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Obésité morbide
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Ebook473 pages6 hours

Obésité morbide

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About this ebook

L'ignoble meurtre d'une obèse provoque un vent de panique dans la paisible ville de La Sarre.  La suite des événements laisse pantois les policiers locaux.  L'inspecteur Grenier débute son enquête et réalise rapidement son impuissance vis-à-vis les agissements du tueur.  Il s'adjoint donc les services d'une biologiste afin de tenter de résoudre l'énigme.  Leurs investigations les entraîneront dans des endroits où les connaissances scientifiques joueront un rôle de premier plan afin d'élucider ce qui semble une vaste conspiration.

Francois Dionne est enseignant de biologie au CEGEP de l'Outaouais.  Ce roman repose sur une enquête policière dans laquelle se mêlent agréablement des éléments de biologie, de chimie et de physique.  Cette intrigue captivante s'articule autour de liens logiques où rien n'est laissé au hasard.

LanguageFrançais
PublisherGlobulia
Release dateOct 20, 2017
ISBN9782981051318
Obésité morbide

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    Obésité morbide - Francois Dionne

    Obésité morbide

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et archives Canada

    Dionne, Francois

    Obésité morbide

    ISBN 978-2-9810513-1-8

    Révision : Jocelyn Cossette

    Correction du contenu: Janie Piché, Alex Vallière

    Dessin de la couverture : Francois Dionne

    Globulia

    136 chemin du sixième rang

    Val-Des-Monts, Québec

    J8N 7R3

    ––––––––

    Dépôt légal : 2008 – Bibliothèque nationale du Québec

    2008 – Bibliothèque nationale du Canada

    Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

    © 2008, Globulia

    Impression : Majemta

    Francois Dionne

    Obésité morbide

    Globulia

    Antélogue

    es corneilles juchées sur le toit de la splendide église bâtie en pierre des champs croassaient bruyamment sous le soleil estival magnifiant les teintes violacées de leurs plumages. Certains de ces volatiles allaient et venaient entre la bâtisse religieuse et un gros arbre fichu sur la lisière de la forêt ceinturant le lac. Ce faisant, ils survolaient les chevaux attelés près du côté sud du temple religieux, de même que la voiture neuve appartenant au propriétaire du magasin général, monsieur Salembier. La jolie automobile jaune était une rutilante Peugeot de type 159 construite en 1919. Malgré le vacarme provoqué par les cris émanant des becs et des déploiements d’ailes, les paroissiens du petit village abitibien de Rapide-Danseur étaient tout ouïe au sermon dominical prononcé par monsieur le curé. Fidèle à son habitude, l'homme s'enflammait afin de propager la foi; il était monté en chaire afin que tous ceux présents dans l’assemblée puissent bien le voir et l'entendre. Pourtant, son âge avancé ne lui permettait pas de gravir avec aisance les marches menant à cet endroit. Mais, semaine après semaine, il tenait mordicus à livrer son sermon de son perchoir; une prouesse qui nécessitait souvent l’aide du bedeau afin de parvenir à y grimper. D'aucunes gens croyaient, à tort ou à raison, qu'il utilisait cette position en hauteur afin d’imposer son autorité sur ses ouailles et s'assurer que tous étaient vigilants lorsqu’il prêchait la Bonne Parole.

    Il utilisait toujours les samedis soirs afin de préparer consciencieusement son sermon; il ne se faisait jamais déranger à ces périodes car les villageois étaient en majorité occupés à boustifailler. Armé de sa bible et de son dictionnaire, il se faisait un devoir d’insérer des mots qu’il considérait de haut niveau afin de garder un ascendant intellectuel sur ses paroissiens. Ce stratagème lui permettait également de savoir qui avait été attentif car les citoyens venaient fréquemment le voir pour lui demander la signification de certains mots qu’il avait utilisés!

    Pendant son homélie d’aujourd’hui, il s'était employé à faire l'apologie du septième commandement de Dieu: « Tu ne voleras pas ». Afin d'appuyer ses dires, il termina sa prédication en fustigeant avec virulence les paroissiens.

     Notre Seigneur, votre Seigneur, contrairement à quelques-uns d'entre vous, n’a jamais menti ou trahi ses amis. Jamais n’a-t-il manqué à sa parole ou renié ses actes.

    Le curé tendit son bras parallèlement au sol et lui fit décrire un geste circulaire de manière à englober toute la foule de fidèles buvant ses paroles.

