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Terreur domestique
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Ebook397 pages11 hours

Terreur domestique

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About this ebook

À Trois-Rivières, l’inspecteur Jean-Sébastien Héroux enquête sur une série d’explosions suspectes qui pourraient être provoquées par un groupe terroriste. Personne n’est à l’abri : tant les enfants que les personnes âgées sont pris pour cible, les attaques aussi sournoises que brutales jetant sur la ville un étouffant climat de panique.
Pourquoi Trois-Rivières? Pourquoi tant d’innocents? Tandis que la peur étend ses horribles tentacules, une course contre la montre s’enclenche. Saura-t-on éviter le pire?
Un roman haletant et d’une troublante actualité dans lequel des menaces qui semblaient si lointaines se rapprochent dangereusement…
LanguageFrançais
Release dateMar 16, 2016
ISBN9782897580803
Terreur domestique
Author

Guillaume Morrissette

Polymathe et membre actif de MENSA Canada, Guillaume Morrissette habite à Trois-Rivières et enseigne à l’UQTR. Après cinq enquêtes de l’inspecteur Héroux (L’affaire Mélodie Cormier, Terreur domestique, Des fleurs pour ta première fois, Deux coups de pied de trop et Le tribunal de la rue Quirion), Guillaume Morrissette nous offre le premier texte 100% québécois de la collection Psycho Thriller.

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    Terreur domestique - Guillaume Morrissette

    ÉPILOGUE

    NITRO

    – Mardi, 20 novembre 2012, avant-midi

    Rue Laflamme, Trois-Rivières-Ouest

    Une rivière coulait sur l’asphalte. Si ce n’était de la quantité de puisards qui jonchaient le quartier, nul doute que l’eau aurait déjà rejoint la côte Rosemont, un kilomètre plus bas.

    S’imaginant des températures plus froides et une longue patinoire inclinée remplie de gamins, l’enquêteur Jean-Sébastien Héroux faufila sa voiture parmi les camions de pompiers et les voitures de police qui étaient stationnés un peu partout dans la rue Laflamme. Devant lui, à sa droite, de la fumée s’échappait de ce qui restait d’un bungalow. On voyait le nuage noir depuis le centre-ville. Au-delà d’un bandeau jaune qui empêchait quiconque de s’approcher, une voiture familiale était renversée sur le côté, dans l’entrée, sous le carport qui était tombé dessus, comme si elle avait été soufflée par une bourrasque avant d’être ensevelie par le toit. Les sapeurs ramassaient déjà une partie de leur équipement après ce qui fut sans doute une dure matinée dans le froid grimpant du mois de novembre. Dans la foule massée en amont et en aval de la rue de Florence, qui croisait perpendiculairement la rue Laflamme devant la maison sinistrée, l’enquêteur reconnut quelques têtes. Héroux disparut ensuite derrière un camion d’incendie.

    Trois-Rivières était le dernier endroit au Québec (au monde?) où certains policiers étaient également pompiers, et c’était une situation qui n’allait plus durer. Bientôt, la ville serait dotée de deux équipes bien distinctes, mais pour l’heure, Héroux connaissait plusieurs des agents qui terminaient le quart de nuit lorsque l’alerte fut déclenchée et qui avaient dû trouver de l’énergie pour enfiler leur équipement et aller combattre un feu.

    Le patron avait un grand respect pour ces professionnels qui exerçaient deux métiers dangereux simultanément. En passant sous le ruban, il en salua un qui s’affairait à couper l’alimentation en eau d’une borne d’incendie.

    Gravissant le talus sur quelques mètres, Héroux remarqua la présence de Stéphane Larivière et alla directement à sa rencontre. Larivière était l’enquêteur en fonction cette semaine, c’est à lui qu’incombait la tâche de se déplacer en dehors des heures normales si le besoin se présentait. Père de trois enfants, dont le dernier était un bébé, il combinait la vie de famille et le travail avec une facilité déconcertante.

    Avec Stéphane, les choses étaient simples.

    — Il fallait bien que ça arrive un jour, lança Héroux tout haut en pénétrant dans le périmètre de sécurité, évitant au passage de mettre le pied dans le ruisseau temporaire qui se formait sur la bordure de trottoir.

