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Le Chasseur de Dragons et le Magicien: Les Plaies du Ciel, #1
Le Chasseur de Dragons et le Magicien: Les Plaies du Ciel, #1
Le Chasseur de Dragons et le Magicien: Les Plaies du Ciel, #1
Ebook683 pages9 hours

Le Chasseur de Dragons et le Magicien: Les Plaies du Ciel, #1

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About this ebook

La Magie vous rendra invincible, si elle ne vous tue pas avant.

On l’appelle le demi-Prince. Et il a toujours entendu leurs moqueries derrière son dos. Il n’est pas facile d’être le beau-fils de l’Empereur. Reclus dans l’aile des domestiques, Aric n’est que rarement autorisé à voir sa mère. Et quoi qu’il arrive, il ne doit jamais poser les yeux sur son demi-frère, le Prince. Tandis que la famille impériale festoie dans les grandes salles du palais, Aric les observe de loin, rêvant de la vie qu’il aurait dû avoir.

Si seulement il avait le pouvoir de se libérer…

Il tomba à ses pieds avec un bruit sourd. Surgi de nulle part. Aric savait ce dont il s’agissait avant même d’en feuilleter les pages. Un manuel de Magie. Mais possède-t-il le Don de la Magie ? Le simple fait d’essayer de le savoir pourrait le conduire tout droit au gibet et, dans la Citadelle impériale, quelqu’un vous observe toujours.

Si vous voulez plonger dans l’action, la magie et l’aventure, alors vous adorerez cette histoire ensorcelante.

LanguageFrançais
PublisherV. R. Cardoso
Release dateAug 21, 2020
ISBN9781393461227
Le Chasseur de Dragons et le Magicien: Les Plaies du Ciel, #1

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    Le Chasseur de Dragons et le Magicien - V.R. Cardoso

    LE

    CHASSEUR DE DRAGONS

    ET LE

    MAGICIEN

    V.R. Cardoso

    Le chasseur de dragons et le Magicien

    Copyright © 2016 V. R. Cardoso

    Tous droits réservés. L’utilisation ou la reproduction totale ou partielle de cet ouvrage ne saurait être permise sans l’autorisation écrite de l’auteur, à l’exception de courtes citations dans des articles ou des critiques littéraires.

    Ce roman est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les organisations, les lieux, les événements et les incidents figurant dans cet ouvrage sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou utilisés à titre fictif. Toute ressemblance avec des personnes, des événements ou des lieux existants ou ayant existé est purement fortuite.

    www.vrcardoso.com

    CREDITS

    Jack Lartin – Editeur

    Cate Courtright – Editeur

    Yin Yumming – Illustration de couverture

    Tad Davis – Illustration des cartes

    Danielle Fine – Conception graphique de la couverture

    A mes parents, pour tout le soutien qu’ils m’ont apporté.

    L’EMPIRE DES ARRELINES

    Veuillez cliquer ici pour consulter une version haute résolution

    Table des matières

    La purge

    Le demi-Prince

    Le grimoire oublié

    Le traître

    La rencontre secrète

    La sentence

    Les Chasseurs de Dragons de Lamash

    Le bal de l’Impératrice

    Les Terres Gelées

    Le quartier des Docks

    Le Traceur-Pisteur

    Les étrangers

    La fleur du désert

    Les leçons

    Les Convoyeurs de Sang

    Les espions

    La bataille de Nish

    L’infiltration

    La forteresse vide

    Le raid

    Le secret

    Le sauvetage

    Le Dieu endormi

    L’évasion

    L’orage fédérateur

    Préambule

    La purge

    Trois coups.

    - Pherlam, ouvre les portes !

    Trois autres coups. Rapides. Secs. Autoritaires.

    - Pherlam, c’est de la folie. Ouvre les portes !

    A quelques pas de là, on entendait des hurlements, de surprise d’abord, puis de peur et de douleur.

    - Pherlam, si vous vous rendez maintenant, vous serez correctement traités.

    - Correctement ?! Comme ils ont traité les Mages d’Augusta ? De Victoire ?

    A l’intérieur de la cour, Pherlam tournoyait dans tous les sens, comme s’il tentait de creuser une issue à travers les pavés. Derrière les murs de l’Académie, trois colonnes de fumée s’élevaient de la ville.

    - Comme ils ont traité tous ceux de l’Académie de Saggad ? poursuivit-il. Hein, Tigern ? Chaque membre de l’Académie. Même les apprentis, Tigern. Des enfants ! 

    - Ça ne s’est produit qu’au début. L’Empereur était nerveux, il avait peur. Tout est beaucoup plus calme maintenant.

    - Plus calme ?! explosa Pherlam. Regarde autour de toi, Tigern. Toute la ville est en feu.

    - Oui, c’est vrai. Et c’est contre toi que ça va se retourner, vieux fou ! Ouvre les portes ! Je ne peux pas te promettre que tout le monde sera épargné, mais les plus jeunes, les non-initiés, le seront.

    Pherlam cessa de déambuler et prit une longue inspiration tandis qu’il regardait autour de lui. La cour était paisible. Personne ne jetait un œil nerveux derrière les fenêtres, rien ne bougeait, à part les rideaux frémissant sous le vent, il n’y avait pas de bruit, à part celui qui provenait de la ville.

    Tersia s’avança et posa une main sur l’épaule de Pherlam. La capuche de son manteau gris recouvrait sa tête, comme si elle pouvait la protéger de ce qui s’annonçait.

    - Nous devrions nous tenir prêts, dit-elle.

    Pherlam sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque. Tersia était une femme vaniteuse, et on ne pouvait manquer de ressentir les charmes ensorceleurs qui émanaient d’elle.

    Encore trois coups sur les portes.

    - Pherlam, ouvre les portes ! Pherlam... tu es là ?

    - Je suis là, mon vieil ami...

    Il marqua un temps d’arrêt.

    - Et j’y resterai.

    Il y eut un instant de silence.

    - Je vois... Je suis désolé.

    - Moi aussi.

    Cette fois, on n’entendit plus le silence car, quelque part dans la ville, des hurlements montèrent de la foule. Tigern se retourna et regarda par-dessus son épaule les portes qui refusaient obstinément de s’ouvrir, et il ne put se résoudre à lui dire au revoir.

    Derrière sa fenêtre, tout en haut de la tour des disciples, la ville était presque belle. Éliran savait que tout ce qu’elle voyait n’était que le fruit de la violence, que chaque rue n’était que douleur et souffrance. Et pourtant, elle ressemblait à une version vivante des fresques aux murs du vestibule. Des colonnes de fumée noire s’élevaient en dansant avant de s’évanouir dans les airs. La destruction avait donné aux places désertes des couleurs qu’on ne leur connaissait pas. Dans les rues bondées d’émeutiers, la garde montée et la foule se livraient à une drôle de valse tandis que, derrière les murs de la ville, les Légionnaires de l’Empereur avançaient en formation serrée, tels des blocs d’acier s’imbriquant peu à peu les uns dans les autres. Derrière eux, les catapultes projetaient des boules de feu que des arcs de fumée poursuivaient jusqu’à ce qu’elles s’écrasent, quelque part dans la ville, comme des poches de peinture rouge et orange. Éliran se demanda si ça ressemblait aussi à ça quand un Dragon crachait du feu.