     On m’a confié que certains d'entre vous avaient volé du bois de chauffage chez le jeune Herménégilde Ouellet. Quelle honte! beugla-t-il d’une voix ferme. Comme vous le savez, cet homme si honnête a près d'une dizaine de bouches à nourrir. L’hiver dernier, en compagnie de ses deux fils aînés, ces trois personnes ont passé plusieurs semaines à couper leur bois à l’aide d’un vieux godendart et à se fatiguer sous le poids de leurs lourdes haches à fendre. Cet homme a besoin de tout son bois pour chauffer son immense maison. Tous ceux ici présents connaissent la difficulté de la tâche forestière nécessaire pour assurer le chauffage de la maisonnée. Mais si tout cela n’était pas suffisant, il doit en plus couper du bois supplémentaire pour effectuer son honorable métier de forgeron, dit-il en appuyant fortement sur le mot supplémentaire. Car, il ne faut pas l’oublier, et vous le savez tous, une partie du bois coupé sert également à fournir les flammes nécessaires au travail de la forge. Et que feriez-vous sans lui? Qui, dans cette assemblée, sait mettre des fers aux chevaux comme il le fait si habilement? dit-il en pointant du doigt les gens amalgamés dans l'église. Lequel d'entre nous s'avère capable de réparer les pièces de ferrure dont nos charrettes ont besoin? poursuivit-il en haranguant la foule. Quel homme possède les habiletés nécessaires pour restaurer convenablement nos instruments de labour si utiles lorsqu'on travaille manuellement nos champs. Qui est capable de fabriquer la tête de nos haches?

    Le curé arrêta un moment son flot de propos vindicatifs afin de laisser un temps de réflexion à ses paroissiens.

     J’ose croire que ceux qui ont commis cet acte intolérable sont présentement grugés par les remords et réalisent la gravité de leur méfait.

    Il émit un soupir de colère. En son for intérieur, il aurait aimé répudier ces voleurs, mais il ne pouvait se substituer à Dieu en tant que juge des actes malveillants commis. Ses lèvres se crispèrent en signe de dédain envers la petitesse de certains humains.

    Le silence régnait dans la foule tandis que les paroles de l’ecclésiastique l’aspergeaient de sa puissance indélicate.

     J'espère que les pécheurs qui ont dérobé ses réserves de bois daigneront lui remettre, et encore mieux, ajouteront des rondins additionnels afin d'obtenir le mince espoir d’éventuellement recevoir la grâce de Dieu.

    Le curé marqua encore une pause. Il scruta de ses petits yeux noirs chacune des personnes assises dans le temple religieux. Sans temporiser ses propos, il termina alors son envolée orale avec grandiloquence :

     Sinon, j'espère que ces truands brûleront éternellement en enfer; d’un feu alimenté par le bois qu'ils ont eux-mêmes volé.

    Il regarda de nouveau tous les fidèles; le regard teint d’une certaine véhémence.

     Amen!

    Le sermon terminé, les croyants, détournèrent leurs yeux de leur révérend pendant que celui-ci descendait lentement les marches de sa chaire pour aller rejoindre son autel. Certains regardèrent avec tristesse et compassion vers les bancs où se trouvait la famille d’Herménégilde. Ce dernier baissa les yeux de honte. Il ne voulait pas que tous les habitants de la paroisse le prennent en pitié mais il s'était quand même confié au pasteur avant le début du service religieux. Par chance, le curé avait eu la bonté de ne pas dévoiler sa source. Ce dernier, en tant qu'homme le plus influent du village, avait désiré l’aider en révélant son histoire aux paroissiens... tout en rappelant aux fidèles que le pardon de Dieu disposait quand même de limites et que quiconque s'écartait des enseignements issus du livre sacré s'approchait inéluctablement du Malin.

    D'autres, prétextant connaître la vérité, embourbés dans leurs préjugés, avaient posé leur regard désapprobateur sur Hector Brochu. Celui-ci ne broncha pas. Il savait bien qu'il était le paria du village, ayant commis autrefois quelques larcins, mais il s'était repenti depuis. Il n'avait strictement rien à faire dans cette histoire de vol de bûches et ne voulait absolument pas porter l’odieux de cette entorse aux convenances sociétales. Il irait d’ailleurs se confesser de quelques péchés mineurs afin que le curé puisse savoir qu’il n’était pas responsable de cette appropriation. En agissant ainsi, il savait que quelques fidèles flânant dans l’église le verraient et que ce geste alimenterait les rumeurs. Mais il désirait couper court aux insinuations en profitant de la situation particulière du curé en tant que confident de tous. Il souhaitait agir ainsi car, malgré le vœu de confidentialité du curé, il savait bien que l’aveu de son innocence serait ébruité par cet homme et que ces paroles seraient rapidement transmises parmi tous les citoyens. En fait, y réfléchit-il à nouveau, l’homme de foi en agissant ainsi ne briserait aucune règle religieuse; il ne divulguerait pas les péchés dévoilés par Hector mais pourrait propager le fait qu’il était assuré que celui-ci était blanc comme neige dans le dossier du vol de bois de chauffage. Hector conclut qu’il s’agissait de la meilleure approche pour se disculper et attendit patiemment la fin de la messe sans y prêter vraiment une oreille attentive.