    — Salut boss. Quoi donc? s’enquit Larivière en soufflant sur ses mains pour les réchauffer.

    — Un incendie sur la rue Laflamme.

    — Hum… je n’y avais pas pensé. J’avoue que c’est un peu funeste.

    Héroux salua Alexandra Caron, du service de l’identité judiciaire, qui s’affairait dans les décombres un peu plus loin. Une deuxième silhouette attira son attention.

    — Qui c’est, lui? demanda Héroux en pointant un homme qui était accroupi près d’Alexandra.

    — Christian Berberat, le nouveau technicien.

    — Berberat?

    — Oui, il est suisse.

    — C’est lui qui va remplacer Mike?

    — Il paraît.

    — Eh bien… murmura Héroux.

    L’enquêteur en chef eut une pensée pour son collègue Michel qui avait pris sa retraite il y a deux ans et qui n’avait pas encore été remplacé. Le service de l’identité judiciaire n’était plus le même sans lui: il y avait travaillé pendant plus de vingt ans. Alexandra Caron faisait tout de même un travail remarquable, malgré son caractère légendaire. Il faut dire qu’elle avait été entraînée par le vieux singe et connaissait presque tous ses secrets.

    Malgré tout, Héroux avait un pincement au cœur en voyant le flambeau être passé pour de bon.

    — Ça va sûrement nous aider, il a été démineur durant son service militaire, dit Larivière.

    — Comment?

    — Berberat, il a une expertise en explosifs, répéta Stéphane, sortant du même coup Héroux de ses pensées.

    — Ah oui?

    — Il a travaillé durant un bout de temps pour le gouvernement suisse, expliqua-t-il. Il a aidé à développer les techniques pour repérer les engins et les rendre hors d’état de nuire. Il a marié une Québécoise et a obtenu le poste occupé jusque-là par Michel quand ils sont venus s’installer ici.

    — Il va trouver ça tranquille, il n’y a eu qu’une bombe depuis que je suis en service, ajouta Héroux en faisant référence à un criminel qui avait fait exploser le portique d’un édifice fédéral quelques années auparavant. Ça avait été un incident isolé.

    L’événement, qui s’était déroulé durant la nuit et n’avait pas fait de blessé, était rapidement tombé dans l’oubli.

    — Justement, les techniciens pensent que ça a sauté, précisa Larivière en faisant signe à Alexandra.

    Accompagnée du nouvel arrivant, elle s’approcha d’eux.

    — Salut, dit Héroux en serrant la main de Berberat.

    — Christian Berberat, nouveau technicien en identité judiciaire, rétorqua l’homme avec un fort accent suisse-allemand.

    — Jean-Sébastien Héroux, enquêteur en chef. Enchanté, bienvenue parmi nous. Salut Alex, enchaîna-t-il en se tournant vers elle. Beau merdier!

    — Bonjour monsieur. En effet. Deux victimes, annonça-t-elle en indiquant un endroit dans les décombres.

    Elle les invita à la suivre.

    — Lui, il n’est pas beau à voir.

    Le chef fronça les sourcils en apercevant la carcasse mutilée et calcinée qui gisait dans la partie nord de la maison.

    — L’autre est ici, dit-elle en soulevant une planche noircie. Un jeune homme, début vingtaine, au premier coup d’œil. Pas de blessures apparentes, asphyxie, probablement.

    Le corps était couché face contre terre et ses vêtements arboraient quelques traces de brûlure. Son état était bien différent de l’autre cadavre.

    — Des informations sur les habitants de la place? demanda Héroux.

    — Un homme, sa femme et son fils, répondit Larivière. Il manque une voiture dans l’entrée, pas de traces de la femme.

    — Il faut la trouver, insista le chef. Et puis il faut confirmer l’identité de ces deux-là.

    — J’ai envoyé le signalement de l’autre véhicule aux patrouilles. Ils vont se rendre chez l’employeur de la femme et essayer de la joindre.

    Good. C’est toi qui es arrivé le premier?

