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Complot_Viral
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Commencer à lire- Éditeur:
- Fawkes Editions
- Sortie:
- Mar 19, 2020
- ISBN:
- 9782930899831
- Format:
- Livre
Description
Informations sur le livre
Complot_Viral
Description
- Éditeur:
- Fawkes Editions
- Sortie:
- Mar 19, 2020
- ISBN:
- 9782930899831
- Format:
- Livre
À propos de l'auteur
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Aperçu du livre
Complot_Viral - Georges Gamme
Pasteur
Liste des personnages
Adrian : fils de Ronny
Alicia : épouse de Dieudonné
Andrew : vigile dans la propriété de William
Barbara : responsable de la communication chez Jekabiotica
Betty : secrétaire de Ronny
Brid : fille de Ronny
Carlos : garagiste mexicain vivant à Las Brocas
Cole : lieutenant de police
Dezwart : professeur à l’hôpital de Bruxelles
Dieudonné : chauffeur de William
Di Maria : médecin à l’hôpital de Las Brocas
Eddy : valet de chambre de William
Fred : directeur scientifique chez Jekabiotica
Gabrielle : directrice générale de la société pharmaceutique suisse
González : médecin de famille à Las Brocas
Gunter : vigile dans la société pharmaceutique suisse
Jack : frère de Dieudonné
Jane : épouse de Ronny
Joe : ami d’enfance de Ronny
Julia : fille de Dieudonné et Alicia
Luis : journaliste, ami d’enfance de Michel
Madeleine : maman de Michel
Maurita : femme de ménage de William
Michel : médecin, chercheur, spécialiste des vaccins
Maria : épouse de Carlos
Philippe : étudiant, voyage au Mexique
Ronny O’Connor : directeur général de la firme Jekabiotica
Suzanne : maman de Philippe
William : président du conseil d’administration de J
San Francisco, siège de la société pharmaceutique Jekabiotica, vendredi soir
Le poing de Ronny s’écrasa sur son bureau. Quelques feuilles se dispersèrent sous la violence du choc. Il appuya nerveusement sur le bouton de l’interphone :
– Betty, venez immédiatement !
Quelques secondes à peine s’écoulèrent avant que la secrétaire houspillée apparaisse dans l’encadrement de la porte :
– Oui, Monsieur.
– Mon dossier est introuvable ! Comment voulez-vous que je relise mes notes avant d’affronter la curie ?
C’est ainsi qu’il surnommait l’assemblée de vieillards composant le conseil d’administration. Son regard glacial et sa mâchoire crispée tétanisèrent la pauvre Betty qui, malgré son expérience et son professionnalisme, se sentit désarçonnée par ce patron impulsif à l’humeur imprévisible :
– J’ai cru bien faire en mettant votre présentation PowerPoint directement sur l’intranet.
Ronny se calma quelque peu :
– Et je dois le deviner, sans doute ? Quelle heure est-il ? fit-il en regardant sa Rolex. Il me reste un peu de temps.
Puis son regard se riva à l’écran de son ordinateur.
– Avez-vous encore besoin de moi, Monsieur O’Connor ?
Elle rajusta son chignon pourtant impeccable. C’était un tic nerveux chaque fois qu’il l’agressait.
– Quoi ? Vous n’allez pas rester plantée là ! Vous n’avez rien d’autre à faire ? aboya Ronny.
Il ne la vit pas sortir à pas feutrés, le dos légèrement voûté.
Vingt minutes plus tard, il redressa le torse, fit tourner sa nuque pour détendre ses muscles. Il étira les bras et se leva promptement tel un boxeur prêt au combat. La comparaison lui semblait heureuse, puisque, selon lui, il allait littéralement monter sur le ring. Il enfila sa veste et ajusta le nœud de sa cravate en s’attardant quelques secondes devant le miroir : il vit s’y réfléchir un large sourire qui ressemblait davantage à un rictus.
Il traversa d’un pas décidé son luxueux bureau, se dirigea vers l’ascenseur, sans même un regard pour sa secrétaire.
La salle de conférence se trouvait un étage au-dessus, tout en haut de l’imposant building moderne, symbole de la réussite de la société Jekabiotica.
