nombreux prix, notamment aux Jeux Floraux où on lui décerna l'Hibiscus d'Or. Il fut ensuite nommé Maître es Jeux. Il reçut également le premier prix de la Société des Artistes de France ( section des Antilles).

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    Les cuvettes du diable - Guy Miolard

    L’embuscade

    — La fatigue commence à se faire sentir, prononça doucement Anton, la langue un peu alourdie. Il est temps d’aller alimenter nos moustiques et nos punaises car je m’endors difficilement à la lumière du jour.

    Pour des raisons familiales, il était nécessaire aux yeux de chacun des deux amis de regagner ses pénates avant le lever du soleil. Après un dernier regard sur ce qui ressemblait à un minuscule champ de bataille, un dernier salut au cercueil, ils firent la ferme promesse à la sœur du défunt d’être présents aux obsèques de l’après-midi malgré la fatigue. Anton, comme il se plaisait à le répéter à chacune des occasions ne buvait pas ses esprits et savait indispensable la présence de gros bras pour le transport du cercueil.

    Ils abordèrent la route du retour par une partie commune. Leur marche était assez amusante pour un observateur nocturne, sobre, absent de la veillée. Essayant en vain de fixer le cap sur l’axe de la route, ils avançaient tels deux navires de dimensions et de voilures inégales luttant contre des vents contraires. A chaque rafale, les hautes herbes des accotements ou quelque monticule leur rappelaient qu’ils quittaient (c’était le cas de le dire) le droit chemin. Les tangages du plus gros bâtiment semblaient indiquer qu’il subissait l’assaut des plus fortes turbulences venues de l’intérieur même du poste de pilotage.

    Après maints zigzags qui ont considérablement allongé leur trajet, à la manière des méandres des fleuves arrivés dans la plaine, il fallut se séparer car la portion de route commune s’achevait à un petit carrefour de trois chemins. Leur lucidité approximative n’était pas favorable à des au revoir démesurés. La maison d’Anton se situait à quelques centaines de mètres et Pédro devait encore parcourir près d’un kilomètre à travers les champs et les bois par des sentiers directs mais fortement inclinés et peu fréquentés surtout en cette période de fermeture de la chasse et à cette heure tardive.

    — Le premier qui reprend ses esprits viendra réveiller l’autre, essaya d’articuler avec difficulté Anton.

    Craignant l’accueil de sa compagne, Pédro déclina en souriant l’offre d’Anton de se reposer quelques heures chez lui au moins jusqu’à la proche aurore et reprit sa route, après un bref salut amical de la main, sans se retourner, précédé allégrement de Bismarck qui lui n’avait rien bu de toute la soirée. Il pressa le pas car la nuit était déjà très avancée et l’air frais de la montagne soufflant de façon modérée allié aux sons de l’orchestre sylvestre constitué par les oiseaux et les insectes nocturnes, avait sur l’alcool un effet bénéfique. Il tentait de suivre le train de Bismarck qui le précédait, frétillant de la queue, d’une dizaine de mètres, quand il vit celui-ci ralentir, s’arrêter progressivement en émettant des aboiements aigus à l’intensité inhabituelle qui indiquaient plutôt la présence d’un ennemi invisible que celle d’une proie ou d’une simple présence animale étrangère.

    Seules les légendes parlent de combats de héros contre un adversaire sans visage. Pour une fois ce fut Bismarck qui dévala les sentiers à la suite de son maître alors qu’un coup de feu venait de retentir dans la nuit claire. Après une course effrénée de quelques centaines de mètres, Pédro stoppa net, se dissimula derrière un épais buisson et attendit, les sens en éveil un éventuel poursuivant qui ne vint point. Chasseur émérite, fils de chasseur lui-même, Pédro connaissait les moindres pierres, le moindre buisson de la région et l’instinct de conservation, après un rapide examen de la situation lui recommanda d’attendre le lever du jour. Il fit donc demi-tour vers la grotte de Kacré bien connue des voyageurs à pieds de l’époque mais inexplorée à cause de l’exiguïté de son entrée qui nécessitait un aplatissement du corps et surtout de l’existence légendaire d’un mystérieux lapin blanc qui hantait ces lieux et qui brillait de mille feux au milieu des nuits sans lune.