    Dans son dortoir, aucune de ses camarades ne faisait le moindre bruit ou le moindre mouvement.  Elles étaient toutes enfouies sous leurs draps, comme elles en avaient reçu l’ordre, les yeux grands ouverts et les bras serrés autour d’elles-mêmes. Éliran n’était pas moins terrifiée ni angoissée qu’elles, elle n’arrivait tout simplement pas à rester couchée. Pas quand une fenêtre se tenait à quelques mètres d’elle, parce qu’après deux semaines de réclusion à l’intérieur de l’Académie, c’était devenu la seule façon de sortir.

    La porte du dortoir s’ouvrit à la volée, et toutes les filles tournèrent la tête pour apercevoir la tunique vert sombre de la Grande Magicienne.

    - Rassemblez-vous immédiatement dans la cour. Habillez-vous normalement. Laissez vos robes de magie et vos accessoires ici.

    La Grande Magicienne disparut par où elle était arrivée. L’espace d’un instant, toutes les apprenties ne purent qu’échanger des regards nerveux, jusqu’à ce qu’Éliran se précipite vers sa malle. Elle l’ouvrit et y fouilla, à la recherche de vêtements. Ses camarades l’imitèrent. On entendait des soupirs et des sanglots, mais aucune ne disait un seul mot. Éliran aperçut quelques mains trembler, et même une larme rouler sur la joue pâle d’une novice.

    Dès que le plancher fut recouvert de robes blanches et bleu pâle, Éliran se dirigea vers la porte, les autres filles sur ses talons. Elles s’engagèrent dans le couloir et, lorsqu’elles tournèrent au premier angle, elles tombèrent sur un groupe de dix Initiés qui arrivaient du couloir des garçons. Le délégué du dortoir qui menait le groupe était si livide qu’Éliran était certaine qu’il allait s’évanouir avant d’atteindre l’escalier.

    Mais non. Il descendit les marches d’un pas rapide, indifférent et régulier, comme il l’avait fait des milliers de fois.

    Les apprentis des vingt dortoirs, novices comme initiés, rejoignirent la cour presque en même temps, et s’alignèrent en formation comme ils le faisaient chaque semaine pour leur passage en revue. Néanmoins, Éliran ne se souvenait pas les avoir jamais vus le faire aussi rapidement.

    Au centre de la cour, l’Archimage Tersia se tenait face à eux, les bras croisés, aussi grande que les colonnes qui soutenaient le bâtiment de l’Académie. Un autre Magicien l’accompagnait. Derrière eux, le plus naturellement du monde, les Archimages et autres Grands Magiciens déplaçaient tonneaux, chaises et armoires contre la porte principale de l’Académie pour la barricader. Éliran ne les avait jamais vus porter autre chose de plus lourd qu’une fourchette.

    - Nul parmi vous n’ignore la situation.

    La voix de Tersia emplit la cour.

    - Vous avez entendu les nouvelles, vous avez entendu les rumeurs. Tout est vrai. Il est inutile de faire semblant de...

    Un cri s’échappa des rangées d’apprentis.

    - Guira, arrête ça tout de suite ! lui ordonna Tersia. Je ne veux entendre personne pleurer.

    Elle attendit que la fille étouffe ses sanglots.

    - Nous avons décidé qu’avant l’aube, tous les apprentis devront avoir quitté l’Académie. Cachez-vous. Ne vous montrez pas. N’essayez même pas de vous fondre dans la foule. Les Légions devraient lever le camp autour de la ville d’ici quelques jours. C’est à ce moment seulement que vous tenterez de fuir Niveh.

    Tersia s’interrompit quelques instants, observant son auditoire. Plus de deux cents jeunes Magiciens, terrifiés et perdus. Qu’allait-il leur arriver ? Combien allaient survivre et, parmi les survivants, quel genre de vie pourraient-ils espérer mener ?

    - Chaque dortoir doit rester groupé et suivre les consignes de son délégué. Et si par hasard vous croisiez la route d’un autre dortoir, passez votre chemin. Ne vous regroupez pas. Ils vont certainement rechercher de grands groupes de jeunes gens et de jeunes filles.

    Le Magicien qui se tenait aux côtés de Tersia décroisa les bras et intervint.

    - Délégués, avancez-vous pour récupérer quelques équipements et recevoir vos dernières instructions.

    Éliran et les dix-neuf autres délégués de dortoir s’exécutèrent. Des sacoches étaient entassées derrière Tersia, et chacun en prit une au hasard.

    - Votre attention s’il vous plaît. Vous pourrez examiner le contenu de ces sacoches par la suite. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas vous faire sortir de l’Académie par ses portes. Mais un tunnel court sous l’Académie. Une conduite d’assainissement...

    - Vous voulez dire un égout ? demanda Éliran.

    - Un égout, confirma le Magicien. Il débouche sur le fleuve, entre la Place aux Fruits et la Rue de la Forge. Chaque dortoir partira à une demi-heure d’intervalle. Soyez particulièrement vigilants lorsque vous quitterez le tunnel. Si l’un de vous se fait repérer, les suivants seront condamnés. Trouvez rapidement un endroit où passer la nuit et, quoi qu’il arrive, n’en partez pas avant l’aube. Compris ?

    Le Magicien attendit un acquiescement général et leur souhaita à tous bonne chance. Chaque délégué rejoignit son groupe. Éliran plongea une main dans sa sacoche et essaya de dresser mentalement la liste de son contenu. Elle fut heureuse de trouver une flasque de Runium. Il y avait aussi des biscuits, des pièces de monnaie et un poignard. Éliran l’en sortit et inspecta la lame.

    - Qu’est-ce que c’est ?

    Rissa était novice, elle n’avait pas encore dix ans. Jusque-là, elle s’était montrée étonnamment calme, mais dès qu’elle aperçut le poignard, elle ouvrit des yeux si grands qu’ils semblaient vouloir sortir de leurs orbites.

    - Nous en aurons peut-être besoin pour déverrouiller une porte.

    La fillette sembla satisfaite de la réponse, et même si Éliran savait parfaitement qu’elle venait de lui mentir, la vérité, c’était qu’elle ne s’imaginait pas s’en servir autrement. 

    Tigern descendit la rue pavée, ignorant les débris qui la jonchaient. Le peu de soleil qui poignait encore au-dessus murs de Niveh disparaissait, obscurcissant progressivement l’allée. Il entendait des cris ici et là, et il pouvait sentir la fumée d’au moins deux incendies qui faisaient rage tout près de là.

    La silhouette qui l’attendait était debout, près d’un cheval qu’il tenait par les rênes. Derrière lui s’étalait le spectacle d’une barricade détruite et d’une demi-douzaine de cadavres nauséabonds, dont deux portaient l’uniforme des gardiens de la ville.