Les membres de l’éminente assemblée étaient déjà là, et, dès son entrée, les regards convergèrent vers Ronny, qui s’installa à l’extrémité de la lourde table ovale. Tous ces costumes sombres, ces calvities et ces cheveux gris alourdissaient l’atmosphère. Il n’y eut pas de poignées de mains, quelques sourires à peine esquissés, quelques fléchissements de tête. Ronny se donna bonne contenance en ouvrant son dossier devant lui, tandis qu’un écran géant se déroulait lentement et sans un bruit sur un côté de l’immense pièce. Betty vérifia la connexion entre les ordinateurs et le projecteur. Tout semblait fonctionner parfaitement.
– Bien, Betty. Vous pouvez nous laisser. Fermez la porte en sortant.
Le léger brouhaha s’apaisa. La réunion pouvait commencer.
Le président, William Browndown, très occupé dans un aparté avec son voisin, n’avait pas dévié son regard à l’arrivée théâtrale de Ronny. Assis à l’autre extrémité, il se tourna enfin vers l’assemblée. Son visage lunaire, ses paupières tombantes au-dessus de ses yeux asymétriques et ses bajoues proéminentes évoquaient Winston Churchill. Sa stature trapue, qui s’étalait lorsqu’il s’asseyait, le rendait presque impressionnant. Sa voix grave était en harmonie avec l’ensemble du personnage.
– Hum, hum. Je déclare la séance ouverte. Messieurs, voici l’ordre du jour.
Après un énoncé concis des points que chacun avait pu découvrir sur sa convocation, il ajouta :
– Je ne vous apprendrai rien, Messieurs, en vous disant que Jekabiotica va mal. Et c’est un euphémisme ! Nous n’avons pas échappé à la crise des subprimes et de son corollaire, l’effondrement de la Bourse, et donc du cours de nos actions !
Il jeta ses lunettes en écailles devant lui et le ton de sa voix se modifia imperceptiblement :
– Nous souhaiterions entendre les explications de notre directeur général, monsieur Mac O’Connor.
Ronny se leva lentement et se dégagea de son fauteuil dans un maintien parfait. Il fit le tour de la table, dévisageant chacun comme s’il tentait de les hypnotiser tous un par un. Cela lui permettait de captiver l’auditoire qui avait besoin de ces secondes pour jauger l’orateur. Son costume noir de belle facture renforçait la sobriété de sa prestance.
– Monsieur le Président, Messieurs les membres du Conseil d’administration, permettez-moi, en effet, de vous présenter le bilan de notre activité. Tout d’abord, relativisons : notre société résiste aux secousses boursières, et notre chiffre d’affaires s’élève encore à 35 milliards de dollars, ce qui reste confortable, même si nous avons à déplorer une chute de 20 % par rapport à l’exercice précédent.
Ronny avait suivi des cours de communication. Il maîtrisait son sujet et ne parcourait jamais ses notes. Les diapositives servaient de support pour son public et rythmaient le tempo de son speech. Il avait soigneusement préparé son exposé, le structurant parfaitement et anticipant certains passages délicats. Après quelques minutes, le ton et le timbre de sa voix avaient déjà trouvé la vitesse de croisière ; il faisait corps avec son discours.
Il ne s’attendait pas à être interrompu dès la cinquième minute, et certainement pas par le président qui triturait nerveusement ses lunettes.
Ce dernier leva sa main, comme si le temps imparti était déjà terminé. Ronny fut donc surpris d’entendre :
– Mon petit Ronny…
Personne dans cette maison n’aurait osé s’adresser à lui de cette manière condescendante. Il avait beau avoir une grande expérience des relations humaines, il se sentit décontenancé, d’autant plus que le « petit Ronny » condescendant fut suivi d’un silence pesant. Le président regarda à nouveau un à un chaque administrateur, puis leva les yeux au ciel. Ce moment parut interminable au directeur général. Des ombres commençaient à s’agiter dans les gros fauteuils de cuir, et lui restait bêtement suspendu aux lèvres du président. Pour la première fois depuis longtemps, il était pris au dépourvu.
Le président reprit enfin, répétant, c’était agaçant et même humiliant :
– Mon petit Ronny, votre bla-bla n’intéresse personne !
Il prolongea le silence sciemment en allumant un havane. Un comble ! On se serait cru dans un club de vieillards réunis pour se rappeler les bonnes histoires du passé. Il souffla un gros nuage de fumée en direction des narines de Ronny qui ne put s’empêcher de tousser.