    Avec ses armes, il pouvait tenir entre ses mains la vie de plusieurs assaillants; mais elles dormaient dans leur étui et leur tiroir attendant l’ouverture de la chasse .La menace de la mort était plus précise que celle d’un hypothétique spectre d’animal inoffensif. Il s’installa, l’œil aux aguets, à l’entrée aplatie de la grotte, en alerte perpétuelle malgré la fatigue mais peu inquiet : l’embuscade grossière trahissait des débutants ou des lâches qui avaient dû s’enfuir en sens inverse une fois leur attaque avortée. Ses oreilles exercées avaient distingué deux salves presque simultanées, ce qui expliquait la présence d’au moins deux tireurs. Il n’avait entendu aucun bruit de poursuite et Bismarck ne manifestait le moindre signe d’inquiétude, ce qui constituait pour lui un détail rassurant. D’ailleurs, ses agresseurs avaient-ils le courage nécessaire pour soumettre à vérification le succès ou l’échec de leur entreprise criminelle ? Peut-être le croyaient-ils aussi en possession d’une arme ?

    Le jour se leva enfin sur les champs de cannes indifférents, traversés par la petite rivière de Kacré qui servait de déversoir à l’usine de Marquisat. Les voix lointaines des travailleurs et le bruit des machines le rassurèrent et dans son épuisement physique et mental, il pensa à l’aimable proposition d’Anton qui lui offrit une hospitalité spontanée. Une telle menace valait bien les mauvais regards d’une épouse en légitime fureur car il lui semblait peu probable qu’Anton, dans l’état où il l’avait laissé, puisse l’accueillir en personne sur le seuil de sa maison.

    Sa surprise fut totale. Le colosse ronflait dans un pliant déformé par sa masse, unique meuble d’une maison apparemment cambriolée par une équipe nombreuse et expérimentée. Sur le plancher, quelques vêtements froissés et une paire de chaussures renversées semblaient être lancés rageusement par des mains vengeresses. Il fit le tour de la petite case de bois posée sur des pierres et quelques blocs de maçonnerie, cherchant en vain quelque indice pour résoudre ce mystère qui n’avait pas altéré la fatigue et le sommeil d’Anton au point de l’obliger à s’endormir dans cette position inhabituelle et inconfortable. Aucune autre présence humaine, aucune trace d’effraction, aucun indice permettant de conclure à une quelconque empoignade ou à quelque altercation : Pédro demeura quelques minutes, pensif, devant cette paisible maisonnette traversée maintenant de courants d’air frais.

    Il se fit un maigre matelas du linge abandonné et son trop léger sommeil fut peuplé de rêves étranges ininterrompus. Dans l’un, il avançait péniblement sur une route noire et engluée de goudron, bordée d’arbres géants qui portaient de gigantesques fruits de pierre suspendus, telles des épées de Damoclès, à des tiges filiformes ; à chaque hurlement surhumain et lointain, venant de la nuit opaque environnante, d’énormes galets de formes géométriques variées, tombaient près de lui et s’immobilisaient sans rebond et sans bruit. Dans un autre, il se battait victorieusement contre un adversaire plus fort que lui qu’il propulsait avec aisance dans les airs ; finalement, quoique surarmé de flèches, de dagues et d’une rapière, il s’enfuyait devant un mousquetaire du roi qui ne brandissait qu’un gourdin. En pleine somnolence, il émit la promesse de s’adresser à sa tante Lydia qui, tout en se défendant d’être oniromancienne lui donnait toujours une interprétation claire de ses songes.

    A chaque souvenir de cette chère tante, il se rappelait un détail inoubliable d’une partie dramatique de son existence : par une nuit fraîche de février, il vit en songe son grand frère défunt qui le conduisit sur une terrasse où se berçait son père décédé depuis sa tendre enfance ; il en fit la relation à sa tante qui lui demanda immédiatement :

    — T’a-t-il apporté des chaussures ?

    — Non.

    — Alors, cela signifie qu’un de tes proches parents ira les rejoindre. »

    Le lendemain, sa mère lui annonça en sanglotant que son grand frère avait été terrassé par un mal mystérieux.

    Troublante coïncidence, son assoupissement cessa quand s’éteignirent les derniers ronflements d’Anton. Les deux camarades se fixèrent quelques secondes puis chacun frotta son œil droit de sa main droite, enfin les deux paupières des deux mains ; ils essayèrent alors de se repérer dans le temps et dans l’espace, les esprits encore sous l’effet de la fatigue et des nombreux petits verres de rhum ingurgités dans la veillée funèbre.

    — Que s’est-il passé ?

    — J’allais te le demander.

    Chacune de ces deux phrases aurait pu être prononcée par n’importe lequel des deux amis; mais Anton avait l’avantage d’être chez lui. Nous connaissons déjà la mésaventure de Pédro.

    Après leur séparation à la croisée des chemins, Anton avait continué sa route titubante, un peu moins sinueuse à mesure qu’il progressait vers son toit de tôle ondulée, vers son orageuse concubine, tout en cherchant en vain dans ses pensées incertaines des excuses nouvelles pour ses rentrées tardives et toujours arrosées. Malgré son état d’ébriété, il devinait que l’excuse de la veillée, pourtant valable, ne recevrait aucun écho favorable parce que trop souvent utilisée. L’absence inaccoutumée de tout rayon lumineux filtrant par les jointures imparfaites des planches et de la toiture l’étonna et le dégrisa un peu plus que le vent frais de la nuit déclinante.

