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Que Dieu me pardonne (Chroniques célestes – Livre IV)
Que Dieu me pardonne (Chroniques célestes – Livre IV)
Que Dieu me pardonne (Chroniques célestes – Livre IV)
Ebook341 pages4 hours

Que Dieu me pardonne (Chroniques célestes – Livre IV)

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About this ebook

Eleanor ment à toute l’Édénie, pour ne pas détruire les derniers espoirs des guerriers célestes, et prétend pouvoir la sauver.
Les anges attendent d’elle qu’elle annihile les légions démoniaques de Lucifer et qu’elle rende sa sérénité au royaume.
La seule arme dont elle dispose ? Un glaive émoussé caché au fond de son sac.
La jeune humaine, qui semble ne se trouver là que par un malheureux hasard, sera-t-elle capable, pour ses amis, d’empêcher la chute de l’Édénie et d’accomplir une prophétie dont elle n’est même pas l’héroïne ?

Après « Les clés du paradis », « La chute de l’ange » et « Descente aux enfers », découvrez les ultimes aventures d’Eleanor dans « Que Dieu me pardonne », le quatrième et dernier tome de la saga « Chroniques célestes ».

LanguageFrançais
Release dateDec 11, 2018
ISBN9782370116369
Que Dieu me pardonne (Chroniques célestes – Livre IV)

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    Que Dieu me pardonne (Chroniques célestes – Livre IV) - Marie-Sophie Kesteman

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    Que Dieu me pardonne

    Chroniques célestes – Livre IV

    Marie-Sophie Kesteman

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2018 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2018. Collection Fantastique. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-636-9

    Nous sommes des anges déchus qui nous acharnons à remonter vers notre céleste origine.

    Christian Charrière

    1 – Notre meilleure option

    Allongé par terre depuis une éternité, les yeux clos, Gabriel semblait mort. Eleanor, les poings plantés sur les hanches, échangea un regard avec Oonel.

    — Quand tu accepteras de revenir à la vie, on cherchera une solution, d’accord ? finit-elle par lâcher.

    L’archange ouvrit les paupières et contempla un moment le plafond du poste de commandement. Les bourrasques soulevaient la toile graissée de l’édifice de fortune et le faisaient vibrer tout entier.

    — J’avais besoin de réfléchir.

    Le général se redressa sur son séant et jeta un regard fatigué aux deux jeunes gens qui se tenaient face à lui. Il faisait déjà nuit lorsque Eleanor et Oonel avaient rejoint l’armée. Les nouvelles qu’ils apportaient des Enfers étaient mauvaises et, avant même de penser à dormir, les deux amis avaient éveillé le prince. À présent, l’aube pointait à l’horizon.

    — La question que je vais vous poser n’a aucun intérêt, prévint Gabriel en se frottant nonchalamment les yeux, mais j’ai besoin que vous y répondiez… Vous êtes certains de ce que vous avancez ? Réfléchissez bien.

    Il se mit debout et s’épousseta. Les épais tapis, qui isolaient tant bien que mal la tente du sol, commençaient à s’imbiber de boue et produisaient d’ignobles bruits de succion à chacun des pas de l’archange.

    Oonel baissa le regard, comme s’il se tenait pour responsable des derniers événements. Il acquiesça d’un air sombre. Le prince soupira et leva le visage vers le ciel nocturne qu’il ne pouvait pas voir, les mains sur la taille. Il ferma les yeux.

    — C’est à se demander où notre malheur s’arrêtera. (Il marqua une pause) S’il s’arrête.

    Au-dehors, le campement était silencieux, mais, compte tenu de la gravité des nouvelles qu’elle apportait, Eleanor avait insonorisé la tente avant d’adresser le moindre mot à son tuteur, ne serait-ce que de banales salutations.

    Gabriel croisa les mains dans le creux de ses reins et commença à faire les cent pas. L’Ombre le suivait du regard, irritée par les bruits visqueux qu’émettaient les tapis. Lorsqu’elle interpella à nouveau l’archange, son ton était plus tranchant qu’elle ne l’aurait voulu. Il ne releva pas l’agressivité de sa protégée, trop absorbé par ses pensées.