    — Oui, après les pompiers. On a reçu le premier appel au 911 vers six heures et quart ce matin, raconta Larivière. Un voisin a entendu une détonation. Plusieurs autres personnes ont aussi contacté le 911 dans les minutes suivantes pour signaler le bruit et un début d’incendie. Selon la première équipe arrivée sur les lieux, il ne restait déjà presque plus rien du côté gauche de la maison. L’autre moitié brûlait encore et les gars ont essayé de faire quelque chose, mais ça s’est écroulé en partie et ça s’est presque éteint tout seul. Les pompiers ont eu un doute en voyant l’état des lieux et ont demandé un enquêteur, alors je suis arrivé ici vers sept heures et demie, et puis on a trouvé le premier corps.

    Héroux consulta sa montre: il était presque neuf heures.

    — Une détonation, tu disais?

    — C’est ça, acquiesça Larivière.

    — Quelque chose de bien circonscrit, monsieur.

    Le chef se tourna vers Berberat, qui venait de parler. Jamais il ne le lui dirait, mais il aimait son accent.

    — Expliquez-vous, demanda Héroux en échangeant un regard avec Alexandra.

    — Comme je le disais à Stéphane tout à l’heure, cette piaule a explosé, monsieur. Ça a soufflé toute la partie ici, indiqua-t-il, et même la bagnole. Le toit s’est effondré et le feu a consumé ce qui était resté debout. Ça vient peut-être des braises, mais le feu n’est pas à l’origine de tout ça. La force de l’impact est là, dit-il. C’est de la brique, alors du coup, ça n’a pas pris feu, mais ça a violemment poussé!

    — Ça concorde avec le premier témoignage, approuva le chef, intéressé. Vous pouvez m’en dire plus?

    Berberat sourit.

    — J’ai pensé au gaz, comme du propane, mais cette maison n’a pas de réservoir de la sorte. En plus, ce type de réservoir se trouve à l’extérieur en général. Chez nous, c’est la même chose. Et venez voir ici, proposa-t-il.

    Il les dirigea prudemment vers la partie nord, là où le premier corps gisait.

    — L’âtre. Regardez l’âtre.

    Devant eux se trouvait un amas de métal tordu. La façon dont les pointes de fonte étaient dirigées suggérait qu’une puissante explosion avait eu lieu à l’intérieur.

    — C’est de la fonte, expliqua Alexandra. Ça prend une méchante force pour la déformer comme ça. C’est clair que le feu n’a rien à voir là-dedans. Et anyway, même si quatre étages tombaient sur un poêle, il n’aurait jamais l’air de ça.

    — Le foyer a explosé, déclara Christian. Je ne sais pas encore quel produit a été utilisé, mais je peux vous dire que ce n’est pas de la benzine.

    — De la quoi? demanda Héroux.

    — De la benzine, de l’essence.

    — Ah.

    — Ça sentirait partout et ça aurait brûlé pas mal plus. Ça prend quelque chose de sérieux pour faire un fouillis comme ça, mais pas de la benzine.

    Héroux ne put s’empêcher de sourire en écoutant le nouvel arrivé.

    — Alors selon vous, une explosion dans le foyer serait à l’origine de tout ça?

    — C’est ce que je crois.

    — Je vais m’occuper des corps et de l’identification pendant que Christian creuse dans les décombres pour trouver une cause d’explosion, proposa Alexandra.

    Good, good, répondit Héroux, songeur.

    Le chef cherchait dans sa tête. Il se souvenait de quelque chose, d’un événement semblable. Il sortit son cellulaire.

    Soucy.

    — Bridge, dit-il, c’est Héroux. J’aimerais que tu fasses une petite recherche pour moi.

    Je vous écoute.

    — Je suis peut-être dans le champ, mais j’ai souvenir d’un poêle à combustion lente qui aurait pété il n’y a pas si longtemps. Pas de victime, maison détruite… Ce n’était pas dans le coin, mais je suis certain d’avoir lu là-dessus. Tu pourrais jeter un coup d’œil?

    Je regarde à l’instant.

    Good, tu me rappelles si tu trouves.

    Après avoir raccroché, le chef confia le début de l’enquête à Stéphane Larivière et retourna à sa voiture. Les expertises médico-légales suivraient et ce malheureux incident, sûrement accidentel, serait classé rapidement.