    Il commença par heurter la porte avec un doigt, puis deux ; après le sixième essai, il se servit de son poing d’abord discrètement, ensuite crescendo jusqu’à la brutalité. Nul écho sinon celui de son propre tapage. Il passa de la porte d’entrée à la fenêtre de la chambre : même scénario, même silence. Il fit alors le tour de la maison comme Pédro quelques instants plus tard : aucun bruit n’altérait le silence déjà existant. Il était quatre heures du matin et ses forces commençaient à l’abandonner ; ses muscles, si aguerris, si réputés pour leur endurance et leur intensité physiques étaient impuissants devant la fermeture inexorable de ses paupières.

    Dans un ultime effort de lucidité (il voulait s’allonger sous les arbres), il s’aperçut que la clé était sur la porte, presque invisible, sous un angle difficile surtout pour ses yeux fatigués. Cela lui sembla extraordinaire mais sans s’interroger outre mesure, il pénétra doucement dans la première pièce, cherchant dans l’obscurité presque totale, avec ses bras, dans le but de les éviter, la table et les chaises du salon qui devraient normalement se dresser sur son passage. A sa grande surprise, aucun meuble ne gêna son cheminement vers la chambre. Pour adoucir le bruit de ses pas, il avait enlevé ses chaussures ; mais il n’avait point senti le contact de ses pieds avec le tapis glacé de linoléum. Là, comme ailleurs, pas le moindre contact avec la petite table de nuit ou le lit acheté un mois auparavant. C’est en sortant enfin son briquet de sa poche qu’il se rendit à l’évidence : la maison était dégarnie et dépeuplée.

    — Alors, dit-il, faisant à Pédro la narration de ses misères, j’allais m’étendre ou plutôt m’affaler dans un coin sur le plancher quand je heurtai violemment ce vieux pliant rendu infirme par les mauvais traitements que je lui ai fait subir et que je devais jeter depuis longtemps ; il me parut alors un don du Ciel. Je m’endormis immédiatement, remettant à plus tard les réflexions sur les problèmes et les responsabilités des couples unis en apparence.

    Pour des oreilles étrangères, l’aventure était singulière et amusante. Les deux amis se serrèrent la main puis sourirent et même plaisantèrent dans les premières minutes. Depuis quelques mois, Anton avait bien observé de profonds changements chez sa compagne. Néanmoins, à la manière des matelots pendant l’escale, il continuait à tirer ses bordées irrégulières. Comme tous ceux que les antillais sobres désignent par le vocable imagé de « boissonneurs », après ses beuveries et la sensation désagréable d’avoir le lendemain à la bouche un manche de pelle, il promettait toujours de ne plus recommencer, ce qui équivaudrait, pour lui, à ne plus sortir du foyer aux heures de loisir. Il oubliait très vite les désagréments dont il était la victime cocasse.

    Seules, deux cuites mémorables l’ont condamné à une abstinence prolongée de quelques mois. Il s’endormit, une nuit ou plutôt un matin de Noël, près d’un petit ruisseau à une trentaine de mètres de sa maison, et même une forte pluie nocturne n’a pu l’arracher à son sommeil d’ivrogne ; au petit matin, les pinces d’un petit crabe essayant de lui grignoter le bout du nez, parvinrent à le sortir, sous les yeux goguenards de sa concubine, de sa profonde léthargie. Une autre fois, après avoir fêté avec des amis, par un excès d’alcool, le saint patron de la commune, à demi-mort, il dut se lancer à la poursuite d’un petit chien qui s’intéressait à sa prothèse dentaire.

    Elle avait alors modifié progressivement ses habitudes, renouvelé ses amies, pris de l’assurance surtout en présence de sa famille. Elle osa lui affirmer un jour, avec un aplomb réfléchi, qu’elle était devenue une femme émancipée. Derrière son instruction insuffisante, il avait une certaine finesse d’esprit, un bon sens campagnard ; et à partir de cet aveu inattendu, son cerveau fut assailli de doutes innombrables et, observant silencieusement la lente métamorphose de sa compagne, il s’attendait à tout…sauf à ce cambriolage ravageur.

    — Tu as tout de même eu des signes avant-coureurs, lui rappela Pédro.

    — Oui, reconnut-il, mais je refusais d’y croire. Il y a quelques temps, elle m’a balancé au visage le contenu d’une marmite pleine de soupe chaude. L’image de la prison transmise par quelques anciens détenus et la crainte de passer pour un lâche aux yeux de l’opinion m’ont empêché de l’assommer. Elle a interprété ma résignation comme un signe de faiblesse et ce fut l’escalade jusqu’à un soir d’ivresse où une lourde gifle lui fit perdre connaissance.