– Vos résultats sont tout simplement déplorables, et nous, nous devons rendre des comptes aux actionnaires. Vous aviez été engagé pour faire grimper la valeur des actions, et elles chutent en flèche. Vous nous aviez promis monts et merveilles : un vaccin contre le SIDA et d’autres blockbusters. Agir autrement que les statines sur le cholestérol, c’était votre idée. Ce fut tout simplement un gouffre financier et un flop commercial. Que dis-je ? Il n’y a jamais eu une seule boîte de ce foutu produit vendu sur le marché. On vous paye des millions de dollars. Vous devriez en outre toucher une coquette somme en stock-options. Pour faire quoi ?
Puis, faisant allusion au fait que, dans la maison, on gravit les étages en montant dans la hiérarchie, il laissa tomber comme un couperet :
– Un apprenti du deuxième n’aurait pas fait pire.
Ronny restait planté là, sans réaction, blême, comme figé. En un instant, il revécut une scène de son enfance : son père l’humiliait devant le reste de la famille en insistant sur ses failles. Son père n’aimait pas les enfants qu’il comparait à de petits adultes inachevés, bons à rien à ses yeux. Il avait l’art de toujours choisir le mot qui blesse, l’argument qui acculait l’adversaire. Ronny sortait exsangue de ces rounds, où seul son père assénait des coups. Son rire sarcastique résonnait encore dans sa tête.
Les autres conseillers restaient muets, mais semblaient acquiescer par leur jeu de tête.
– Mon petit Ronny, je vais être très clair et très bref avec vous : vous avez un mois pour changer de cap, pour nous trouver une solution miraculeuse, sans quoi nous considérerons que vous n’avez plus la confiance de cette assemblée et nous demanderons à un commis du deuxième étage d’assurer l’intérim, ironisa-t-il. La séance est levée !
Il tapota un classeur inutile sur la table pour accompagner ses propos.
Une rumeur parcourut l’assemblée. La messe était dite. La réunion n’avait pas duré un quart d’heure.
Las Brocas, petite ville à l’ouest du Mexique, non loin de la frontière des États-Unis, vendredi soir
Carlos ferma vigoureusement le lourd volet métallique de l’atelier. Les charnières de la vieille porte tentèrent de résister en émettant un grincement épouvantable. Chaque soir, cette manœuvre bruyante faisait sursauter le voisinage. Ce petit rituel incontournable clôturait sa journée de travail et lui procurait un ancrage positif : il repensa à ses débuts difficiles dans le garage comme apprenti ; il n’avait alors que 14 ans ! Et 24 ans plus tard, le voilà promu chef d’atelier. Le patron lui faisait confiance et lui donnait de plus en plus de responsabilités ! Carlos aimait son métier ; il adorait ausculter les moteurs des voitures, et surtout ceux des engins agricoles des petits fermiers des environs qui défilaient ici. Ses pensées vagabondaient. Il rêvassait, anticipant le week-end, car il avait promis une partie de pêche à son aîné, instant de pur bonheur en perspective à partager avec son fils. Il imaginait déjà le déroulement des opérations : préparer le matériel, vérifier le contenu du vieux panier en osier avec le casse-croûte que sa femme aura confectionné, ne pas oublier le frigo avec des bières pour lui et du Coca pour Juan. À quelques kilomètres de leur maison coulait une rivière large et tranquille, où l’eau scintillante vous hypnotisait. Une pêche miraculeuse en perspective. En y pensant, il se signa machinalement. Chez les Sánchez, on était très croyant.
Malgré une journée de travail harassante, il avait le cœur léger. Il se sentait comblé, surtout quand il se comparait à son entourage. Il régnait dans cette région une misère endémique qui ne promettait pas de s’améliorer, vu le taux de chômage exceptionnellement élevé. Sa petite ville semblait presque oubliée du reste du monde. Les images défilaient devant ses yeux, et il ne vit pas le temps passer ; il arrivait déjà dans son quartier. Le chemin en mauvais état, parsemé de nids de poule, n’effrayait pas les suspensions bien huilées de sa vieille Dodge. Au-dehors, des enfants aux torses nus lui adressaient des signes avec des yeux malicieux, sans interrompre leurs jeux. Il se concentra, car il savait d’expérience qu’un ballon, ou pire, un jeune, pouvait surgir sous ses roues. Il ralentit encore l’allure en reconnaissant au loin un de ses fils qui n’était pas le dernier à participer à cette fête enfantine et permanente. Carlos les comprenait parfaitement : à leur âge, lui aussi devait canaliser son énergie trop longtemps contenue sur les bancs de l’école. Inconsciemment, cela le rassurait de voir son petit Miguel. Il connaissait les dangers de la rue, mais il était impossible de garder les enfants enfermés. Ils faisaient tous partie de la même famille : celle du quartier !