    Il décida de retourner au bureau pour terminer quelques dossiers qui traînaient et ne tarda pas à avoir des nouvelles de Brigitte concernant sa requête.

    Brigitte Soucy.

    Femme discrète, imperturbable et débrouillarde. Surtout, ne pas passer de commentaires sur ses courts cheveux blonds, qui étaient plus châtains que blonds aux yeux d’Héroux. Quoi qu’il en soit, Brigitte n’était pas blonde au sens de la blague et abordait son métier avec sérieux. Elle avait quoi, trente-cinq ans? C’est une estimation qui en valait une autre. Elle parlait peu de sa vie privée, chose qui n’importunait pas Héroux le moins du monde, car elle travaillait bien.

    — J’ai peut-être quelque chose, confirma-t-elle en passant la tête dans le cadre de la porte. J’ai consulté quelques articles et ça semble être ce que vous cherchiez.

    — Ça fait un bout de temps, l’article?

    — Il y a un peu plus d’un mois, au sud de Drummondville. Je vous ai envoyé le lien de la nouvelle.

    Héroux accéda à ses courriels et ouvrit le site en question. C’était exactement ce dont il se souvenait: une photo accompagnait l’article.

    Une explosion avait complètement soufflé un petit chalet dans le coin de L’Avenir, près de la 55 Sud. Bien que personne n’ait été blessé au cours de l’événement, un détail attira l’attention de l’enquêteur. Seul élément encore debout parmi les décombres, hormis deux jonctions de murs extérieurs rabaissés au niveau du sol: le poêle à bois. Il était déchiqueté, de la même façon que celui de la rue Laflamme.

    — Je savais que j’avais vu ça quelque part, murmura-t-il. Très bon travail, Bridge.

    — Coïncidence? suggéra-t-elle.

    — Sans doute, mais ça pourrait nous aiguiller vers une marque de foyer défectueux, je ne sais pas. Il y a peut-être un lien à faire.

    — Vous voulez que j’aille faire un tour là-bas?

    — Commence par retrouver l’équipe qui a travaillé là-dessus. Appelle à Drummondville, ça doit être la SQ qui s’est rendue sur place.

    Le chef décrocha le combiné et composa le numéro de cellulaire d’Alexandra Caron.

    Caron.

    — C’est Héroux, vous avez du nouveau?

    Le cadavre près du foyer avait un permis de conduire au nom de Serge Lafleur, cinquante-cinq ans, ça correspond au nom du propriétaire de la maison. On va attendre le rapport dentaire pour le reste, et même encore…

    — Il est si magané que ça?

    C’est impressionnant, c’est comme si le poêle lui avait explosé en pleine face.

    — Eh ben… et le jeune?

    La description physique correspond aussi… donnez-moi une seconde, je vous passe Stéphane.

    Elle abandonna le combiné.

    Boss, on a trouvé la femme qui habite ici. Une patrouille l’a repérée à Québec, elle s’y était rendue tôt ce matin pour le boulot. Nous l’avons mise au courant et elle est sur la route du retour.

    — OK, tu lui parles dès que tu peux.

    La pauvre femme eut le choc de sa vie une fois de retour à Trois-Rivières. Elle éclata en sanglots à la vue de ce qui restait de sa demeure et tomba littéralement à genoux lorsqu’elle identifia le corps de son fils. L’autre cadavre était trop défiguré pour être identifiable à ce moment, mais tout le monde se doutait qu’il s’agissait de son époux. Elle confirma aux policiers qu’elle avait quitté la maison très tôt ce matin-là pour se rendre dans la Vieille Capitale et y rencontrer un client. Son mari et son fils étaient toujours couchés et elle n’avait aucune idée de ce qui avait pu causer l’explosion du poêle à combustion lente.

    Une famille était décimée.

    Trois jours durant, les enquêteurs ne purent s’enlever de la tête l’image terrible de la mère de Ghislain Lafleur en apercevant le corps inanimé de son garçon. Brigitte Soucy reçut finalement le retour d’appel de l’enquêteur qui avait travaillé sur l’explosion du chalet de L’Avenir et apprit que des jeunes voyous avaient bourré le foyer d’un combustible quelconque et que ça avait fini par tout faire sauter. Comme il n’y avait eu aucun blessé et que le bâtiment était vieux et délabré, l’enquête s’était terminée là.