    — C’est cela les femmes, elles voient toujours quand on a absorbé quelques gouttes d’alcool, mais jamais quand on est tenaillé par la soif, dit Pédro en s’efforçant de rigoler.

    — Mais toi ? demanda Anton avec une curiosité toute naturelle.

    Pédro, tout en caressant Bismarck qui semblait s’intéresser à la conversation, revécut non sans émotion, les évènements tragiques qui avaient causé son prompt retour vers des lieux plus hospitaliers. A ce récit pathétique, personne n’esquissa cette fois le moindre sourire. Même s’il s’agissait d’une grave et dangereuse plaisanterie, il est rarissime, voire impossible qu’une arme à feu surtout de gros calibre pointée sur quelqu’un soit le fait d’un ami.

    — As-tu au moins une idée de celui qui peut te vouer tant de haine ?

    — Je n’en vois qu’un seul, mais ils étaient deux.

    — Comment le devines-tu ? Il faisait nuit et tu n’as peut-être dû ton salut qu’au flair extraordinaire de Bismarck, à la rapidité de tes jambes pourtant fatiguées et de ton esprit un peu affaibli par l’alcool.

    — Simple finesse auditive, répartit Pédro tout en lui montrant en guise d’explication ses deux oreilles sachant qu’un tel terme était absent du vocabulaire de son ami intime.

    — Finalement, ces mésaventures n’ont pas diminué mon appétit ; essayons de faire à manger car comme le disait mon grand-père : les sacs vides ne tiennent pas debout.

    C’est une habitude du folklore antillais d’attribuer aux ancêtres les proverbes dont l’auteur leur est inconnu. Récupérant une marmite dont la paroi extérieure était noircie par le bois utilisé comme combustible économique ; il n’en récura que l’intérieur, la remplit à moitié d’eau, y ajouta une poignée de sel, un morceau d’oignon, un énorme piment fendu et la plaça sur trois grosses pierres disposées en triangle équilatéral : c’était le foyer des gens de la campagne qui, sans crainte de gêner les voisins faisaient cuire leurs aliments sans de trop grandes dépenses. Anton n’avait d’ailleurs pas le choix : l’infidèle avait emporté dans sa fuite les deux réchauds à pétrole et les faitouts en fer émaillé.

    Générosité ou dédain? elle ne lui avait laissé qu’une maigre vaisselle : des couteaux usés par les affûtages répétés, des fourchettes et des cuillères tordues, une triste écumoire, quelques assiettes d’aluminium à fond bosselé, trois timbales cabossées et un misérable coui à demi rempli de sel qu’elle avait vidé de la viande salée qu’il contenait.

    Quand le mélange entra en ébullition, Pédro que la faim commençait aussi à tenailler vit Anton se présenter avec quelques petits crabes répondant aux poétiques surnoms créoles de touloulous.

    — Mais, risqua-t-il, ce sont des crabes sorciers ?

    — Ah bon ! Eh bien s’ils sont sorciers, ils sortiront du faitout ; sinon, ils feront partie de la sauce.

    Il est inutile de préciser que les petits crabes émirent le même chuintement que les autres crustacés placés dans une situation identique. Un fruit à pain, des fines herbes enlevées au petit jardin potager, un peu plus de sel qu’il n’en faut et des épices vinrent enrichir ce simple menu champêtre. Pédro remarqua avec une certaine satisfaction que la traîtresse, dans sa rage dévastatrice n’avait emporté dans sa fureur ni la bouteille de rhum, ni l’appétit de son vieux compagnon maintenant délaissé.

    Pour accélérer la marche du temps et oublier un peu leurs déboires présents, les deux compères égrenèrent les souvenirs nombreux et variés d’une amitié indissoluble qui avait résisté à tous les assauts de l’adversité commune ou particulière. Ils se remémorèrent leur enfance aventureuse dans les petites cités ouvrières aux locaux démesurément longs, aux planches en sapin du Nord non peintes et blanchies par les intempéries et le soleil. Construits par les usiniers pour abriter les familles ouvrières, ces minuscules logements, identiques, compartimentés, peuplés chacun d’une nombreuse maisonnée, à la grande cour commune où s’entassaient, pêle-mêle, une marmaille multiple et agitée, des animaux domestiques sans limite de territoire et pourtant sans erreur de propriété ; ces habitations que la naïveté des paysans attribuait à la bonté des Sucreries Coloniales étaient en réalité édifiées dans le seul but de soustraire à l’appétit du fisc une partie de ses revenus.

