Les châteaux d’Oberdiessbach
By Jürg Schweizer, Armand Baeriswyl, Hans Braun and
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Book preview
Les châteaux d’Oberdiessbach - Jürg Schweizer
AC).
Introduction
Le présent guide porte sur le château-fort de Diessenberg et les deux châteaux d’Oberdiessbach. Ces trois monuments sont ceux de l’une des plus fières seigneuries justicières et foncières de l’Ancienne Berne – seigneurie dont on peut retracer l’histoire jusqu’au début du XIIIe siècle. Le nom même d’Oberdiessbach ne fut toutefois adopté qu’à la fin du XIXe siècle. Auparavant, la localité – tout comme la seigneurie – s’appelait simplement Diessbach, le préfixe «Ober-» ayant été ajouté pour la distinguer du village homonyme situé près de Büren an der Aare (BE). Le nom de Diessbach désigne cependant d’abord, par onomatopée, le cours d’eau bouillonnant qui rejoint depuis l’Äschlenalp la vallée de la Chise, et au bord duquel est érigé le Vieux Château. C’est de ce même nom que vient sans doute aussi celui des Diesbach, l’éminente famille qui acquit la seigneurie au XVe siècle – époque à laquelle elle contribua notamment à définir la politique de la Confédération durant les guerres de Bourgogne – et qui la conserva jusqu’au milieu du XVIIe siècle.
La seigneurie allait rester plus longtemps encore en possession de la famille qui succéda aux Diesbach en 1647: les Watteville. Il est tout à fait remarquable que les châteaux d’Oberdiessbach et les terres qui leur étaient rattachées soient restés aux mains des Watteville en dépit des bouleversements de 1798, qui leur firent perdre les revenus qu’ils tiraient jusque-là de la seigneurie. Cette situation est d’autant plus admirable qu’elle s’est maintenue dans le temps, malgré les mutations intervenues dans le domaine de l’agriculture à partir de la Seconde Guerre mondiale. Si Édouard de Watteville (1891-1978), le grand-père de l’actuel propriétaire, faisait encore exploiter ses terres par un premier valet et de nombreux employés, son fils Charles (1927-2006) se fit lui-même agriculteur. Le fait que les domaines rattachés au château aient été repris en 1994 par les actuels châtelains, Sigmund (né en 1960) et Martine de Watteville-Henry (née en 1963), constitue un précieux gage de continuité (voir p. 71). Au cours des cent précédentes années, l’entretien des deux châteaux, de leurs nombreuses dépendances et de leurs jardins s’était limité – abstraction faite de la rénovation de la toiture du Nouveau Château – à parer au plus pressé. Les travaux nécessaires étaient donc considérables. Les nouveaux propriétaires engagèrent dès lors, en étroite collaboration avec le Service cantonal des monuments historiques, une vaste campagne de restauration. Les deux châteaux et une grande partie de leurs annexes furent, au terme de méticuleuses études préparatoires, réhabilités par étapes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les jardins et leurs splendides ouvrages de clôture furent par ailleurs reconstitués et l’allée de 260 mètres de long, dont les derniers arbres étaient tombés dans les années 1970, fut replantée. L’entreprise bénéficia de la conscience aiguë qu’ont les maîtres d’ouvrage de leurs responsabilités à l’égard de ce patrimoine, de leur infatigable enthousiasme et de leur proverbiale efficacité. Aujourd’hui, les châtelains exploitent leur vaste domaine agricole sans employés permanents et assument au château, avec l’aide de la génération suivante, les fonctions de concierges, de jardiniers, d’animateurs culturels et de guides.