Il braqua devant sa maison et immobilisa doucement le véhicule en face du garage qui lui servait d’atelier. Il en sortit avec souplesse, jeta un dernier regard vers la rue, entra et sourit. Le hall embaumait les vapeurs de la cuisine et du chili con carne. Oui, vraiment, quelle belle journée !
Il retrouva Maria dans la cuisine et l’embrassa sur la nuque. Elle fit semblant d’être surprise :
– Carlos !
Elle se retourna et lui planta un petit baiser furtif sur la joue. Il laissa traîner la paume de sa main sur son ventre, mais elle se libéra rapidement de cette promesse d’étreinte, trop absorbée par les préparatifs de son repas. Il la regarda s’agiter comme un chef d’orchestre. Ses cheveux descendaient en boucles juste au-dessous des épaules, ses pommettes saillantes et ses yeux noirs en amande l’attendrissaient.
– Tu peux dresser la table, puis appeler les petits ?
Carlos avait décapsulé une bière bien fraîche :
– Bien, mon caporal.
Il aimait la taquiner gentiment. Décidément, ce week-end s’annonçait sous les meilleurs auspices !
Paris, Saint-Germain, six heures de décalage
Michel était assis à une petite table ronde bancale sur le trottoir un peu trop en pente qui faisait office de terrasse de ce bistrot parisien. Il profitait d’un rayon de soleil citadin et printanier. Michel ne réalisait pas que prendre plus d’une heure à midi pour manger était une exception française. Il y a peu d’endroits au monde où tout est suspendu avec les premiers gargouillis de la faim, qu’on soit fonctionnaire ou médecin comme lui. Michel se sentait d’humeur légère. Il avait rendez-vous avec son ami Luis. Il commanda le vin blanc du patron.
Aujourd’hui, soyons fous, se dit-il en souriant. Il craqua une allumette, présenta sa cigarette selon son petit protocole. Il se rappela la promesse faite à sa mère : « Cette année, j’arrête la cigarette. » Un médecin qui fume, c’est impensable ! Il avait honte ; enfin, honte comme un enfant pris en flagrant délit de voler un bonbon dans l’armoire des parents. Il sourit à nouveau. Il essayait de se trouver des excuses en se disant que travailler dans un laboratoire était un peu particulier. Bien sûr, il était médecin, mais constamment en contact avec des tubes et des boîtes de Petri et pas avec des patients. Sa blouse blanche ne le distinguait pas des autres techniciens. Et quand ils manipulaient des cultures dangereuses, cachés dans leurs combinaisons et derrière leurs masques, ils ressemblaient davantage à des astronautes qu’à des médecins. Il était agacé par les campagnes antitabac qu’il trouvait trop extrémistes. La tolérance représentait une valeur capitale à ses yeux. Cette dernière réflexion lui remémora les débuts de son amitié avec Luis.
Ils se connaissaient depuis leur première année scolaire. Lorsqu’à six ans, on longe les murs de l’école, timide et maladroit, avant d’oser se lancer, après quelques semaines, dans la mêlée de la cour de récréation. Luis et lui frôlaient le même mur. Le hasard fit le reste : placés sur le même banc d’école, ils avancèrent au même rythme, sans jamais doubler. Ce fut d’abord une franche camaraderie. En arrivant au collège, ils furent tous les deux étonnés de se retrouver à nouveau ensemble. De véritables liens d’amitié s’établirent alors, et ils commencèrent à échanger de plus en plus, jusqu’à s’entendre sur les options à choisir pour ne plus être séparés. Leur fraternité se consolida progressivement.
Luis était français, d’origine portugaise. Il avait le teint mat des gens du Sud, un détail qui était sujet de moquerie de la part de certains enfants de l’école, pas toujours très tendres. Luis avait dû subir à maintes reprises le sarcasme et les injures dirigés contre les « macaques » comme lui. Michel n’avait jamais participé à ces joutes répétées. Bien au contraire : il avait pris des coups en le défendant ! Cela consolida la confiance du jeune garçon envers Michel. Et à l’âge où les adolescents partagent leurs rêves et leurs fantasmes, Luis finit par avouer à son ami qu’il se sentait différent des autres garçons et que, non, il n’était pas attiré par les filles. Il accueillit cette nouvelle avec étonnement, mais cela n’entacha pas leur amitié. Celle-ci ne fit que croître sans ambiguïté. Luis, le bellâtre, était différent. Point.