    - J’ai fait de mon mieux, dit Tigern. Les portes de l’Académie demeureront closes.

    - Non. Elles ne le resteront pas.

    - Non, en effet, convint Tigern. Il y a une dizaine d’Archimages dans cette Académie. Plus une trentaine de Grands Magiciens et une bonne centaine de Magiciens initiés. Beaucoup de sang va couler avant que tout soit terminé.

    - Intila dispose de plus de soldats qu’il n’en faut. Tout ce qu’il lui faut, c’est pénétrer dans la ville.

    - Intila est ici ?

    - Il est arrivé cet après-midi.

    - L’Empereur doit être bien sûr de lui et croire que tout va s’arrêter s’il laisse son chien de garde aller jouer aussi loin de la capitale, dit Tigern. 

    Il regarda l’espion et essaya de ne pas s’attarder sur l’immonde cicatrice qui déformait le coin de sa bouche. Il sortit un rouleau de parchemin de sa poche et le lui tendit.

    - Lorsque minuit sonnera au temple, tous les drapeaux de la ville seront retirés. Dès lors, le gardien de la ville en quittera les murs et ouvrira les portes.

    - Et le Duc ?

    - Personne ne sait.

    L’espion se saisit du parchemin que Tigern lui tendait et enfourcha son cheval avec un sourire satisfait qui déforma encore plus sa cicatrice.

    - Bonne nuit, argentier. Après un incident comme celui-ci, on peut supposer sans crainte que l’Empereur va proclamer la fin du Duché de Niveh. Après tout, plus aucun membre de la famille ducale n’est présent...

    Il s’interrompit car son cheval trépignait d’impatience.

    - S’il fallait parier, je dirais qu’il va faire de Niveh une province impériale. Ces terres héréditaires n’ont pas leur place dans un Empire moderne.

    Puis, comme s’il venait soudain de se souvenir de quelque chose, il reprit.

    - Selon vous, l’un des notables de Niveh pourrait-il occuper le poste de Gouverneur ?

    Tigern ne répondit pas.

    - Non ? Eh bien... à mon avis, ce devrait être quelqu’un d’expérimenté, qui est au fait des problèmes de la ville.

    - Hamur... dit Tigern. Les hommes comme moi paient les hommes comme toi pour qu’ils n’aient pas d’avis.   

    La lune était si ronde et si étincelante que personne ne s’était soucié d’allumer les torches dans la cour. De cela, au moins, Éliran était ravie. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle allait faire ni de là où elle irait mais, au moins, ils n’auraient pas à tâtonner pour trouver leur chemin à travers les allées. Le dortoir numéro dix-huit était assis en cercle et chantait à voix basse. Elle observa les filles de son dortoir et se demanda si elles devaient les imiter, chanter les distrairait peut-être. Elles regardaient de tous les côtés, le regard perdu, comme si elles attendaient l’arrivée de quelqu’un. Peut-être espéraient-elles encore que quelqu’un viendrait leur annoncer que tout cela n’avait été qu’une grossière erreur et que tout allait redevenir normal.

    Un Magicien en robe bleu foncé apparut à la porte qui menait aux cuisines, aux salles de bains et aux latrines.

    - Dortoir numéro dix-huit, venez avec moi.

    Les douze garçons cessèrent de chanter et se levèrent. Allard, leur délégué, croisa le regard d’Éliran. La peur envahissait ses grands yeux bleus, mais le garçon trouva néanmoins la force de lui sourire.

    - AU NOM DE TARSUS V, OUVREZ LES PORTES !

    Tersia poussa les garçons du dortoir dix-huit dans le couloir, et une dizaine de Magiciens se précipita vers la porte principale. Ils entendirent les craquements du bois sous les coups du bélier, et Éliran observa Pherlam rejoindre les apprentis qui étaient encore là. Il lui avait toujours paru trop jeune pour être Directeur, mais l’Académie de Niveh était réputée pour ses sortilèges d’illusion, et elle soupçonnait que son apparence n’était pas tout à fait la sienne.

    La voix à l’extérieur parla avec l’autorité de quelqu’un qui lit des instructions.

    - Ouvrez les portes, rendez-vous, et vous serez traités comme la loi le prévoit !

    - Pourquoi ces apprentis sont-ils encore là !? demanda Pherlam.

    - On ne peut pas les faire partir tous en même temps, répondit Tersia.

    - Certes, mais nous ne pouvons les retenir ici plus longtemps, alors faites-les sortir. Immédiatement.

    Le grondement du bélier résonna à nouveau à travers la cour et Pherlam regagna son poste. Tersia appela les deux dortoirs restants et lança un regard angoissé aux Magiciens réunis devant l’entrée principale et aux apprentis qui l’entouraient.

    - Nous ne pouvons pas attendre une demi-heure de plus, dit-elle.

    Le cœur d’Éliran se fit soudain plus lourd.

    - Nous allons devoir vous faire sortir tous en même temps. Essayez de vous séparer dès que vous aurez atteint le fleuve. Le dortoir dix-neuf partira d’un côté et le dortoir vingt de l’autre.

    A peine eût-elle achevé sa phrase qu’un projectile incandescent s’écrasa dans la cour, explosant et propageant ses flammes de tous côtés. Quelques Magiciens écartèrent les flammèches d’un geste de la main tandis que le mobilier qui bloquait la porte fut balayé par un nouveau coup de bélier.

    Tersia caressa le visage d’Éliran et tous les poils de son corps se dressèrent.

    - Allez, pars maintenant.

    Le Magicien à la robe bleue leur fit signe de le suivre. Éliran sentit la main de Tersia la pousser. L’Archimage lui glissa un rouleau de parchemin dans la main.

    - C’est pour toi, et seulement pour toi, lui dit Tersia.

    Éliran n’eut pas le temps de poser la moindre question que Tersia l’avait déjà reconduite vers ses autres camarades de dortoir. A cet instant, elle était certaine que son cœur avait oublié de battre, mais elle avança néanmoins.

    Le sombre couloir les engloutit, et soudain, plusieurs petites lueurs bleues scintillèrent. Des Magiciens de bas échelon bordaient les murs, chacun tenant en main une sphère lumineuse. Éliran connaissait ce sort.

    - Allez, les petits, les encouragea l’un des Magiciens.

    Ils traversèrent deux vestibules, derrière l’accès au réfectoire, et dès qu’ils atteignirent les latrines, le couloir devint officiellement un égout. Ils descendirent par une échelle et atterrirent dans une conduite. Ils avaient de l’eau jusqu’aux genoux et des vapeurs toxiques s’élevaient autour d’eux. Un dernier Magicien les attendait en bas, et il pointa l’index dans une direction.

    - Allez par-là, dit-il. L’issue vers le fleuve se situe sous un pont, vous devrez donc plonger et nager vers l’autre côté. Une fois arrivés, vous tomberez sur un petit quai.