    — Te souviens-tu de ces longues bagarres où vainqueurs et vaincus devenaient le lendemain les meilleurs amis du monde, souligna Pédro.

    — Eh oui, en ces temps-là tu étais encore sous ma protection dans tes combats à deux contre trois.

    Pédro eut un certain regret d’avoir évoqué ces instants ; il craignait en effet d’avoir un peu froissé son ami qui avait cessé ses études à l’école primaire alors qu’il poursuivait les siennes aux cours complémentaires. Mais Anton ne s’en offusqua point et lui rappela, à son tour, les promesses de son enfance studieuse et le mauvais état des finances familiales qui mirent un frein à sa carrière d’élève prometteur. Une certaine consolation suivit sa résignation quand il lut dans un extrait d’un livre philosophique que l’instruction n’est qu’un concept relatif qui n’influe pas sur la valeur de l’intelligence.

    Très tôt donc, Anton entra dans la vie active exerçant ses forces pendant la récolte et effectuant de menus travaux, toujours dans la bonne humeur, lors de l’inter récolte. Pendant les grandes vacances, les deux larrons erraient à travers champs, malgré les coups de ceinture et de bâton distribués régulièrement par leurs parents respectifs dès leur apparition sous le toit familial après le crépuscule. Ils se bâtissaient ainsi une petite légende de réfractaires. Cinq ans plus tard, Pédro, après un entretien avec le directeur de l’usine charmé de ses connaissances et de son raisonnement fut employé comme aide laborantin. Et c’est là que le taciturne et pourtant aimable Evariste, infirmier formé sur le tas alors qu’il secondait le docteur hebdomadaire de l’usine, lui inculqua les notions élémentaires de médecine, suffisantes pourtant, pour soigner avec succès les blessures du personnel et parfois des membres proches de leur famille. La grande majorité des ouvriers étant constituée de gaillards robustes, l’essentiel des activités médicales était le pansement des plaies et les premiers secours aux victimes des fractures. Le médecin de la commune, surchargé de travail, avait ses consultations gratuites pour les ouvriers ou leurs enfants préalablement inscrits sur une longue liste un soir par semaine.

    Leur amitié et leur complicité se consolidèrent alors et ils devinrent presque inséparables. Quitte à travailler pour deux, Anton le faisait toujours embaucher par ses patrons occasionnels pendant les six mois d’hivernage. Le spectacle était parfois insolite : côte à côte oeuvraient comme casseurs de pierres ou chargeurs de camions un géant en herbe et un jeune homme fébrile apparemment chétif mais qui terminait la journée sans rechigner et souvent sans se reposer. Il lui arrivait souvent d’apporter un peu d’humour et de distraction au cours de ce dur labeur. Par un jour de rude chaleur et de grosse transpiration, alors qu’ils refaisaient la chaussée principale du bourg, Pédro, étant le plus jeune, mandaté par les anciens, se présenta à la porte d’une maison cossue dans le but d’obtenir un peu d’eau fraîche pour l’équipe. Avant de lui refermer précipitamment la porte au nez, une énorme mégère lui indiqua sèchement la fontaine la plus proche du chantier. Une fois rentré chez lui, il composa une chansonnette improvisée à l’instar de celles des veillées et des défilés carnavalesques. La musique était certes pauvre et monotone, mais les rimes devaient être scandées par le choc des coups de pioche et de masse heurtant à forte vitesse le sol et les blocs d’andésite ; les voix et les marteaux des cantonniers travaillant à l’unisson :

    Une femme aux gros seins

    Pesant sur ses reins

    Hein, hein, hein, madame Grégoire

    Donne-nous à boire.

    Une femme au gros derrière

    Comme une malle arrière

    Ièr, ièr, ièr, madame Marceau

    Donnes-nous un peu d’eau.

    Les autres strophes énuméraient toutes les parties graisseuses et charnues de la matrone imprudente, véritable barrique ambulante quand elle se déplaçait. Elle ajouta involontairement un peu de piment à leur sauce en s’adressant à son neveu, sous les regards goguenards des cantonniers :

    Maurice, Maurice,

    Va me chercher la police.

    Finalement, ce fut le patron qui mit un terme à la plaisanterie en remplaçant ces joyeux compagnons par une autre équipe.