    Suite à ce sermon enflammé, le prêtre changea de registre et poursuivit calmement la cérémonie religieuse. À la fin de celle-ci, il annonça pompeusement que des vaccinations auraient lieu sur le parvis de l'église la semaine prochaine après la grande messe de dimanche; comme si l’Église était garante de cette vaccination et en était le mandataire. En fait, la compagnie dispensant les accès avait préféré tenir la séance de vaccination à l’église plutôt qu'à l'école puisque plusieurs enfants ne fréquentaient pas celle-ci assidûment. De plus, cette initiative se déroulait à l’échelle provinciale et avait été instaurée par le gouvernement sous les recommandations éclairées de cette compagnie pharmaceutique.

    Le curé ajouta que le coût de chacune des injections serait de cinq sous par enfant âgé de moins de douze ans et qu’il recommandait vivement cette vaccination surtout pour les jeunes garçons choisis par les parents pour être destinés à devenir prêtres. Il souffla qu’en ces temps d’après guerre mondiale, l’évêché était à court de sous et ne pourrait défrayer les injections. Dans un commentaire lapidaire, il suggéra également que les paroissiens devraient s’acquitter de leurs responsabilités de bons catholiques et contribuer un peu plus à la dîme afin de pallier aux manques de ressources financières de l’Église. Il termina la messe en déclarant qu’il serait disponible pour rencontrer quiconque le désirait. Il bénit donc ses fidèles avant de les laisser partir.

    La suggestion émise par le pasteur ne fut retenue que par quelques fidèles désirant une confession. Le curé exécuta avec rigueur chacune de ces rémissions de péchés. Cependant, il aurait apprécié que le voleur de bois se manifeste à cette occasion mais ce ne fut pas le cas. Il en conclut que la personne ayant réalisé ce crime était vraiment vile et sans remords.

    La semaine se déroula sans que le bois de chauffage d'Herménégilde ne lui fût rapporté.

    Le dimanche suivant s’avéra très radieux. De tous les points cardinaux, les paroissiens affluèrent en grand nombre dans leurs charrettes. Les femmes en profitaient pour porter leur plus belle robe, tandis que, avant le service religieux, certains hommes admiraient la voiture du principal commerçant du village pendant que ce dernier pavoisait aux côtés de celle-ci. Rassemblées en petits attroupements, les femmes discutaient toutes sans le savoir du même sujet : la vaccination à venir après la messe. De leur côté, d’autres hommes discutaient entre eux de l'arrivée précoce des récoltes de foin destinées à leurs animaux. Ils étaient tous d'accord pour clamer qu'il s'agissait sans contredit de l’une des meilleures fenaisons depuis une dizaine d'années.

     Ça semble être une année exceptionnelle puisqu’on a eu beaucoup de soleil et une quantité de pluie adéquate, dit l’un des agriculteurs.

     En effet, souligna un autre, on n'a jamais vu autant de foin foisonner dans les champs depuis l'épidémie de grippe espagnole.

    Ce dernier commentaire coupa net les discussions et les hommes se rapprochèrent de l’entrée de l’église pour assister à la cérémonie. Ce moment fatidique représentait une année très spéciale pour plusieurs d'entre eux; dans la mémoire collective, il y avait l'avant et l’après épidémie ayant sévi brièvement au Québec pendant l’automne de 1918. Plusieurs d'entre eux avaient perdu des proches pendant cet épisode éphémère mais ô mortel. Toujours présente dans les esprits, cette calamité les avait poussés à se saigner à blanc pour obtenir la vaccination promise aujourd'hui. Plusieurs avaient dû emprunter des sous à monsieur Salembier, tout en promettant de lui en remettre un de plus par tranche de cinq sous. Le paiement complet, avec les intérêts, devait obligatoirement avoir lieu avant les prochaines Pâques. La nécessité des injections entraînait quand même quelques doutes parmi cette population peu éduquée; il s'agissait tout de même d’une approche médicinale révolutionnaire. De par ces faits, les gens colportaient des craintes irraisonnées concernant les vaccins. En conséquence, certaines familles n’optèrent pas pour ce traitement : apeurées par l'apport de cette nouveauté. D'autres se désistèrent tout simplement par manque de moyens financiers.