    Le délégué du dortoir vingt s’avança, plein de détermination, et ses camarades le suivirent. Mais Éliran hésita. Elle regarda le Magicien et s’aperçut qu’il n’était pas beaucoup plus vieux qu’elle. Deux, trois ans de plus, au maximum. Éliran elle-même serait diplômée dans un an.

    - Je devrais rester et me battre à vos côtés.

    Le Magicien mit un peu de temps à répondre. Il n’y avait pas de désespoir dans ses yeux, mais pas d’espoir non plus.

    - Tu ne peux pas nous aider... mais tu peux les aider, eux.

    Flara, une novice de neuf ans, attrapa la manche d’Éliran et la tira plutôt brutalement.

    - Eli, s’il te plaît...

    - Eli, viens avec nous, sanglota Rissa.

    Éliran soupira. Elle leur sourit en leur disant de ne pas s’inquiéter. Elle prit Flara et Rissa par la main et les emmena, jetant un dernier regard au Magicien qui repartait vers l’Académie par l’échelle. Personne ne l’obligeait à y retourner. Personne pour l’empêcher de la suivre, et de sauver sa vie.  

    Le palais du Duc avait été pillé. Presque tout ce qui avait un tant soit peu de valeur avait disparu. Tapisseries et tableaux avaient été lacérés, éventrés, dégradés. Les quelques portes encore debout avaient été fracturées et presque tout le mobilier avait été brisé ou volé. Tigern traversa une enfilade de couloirs, sous le regard vide des Légionnaires, jusqu’à ce qu’il arrive devant la porte de l’étude du Duc. A l’intérieur, il découvrit le Maréchal d’Empire en train de renverser un fauteuil d’un coup de pied, révélant un pot en argent oublié.

    - Ah, Tigern, enfin.

    Le Maréchal Intila était un homme grand et puissant. Le lion impérial était gravé sur son armure dorée et derrière lui flottait la cape bleu ciel de la Légion d’Augusta.

    - Il me faut des noms, Tigern.

    - Des noms ? De quoi ?

    Intila soupira et se dirigea vers le meuble secrétaire du Duc, un bloc d’ébène bien trop compact et lourd pour subir les assauts des pilleurs.

    - Les ordres de l’Empereur ont été bafoués. Des agents de l’Empire ont été arrêtés, au simple motif qu’ils ont tenté de les faire respecter. Lorsque mes Légions sont arrivées, la ville était fermée. J’ai dû en organiser le siège.

    - Nous n’avons aucune trace du Seigneur de la ville, du Duc, répondit Tigern. La ville vous appartient à nouveau. Quels autres noms vous faut-il ?

    - Je ne peux pas retourner à Augusta les mains vides. Quelqu’un doit payer, dit Intila. Vous ne me ferez jamais croire que le Duc a agi seul.

    - Bien sûr qu’il n’a pas agi seul. Même le peuple le soutenait jusqu’à ce que les Légionnaires arrivent.

    Tigern pointa l’index sur Intila.

    - On m’avait certifié que vous seriez raisonnable si le problème était réglé.

    - Vous n’êtes pas emprisonné, répondit négligemment Intila. Bien que vous soyez membre du gouvernement de cette ville. Je dirais donc que cette part du marché est tenue.

    Tigern resta silencieux. Il n’en croyait pas ses oreilles.

    - Comment suis-je censé reprendre la ville si je n’ai pas la confiance des familles nobles ?

    - Ecoutez-moi, dit Intila. L’Empereur ne peut pas se permettre de punir les familles qui l’ont ouvertement affronté. Je suis ici, Tigern. Moi, et personne d’autre. Vous savez que d’autres sont bien moins raisonnables que moi.

    Ouvertement affronté ? Tigern avait envie de hurler. Ces familles n’ont fait que ce que tout être humain digne de ce nom aurait fait. Tarsus était un tyran, et sa Purge, un crime impardonnable. Si Tigern avait été courageux, c’est ce qu’il lui aurait répondu.

    - Combien de noms, se contenta-t-il de répondre. Deux, ça suffira ? Je veux que vous me garantissiez que leurs familles seront épargnées.

    Intila fit non de la tête. Il n’y avait ni ironie ni malice dans son expression, juste le pragmatisme d’un soldat.

    - Tigern, les rebelles sont comme les Dragons. Les problèmes qu’ils ne créent pas aujourd’hui seront deux fois pires demain. C’est pour cela que nous chassons les Dragons, et c’est pour cela que vous allez me donner tous les noms. Tous.

    Voilà trois heures qu’elles étaient cachées dans cette cabane, mais leurs vêtements étaient encore humides. Elles avaient mis beaucoup trop de temps pour trouver une cachette, et avaient manqué de tomber sur des patrouilles de Légionnaires par deux fois. Sur une place qu’Éliran pensait être le marché aux primeurs, elle avait aperçu le cadavre d’Allard, gisant dans une mare de sang brun, ses yeux bleus perdus dans l’infini. Elle avait été la seule à le voir car, dès qu’elle l’avait reconnu, elle avait dirigé les filles vers une allée où elles s’étaient tapies dans l’ombre jusqu’à ce que les pas métalliques d’une patrouille les en chasse.

    Elle ne savait pas très bien où elles se trouvaient, l’endroit semblait abandonné, mais, au moins, il les protégeait des gerçures du vent. Elles s’étaient blotties les unes contre les autres pour se réchauffer, mais Éliran s’était assurée d’être la seule à avoir une vue sur la colline sur laquelle l’Académie était juchée. Elle n’était visible qu’à travers une fente dans une fenêtre condamnée, mais le spectacle était épouvantable. Des flammes rouges, de la fumée noire, des lumières vertes, des explosions bleues, accompagnées des bruits les plus sinistres qu’Éliran eut jamais entendu. Et ça durait depuis des heures.

    Flara n’avait pas cessé de pleurer pendant une heure, tout comme Sarina, Lassira et Tajiha. A présent, elles étaient profondément endormies, gagnées par l’épuisement. Éliran faisait tout son possible pour rester éveillée, comme investie du devoir de surveiller ce paysage de désolation.

    Soudain, un bruit la tira de sa concentration. Ce n’était qu’un craquement, mais il était suffisamment près pour que l’angoisse la tenaille. C’est alors que la porte s’ouvrit. Un homme à la barbe grise en bataille pénétra dans la cabane. La perplexité envahit quelques instants le visage de l’inconnu.

    - Qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que vous faites ici ?

    Éliran se leva d’un bond, imitée par les autres filles.

    - Je suis vraiment désolée. Nous pensions que l’endroit était abandonné.

    - Abandonnée ? Ma maison ?

    - Tou... Toutes mes excuses, bafouilla Éliran. Ce n’est pas ce que je voulais dire.

    L’homme attrapa la fillette la plus proche de lui, Rissa, par le bras, la faisant hurler.

    - Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

    Éliran sentit tout son corps se mettre en alerte, mais elle n’était aucunement impatiente de retourner dans les rues envahies de Légionnaires.