Ces admirables efforts profitent à un monument historique d’importance nationale. Le complexe d’Oberdiessbach permet en effet de retracer de façon exemplaire l’évolution de la résidence seigneuriale en Suisse. Le Vieux Château montre comment l’on passa, au bas Moyen Âge, du château-fort perché sur la Falkenfluh au manoir en bois situé dans la vallée, puis comment celui-ci fut, entre le XVe et le XVIIe siècle, transformé par l’ambitieuse famille de Diesbach en un véritable château doté d’un mur d’enceinte crénelé. Une nouvelle ère fut ensuite inaugurée par Albert de Watteville (1617-1671), qui s’était enrichi au service du roi de France. Après avoir commandé plusieurs avant-projets, il fit ériger par l’architecte neuchâtelois Jonas Favre (voir p. 87), entre 1668 et 1670, le somptueux Nouveau Château, dont son neveu et héritier Nicolas aménagea luxueusement l’intérieur après sa mort. La propriété, dont les grands axes de composition se prolongent loin dans le paysage, est la première en Suisse à avoir été conçue selon le modèle de la maison de plaisance à la française. Façades, escalier, distribution et décor répondent ici à de nouvelles ambitions en matière d’architecture seigneuriale. Le Nouveau Château représente, à plus d’un titre, le premier exemple d’architecture profane baroque produit par la classe dominante sous l’Ancien Régime.
L’idée de consacrer un guide complet à ce précieux patrimoine émane de Sigmund et Martine de Watteville. Une équipe d’auteurs spécialisés s’est penchée sur les questions archéologiques, historiques, généalogico-familiales et architecturales. L’auteur de ces lignes a pu exploiter d’importants documents dans les archives du château, notamment leur exceptionnel fonds de plans. Ces recherches et les analyses précédemment effectuées par les spécialistes de la conservation du patrimoine ont donné lieu à une vision en grande partie renouvelée de l’histoire et de l’importance de ce groupe de monuments et de ses abords, qui se sont, grâce à un heureux concours de circonstances, admirablement conservés.
JS
Sigmund et Martine de Watteville-Henry.
Façade principale du Nouveau Château.
Cette publication est le fruit d’une recherche approfondie dans les vastes archives du château d’Oberdiessbach et des études menées avant, pendant et après les restaurations des deux châteaux, de leurs dépendances et de leurs jardins. Les références consultées sont rassemblées dans l’ebook. Elles sont également disponibles sous forme analogue dans différents rapports et publications déposés dans les bibliothèques et les archives des services cantonaux et fédéraux concernés, ainsi que dans les archives du château.
Oberdiessbach, seigneurie de haute justice
La première mention écrite de la seigneurie de Diessbach remonte au 1er juin 1218, date à laquelle Ulrich de Kibourg la céda, entre autres possessions, à son fils Hartmann (IV) à titre de dot. Peu de temps après, les Kibourg semblent l’avoir transmise à des familles locales de basse noblesse, notamment aux Senn de Münsingen, leurs vassaux. En tout état de cause, c’est à ces derniers qu’appartenait le château-fort de Diessenberg, situé au sud-est de l’actuel Oberdiessbach, lorsque celui-ci fut détruit par les Bernois en 1331, dans la période qui précéda la guerre de Laupen. Comme aux autres nobles dont ils ruinèrent les châteaux, les Bernois interdirent à Burkard Senn de reconstruire le sien. Ce n’est que quarante ans plus tard, le 8 juillet 1371, qu’Antoine Senn fut autorisé à ériger un nouvel édifice au même endroit. Il dut cependant s’engager solennellement, en contrepartie, à se mettre au service de la Ville de Berne pendant les dix années suivantes.
En 1378, la seigneurie passa aux mains de Matthias Bogkess, riche bourgeois de Berne et de Thoune habile en affaires. Celui-ci ayant fait décrire avec précision, dans l’acte de vente, l’étendue de la seigneurie et les droits y afférents, nous sommes relativement bien renseignés sur leur état à la fin du XIVe siècle. Bogkess n’acquit pas seulement la pleine juridiction, mais aussi les revenus issus des nombreuses fermes, terres et forêts confiées à différents sujets de la seigneurie. Il entra également en possession de l’église d’Oberdiessbach et du droit de patronat y afférent, de sorte que lui revenaient non seulement les recettes de la dîme, mais aussi le droit de désigner le curé.
Des mains des fils de Matthias Bogkess, Imer et Ulrich, la seigneurie passa en 1427, pour moitié, à celles du riche bourgeois de Berne Niklaus (Clewi) de Diesbach – auquel de bonnes affaires avaient valu, en quelques décennies, une fortune considérable – et, pour moitié, à celles de Margaretha von Gauenstein, dénommée Bockessin. À la mort de cette dernière, sa part de la seigneurie échut à son époux, Johannes von Kilchen, secrétaire de la Ville de Berne.