    — Bon, Gabriel, on fait quoi ?

    L’intéressé s’immobilisa le temps d’un battement de cœur, avant de reprendre ses allers-retours fébriles, comme s’il n’avait pas entendu la question.

    — Qu’est-ce qu’on fait ? répéta-t-il, sans même la regarder. Je n’en sais fichtrement rien. On ne dit rien à personne en tout cas. Si jamais la rumeur… Non, non, non (il semblait au bord de la crise d’hystérie), ça ne doit surtout pas s’ébruiter ! Toute cette histoire doit rester entre nous.

    Quelqu’un passa près du poste de commandement et les trois compagnons se turent, attendant que l’importun s’éloigne. Dès que le silence revint, le prince se tourna vers le sylve et Eleanor. Sous ses yeux commençaient à apparaître des poches teintées de violet. Les archanges aussi ont leurs limites. Même Dieu.

    — Après votre départ, la nouvelle de la désertion et de la mort de Métatron s’est répandue comme une traînée de poudre dans les rangs, expliqua Gabriel. L’humeur des troupes est maussade. (Il leur adressa un regard empli de reproches) Votre défection n’a pas aidé… Les légionnaires commencent à se méfier de moi et du conseil. Ils se mettent à douter de notre capacité à gérer cette guerre. (Il grogna de mécontentement) nous devons absolument garder la trahison d’Abrahel secrète, surtout à l’aube de notre entrée en Plaines sauvages.

    Ils restèrent un moment silencieux.

    — D’ailleurs, reprit-il d’un ton las, comme s’il savait que ce qu’il allait dire n’avait pas la moindre importance, votre « mission » aux Enfers…

    Eleanor sourit d’un air serein, mais, à l’intérieur, elle frissonnait. Sa main se serra par réflexe sur la bandoulière de sa sacoche.

    — Un vrai fiasco, comme tout le reste. Je voulais (elle hésita) profiter de l’éloignement de l’armée infernale pour essayer d’atteindre Lucifer, mais… il y a encore trop de guerriers qui gardent la grande crypte.

    L’archange ne semblait pas avoir écouté un seul mot de son mensonge. Il avait l’esprit ailleurs. Il leva le regard vers eux sans redresser complètement la tête. Ces yeux-là ne présagent rien de bon, se dit Eleanor.

    — Oonel et toi, reprit son tuteur d’une voix adoucie, presque caressante, vous aviez une excellente relation avec lui, n’est-ce pas ? Avec Abrahel, je veux dire… Vous vous entendiez bien.

    La jeune fille grimaça, sentant venir le pire plan qui soit à cinq cents coudées.

    Le maître d’harmonie répondit par l’affirmative.

    — Il vous serait possible d’entrer en contact avec lui ?

    — On n’a aucune idée d’où il se trouve à présent, répliqua Eleanor d’un ton catégorique.

    Il me suffirait d’envoyer un murmurant, mais je refuse d’encourager cette folie… L’archange frotta un instant la barbe naissante qui recouvrait le haut de ses joues. Alentour, les bruits de la nuit s’apaisaient peu à peu. Les hiboux et les chouettes paraissaient accablés de fatigue.

    — Faites votre possible pour le retrouver : essayez de lui faire entendre raison et ramenez-le dans nos rangs.

    La jeune fille darda sur son tuteur un regard scandalisé. Son sang bouillonnait.

    — Tu veux vraiment d’un traître comme lui dans ton armée ? Utilisons un démon pour vaincre l’autre démon ? (La colère lui donnait envie de rire) C’est ça, ta solution ?

    Gabriel se laissa tomber sur sa couche de paille et appuya lourdement les bras sur ses cuisses. Chaque jour, il semblait à Eleanor qu’il vieillissait de dix ans. Il leva sur elle un regard qu’elle eut beaucoup de mal à soutenir tant ses yeux débordaient de crainte. Au travers du lien d’âme qui les unissait, la princesse la ressentait aussi vive que si elle avait été la sienne. Pourtant, elle n’avait pas peur. Pas cette fois.