    Néanmoins, la majorité des familles avait opté pour ne faire vacciner que les jeunes garçons; ceux-ci représentant la principale main-d’œuvre familiale au champ et en forêt, les jeunes filles étant généralement considérées comme improductives et représentant pour plusieurs une charge inutile à supporter. Sans oublier que leurs valeurs étaient jugées inférieures à celles des garçons; ce qui entraînait le fait qu’il fallait éventuellement les accompagner d’une dot lors de leur mariage à un jeune homme. Considérant ces prémisses, les familles ne considéraient pas la vaccination des filles comme un investissement rentable.

    Le médecin et les infirmières arrivèrent pendant la célébration religieuse. Ils installèrent leur matériel sur des tables en bois disposées devant l’église. Lorsque la messe fut achevée, les familles désirant bénéficier des vaccins firent la file d’attente de manière disciplinée. Les autres quittèrent rapidement les lieux afin de ne pas être stigmatisées par les autres paroissiens, mais en sachant fort bien qu’ils seraient éventuellement les premières blâmées si une nouvelle maladie contagieuse se propageait au sein de la communauté.

    La majorité des gens payaient à l’aide de gros sous noirs d’une valeur nominale d’un cent. La pauvreté étant le lot de beaucoup d’entre eux, il était apparent que des sacrifices futurs auraient à être accomplis pour combler les débours de cette dépense imprévue. De plus, l’anxiété imprégnait le visage des mères car le médecin, avant de débuter les vaccinations, s’était adressé à tous et avait évoqué la possibilité d’effets secondaires aux gravités variables; le tout jouant dans un vaste intervalle se situant entre une fièvre bénigne et la mort. La nervosité était également palpable chez les enfants; ceux-ci étant très réticents à recevoir les piqûres. Un concert de pleurs accompagnait presque chacune des introductions d’aiguilles hypodermiques... tout en se poursuivant au-delà pendant quelques minutes pour quelques bambins.

    Malgré tout ce brouhaha réprobateur, près de la moitié des garçons du village se fit vacciner ainsi que quelques jeunes filles éparses. Cette vaste campagne de vaccination nationale fut en fait un demi-succès. Surtout que l’on savait que l’ensemble des enfants devaient être immunisés pour parvenir à éradiquer certaines maladies contagieuses. Malgré tout, la compagnie responsable de cette opération avait établi un registre rigoureux des personnes vaccinées. Cette liste servirait à effectuer un suivi régulier des enfants. On pourrait alors vérifier la prévalence de la maladie en comparant les jeunes gens ayant reçu un vaccin et ceux n'en ayant pas eu. Cette approche à long terme permettrait également de vérifier l'innocuité du produit injecté. Elle souscrira aussi à l’effort scientifique permettant de parfaire les solutions médicamenteuses. La compagnie, grâce aux données recueillies, pourrait ainsi, dans les années futures, étayer la validité et l’efficacité des vaccins afin de réussir à convaincre toutes les familles québécoises des bienfaits véritables engendrés par ces injections. Cette approche pourrait faire en sorte que, dorénavant, le gouvernement soit celui qui défraie pour les coûts reliés aux vaccinations. Car, présentement, plusieurs sceptiques œuvrent en tant que députés, et bloquent systématiquement les demandes de vaccinations généralisées et payées par l'État. Toutefois, la compagnie espère qu'en démontrant de bons résultats, la population créera de la pression sur le gouvernement afin que celui-ci offre gratuitement certains médicaments.

    En fait, les compagnies pharmaceutiques souhaitant cette validation ne le font pas par pur altruisme ; de cette manière, elles peuvent vendre leurs doses à un plus grand nombre d’enfants via les subsides du gouvernement. De plus, une baisse de la mortalité infantile grâce à un programme de vaccination engendre plus de futurs clients adultes pour ces mêmes compagnies. Quoi qu’il en soit, ces premiers balbutiements de médecine préventive marquent un pas important pour la belle province.

    Prologue

    es vrombissements réguliers des moteurs des poids lourds frappaient durement les tympans des curieux rassemblés autour du chantier. De nombreuses pelles mécaniques creusaient le sol gaspésien et déversaient le contenu de leurs godets dans les bennes des camions stationnés à leurs côtés. Malgré la taille des équipements utilisés, le travail s'effectuait avec diligence; chacune des entailles réalisées dans le terrain étant minutieusement dirigée par un témoin oculaire. Entre chaque pelletée, celui-ci descendait dans le trou afin de vérifier le contenu de la nouvelle strate dévoilée; prêt à arrêter le travail de creusage grossier afin d'opter pour l'utilisation d'outillage plus approprié. Ainsi, à la première possibilité de découverte, on utiliserait des instruments mieux adaptés à la situation. Les truelles et les petits balais prendraient le relais des poids lourds. Jusqu’à maintenant, les différentes excavations jalonnant le site n’avaient point apporté de résultats concrets, ni même de lueurs d’espoir via la découverte fortuite de banals indices. Pourtant, d’énormes quantités de glaise et de roches avaient été remuées dans tous les sens jusqu’à présent.