    Puis, le temps s’écoula et tout en conservant intacte leur grande amitié, leurs rencontres s’espacèrent, leurs goûts féminins étant divergents. Mais l’absence et l’éloignement relatif n’avaient nullement altéré leur sympathie réciproque. Et à chacune de leurs retrouvailles, les étrangers qui croisaient ou suivaient leur chemin contemplaient avec délectation les ombres mobiles projetées par le soleil sur le sol ou sur les murs blanchis, pendant leurs déplacements : un manguier court et touffu côtoyant un roseau sans feuilles. Cependant, leurs points de vue divergeaient sur la conduite de leur vie sentimentale et familiale. Les aventures amoureuses de Pédro étaient des contrats fragiles, peu durables, qui ne laissaient aucune empreinte ; ce qui fit de lui un époux relativement fidèle, ne découchant qu’à l’occasion des soirées arrosées. Il regardait avec un certain malaise le comportement de son ami qui déversait régulièrement le fruit de son travail dans l’entretien de maîtresses qu’il gardait un certain nombre de mois ou d’années avant qu’elles ne disparaissent le laissant sans le sou.

    Son avant- dernière mésaventure le couvrit d’un ridicule muet ; car le géant avait à l’époque où il courait la prétentaine, la colère facile et le poing lourd : se rendant sur l’heure de midi chez une de ces matrones dont il avait meublé la maison et le garde-manger, il fut surpris de voir celle-ci arrachant ostensiblement les cheveux blancs d’un inconnu sur le lit de la petite maison de deux pièces. Les meubles lui appartenaient, certes, mais la case était la propriété de la drôlesse. Après quelques minutes d’une âpre lutte entre son cœur, son cerveau et sa fureur, il chercha des yeux un ou deux objets qu’il pourrait emporter pour nuire à la bonne marche du nouveau ménage. Finalement, sous les regards interdits des deux tourtereaux, il emporta le seul réchaud à pétrole et le faitout flambant neuf leur précisant en s’en allant qu’il les avait achetés à crédit. C’est alors qu’il prit la décision, non pas de se marier, mais de s’installer avec une concubine stable. Voilà bientôt quatorze ans qu’il partageait son propre toit avec celle que Pédro surnommait l’acariâtre car elle s’efforçait d’éloigner du géant tous ses anciens amis. Pédro qui fut le seul irréductible et inconditionnel à garder le contact avec son copain d’enfance devina que, sous les regards gris et glacés qu’elle adressait aux unes, les yeux fulminants qu’elle présentait aux autres (surtout aux rares amis d’Anton qui osaient braver sa vue), se cachait une sorcière déterminée et patiente. Ce dénouement inattendu venait démontrer à son grand regret la justesse de son antipathie spontanée.

    — Pourtant, ajouta Pédro, tu as eu de sérieux avertissements à chaque anniversaire de la résurrection du Christ.

    Anton acquiesça avec un silence lourd et pensif. Lors des journées traditionnelles des vacances de Pâques passées à la plage, les tentes ou les installations provisoires des campeurs étaient passées en revue par les amis alcooliques. La troupe joyeuse et chantante évitait soigneusement les emplacements où les épouses ou les concubines avaient conservé leur mine du Vendredi Saint. Les compagnes accommodantes comme le soulignait La Fontaine étaient aussi les plus habiles : elles gardaient un sourire, peut-être fade, mais inépuisable en face de la petite horde de ceux que les tempérants appellent les «coudacheurs». La satisfaction finale des épouses accueillantes et celle de tous les sédentaires de la plage consistait en ce plaisir intérieur pour les plus courtoises et ces ricanements grossiers et renouvelés pour tous ceux qui ont été incommodés qui accompagnait, en fin de partie, la démarche trébuchante de ceux qui regagnaient, enfin, leur site, la tête alourdie et les jambes flageolantes.

    L’ « acariâtre » faisait partie intégrante des mégères agressives. Et Pédro se rappela que son ami devait essuyer, après les railleries amusées des campeurs de tous âges, les sarcasmes proférés à haute voix de sa hargneuse matrone. Avec un peu de recul et ce déménagement sauvage, il n’osa rien dire à son ami, mais ce coup du Sort n’était que la résultante de froids calculs féminins.

    — Finalement, se rappela tristement Pédro, tous ces événements ont rejeté dans un profond oubli les obsèques de notre grand ami Julien. Il nous sera difficile d’expliquer à ses parents l’absence de ceux qui se prétendent appartenir au petit nombre de ses intimes.

    CHAPITRE III

    L’enquête

    Un calme apparent régna pendant tout le frugal repas, mais les esprits étaient hantés à la fois par l’absence, qui serait sûrement remarquée, des deux amis aux funérailles, par le souvenir encore brûlant des mauvaises fortunes individuelles, la malchance collective qui avait provoqué ces événements surprenants. Lequel des deux était le plus à plaindre ? Etait-ce un coup de la fatalité ou l’aboutissement normal d’actes répréhensibles antérieurs ? Anton le magnanime consommait régulièrement, parfois à l’excès, sa ration de rhum, mais son ébriété se manifestait surtout par des ronflements scandaleux et prolongés, par la forte odeur d’alcool fermenté qui indisposaient son entourage immédiat ; jamais par des actes de violence physique ou verbale. Détail précieux qui pérennisait le ménage et avait sûrement retardé la date fatidique de ce déménagement sauvage, une grande partie de la quinzaine tombait, sans le moindre retard et la moindre hésitation, dans l’escarcelle de Madeleine, sa compagne de longue date.