    — Ça l’est, tant que tu ne me proposes pas de meilleur plan, dit-il en faisant un geste vague de la main, comme s’il attendait d’elle une idée de génie qui réglerait d’un coup tous leurs problèmes.

    Il soutint son regard. Eleanor pensa au vieux glaive émoussé qu’elle tenait caché dans sa sacoche et ses épaules s’affaissèrent. Elle n’avait pas d’autre option à présenter. Aucune susceptible de les aider, tout du moins.

    — On fera au mieux, mais je crains que cette bataille ne soit perdue d’avance. Il ne reviendra pas.

    Un sourire dépourvu de joie étira les lèvres de l’archange qui fixait le sol sans vraiment le voir.

    — Perdue d’avance, répéta-t-il pour lui-même. Comme cette guerre.

    Eleanor posa brièvement la main sur la tête de son tuteur avant de prendre congé.

    — Et pourtant, on est toujours là à se battre.

    — Prince ! appela quelqu’un depuis l’extérieur.

    D’un geste, Eleanor leva l’insonorisation. Sur les ordres de Gabriel, un légionnaire entra, une Ombre sur les talons.

    — Les éclaireurs, Prince.

    L’archange fronça les sourcils alors que l’Andoïe s’inclinait.

    — Pourquoi es-tu revenue seule ? demanda-t-il. Où est ton camarade ?

    La trentenaire secoua la tête, l’air sombre.

    — Severin a été fait prisonnier à Merrats, déplora-t-elle. Je n’ai aucune idée du sort que les démons lui ont réservé. Je ne dois ma survie qu’à une chance insolente.

    Le visage de l’archange se durcit. À nouveau, il n’écoutait plus.

    — Les Enfers contrôlent donc bien la cité… (Il redressa la tête) Si Severin est encore en vie, nous le sauverons.

    L’Ombre, qui appartenait à la troisième génération, demanda la permission de prendre congé pour se reposer. Lorsqu’elle quitta la tente, Eleanor se tourna vers son tuteur.

    — C’est quoi, cette histoire d’éclaireurs ?

    Gabriel se leva et se pencha sur l’immense carte qui couvrait sa table de travail. Il saisit deux pions noirs dans la réserve et les déplaça sur Merrats.

    — Les membres de la Caste quadrillent les terres andoïes alentour à la recherche de l’armée de mon frère. (Il posa le doigt sur la capitale de l’Argol) Et, apparemment, elle se trouve à portée de mon bras.

    2 – La décision de Habrok

    Habrok s’apprêtait à exploser, d’un instant à l’autre.

    Eleanor et Oonel attendaient avec appréhension que l’éruption se déclenche, mais il leur semblait que ça faisait une ère que l’ange se tenait immobile au centre du groupe formé par la dix-septième légion. Des plaques rouges irrégulières et de mauvais augure coloraient son visage.

    — Chef ? l’interpella Gaël dont la patience n’était pas la plus grande vertu.

    Eleanor tressaillit lorsque la main de Habrok se dressa en l’air en un avertissement silencieux. Le jour était levé depuis longtemps maintenant, et le campement grouillait d’activité. Seule leur légion se tenait raide au beau milieu de toute cette agitation matinale.

    — Eleanor, dit soudain le chef. Oonel.

    Il articulait si lentement les syllabes que son discours donnait l’impression d’être haché.

    — Je n’ai aucune idée de ce qui vous est passé par la tête (l’ombre sentit une sueur glacée couler le long de sa nuque lorsque le regard de l’ange se posa sur le sylve, puis sur elle), mais sachez que l’unique chose qui m’empêche de vous bannir immédiatement de cette légion est la promesse que j’ai faite au prince lui-même. Rappelez-vous cependant ceci : à la prochaine bavure (il grinça des dents pour se retenir de hurler) aussi infinitésimale soit-elle, je raye définitivement vos noms de la liste des membres de ma troupe, sans retour en arrière possible, serait-ce à la demande du roi en personne.