    - Nous voulons seulement passer la nuit. Nous ne vous créerons pas de problèmes...

    - Vous ne me créerez pas de problèmes ?

    L’homme serra Rissa un peu plus contre lui et elle se tortilla.

    - De qui vous cachez-vous ? Des soldats ?

    - De personne.

    Éliran avait les yeux rivés sur Rissa. L’homme lui faisait mal, c’était évident.

    - S’il vous plait, relâchez-la.

    - Vous vous cachez des soldats, n’est-ce pas ?

    L’homme sourit.

    - Oui... Vous êtes des petites Magiciennes, pas vrai ? Et si les Légionnaires vous attrapent, ils briseront vos jolis petits cous.

    Pour illustrer ses propos, il saisit Rissa par le cou et le lui serra.

    - Laissez-la partir tout de suite !

    Éliran plongea la main dans sa sacoche et y fouilla, à la recherche de la flasque de Runium. Elle en aurait besoin pour lui jeter un sort, le plonger dans le sommeil, ou quoi que ce soit d’autre.

    - Chut, petite Magicienne. As-tu envie que les soldats t’entendent ?

    Le bras d’Éliran se tortillait à l’intérieur de la sacoche. Elle attrapait des pièces, des biscuits, d’autres pièces.

    - Vous allez toutes vous tenir tranquilles si vous ne voulez pas subir le même sort que vos professeurs.

    Il serra à nouveau le cou de Rissa jusqu’à ce que son visage bleuisse. Puis il désigna Lassira.

    - Toi, enlève ta chemise.

    Comme une volée de moineaux, toutes les filles reculèrent d’un pas.

    Éliran allait renoncer et s’apprêtait à lancer une poignée de pièces au visage de l’homme – où était cette fichue flasque ? ‒ jusqu’à ce que ses doigts frôlent quelque chose de froid. Elle enroula ses doigts autour de l’objet et sentit le métal de la lame. Désespérée, elle sortit le poignard et le tint maladroitement devant elle.

    L’homme écarquilla les yeux, et elle se rendit compte qu’il était saoul. Il relâcha Rissa et s’avança vers Éliran. Elle pointait la lame vers lui, menaçante.

    - Qu’est-ce que tu crois que tu vas faire avec ça ?

    L’homme était costaud, et son nez portait les marques de nombreuses bagarres dans des tavernes. Il fit un pas vers elle, la main prête à lui saisir le poignet. La première réaction d’Éliran fut de reculer de peur, puis ce fut instinctif. L’homme l’accula à un mur. Contre toute attente, Éliran fit un pas en avant.

    Déséquilibré, l’homme n’aperçut même pas qu’Éliran avait fermé ses deux mains sur le poignard et le frapper d’un geste mal assuré, jusqu’à ce que la lame transperce le menton de l’homme, jusque dans sa bouche. Il hurla de douleur, attrapa le manche du poignard et retira la lame. Un jet de sang jaillit.

    Les apprenties Magiciennes, prises de panique, se mirent à pousser des cris d’hystérie. Même Éliran ne put s’en abstenir.

    Terrifié par la douleur et le sang qui n’en finissait pas de couler, étourdi par les hurlements, l’homme vacilla jusqu’à une fenêtre de laquelle il tomba.

    Éliran attrapa fermement sa sacoche, prit Rissa par la main et sortit précipitamment de la cabane. Les autres filles ne demandèrent pas leur reste.   

    Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi les Magiciens leur avaient dit qu’ils ne pourraient quitter leurs cachettes qu’au lever du jour. Les rues se remplissaient rapidement de gens et de vie. Outre les signes physiques de la violence des jours précédents, tout semblait avoir repris son cours normal. Un groupe d’enfants déambulant dans la rue paraissait totalement anodin. Néanmoins, la ville fourmillait de Légionnaires et Éliran jugea qu’il était préférable que les filles se dissimulent derrière l’étal d’un poissonnier qui, apparemment, avait perdu son propriétaire au cours des émeutes.

    Avec Flara pour seule compagnie, Éliran cherchait un moyen de quitter la ville. Elle s’adressa à des marchands qui prévoyaient de se réapprovisionner un peu plus au sud, et demanda à un couple de fermiers des environs combien ils lui demanderaient pour les cacher à l’arrière de leur chariot de pommes de terre. Elle apprit que des caravanes d’épices allaient partir pour Saggad dans les deux jours, et qu’elles étaient installées sur la place fyrienne d’où les gens pouvaient emprunter la Rue des Magiciens, celle qui menait à l’Académie de magie. Flara était complètement terrifiée et elle était figée devant l’entrée d’une auberge, mais Éliran se dirigea droit vers le centre de la place.

    Elle prétexta au départ qu’elle allait admirer la statue qui y était érigée, cinq Chasseurs de Dragons terrassant un gigantesque Queue-Courte de l’Est. Elle trouva ensuite le courage d’approcher de l’entrée de la Rue des Magiciens. Même à cette distance, il était plus qu’évident qu’il ne restait pas grand-chose du majestueux édifice. Seule l’une de ses tours était restée debout, amputée d’un tiers de sa hauteur d’origine. Des colonnes de fumée s’élevaient toujours des ruines, et ce qui, autrefois, avait été la porte principale n’était désormais plus que poussière sous les bottes d’une dizaine de Légionnaires. Ils se tenaient en formation serrée et bloquaient l’accès au bâtiment fumant.

    Éliran voulait s’y rendre, pour y retrouver d’éventuels survivants. Et s’il restait des gens piégés dans le sous-sol ou dans les tunnels souterrains ? Elle pourrait passer par l’arrière, utiliser un sort de diversion, ou peut-être attendre que la nuit tombe...

    Ses projets furent interrompus par une Flara en pleine panique.

    - Je t’en prie, partons d’ici, la supplia la fillette.

    Éliran soupira et lui obéit. Elles s’entretinrent avec un couple d’une possible fuite hors de Niveh, puis décidèrent finalement de rejoindre les autres filles. Elles étaient exactement telles qu’Éliran les avait laissées, et elles semblaient encore plus terrifiées que la veille au soir. Éliran se demanda si tel n’était pas son cas à elle aussi. Après tout, qu’allait-elle faire ? Où pouvait-elle aller ? Était-ce sans danger de rejoindre sa famille à Ragara ? Et si l’Empereur les avait arrêtés parce qu’ils étaient les parents d’une fille avec le Don ? De quoi vivrait-elle si, en effet, elle était seule ? Comment pourrait-elle dissimuler tout le reste de sa vie le fait qu’elle était une Magicienne ?

    - Où allons-nous ? Éliran demanda-t-elle aux filles.

    A en croire leurs visages, elles ne s’étaient pas encore posé la question. Jusque-là, elles étaient ravies qu’Éliran ait pris toutes les décisions à leur place. Ne pouvait-elle pas décider de cela aussi ?