    Pédro, surnommé El flaco (le maigre) par un de ses anciens amis qui connaissait un peu d’espagnol, petit corps en apparence chétif, aussi souple qu’un serpent, était en réalité un adversaire redoutable dans les bagarres. Peau assombrie enveloppant un paquet de nerfs dont l’activité intense était trahie par deux yeux luminescents, il résumait à lui seul toutes les races présentes dans l’Histoire de la Guadeloupe. Irascible de nature, il avait appris, tout au long de ses nombreux combats pour lui-même, ses amis ou l’honneur à garder son sang-froid dans les situations exceptionnelles .Un soir de grande colère domestique, dans un dernier élan de lucidité, d’un geste rageur, il détourna vers son pied la balle d’un pistolet qui lui dévora le gros orteil. Un autre jour, il se promena silencieusement, en tenue d’Adam, dans le salon où une voisine s’invitait quotidiennement pour bavarder avec sa compagne. Son épouse et ses enfants le considéraient avec un respect mêlé d’admiration et de crainte. Quels ennemis nouveaux avaient bien pu lui tendre ce guet-apens ? En voulait-on à sa vie ou voulait-on l’effrayer ? N’était-ce qu’un avertissement ?

    — Crois-tu qu’ils voulaient m’assassiner ?demanda-t-il à Anton qui devait penser à sa nouvelle situation peu envieuse.

    — Difficile à deviner ; tu devrais rendre visite aux gendarmes.

    La tête de Pédro se redressa comme un ressort. Il n’était ni un hors –la – loi, ni un procédurier. Il préférait Zorro à Montesquieu, le justicier libre au juge prisonnier du code, des avocats ou des jurés. Les condamnations prononcées par un jury étaient toujours en deçà des préjudices subis par les victimes. De plus, les remises de peine sous prétexte de bonne conduite, allégeaient souvent le fardeau des coupables et en ces temps douteux de la République Pétainiste, il suffisait d’avoir un ami haut placé ou tout simplement être l’ennemi affiché des communistes pour échapper aux affres de l’emprisonnement. D’ailleurs, qui allait-il accuser? Il lui fallait d’abord résoudre au plus vite l’énigme, retrouver les agresseurs, ensuite, leurs motivations connues ou devinées, rendre sa propre justice tout en conservant intactes ses habitudes et sa chère Liberté. Bien entendu, en véritable croyant au Christ Rédempteur, il avait banni de son code pénal personnel l’exécution capitale ou même la mutilation.

    — Je les retrouverai et je saurai quelles étaient leurs intentions exactes, murmura-t-il.

    — Comment feras-tu ? Interrogea Anton, tu n’as pas le moindre indice.

    — Lui, il en trouvera certainement.

    — Lui ?

    Anton imagina vaguement l’existence d’un improbable quatrième témoin de la scène ou une voyante, mais ses yeux suivant la direction du regard de Pédro se fixèrent sur le silencieux et serein Bismarck. Devançant toujours son cher maître, il avait flairé le danger insoupçonné, s’était arrêté progressivement dans sa course, et avait poussé un petit cri jusqu’alors inconnu de Pédro : le chasseur était devenu gibier. Il venait peut-être tout simplement de lui sauver la vie

    La mine dubitative d’Anton attendant d’autres explications, il poursuivit voulant se convaincre lui-même :

    — Bismarck avait pour ancêtre un certain Crotale dont le propriétaire guyanais vantait l’odorat extraordinaire. Ce chasseur de la forêt amazonienne connut avec plus de gloire et de bonheur la même aventure et la même frayeur que moi : Crotale et ses trois compagnons stoppèrent un matin leur course d’avant-garde en face d’un ennemi redoutable et inhabituel : c’était un tigre de taille moyenne apparemment affamé. Mais il faisait jour et, détail important, celui qui répondait au surnom guadeloupéen de Motoso, en plus du sang-froid nécessaire qui constituait le fond de son caractère, était pour la circonstance correctement armé et son ennemi bien visible. Il abattit le félin en le blessant d’une première balle de gros calibre et l’acheva ensuite. Pour preuve de son exploit, il rapporta de son expédition les parties les plus charnues recouvertes de leur fragment de peau zébrée. A partir de cet instant, l’intrépide Moto constitua une petite meute commandée par Crotale et, sous l’égide de Saint-Hubert, se fit chasseur de tigres.