    Eleanor avait l’impression qu’un gigantesque étau s’était refermé autour de sa gorge et gênait sa respiration. Oonel était blême. Que se passerait-il s’ils étaient exclus de leur légion ? Seraient-ils changés de groupe ou pire, seraient-ils renvoyés au Palais, sans plus de cérémonie ? La jeune fille déglutit et se jura d’obéir aveuglément à Habrok. Elle n’avait aucune envie de savoir ce qu’il adviendrait d’elle et d’Oonel si leur chef mettait ses menaces à exécution.

    — Tant que je ne vous autorise pas à nous rejoindre à l’entraînement, reprit ce dernier, je ne veux ni voir vos têtes ni même entendre parler de vous. Laissez-moi digérer votre désertion, car, pour l’instant, rien que le son de vos noms me donne la nausée.

    Les deux amis fixaient le sol comme s’il constituait une découverte terrifiante. Il existait de ces personnes qu’on ne pouvait pas regarder en face. Habrok, lorsqu’il était en colère, était l’une d’elles.

    — Et je ne veux plus entendre un seul mot sortir de votre bouche tant que je ne vous ai pas dit être capable de tolérer votre voix. C’est bien clair ?

    Ils inclinèrent une nouvelle fois le menton. Eleanor aperçut Limon, le chef de la troisième légion, se moquer ouvertement d’eux. Ça n’éveilla pas en elle la moindre once de ressentiment. Sa conscience tout entière était obnubilée par les propos de Habrok. Oonel et elle regardèrent leurs camarades s’éloigner entre les tentes écrues. Seuls Gen, Erwin, Gaël et Po osèrent se retourner et leur adresser un signe d’encouragement.

    Lorsque leurs silhouettes eurent disparu, les deux compagnons restèrent paralysés au beau milieu du campement en effervescence ; les yeux braqués sur la ligne d’horizon imaginaire, constituée d’une multitude de toits en tissu pâles. Quelqu’un bouscula Oonel, les tirant de leur torpeur.

    — Ça aurait pu être pire, non ? demanda-t-il en se frottant l’épaule.

    Eleanor se tourna lentement vers lui, avec une envie folle de le secouer jusqu’à ce que les yeux lui sortent des orbites.

    — Ça aurait pu être pire ? Alors là (elle fit un grand geste avec les bras), je ne vois pas comment !

    Elle fourra les mains dans ses poches et s’éloigna, la tête basse. Le sylve la suivit sans une hésitation. Le campement avait été établi à la frontière entre le territoire andoïe et la Plaine sacrée, à la sortie de la vallée de Caldare. À l’est et à l’ouest s’étendait Hen Goedwig, la vieille forêt. Eleanor détourna rapidement le regard ; elle ne gardait aucun bon souvenir de cet endroit. Parfois, il lui arrivait de retourner en rêve sous les sombres canopées, et ces rêves-là finissaient toujours mal.

    Oonel et Eleanor regagnèrent leurs quartiers en toute hâte, désireux de s’extraire de la cohue qui se pressait entre les tentes. Les légionnaires affûtaient leurs lames, réparaient les accrocs à leur tunique, ramassaient du bois et s’entraînaient à l’épée. Les deux amis n’avaient pas leur place parmi eux aujourd’hui, et les regards qu’on leur lançait étaient clairs quant à l’opinion des guerriers sur leur désertion temporaire.

    L’Ombre et le sylve regagnèrent le campement de la dix-septième et hissèrent leur tente à la hâte, pour se dissimuler aux yeux de l’armée.

    — Bien ! souffla Eleanor en se laissant tomber sur son duvet. On va profiter de notre liberté inattendue pour satisfaire Gabriel en contactant Abrahel.

    Elle fit apparaître dans sa paume une perle argentée.