    Insatisfaite, Brigitte allait proposer à Héroux de dépêcher quelqu’un sur place dès le début de la prochaine semaine pour y relever les similitudes avec l’événement de la rue Laflamme.

    La cause de la mort de Serge Lafleur fut établie ainsi: traumatismes crâniens multiples causés par une série d’impacts inconnus. Le feu et la fumée n’étaient pas en cause, ce qui était tout le contraire pour Ghislain Lafleur. Il était mort asphyxié, coincé dans le corridor menant à sa chambre. À ce stade, Héroux attendait impatiemment le résultat des analyses d’Alexandra Caron et de Christian Berberat.

    Et il n’allait pas être déçu.

    Lorsque Berberat se pointa à son bureau, Héroux savait qu’il se passait quelque chose de sérieux.

    — Des nouvelles? demanda-t-il, inquiet.

    — Oui, monsieur.

    Berberat semblait nerveux, le chef tenta de le calmer.

    — Vous êtes sûr que ça va?

    — Oui, oui. C’est seulement que c’est la première enquête à laquelle je travaille ici, et je dois avouer que je suis plutôt surpris.

    — Asseyez-vous, proposa Héroux, et prenez votre temps.

    Christian accepta la proposition et prit place de façon hésitante devant le bureau du chef.

    — Vous êtes OK?

    — Comment?

    — Vous allez bien?

    — Oui, je vous remercie.

    Héroux étudiait le nouvel arrivant. Front dégarni, cheveux épars et bruns, visage rond, mais nullement à cause de l’embonpoint: Berberat devait faire dans les 170 livres au maximum.

    Un bon gars.

    C’était la première impression d’Héroux. Et il aimait toujours son accent. Le technicien respira et hocha la tête.

    — Bon, premièrement, ce poêle, comme vous dites, a bel et bien explosé. Je pense que c’était assez clair dès le départ. La confirmation, elle est maintenant scientifique. J’ai retrouvé des traces de nitro.

    Attendant une réaction de la part de l’enquêteur, Berberat fit une pause.

    — De la nitroglycérine, de la dynamite quoi, clarifia-t-il après un moment.

    — De la dynamite? répéta un Héroux interloqué.

    — C’est exact. Mais ce n’est pas ça qui me dérange le plus, avoua-t-il.

    Héroux dut secouer la tête.

    — Continuez.

    — J’ai également trouvé des traces de fulminate de mercure. C’est un ingrédient d’explosif primaire qui sert à faire détoner la nitro dans la dynamite. Le problème est que ce type de produit n’existe plus depuis longtemps.

    — Longtemps… longtemps?

    Très longtemps. Plus de cinquante ans.

    — Un vieux bâton de dynamite? suggéra Héroux en sourcillant.

    — Oui, certainement. Mais même un vieux bâton de dynamite dans un poêle, ça ne saute pas comme ça. Ça va brûler comme de la vulgaire paille si on le place sans le préparer.

    — Le préparer?

    Décidément, Héroux n’était pas un expert artificier.

    — Oui. Pour que la détonation ait lieu, ça prend une amorce, une mèche. C’est ça qui contient le fulminate de mercure. Le bâton brut n’en recèle pas, il faut le préparer.

    — Êtes-vous en train de me dire que quelqu’un aurait placé un bâton de dynamite prêt à exploser dans un poêle à combustion lente?

    — Par accident ou volontairement, oui, monsieur.

    Héroux recula sur sa chaise.

    — Ouf! Comment ça pourrait arriver par accident? Vous avez déjà vu ça, vous?

    Berberat secoua la tête.

    — Non, bien sûr que non.

    — Où trouve-t-on ce genre de vieux explosifs, Christian?

    — Oh… réfléchit-il, c’était courant en Europe après la Première Guerre, dans les chantiers de construction, les fermes, les mines… Dès les années cinquante, le plomb et l’argent étaient déjà utilisés dans les détonateurs. Toutes les fermes de Suisse ont été dessouchées à la nitro. Aujourd’hui, plus personne n’utilise le fulminate de mercure, c’est beaucoup trop toxique. J’imagine qu’il en reste quelques tubes qui traînent, mais pas sur des chantiers commerciaux.