    - Je ne peux pas décider de l’endroit où chacune de nous va se rendre, expliqua-t-elle.

    - Mais... N’allons-nous pas rester ensemble ? demanda Rissa.

    - On ne peut pas, dit Flara. Je veux rentrer chez moi, chez mes parents. Nous devrions toutes rejoindre nos familles.

    Sarina acquiesça.

    - La mienne a été arrêtée, dit Tajiha, les yeux baissés.

    - Nous devrions nous diriger vers l’ouest, suggéra Lassira. On dit que l’Académie d’Awam est encore en activité.

    - C’est un mensonge, répondit Flara. Aucune Académie n’a résisté.

    Les douze apprenties se mirent à discuter, se demandant si certaines Académies avaient été épargnées, jusqu’à ce qu’Éliran leur intime fermement l’ordre de se taire.

    - Nous partons pour le nord. Si l’on veut éviter les Légions, la meilleure façon de sortir de la ville, c’est par le fleuve, et le fleuve se sépare soit vers le nord, soit vers les Montagnes Shamissai, donc on va au nord. Maintenant, toutes celles qui veulent faire autrement le peuvent. Celles qui veulent retrouver leurs parents peuvent partir à leur recherche. Celles qui veulent rejoindre l’Académie d’Awam le peuvent également.

    Toutes les apprenties hochèrent la tête en signe d’approbation. Peu après, elles atteignirent les quais. Un batelier les y attendait, qui devait transporter des tonneaux de vin vers Augusta sur une barge qui pouvait largement les accueillir toutes.

    - Vingt-cinq couronnes d’or, tenez.

    Le batelier prit les pièces et les soupesa.

    - Oui, mais maintenant, c’est cinquante.

    - Cinquante ?

    Éliran était stupéfaite.

    - Nous étions d’accord pour vingt-quatre, deux par personne, et je vous offrais une couronne de plus.

    - Peut-être, mais c’était avant que je sache que vous étiez toutes des enfants.

    Éliran sentit son estomac se retourner, et son visage s’empourpra.

    - Quelle différence ça fait ?

    - Ça fait toute la différence, répondit le batelier. Je ne sais pas, vous cherchez peut-être à fuir les autorités...

    Pour illustrer son propos, il regarda négligemment les deux Légionnaires postés contre une muraille à proximité.

    Éliran aurait voulu balancer cet imbécile dans l’eau et le regarder se noyer. Elle se contenta de se retourner et de plonger la main dans sa sacoche.

    - Laissez-moi voir combien il me reste, dit-elle, dos à lui.

    Le batelier sourit.

    Éliran fouilla quelques instants dans la sacoche et mit finalement la main sur la flasque de Runium qu’elle avait désespérément cherchée la veille au soir. Elle l’ouvrit et en avala une généreuse gorgée. Troublée, Rissa ouvrit la bouche, mais Flara la lui couvrit avant qu’elle ait le temps de prononcer un seul mot.

    Éliran se retourna vers le batelier.

    - J’ai exactement ce qu’il vous faut.

    Elle tendit la main et le batelier la regarda, intrigué. Lorsqu’Éliran ouvrit sa main, tout ce que put voir l’homme fut un éclair lumineux, plus bref qu’un battement de cils. Le batelier devint extatique.

    - Oh, milady ! Pour cette somme, je vous conduirais au sud de l’Alétie, si vous me le demandiez.

    Avec un sourire vaste comme le monde, il désigna sa barge.

    - Par ici, je vous prie. Montez, jeunes demoiselles. Attention à la marche. Parfait. Faites comme chez vous.

    Toutes les apprenties embarquèrent et s’installèrent sur le pont. Toutes sauf Éliran, qui était restée sur le quai.

    - Eli ? Flara était déconcertée.

    - Bonne chance, les filles. J’espère qu’on se retrouvera un jour.

    Le batelier sauta sur sa barge, toujours avec le sourire, et se posta à l’arrière du bateau.

    Rissa semblait prête à éclater en sanglots.

    - Eli ? Où vas-tu ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

    - Prends soin d’elles, Flara, lui demanda Éliran.

    Elle claqua des doigts et le batelier largua les amarres et éloigna le bateau du quai.

    - Eli, s’il te plaît ! la supplia Rissa.

    Flara dut la retenir.

    Éliran leur fit un signe de la main tandis que le bateau s’éloignait, mais elle ne put soutenir les regards tristes des filles très longtemps.

    Elle leur tourna le dos et s’en fut.

    Chapitre 1

    Le demi-Prince

    Aric pouvait distinguer la cour intérieure, cinq étages plus bas. Deux hommes s’affrontaient, leurs épées dressées au-dessus de leurs têtes, le corps tendu, prêts à bondir. Sans crier gare, le plus petit des deux frappa l’autre droit à la tête. S’ensuivit le fracas des épées de bois s’entrechoquant, jusqu’à ce que la lame funeste de l’un des combattants s’abatte sur le poignet de l’autre. Aric entendit d’autres bruits, très proches ceux-ci.

    - C’est l’heure de votre leçon, mon Prince.

    Le vieux Macael était certainement le seul à l’appeler ainsi.

    Le professeur déroula un parchemin rempli de formes géométriques et de chiffres. Aric suivit du regard les doigts fins comme des brindilles et examina les équations qui lui étaient soumises, additionnant les chiffres mentalement. Il déplaça quelques pièces de son boulier puis soupira, résigné. Macael lui adressa un regard insistant, mais Aric ne lui prêtait pas la moindre attention. En bas, dans la cour intérieure, une pirouette s’achevait par un coup d’épée paré par un bouclier. A quoi pouvait bien lui servir de calculer la hauteur d’un triangle ? D’ailleurs, si c’était tellement important, pourquoi ne pas la mesurer avec une règle ?

    - Vous pouvez rester là à soupirer tout l’après-midi, mais il n’en reste pas moins que je dois vous dispenser ce cours et que mon Prince doit le suivre. Vous pourriez peut-être vous concentrer un peu et apprendre quelque chose ?

    - Pourquoi ne pourrais-je pas apprendre à me battre, plutôt ? demanda Aric.

    - Je crains de ne pouvoir vous l’enseigner, répondit Macael.

    Aric s’enfonça sur sa chaise en serrant son boulier dans les bras.

    - Ce n’est pas ce que je voulais dire, dit Aric, les yeux rivés sur le combat qui faisait rage dans la cour.

    - Je sais..., répondit Macael. La Déesse nous a attribués à chacun un rôle différent. Il nous appartient de l’apprécier autant que possible. Il ne sert à rien d’envier ce que les autres font.

    A cet instant, une épée vint s’écraser en plein sur la tête de l’un des combattants de la cour. Son casque s’envola et il tomba, assommé. Aric se mit à rire.

    - La Déesse aurait dû doter Fadan de jambes plus rapides.

    Cette fois, ce fut Macael qui renonça. Il enroula le parchemin imprimé de cercles, de triangles et d’hexagones.