    — Une liberté « inattendue » ? répéta Oonel, l’air ironique. Ils n’ont aucune idée de la raison de notre disparition… Alors tu t’étais attendue à quoi, au juste, à une énorme banderole avec « Bon retour parmi nous, merci d’avoir risqué votre vie dans les cachots de la grande crypte ? » écrit dessus ?

    Eleanor s’allongea sur le ventre. Elle aurait aimé expliquer à Habrok et à ses camarades de légion pourquoi elle avait dû partir, mais elle ne pouvait pas en dire un mot, sous peine de fragiliser son terrible secret. Et si jamais la rumeur se met à courir que je ne suis pas l’enfant de la prophétie… Ce n’est pas tant ma réputation qui en prendrait un sacré coup, mais bien la crédibilité de Gabriel, ou du moins ce qu’il lui en reste, par ma faute… À côté de cette information, la trahison d’Abrahel passerait pour un fait divers.

    La princesse joua un instant avec la bille qui scintillait entre ses doigts. En ces jours sombres, elle détestait l’angelot du plus profond de son être et, pourtant, elle mourait d’impatience de le revoir. L’ambiguïté de ses sentiments agitait douloureusement les tréfonds de son âme.

    — Bon, tu le lui envoies ce murmurant ou pas ? la stimula Oonel.

    Elle souffla sur la petite sphère qui s’envola et disparut au-dehors. Le sylve retira son pull orange vif. Ses cheveux, électrisés, se dressèrent comiquement sur son crâne. Il les aplatit grossièrement avec la main.

    — Qu’est-ce que tu lui as dit ?

    Eleanor roula sur le côté pour faire face à son ami. Elle devinait aux étincelles qui pétillaient dans le regard du maître d’harmonie qu’il attendait beaucoup de cette éventuelle entrevue. Lui aussi devait avoir d’innombrables questions à poser à Abrahel et encore bien plus de choses à lui dire.

    — Je lui ai simplement proposé une rencontre. Pour l’instant, on ne peut faire qu’espérer une réponse… Mais, si tu veux mon avis, il n’y en aura aucune.

    Pourtant, au crépuscule de la même journée, quelque part au milieu des Plaines sauvages, une main s’ouvrit sous la petite sphère argentée et l’absorba.

    3 – Rencontre crépusculaire

    — J’ai mal à l’estomac, se plaignit de nouveau Oonel.

    Eleanor ne répondit pas. Les mille et une questions qu’elle avait préparées tourbillonnaient dans sa tête. Il ne fallait en omettre aucune, car ce pouvait bien être la dernière fois qu’elle voyait Abrahel.

    Le sylve plaqua la main sur ses lèvres.

    — Je crois que je vais vomir.

    Dans le silence crépusculaire de la vieille forêt de Hen Goedwig, Oonel rendit son dîner avec d’horribles bruits d’éclaboussures. Son amie claqua sa langue contre son palais en guise de réprobation.

    Il avait fallu moins de deux jours pour obtenir la réponse d’Abrahel. Dès que le murmurant s’était fondu dans la paume ouverte d’Eleanor, cette dernière avait fermé les yeux et savouré chaque vibration de la voix de l’angelot. C’était comme si elle avait été projetée des cycles lunaires plus tôt, lorsqu’il était toujours celui qui la protégeait.

    Une silhouette surgit soudain de derrière un tronc. Eleanor et Oonel frissonnèrent de concert. Il sembla à l’Ombre que l’univers tout entier s’était tout à coup mis à tanguer, lui chavirant l’estomac. Hier encore, son cœur semblait mort. Aujourd’hui, il battait à lui pulvériser les côtes.

    Quand il se fut assuré qu’ils étaient seuls, Abrahel rejeta sa capuche sombre sur ses épaules et baissa le tissu qui lui couvrait la moitié inférieure du visage.

    — Salut.

    Eleanor ferma un bref instant les yeux, savourant les nuances de contralto de la voix de l’angelot. Ce dernier s’adossa à un arbre, à bonne distance de ses deux anciens camarades. La princesse avait soudain la tête vide. Elle s’était imaginé six cents fois cette scène, de six cents manières différentes, mais toutes ses belles répliques s’étaient envolées à l’instant même où son ami avait entrouvert les lèvres.