    — Bordel… Qu’est-ce que ça faisait dans le poêle de Serge Lafleur?

    — Le poêle, c’est bien l’âtre?

    — Oui, l’âtre, c’est ça. Il faut quand même allumer une mèche, pour faire exploser la dynamite, non?

    — Oui, c’est une des façons de déclencher le détonateur. Je ne sais pas comment la victime a fait, mais elle n’a eu aucune chance.

    — Il va falloir éclaircir tout ça.

    Le chef remercia Christian pour son bon travail et ferma la porte de son bureau pour réfléchir. Qui était Serge Lafleur? Lui en voulait-on? Il était clair que sa femme n’était pas derrière tout ça, il pouvait le jurer. Simple accident? Héroux pensait à tellement de choses en même temps. Il allait utiliser les services de Jérôme Landry, un autre de ses enquêteurs, pour fouiller la vie de la victime et essayer de trouver quelque chose, un mobile. Il enverrait Brigitte chercher des informations sur l’explosion dans les Bois-Francs, et il n’était pas impossible que Christian ait à s’y rendre également. Quelle chance ce serait si c’était le même type de dynamite qui avait servi à cet endroit…

    Mais par chance ou par malchance, Berberat n’eut pas à se rendre dans les Bois-Francs. En fait, pas tout de suite.

    THOMAS

    – Mardi, 8 mai 2012, avant-midi

    Pavillon de la jeunesse, Victoriaville

    Le mardi était la journée qu’il détestait le plus: c’était celle de la rencontre avec son intervenant… ou son avocat. Toujours les mêmes histoires, le même tourbillon juridique qui n’en finirait jamais. Thomas en avait ras le bol des policiers, des psychologues et surtout, des avocats. C’étaient malheureusement les seules personnes qui gravitaient autour de lui dans le pavillon où il était incarcéré, mis à part les autres jeunes.

    Et les autres jeunes n’étaient pas plus haut sur sa liste.

    Thomas marcha le long du corridor ouest, un long couloir blanc et froid qui faisait penser à une vieille école secondaire, et se rendit dans le petit local où l’attendait maître Samson.

    Il hocha la tête en soupirant et prit place devant le juriste, les pouces dans les poches.

    — ‘lo, salua-t-il.

    — Bonjour Thomas. Ça se passe bien? demanda Samson.

    Morin-Lefebvre leva les yeux vers lui et haussa les épaules. Parmi la multitude d’avocats qu’il avait côtoyés, Samson était le plus jeune. Ses petits cheveux rebelles devaient faire craquer les vieilles juges, pensa-t-il.

    — Y se passe jamais rien icitte, alors j’imagine que oui.

    — Tu ne t’es pas rebattu?

    — Non. Quand personne ne me fait chier, je ne me bats pas.

    Samson approuva silencieusement. La question était purement rhétorique: il l’aurait su si son client avait encore brisé ses conditions. Morin-Lefebvre migrait tranquillement vers la violence, les accusations s’accumulaient avec les semaines qui passaient et gagnaient en gravité.

    — Tu repasses devant le juge la semaine prochaine.

    — Encore la même affaire.

    — Au début, c’était juste du pot. Là, ce n’est plus la même chose.

    — Je ne me laisserai pas fesser dessus! riposta Morin-Lefebvre. Encore moins tripoter!

    — On ne peut pas plaider la légitime défense quand c’est toi qui commences, Thomas.

    — C’est ça! Y’a jamais personne qui connaît toute l’histoire, anyway.

    Thomas croisa les bras et regarda vers le côté, frustré.

    — Si je n’étais pas icitte, ça serait jamais arrivé, lança-t-il. Je ne me faisais pas agresser quand j’étais dehors! Et je ne donnais pas la réplique non plus! Fuck him, faggot! Je suis certain qu’ils m’ont placé ici juste à cause du bœuf qui m’a arrêté.

    — Tu as vendu de la marijuana à sa fille.

    — Comme si je demandais à tous mes clients le métier de leur père! C’est à lui d’élever sa poulette comme du monde.

    — Sois cool, man, l’avertit Samson. Il est policier, c’est normal qu’il t’ait arrêté.