    - Bien, je crois que j’ai suffisamment lutté pour gagner votre attention pour aujourd’hui. Vous pouvez partir.

    Le visage d’Aric s’éclaira. Il jeta son boulier sur la table et se précipita vers la porte.

    - Mon Prince ! l'interpella Macael.

    Aric s’arrêta sur le seuil.

    - Il serait préférable de ne pas vous approcher de la cour.

    Le visage d’Aric s’assombrit. Il acquiesça sans conviction et disparut.

    Intila, Haut Maréchal des Légions de l’Empereur, observait la lumière traverser le vitrail en arrière-plan de l’imposante table en chêne autour de laquelle le conseil se réunissait. Le vitrail était une représentation très colorée du siège de Victoire. Intila était certain que quiconque avait vécu cet événement n’avait vu aucune autre couleur qu’un brun terreux et un rouge sang. Quoi qu’il en soit, sur cette baie haute de trois étages, la dernière grande bataille pour l’unification de l’Empire semblait davantage une ode au printemps qu’une représentation fidèle du siège historique.

    Comme d’habitude, le Chancelier Vigild lisait une liste interminable de rapports, de missives et autres documents, aussi le Maréchal en profita-t-il pour détailler les pièces qui composaient le vitrail, chacune minutieusement coupée pour prendre sa forme singulière. Il se dit que c’était la millionième fois qu’il le faisait.

    Outre l’Empereur, cinq autres personnes assistaient à l’assemblée. Fressia, la Secrétaire de l’Empereur, notait furieusement tout ce qui se passait. Scava, l’Argentier, dormait tranquillement. La Sénéchale Daria organisait plusieurs tas de documents pour préparer sa propre intervention devant le conseil. Pour terminer, il y avait l’Amiral Cassena et le Constable Fervus, deux individus qu’Intila considérait aussi utiles qu’ils l’étaient à ce moment précis – le regard vide plongé dans le néant, la bouche ouverte.

    - Il semblerait que nos informateurs d’Inmuria n’aient pas divagué. Il y a effectivement un Roi, ou un Chef, peu importe, qui a rassemblé plus de quinze tribus sous son étendard.

    Vigild lança le parchemin sur la table, avec une furieuse envie de bâiller.

    - Evidemment, les Alétiens paniquent.

    Il saisit un autre document mais fut brusquement interrompu.

    - Eh bien, cela me semble important..., dit Cassena, l’air hésitant. Peut-être pourrais-je mettre la Flotte de l’Est en alerte ?

    L’Amiral se tourna vers Intila, cherchant son aide des yeux, mais il n’obtint à peine qu’un coup d’œil en retour, aussi dut-il affronter le regard perçant de l’Empereur.

    Tarsus était un homme de grande taille dont la chair avait été consumée par les tracas qui ne lui avaient laissé que sa peau pâle sur les os. Sa longue chevelure, qui lui tombait légèrement en-dessous des épaules, n’était plus noire, mais zébrée de gris, tout comme sa barbe.

    - En alerte ? demanda Tarsus. A cause d’une demi-douzaine de barbares ?

    L’Amiral, tremblant comme une feuille, tenta maladroitement de s’expliquer.

    - Eh bien... nous savons que, je veux dire, historiquement parlant, ces unifications...En fait, à l’époque de votre arrière-grand-père... non, avant cela...

    Intila vint le tirer de sa fâcheuse posture et posa une main sur son épaule pour l’apaiser. Le pauvre homme se décomposa.

    - Poursuivons..., dit Vigild. Nous avons un problème de collecte d’impôts à Ake Sud.

    - Un problème ? répéta l’Empereur.

    - Nous avons eu du mal à percevoir l’impôt auprès des fermiers d’Ake Sud, expliqua Vigild. Cela n’a rien d’étonnant. Cela arrive souvent après une augmentation.

    - Nous avons augmenté les impôts ? Quand ?

    - Il y a deux mois, votre Majesté, répondit Vigild.

    - D’où ce rapport émane-t-il ? demanda Intila.

    - Ce n’est pas un rapport. C’est une lettre du Duc d’Ashan.

    Vigild récupéra le document et le lit à voix haute.

    - Des troubles à travers tout le plateau, bla... ai été contraint de mobiliser ma garde, etc., etc. Nous marchons vers les fermiers rebelles.

    - Le Duc d’Ashan avec une armée ? En marche ? L’Empereur devint livide.

    - Pour étouffer une révolte, votre Majesté, répondit Intila.

    - Prétextes !

    Tarsus tapa du poing si fort sur la table qu’Intila était certain que l’Empereur aurait les phalanges en sang.

    - Le Duc Amrul est un traître. Il a soutenu et protégé ouvertement les Magiciens pendant la Purge. C’est une démonstration de force.

    Il s’interrompit quelques instants, les yeux rivés sur l’horizon.

    - La hausse des impôts n’est rien d’autre qu’un prétexte. Il envisage certainement de retourner la population contre moi.

    Les membres du conseil échangèrent quelques regards. Hésitant sur ce qu’elle devait consigner sur les minutes de l’assemblée, Fressia demanda.

    - Majesté... que... comment dois-je rédiger cela ?

    Tarsus V, Empereur d’Arrel, examina sans mot dire le visage de chacun de ses conseillers.

    - C’est inacceptable ! finit-il par lâcher. Je ne saurais permettre que le Seigneur d’une demi-douzaine d’hectares s’arroge le droit de commander ses propres forces militaires.

    Le silence se fit autour de la table. Intila sentit son sang se figer et aperçut Vigild hausser les sourcils.

    - Majesté... c’est la répartition des pouvoirs. Ça s’est toujours passé ainsi..., répondit Intila.

    - Au diable la répartition des pouvoirs ! explosa Tarsus. Il ne peut y avoir qu’un pouvoir dans l’Empire. Celui de l’Empereur. Répartition..., ricana-t-il. Qu’espèrent faire les Ducs et les Comtes avec une armée ? Prévoient-ils d’envahir un pays étranger ?

    Intila s’apprêtait à lui expliquer mais Tarsus ne lui en laissa pas le temps.

    - Ils veulent défier leur Empereur ! Voilà la répartition qu’ils espèrent.

    Personne n’eut le courage de répondre, et Vigild ne sembla même pas vouloir s’y risquer, mais Intila ne put se retenir.

    - Majesté... nous avons eu cette conversation des dizaines de fois. Ils veulent se protéger. Ils veulent avoir la garantie que l’Empereur ne gardera pas tout pour lui.

    - Je leur donnerai ma garantie personnelle que cela n’arrivera pas, répondit Tarsus.

    - Avec tout le respect que je vous dois, mon seigneur... Mais, après la Purge...

    Intila sentit soudain qu’il devait soigneusement choisir ses mots.

    - Après l’interdiction de la magie... Ils ne vont pas comprendre.

    Tarsus frappa à nouveau du poing sur la table.

    - Ça fait dix ans ! La Purge n’est rien d’autre qu’un souvenir.