    A ces heureux souvenirs, tous les espoirs du justicier en herbe se reposèrent sur Bismarck. Mais il fallait le guider et ce, sans trop tarder, avant l’extinction de sa mémoire olfactive, le fluide des francs-tireurs émanant de la forêt pouvait être transformé à la ville par d’autres odeurs naturelles ou artificielles ou une simple pluie ; tous les chiens n’ont pas la mémoire affective d’Argos expirant de joie après avoir reconnu son maître, le rusé Ulysse de retour sur son île après vingt années de guerre et d’odyssée.

    Avant de jouer au justicier, il fallait en premier lieu connaître la vérité, retrouver la trace des agresseurs, leurs motivations, jouer aux détectives ; bref il fallait mener des investigations. Plus rien ne les retenait dans une maison devenue provisoirement inhabitable où il n’y avait rien à voler, donc rien à surveiller.

    Ce fut Pédro qui proposa alors à son ami dans la détresse une cordiale hospitalité. Les larges pieds d’Anton le supportant mieux, il voulut emprunter un raccourci ; mais Pédro allégua que la logique des recherches passait par la route suivie après le départ de la veillée. C’était aussi l’occasion de mettre à l’épreuve les capacités de Bismarck. Celui-ci s’arrêta en effet une dizaine de secondes au même point ; mais au lieu d’aboyer ou de rebrousser chemin, il frétilla de la queue et commença ses investigations olfactives. Un bout de papier gras fraîchement utilisé, fut ramassé avec des précautions de détective par Pédro pour raviver le flair de Bismarck Les battements du cœur accélérés, ils escortèrent le limier qui suivait une piste retirée en direction du hameau où résidait Pédro. A quelques centaines de mètres des premières maisons, il hésita entre deux directions faisant un angle obtus : tout laissait donc supposer que les tireurs embusqués s’étaient retrouvés ou séparés à cette intersection. Ils décidèrent, après quelques réflexions sur l’instant propice, de suspendre les recherches, remettant à la nuit prochaine la suite des activités policières.

    Nulle animation dans le hameau ne traduisait une activité coupable ou douteuse ; nulle allure suspecte ; les gens vaquaient à leurs occupations habituelles ; quelques rares dogues aboyaient sans doute pour saluer ou invectiver au passage Bismarck qui cherchait avec obstination les auteurs de sa fuite stratégique. Examinant du coin de l’œil, Pédro essayait de discerner avec une apparente nonchalance ce qui se passait derrière chaque rideau, chaque persienne ou chaque jardin buissonneux.

    Ils arrivèrent, enfin, devant l’entrée d’une demeure de dimensions moyennes, agréable à vivre et entretenue, Anton ne savait, par quelles mains féminines. En ami intime et fidèle, il connaissait la petite histoire familiale de Pédro : il vivait assez loin de son épouse Aurélie dont il n’était pas divorcé depuis un terrible accès de colère où il faillit perdre la raison. Leur amour avec le temps et l’éloignement s’était transformé en une affection intense et ils se voyaient de façon irrégulière mais toujours avec plaisir. Son code d’honneur n’aurait pas toléré qu’un autre que lui s’inquiétât de la sécurité matérielle de ses trois enfants. Ses apparitions soudaines à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit dans la maison familiale qu’il avait fait construire apprenaient ou rappelaient aux soupirants qu’aucun des deux conjoints n’avait réclamé le divorce et que leurs ébats n’étaient possibles qu’à l’extérieur de celle-ci. Et parfois, dans l’intimité, ils scellaient leur étrange entente.

    Les deux compères convinrent qu’Anton s’installera dans sa nouvelle demeure, cette autre petite maison créole de son ami, le temps de remeubler sa maison du strict nécessaire. Il prépara un dîner assez copieux auquel Anton fit grand honneur et attendit que celui-ci fût profondément endormi pour reprendre le cours de ses pensées et son enquête. Bismarck paraissait impatient lui aussi de remonter à l’origine de ses frayeurs. La perspicacité, le bon sens même, lui laissaient deviner que les coupables étaient des habitants de la section. Quel étranger pourrait savoir avec autant de précision la route et l’heure ne serait-ce qu’approximative de son retour de la veillée funèbre. Ses moindres gestes avaient été épiés, à la faveur de l’obscurité, à partir d’une certaine heure de la soirée, le guetteur le sachant insomniaque et surtout grand ami du défunt.

    La première piste suivie par Bismarck allait au-delà de sa maison. Ils continuèrent donc vers la sortie opposée et quelques cases plus loin Bismarck freina sa course inégale et poussa pour la deuxième fois, mais plus faiblement, son petit cri d’effroi devant une porte-barrière qui protégeait l’entrée d’une maison sans feux cernée de barbelés tordus et rouillés. Ils

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