    — Salut, répondit finalement Oonel, prudent.

    Il se balançait sur ses jambes d’avant en arrière selon un rythme erratique.

    — Vous vouliez me parler de quelque chose ? demanda Abrahel en leur faisant signe de prendre la parole.

    Mais aucun d’eux n’osa démarrer la discussion et ils se murèrent dans un silence pesant. Un mouvement d’air agita la canopée au-dessus de leurs têtes. Abrahel finit par grogner de mécontentement.

    — Si vous m’avez fait venir jusqu’ici pour qu’on se regarde dans le blanc des yeux, je m’en vais immédiatement. J’ai pris le temps d’honorer ce rendez-vous malgré le travail que j’ai et…

    Oonel s’avança soudain d’un pas assuré vers celui qu’il avait un jour considéré comme son frère. Abrahel ne bougea pas lorsque le sylve s’immobilisa à deux pouces de lui. Puis, soudain, le maître d’harmonie lui décocha un coup de poing si violent dans l’estomac que l’angelot chancela. Eleanor fonça sur son compagnon et lui attrapa le poignet avant qu’il ne frappe à nouveau.

    — Oonel ! Reprends-toi, bon sang !

    Il se dégagea d’un geste rageur, ses iris verts fixés sur celui qui avait été son frère.

    — J’en avais besoin. Pourquoi es-tu parti comme ça ? hurla-t-il. Sans un mot, sans même un « Au revoir » !

    Une main sur son estomac, l’intéressé se redressa, une expression de fureur pure sur le visage. Autour d’eux, les bruits de la forêt emplissaient tout l’espace. Eleanor serra les poings, tous ses sens en alerte. J’ai un mauvais pressentiment. Les deux garçons se mesuraient du regard et elle avait la nette impression qu’au moindre faux pas, ils se sauteraient dessus et que la situation tournerait au cauchemar. Elle tentait de trouver les mots justes pour apaiser les deux belligérants lorsque Abrahel prononça ceux qui la firent sortir de ses gonds.

    — Toute cette histoire ne concerne que moi. Je ne vous dois aucune explication.

    La jeune fille pivota sur elle-même et empoigna l’angelot par le col de sa chemise, bousculant Oonel au passage. Elle le plaqua violemment contre le tronc derrière lui. Eleanor soutint le regard froid d’Abrahel avec aplomb et amena son visage à moins d’un pouce du sien. Le garçon ne sourcilla même pas à l’impact de l’arbre sur son dos. Il eut un sourire foncièrement moqueur.

    — Tiens donc, on a trouvé une sacrée dose de courage dans l’armée céleste, la provoqua-t-il.

    La jeune fille lui rendit son rictus.

    — Si tu veux mon avis, c’est plutôt toi qui as perdu de ta prestance. Tu sembles avoir molli aux Enfers, Abrahel. (Elle le relâcha sans le quitter des yeux) Quoi que tu en penses, tu nous dois des explications !

    Il fit craquer sa nuque avec nonchalance et plongea le regard dans celui de son amie.

    — Non, aucune.

    Sa main partit sans qu’elle en ait conscience, mais Eleanor ne regretta pas son geste, dont le claquement sec retentit dans la forêt, ôtant une exclamation de surprise à Oonel. Le sylve eut un mouvement vers l’angelot avant de se reprendre et de reculer. Ce dernier passa les doigts sur sa mâchoire.

    — J’ai serré ton cadavre dans mes bras ! explosa l’Ombre en pointant un index accusateur sur Abrahel. J’ai inhumé un cercueil vide devant tout le peuple céleste et je t’ai pleuré jusqu’à aujourd’hui, en revoyant chaque nuit ton exécution ! J’ai arrêté de vivre il y a six cycles solaires… Alors, quoi que tu en penses, tu me dois des explications ! Et si tu veux un bon conseil : elles ont intérêt à être claires !