    Le déploiement intensif de tout cet arsenal motorisé depuis plusieurs semaines s’avérait assez dispendieux et les mandataires devenaient impatients en réclamant de plus en plus fréquemment des résultats concrets.

    Pour les observateurs externes, une aura de mystère planait sur ce chantier et les spéculations sur ces intenses activités étaient présentes dans les conversations des gens du village. Incidemment, aucun panneau n’indiquait le type des recherches en cours ni même le nom du promoteur. À cause de cette absence, ceux qui reluquaient les activités en cours pouvaient conclure qu’il ne s’agissait pas de travaux effectués sous l’égide du gouvernement, celui-ci étant si prompt à annoncer et afficher les montants dépensés lorsqu’il réalisait de quelconques travaux. Comme si le fait de savoir comment est dépensé l’argent allait illuminer de joie la journée des citoyens payeurs d’impôts et taxes en tout genre. En fait, ces recherches archéologiques accomplies dans la région de Miguasha étaient financées entièrement par une compagnie privée.

    Cette zone géologique recelait d'importants fossiles provenant de l’ère dévonienne pendant laquelle l'Amérique du Nord ne formait qu’un seul large continent avec l'Europe et la Russie. De par sa position dans ce supercontinent, la Gaspésie des temps préhistoriques évoluait dans un biome tropical situé en dessous de l’équateur. On peut donc en conclure que la dérive des continents avait imprimé un déplacement de plusieurs milliers de kilomètres à cette croûte terrestre! La falaise de Miguasha, pour sa part, était exactement logée dans l'ancien estuaire d'un grand fleuve du passé, d’où sa richesse en divers fossiles et son importance scientifique pour des études approfondies sur les mécanismes de l’évolution. Cet endroit s’avère spectaculaire car on y déniche des spécimens très bien conservés datant d’il y a 378 millions d’années. Au niveau évolutionniste, plusieurs spécimens piscicoles s’y trouvant enfouis possèdent des spécificités anatomiques au niveau des nageoires; ces particularités indiquant un basculement menant à l’apparition des pattes des tétrapodes. Étant donné la portée scientifique de cet endroit, il était donc étrange que le mandat d’explorer cette zone au potentiel fossilifère confirmé ait été cédé à une entreprise privée.

    Habituellement, des fonctionnaires rattachés au domaine public s’occupaient de l’élaboration des plans ainsi que de la réalisation des fouilles sur le territoire québécois. Mais les fonds de recherches scientifiques s'étaient amenuisés drastiquement depuis l'avènement du gouvernement libéral à l'Assemblée nationale en 1985. La totalité des chercheurs, peu importe leur allégeance politique, avait décrié ce désengagement de la part du gouvernement. Cependant, n’ayant point reçu d’appui de la part de la population en général, désintéressée par la chose, les chercheurs n’eurent pas gain de cause. Au contraire, plusieurs intellectuels aux penchants capitalistes réfutaient la nécessité d'accorder des crédits de recherche à des domaines scientifiques aussi peu populaires et employant de surcroît peu de gens. Ils en profitaient d’ailleurs pour traficoter la vérité en clamant que les recherches scientifiques pures ne généraient pas de retombées économiques directes. Leurs voix avaient donc écho au sein de la population peu au courant de ces tergiversations scientifiques et économiques. De son côté, le gouvernement, toujours aussi démagogue, en avait profité pour éviter le débat. Le secteur privé saisit donc l’occasion de s'immiscer dans ces brèches et de pallier le sous-financement en effectuant ses propres recherches.

    Face à cette situation préoccupante, les scientifiques œuvrant depuis plusieurs années dans le parc national de Miguasha émirent de vives protestations vis-à-vis cette situation incongrue. Plusieurs questions furent d'ailleurs fréquemment soulevées par ces chercheurs. Entre autres : est-ce que la compagnie réalisant présentement les travaux d’excavation pourrait légalement s'approprier le fruit d'une éventuelle découverte majeure? Malgré l'insistance des géologues, des biologistes et des paléontologues affectés à ce territoire, les administrateurs oeuvrant dans ce dossier escamotaient toutes les réponses possibles. Cette tendance de laisser libre cours au secteur privé n'était vraiment pas de bon augure pour les années à venir.