    - Un souvenir de rébellion et d’insurrection, votre Majesté. De milliers de morts. De dizaines de nobles demeures anéanties. Sans parler...

    Intila s’interrompit un instant, mais ce n’était pas un lâche.

    - Sans parler des centaines de Magiciens exécutés.

    - Tous des traîtres !

    Tarsus se tourna vers Vigild et le foudroya du regard.

    - Je veux qu’une loi soit rédigée sous un mois.

    Le Chancelier opina respectueusement du chef.

    - Je crains de devoir protester, votre Majesté.

    Intila inspira profondément et s’apprêtait à développer son propos quand Vigild l’interrompit. 

    - Dans le pire des cas, chaque Comte et chaque Duc lève une armée contre l’Empereur.

    A ces mots, Tarsus se figea, mais Vigild poursuivit.

    - Les Légions ne seraient-elles pas capables de les contenir ?

    S’il n’avait pas eu sa fierté, le Maréchal se serait offusqué de cette question.

    - Si les Légions se déploient, aucune armée ne les arrêtera, déclara le Maréchal. Nous escaladerons les montagnes de Phermia à mains nues, nous les traverserons à pied, nous détruirons les forces des Imurites et des Alétiens, et nous occuperons toute l’Arkhémie, si tel est le désir de l’Empereur. Mais c’est...

    - Nous sommes donc parés à la pire des situations.

    Vigild sourit. Il fit une jolie révérence devant l’Empereur.

    - Je rédigerai la loi comme vous me l’avez demandé, votre Majesté.

    Tarsus sembla soulagé et Intila s’effondra sur son siège en soupirant. Il tourna les yeux vers le vitrail sur lequel la bataille de Victory faisait toujours rage dans une multitude de couleurs. Son esprit s’envahit des images des innombrables cadavres pendus aux potences de l’Empereur, des océans de flammes qui avalaient des villes entières, et des fleuves de sang qui inondaient les rues.

    Aric dévala l’escalier en colimaçon de la Tour Verte. Les Magiciens de l’Empereur y avaient élu domicile pendant des siècles mais seule une dizaine de tuteurs, donc aucun ne pratiquait la magie, y vivait désormais. Dès qu’il fut arrivé au pied de la tour, il se précipita vers la cour du Palais Central et se faufila dans l’un des couloirs qui desservaient les centaines de pièces de la bâtisse. Il grimpa deux étages et atteignit le couloir le plus éloigné de l’aile ouest. Le soleil était si bas qu’il était presque impossible de l’apercevoir derrière les fenêtres. Les murs étaient bordés de statues de pierre de la taille d’un homme.

    Aric les dépassa. Il croisa la route d’un Général sur le plastron duquel rugissait le lion impérial, d’un Chancelier lisant un parchemin, d’un Chasseur de Dragons avec une lance en bandoulière puis s’arrêta enfin devant un paysan armé d’une fourche dans une main et du drapeau d’Arrel dans l’autre. Sans s’inquiéter d’être vu, il prit le drapeau de la main du paysan, défit le tissu frappé des armoiries arréliennes et repartit en courant vers l’escalier, la hampe de l’étendard entre les mains.

    Il descendit les marches en faisant d’insolites pirouettes, agitant le bâton de tous les côtés. Il frappa, riposta, repoussa et anéantit une dizaine d’ennemis invisibles avant de déboucher dans le grand hall. A cet instant, la porte grinça et Fadan, en habit de guerre, fit son apparition, suivi de son instructeur de combat. Il avait la tête entourée de bandages sanguinolents.

    - Aric ! l’appela-t-il en souriant. J’ai pris une vraie raclée aujourd’hui.

    Aric lui rendit son sourire.

    - Non, tu étais magnifique.

    - Tu m’as vu ?

    - J’étais en cours avec le vieux Macael.

    L’instructeur de Fadan avança, hésitant, mais n’eut pas le courage de les interrompre.

    - Oh, alors tu as sûrement vu tout mon entraînement ?

    Tous les deux éclatèrent de rire. Fadan tendit le menton vers la hampe du drapeau.

    - Vous vous exerciez ?

    Aric dissimula la hampe derrière son dos.

    - Non... bien sûr que non.

    Il rougit.

    Un silence gênant s’installa et Fadan ne put lui répondre car une voix se fit soudain entendre.

    - Le Prince devrait aller faire un peu de toilette. Le dîner sera bientôt servi.

    Fadan leva les yeux au ciel. Il jurerait parfois que Sagun épiait ses moindres mouvements. Il prit congé d’Aric et s’en fut, suivi de son instructeur qu’un regard foudroyant de Sagun stoppa net.

    - La prochaine fois, ne laissez pas ces discussions durer aussi longtemps.

    Il pointa l’index vers Aric comme on désigne une étagère.

    - S’il le faut, chassez ce garçon de force.

    Il donna à l’instructeur l’autorisation de partir et se tourna vers Aric.

    - Il n’est pas convenable de retarder le Prince. L’Empereur est à cheval sur les horaires.

    - Ce n’est pas convenable non plus de parler de quelqu’un comme s’il n’était pas là.

    L’Intendant plissa les yeux.

    - Votre dîner vous sera bientôt servi dans les cuisines. Vous pourrez y aller dès que...

    Il observa la hampe du drapeau.

    - Dès que vous aurez achevé votre maniement d’armes.

    Sagun lui tourna le dos, faisant virevolter sa tresse noire autour de lui tandis qu’il s’éloignait.

    Aric le regarda partir, s’imaginant mille et une façons de mettre en pratique son ‘maniement d’armes’ sur lui.

    Le soleil refusait toujours de se coucher, aussi Aric erra-t-il autour du château. Il flâna dans les couloirs et les escaliers, arpenta les halls déserts et jeta un œil par les serrures des portes verrouillées. C’était l’une de ses activités habituelles, celle à laquelle il s’adonnait la plupart de son temps libre. Quelquefois, il quittait le Palais Central et visitait l’un des plus petits palais de la Citadelle. Les inoccupés étaient ses préférés.

    Il s’assit sur un parapet et regarda le soleil disparaître derrière les innombrables tours de la cité d’Augusta. Il envisagea de rendre visite à sa mère, mais elle serait certainement en train de s’apprêter pour le dîner. L’Empereur exigeait qu’elle soit toujours élégante. Elle priait parfois qu’on l’excuse au dîner, prétextant être souffrante, puis elle trouvait le moyen de prévenir Aric qui se faufilait dans sa chambre. Alors ils dînaient tous les deux.

    Mais pas aujourd’hui. Il choisit de se rendre à la bibliothèque. Il adorait lire des ouvrages sur l’expansion de l’Empire et sur les différentes guerres qui avaient conduit à l’unification. Son livre préféré parlait de la seconde guerre d’Akham et de la conquête de Saggad au cours de laquelle l’un de ses ancêtres, Géric Auron, avait escaladé les remparts de la ville, seul, protégé par l’obscurité. Le livre s’achevait par la scène où Géric ouvrait

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