    La jeune humaine se dit un instant que la façon dont ils avaient engagé la conversation ne serait pas pour plaire à Gabriel qui espérait récupérer la loyauté de l’un de ses meilleurs guerriers. Mais l’image du prince se délita rapidement dans l’esprit d’Eleanor ; les ressentiments qu’elle nourrissait à l’égard de l’angelot étaient tels qu’avant d’évoquer la véritable raison de cette convocation, elle se devait de mettre les derniers événements au point.

    — Pourquoi as-tu fui ? répéta Oonel d’une voix beaucoup plus calme, presque peinée.

    Abrahel garda un moment le silence avant de soupirer.

    — Parce que je devais partir.

    Eleanor croisa les bras sur sa poitrine et fronça les sourcils.

    — J’ai dit « claires ».

    Il lui jeta un regard incendiaire et grinça des dents. À présent, il faisait si sombre qu’ils ne se voyaient plus qu’en nuances de gris. Eleanor n’était toujours pas habituée à cette vision nocturne et elle discernait encore mal les contours des choses. L’angelot remonta sa capuche de toile, comme si elle pouvait le protéger du monde et du courroux des deux personnes dont il était jadis le plus proche. Il soupira et mit ses mains sur sa taille.

    — Il n’y a pas de raison à mon départ dans le sens où vous l’entendez. J’avais quitté mon foyer depuis beaucoup trop longtemps… Le moment était venu pour moi de rentrer.

    Du coin de l’œil, Eleanor aperçut Oonel faire la grimace. Pour lui, le « foyer » de l’angelot avait toujours été le même que le sien : Sylvius. Dans la tête d’Abrahel, cela ne semblait pas aussi clair.

    — Et tu t’es dit qu’il était temps de rentrer, reprit la jeune fille, comme ça, au beau milieu d’une quête de cette envergure, alors que tu aurais pu le faire depuis des dizaines d’années ? N’affabule pas, Abrahel, il s’est passé quelque chose. On ne décide pas de tout quitter du jour au lendemain. Tu peux bien nous le dire, maintenant qu’on sait à peu près tout. (Eleanor faisait son possible pour ne pas se mettre à hurler) Ça ne pourrait pas être pire que d’apprendre que tu es toujours en vie et surtout que tu nous as menti depuis le premier jour de notre rencontre…

    Avec sa capuche remontée sur son front, les yeux de l’angelot n’étaient plus que deux gouffres sombres, mais Eleanor sentit le garçon se crisper. Il carra les épaules.

    — Je ne suis pas autorisé à en dire plus, lâcha-t-il après un temps d’hésitation.

    — Il se fiche de moi, demanda la princesse en se tournant vers Oonel. (Elle se recentra sur Abrahel) Tu vas vraiment te défiler avec ce genre d’excuse bidon ?

    L’Ombre avait envie que son compagnon réagisse, qu’il baisse la tête, gêné, ou même qu’il entre dans une colère noire, comme ça lui arrivait si souvent auparavant, mais il resta stoïque, à la regarder bien en face.

    — Disons simplement que mon géniteur est d’un naturel suspicieux et que la patience est une vertu qui lui fait cruellement défaut. J’avais de toute manière comme projet de rejoindre les miens avant l’Armageddon, car (il haussa les épaules avec désinvolture) ça aurait été contre nature de voir un démon combattre parmi vos rangs, non ?

    — Ta mère est un ange, lui rappela Eleanor. Tu aurais tout à fait pu intégrer notre armée. Et puis, depuis quand attends-tu l’autorisation de quiconque pour dire ce dont tu as envie ?

    — Tu crois que j’aurais eu ma place parmi les guerriers célestes ? ricana-t-il. Sûrement… Comme j’avais ma place à Sylvius et au Palais, n’est-ce pas ? Ne me fais pas rire. Quant à vous en raconter plus sur ce qui nous a menés à tout ça, je n’y tiens simplement pas.

    Oonel

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