    Afin d’interdire l'accès au site de fouilles aux fonctionnaires gouvernementaux, la compagnie avait circonscrit un territoire assez vaste pour que les parcelles de terrain explorées ne puissent être à portée de vue. L’entrepreneur avait évoqué des raisons de probables glissements de terrain pour fixer un périmètre de sécurité assez étendu.

    La zone de fouilles grouillait des déplacements ininterrompus des tracteurs et des camions lourds. Des hommes, chapeautés en blanc, allaient et venaient, conduisant des voiturettes de golf et se faufilant entre ces grosses machines. Un vacarme ininterrompu, mélangé à l’odeur désagréable du diesel brûlé, ainsi que la vue des tranchées creusées avaient transformé ce lieu jadis paisible en un endroit rêche.

    Le nombre de décibels diminua soudainement dans la zone U4. Le conducteur de la pelle mécanique fit des signes de la main au contremaître se tenant debout près du trou.

     Que se passe-t-il? hurla l'homme au casque blanc.

     La pelle mécanique est encore brisée! gueula son opérateur. Maudite machine de piètre qualité! On perd un temps énorme!

     Encore! Qu'est-ce qui est brisé cette fois-ci? Non, non, ne perdez pas de temps à me répondre. Je ne veux même pas le savoir. C'est assez! Nous ne pouvons être impunément retardés par de la machinerie défectueuse... surtout que notre contrat d'excavation se termine dans quelques jours et que nous n'obtiendrons probablement pas l’autorisation de renouveler notre permis.

    Il sortit son téléphone cellulaire de sa poche et contacta illico sa supérieure.

     Bonjour madame, ici Denis, Denis Fortier. Je vous appelle directement du site de fouilles de Miguasha. Nous avons encore des problèmes avec la machinerie! Une des pelles mécaniques est hors d’usage. Et les deux mécaniciens sont occupés à réparer une chargeuse et en auront possiblement pour aujourd’hui et demain.

     Encore! Il s'agit d'une situation plus que récurrente. C'est intolérable, ajouta-t-elle d'un ton résigné.

     Je crois qu'il faudrait résilier immédiatement notre contrat avec l’entreprise de location, vociféra le contremaître. Et même lui demander une part de remboursement. On perd présentement énormément de temps, articulait-il rapidement. En conséquence, trouvez-moi n'importe quelle sorte de machinerie, mais de la bonne cette fois-ci! Des camions tout verts ou complètement orange, je m'en balance, mais ôtez de ma vue ces foutus camions jaunes!

     Ce sera fait, répondit-elle.

    Il raccrocha en lançant une série de jurons. En rangeant son téléphone, le contremaître remarqua de l'agitation vers le côté sud du terrain. Probablement en provenance de la zone U17, jugea-t-il. Il s'approcha rapidement de l'endroit d'où émanait cette effervescence et se joignit à l'allégresse générale en apercevant de longs os et quelques touffes brunâtres enfouis à environ cinq mètres dans une terre argileuse. À première vue, les travailleurs avaient finalement atteint l'objectif visé... et peu importe si, lors de leurs recherches, ils avaient par mégarde détruit d'autres petits fossiles qui auraient sans aucun doute pu s'avérer importants pour d'autres personnes. Certains des dirigeants de la compagnie n'avaient cure du passé à moins que celui-ci ne leur garantisse un avenir meilleur. Ils avaient même réussi à inculquer ce mode de pensée à la majorité des travailleurs œuvrant sur le site. Aucun artéfact, généralement désuet à leurs yeux, ne devait entraver la réalisation de leur grandiose projet. Cette découverte s'avérait une jolie récompense après près de huit semaines de travail acharné et ininterrompu. Le contremaître contacta de nouveau sa patronne afin de lui annoncer la bonne nouvelle. On échangea la pelle mécanique pour du matériel de précision et le reste de la journée fut consacré à extirper délicatement ce spécimen préhistorique d'ursidé.

    1

    a journée marquant la fin du mois de janvier s'était révélée particulièrement glaciale dans cette ville du Nord du Québec. Ces conditions météorologiques étaient presque un anachronisme en ce début de XXIè siècle; le réchauffement climatique ayant considérablement adouci les saisons hivernales. Mais aujourd'hui, la journée imposait tellement sa froidure que l'air inspiré heurtait avec violence les alvéoles pulmonaires des quelques badauds ayant osé s’hasarder à l’extérieur. Ces rares, mais braves spécimens, emmitouflés dans leurs plus chauds habits, se déplaçaient prestement sur les trottoirs enneigés, les poumons en détresse, les capillaires sanguins des cavités nasales ne parvenant pas à réchauffer et humidifier adéquatement l'air froid entrant directement en contact avec eux. L’air frigorifié étant malheureusement relayé aux poumons sans vergogne.