    — Arrêté comme un meurtrier, oui! Je serais curieux de savoir combien de bœufs ont touché à un joint depuis qu’ils sont dans la police! Pas certain que ce gars-là irait les arrêter en les maintenant à terre avec leurs pieds… Crisse, il s’est servi de trois de ses amis pour me coucher et je ne me débattais même pas! Où sont les caméras quand on en a besoin? Qui va vivre avec cette cicatrice-là toute sa vie, hein? ajouta-t-il en montrant son coude. Eux, ils arrêtent du monde tous les jours et ils passent à autre chose. Moi, j’y pense tout le temps. Ça aurait pu se faire autrement. Si tous les crimes étaient les mêmes, le Code criminel ne serait pas épais comme un dictionnaire!

    L’avocat retira ses lunettes et s’accorda un moment de réflexion avant de poursuivre la discussion. Morin-Lefebvre en avait contre la police. La prochaine étape pour lui, après la rage, c’était la prison ferme. Il était le troisième avocat à le représenter au cours de la dernière année seulement, les autres abandonnant tour à tour après quelques mois. Jamais de sa faute, toujours celle des autres. La rage qui émanait de Thomas était puissante. Pas de la rage physique, mais de la haine. De la haine envers les policiers, envers le système.

    Pouvait-on le récupérer?

    — Tu ne fais que te défendre, c’est bien ça? enchaîna Samson.

    — Viens coucher icitte, juste une nuit, et repose-moi la question demain matin, proposa le jeune homme, défiant.

    — Si tu n’étais pas ici, tu serais où? questionna l’avocat.

    — Si je n’étais pas icitte? rétorqua Morin-Lefebvre en s’agitant. Je sacrerais mon camp dans une autre ville!

    — À Trois-Rivières? Chez ton père?

    — Pourquoi tu veux savoir ça?

    — Parce que j’ai peut-être une idée à proposer au procureur.

    S’ensuivit un échange de regards pendant que Samson attendait une réplique. Il avait suscité l’intérêt de son client, c’était la première étape. Finalement, il ajouta:

    — Mais j’ai besoin de ta participation pour que ça passe.

    Morin-Lefebvre devint suspicieux.

    — Qu’est-ce qu’il faut que je fasse?

    — Rien en particulier, sauf démontrer au juge que si tu étais libre au lieu d’être enfermé ici, tu serais un meilleur atout pour la société.

    — Bah, juste ça! ironisa Thomas en balayant l’idée du revers de la main. Heille, on m’a scrapé toute mon adolescence parce que j’avais fumé pis vendu un peu de pot! Aujourd’hui j’suis obligé de me défendre avec une chaise pour ne pas me faire enculer, j’pense que c’est assez clair que c’est pas icitte que j’ai appris à être cool avec la société, hein? Quand ça va être légal, le pot, y’as-tu quelqu’un qui va venir s’excuser pour toute ça? Non! C’est pas de ma faute si j’suis comme ça, c’est le système, that’s it.

    — Eh bien justement, le système a peut-être une meilleure place pour toi. Sauf que si tu pognes les nerfs comme ça quand le juge va te poser la question que je viens juste de te poser, tu peux être certain que ça ne lui donnera pas le goût d’accepter.

    — Accepter quoi?

    — Un programme de réinsertion.

    — Qu’est-ce que c’est?

    — On soumet ton dossier et si tu es choisi et que le juge accepte, eh bien, tu sors d’ici.

    — Mon dossier ne sera jamais choisi.

    Samson mit la main dans sa serviette et sortit un document.

    — Ton dossier est déjà choisi, Thomas.

    Shawn ouvrit la porte de la chambre à la volée et retira les écouteurs que portait Dave, qui jouait à des jeux vidéo sur son ordinateur.

    — J’en ai un! annonça-t-il.

    — C’est qui?

    — Thomas Morin-Lefebvre, vingt ans. C’est le bon, c’est sûr que c’est le bon!

    Dave Santerre s’étira et déposa les écouteurs près du clavier. Il ferma l’écran et se leva pour suivre Shawn, qui marchait vers le salon.

    — Il est où? demanda-t-il en s’asseyant

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