    Le soleil, ayant pourtant rayonné sans intermittence depuis son apparition matinale, n'avait pas réussi à galvaniser cette journée d'hiver et l’alcool coloré s’avérait incapable d’effectuer la moindre migration dans les tubes de verre des thermomètres extérieurs. Ces objets que l'on devrait plutôt rebaptiser cryomètres aujourd'hui tant ils semblaient plutôt mesurer la quantité de froid que celle de chaleur. En effet, la stabilité du point de rencontre entre l’alcool liquide et celui en phase gazeuse se situait vis-à-vis une petite ligne indiquant -46 degrés Celsius. Au-dessus des maisons, la fumée chaude émanant des cheminées montait verticalement. Elle poursuivait cette direction rectiligne sans mouvements oscillatoires, empressée de se frayer un chemin de sortie au travers de la froide couche atmosphérique.

    Malgré le fait que les établissements scolaires soient fermés en raison du froid, peu d'enfants en avaient profité pour jouer au grand air, sinon pour de brefs instants. En cette fin d'après-midi, la quasi-totalité des travailleurs ayant courageusement osé aller travailler aujourd’hui avait promptement regagné leur domicile. Tous les recoins de la ville, sans distinction, semblaient calmes et enchâssés dans le froid.

    Comme la plupart des gens, Anita Gauvin retourna immédiatement à son logis après son quart de travail. Elle grelotta pendant l’entièreté du court trajet et arriva chez elle dans un état frigorifié; malgré l’intensité de chauffage qu’elle avait imposée à la soufflerie de son véhicule.

    Elle occupait un emploi qu’elle considérait minable; réceptionniste dans un cabinet de dentiste à la clientèle peu fortunée, dont l’hygiène dentaire laissait souvent à désirer. Dans le cadre de son emploi, elle avait l’obligation d’être aimable et de sourire hypocritement à des gens qui, eux non plus, n’avaient pas envie de sourire afin de ne pas dévoiler leurs dents cariées.

    Elle devait également réaliser de nombreux appels téléphoniques pour rappeler aux clients les heures de leur prochain rendez-vous et obtenir confirmation de leur présence afin de s’assurer d’un roulement de clientèle. Elle estimait perdre son temps à téléphoner aux gens, car, malgré son lot de réponses positives, environ une personne sur six ne se présentait pas au rendez-vous prévu. Ces absences étaient souvent noyautées par la couardise mais aujourd’hui, la disette de patients reposait essentiellement sur les rigueurs climatiques. Anita Gauvin s’acquittait également de la tâche ingrate de recevoir les honoraires. Cette partie de son boulot lui permettait de constater les énormes profits engendrés par les dentistes en comparaison de sa pauvre pitance. De plus, beaucoup de gens payaient par chèque en sachant pertinemment qu’ils ne possédaient présentement pas les fonds nécessaires pour couvrir les montants demandés. Dans ces cas-là, Anita Gauvin devait fréquemment contacter les mauvais payeurs et leur demander poliment de revenir au cabinet pour acquitter leur dû. Elle exécrait royalement cet aspect de son travail. En fait, ce stupide boulot de réceptionniste la rendait amère...

    Elle avait dû abandonner, il y avait quelques années, sa profession d’arpenteur géomètre car des douleurs continuelles aux genoux l’empêchaient de se déplacer aisément et de demeurer debout pour de longues périodes. Ses malaises rotuliens lancinants étaient causés par un important surplus de poids. Depuis cette perte d’emploi, sa vie glissait dans une spirale descendante comme si elle avait été tirée vers le bas par sa surcharge pondérale. En plus de perdre son travail dans le secteur de l’arpentage, elle avait aussi perdu son mari. Il l’avait quittée la journée où, entrant dans la chambre de bain à son insu, il l’aperçut sur le pèse-personne et remarqua que scintillaient les lettres  ERR  sur l’afficheur numérique : sa femme pesait maintenant plus de 300 livres! Son poids surpassait la capacité de lecture de l’appareil! Quelle honte! D’ailleurs, Anita savait que cette séparation surviendrait tôt ou tard car depuis plusieurs années, gêné de la taille de sa conjointe et nostalgique du corps qu’il avait jadis apprécié, il ne s’affichait plus ouvertement en public avec elle. Sans compter le fait que les moments intimes s’espaçaient de plus en plus entre eux. Ils étaient presque devenus deux étrangers habitant sous le même toit.

    Elle vivait désormais seule dans cette maison; résolument trop immense pour elle; mais pas encore assez grande pour réussir à y cacher sa peine. Elle avait perdu tout espoir de voir son mari revenir au bercail: elle n’avait cessé d’engraisser depuis leur séparation. Son psychologue, sans grande surprise, avait posé un diagnostic banal sur ses problèmes en suggérant à répétition qu’elle mangeait ses émotions. Quel incompétent! Elle savait déjà tout cela! À la dernière séance à laquelle elle avait assisté, il lui avait dit franchement de revenir le voir quand elle aurait perdu du poids et qu’à partir de ce moment seulement elle serait en mesure de cheminer grâce à ses consultations! Il discourait sur le fait que la majorité de ses problèmes disparaîtrait au même rythme que ses kilos superflus. Pourtant, ce qu’Anita désirait était fort simple. Elle voulait découvrir la vraie raison de la fin de la relation avec son mari. Elle ne pouvait croire que son aspect physique était la seule raison ayant entraîné cette rupture; elle était toujours aussi intelligente et gentille qu’avant, seule sa morphologie s’était transformée. Les hommes sont-ils superficiels à ce point? s’interrogeait-elle souvent. Si oui, pensait-elle, elle aurait à vivre péniblement son présent et futur célibat si la majorité des hommes devait être incluse dans la même clique que son ancien conjoint.

    Soucieux de la santé physique d’Anita, son entourage lui conseillait régulièrement de rencontrer une diététicienne. Anita refusait constamment cette avenue car son échec amoureux lui pesait plus que son surpoids. Elle savait pertinemment qu’elle était obèse, et cela même si elle avait fracassé de rage tous les miroirs de sa maison et n’avait pas fait souffrir un pèse-personne depuis des mois. Elle n’avait point besoin de ces deux objets pour le constater; elle pouvait simplement se fier aux regards méprisants d’autrui lui indiquant qu’elle était énorme.

    En pénétrant dans sa demeure, elle remarqua immédiatement qu’il y faisait frisquet. Elle se dépêcha de refermer la porte derrière elle afin d'écrouer la chaleur qui tentait de s’échapper bêtement de la maison. Elle se dirigea illico vers le poêle à bois et n’y vit qu’un peu de braise.

     Le bois semble toujours brûler plus rapidement lors des journées froides, dit-elle à voix haute comme si elle voulait gronder l’appareil de combustion.

    Son coffre à bois était vide; le froid des derniers jours ayant nui à ses ardeurs de le regarnir. Elle dut ressortir affronter le froid extérieur afin de quérir des bûches dans la petite remise au fond de la cour. Elle enfila un vieux manteau afin de ne pas salir celui qu’elle avait porté pour aller travailler. Vieux s’avérait un qualificatif imprécis dans ce cas-ci, car ce parka se voulait relativement neuf puisque Anita devait fréquemment renouveler sa garde-robe; non pas par souci de coquetterie mais plutôt parce que ses vêtements devenaient par l’enflure des choses souvent trop petits pour elle seulement après quelques mois. En fait, il s’agissait tout simplement de l’avant-dernier manteau d’hiver qu’elle s’était procurée à fort prix. En l’enfilant difficilement; sa graisse la restreignant dans ses mouvements, elle songea au fait que quelqu’un devrait ouvrir un magasin d’échange de vêtements pour obèses dont le poids fluctue constamment; on pourrait y dénicher de beaux vêtements propres car ceux-ci, peu portés, seraient pratiquement toujours à l’état neuf. Elle ouvrit la porte de sa maison en poussant un peu plus loin cette réflexion; par contre : le choix serait très limité car l’éventail disponible dans sa ville laissait vraiment à désirer pour les obèses.

    Malgré le froid, Mario Paquette suait abondamment. Il avait accepté cette mission particulière, non pas par bravade, mais bel et bien par appât du gain. Caché, il surveillait les déplacements de cet être vivant. La nervosité le rongeait de plus en plus à l’encontre de cette situation nouvelle. Il ne pouvait plus reculer désormais car son employeur lui avait déjà remis une forte avance monétaire. L’homme s’en rendait compte présentement, il avait malheureusement utilisé la totalité de cette somme afin de rembourser partiellement d’importantes dettes. Il s’avérait donc, autant au sens propre que figuré, acculé au pied du mur. Mario, enragé contre lui-même, se dit qu’il aurait dû réfléchir avant d’accepter mais son caractère impulsif, jumelé à sa piètre situation financière, l’avait empêché de raisonner adéquatement avant de donner sa réponse. Il avait d’ailleurs répondu affirmativement aussitôt que son interlocuteur avait dévoilé sous ses yeux la liasse de billets constituant le tiers du

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