Luis était régulièrement en retard, une sale habitude qui ne connaissait qu’une seule exception : ses rendez-vous avec son ami Michel. Il le respectait trop et savait que celui-ci n’avait qu’une heure à lui consacrer. Aujourd’hui, pas de chance, la circulation était encore plus dense que d’habitude en bord de Seine. En conducteur habile, il slalomait avec son puissant scooter. L’air tiède lui caressait le visage. C’étaient les premiers vrais rayons de soleil après un hiver rude et interminable. Paris se réveillait. Peut-être tout ce monde courait-il vers un rendez-vous printanier ? Tout en restant extrêmement concentré sur son deux-roues dans cette jungle motorisée et impitoyable, il réussissait le tour de force de rêvasser. Il pensait à Michel qu’il considérait comme un frère. Cette amitié sincère et son attirance pour les autres hommes étaient totalement distinctes. Comme beaucoup d’homosexuels à Paris, il participait souvent à des fêtes dans des clubs très privés. Michel l’avait souvent mis en garde contre le SIDA. Il s’estimait prudent.
Malgré leurs mondes si différents, ils aimaient palabrer à propos de ces divergences qui, jamais, ne contraignaient l’autre et qui consistaient plutôt en un jeu subtil dans un climat de tolérance. Leurs joutes culturelles agissaient comme un ancrage positif. Ils ressortaient chaque fois grandis de leurs rencontres, même si celles-ci s’espaçaient un peu. Michel restait enfermé dans son laboratoire tandis que Luis parcourait le monde pour le raconter. Il avait choisi le journalisme comme une évidence. Il était encore stagiaire, mais ses articles étaient déjà appréciés. Il avait une belle plume. Il côtoyait les milieux intellectuels parisiens, s’en imprégnait sans être tout à fait dupe. Il courait de concert en exposition. Ses rétines explosaient des couleurs du monde. Son carnet à la main, il notait et notait encore. Son appareil photo l’aidait à se rappeler un décor, une ambiance. Son dictaphone ne quittait pas sa poche, au cas où il n’aurait pas le temps de tout écrire. Pour connaître un bonheur parfait, il ne lui manquait que l’homme de sa vie. Ses relations, trop éphémères actuellement, ne lui avaient pas encore offert cette opportunité. Peu importait, aujourd’hui, il avait rendez-vous avec Michel. Son texto l’intriguait : « Où tu sais, mardi, à l’heure habituelle, pour t’apprendre quelque chose que tu ignores encore. Signé Michel. » C’était tout à fait le genre d’humour de Michel !
Michel avait siroté son verre de vin blanc et ressentait déjà les effets de l’alcool : une légère griserie, mais aussi des picotements sur son visage dus aux premiers rayons du soleil printanier. Il consulta sa montre. Il s’étonnait de ne pas voir son ami. Bien sûr, ses retards étaient légendaires et faisaient parfois l’objet de toute une discussion lors de soirées entre amis, mais il savait qu’il occupait une place particulière, et qu’il mettait un point d’honneur à être toujours ponctuel avec lui. Il se souvenait qu’au début de leur amitié, le caractère aléatoire des horaires de Luis avait été source de tension entre eux. Il s’ensuivit une sérieuse mise au point au cours de laquelle Michel lui expliqua qu’il avait décidé de tolérer un maximum de cinq minutes de retard. Passé ce délai, il devenait impossible de savoir s’il rappliquerait avec dix minutes ou une heure en retard. Luis avait immédiatement compris le message : leur amitié en dépendait. Il évitait désormais d’arriver le dernier à leurs rendez-vous. C’était devenu un pari tacite. Luis avait-il eu un accident ? Cette pensée traversa l’esprit de Michel, car il ne répondait même pas à ses textos. Et puis, cette manie de rouler comme un fou sur son deux-roues de la mort. Michel commençait à se sentir mal à l’aise lorsqu’un bruit strident de freinage le surprit. Luis leva sa visière et lui sourit avant d’enlever le casque et de secouer sa longue chevelure noire.
– Excuse-moi, il y avait un bordel pas possible sur la route. Tu as déjà commandé ? demanda-t-il en prenant place en face de son ami.
– Oui, je t’ai pris une salade maison et un petit verre de blanc.
Michel dut se contenir pour ne pas ajouter qu’il s’était réellement inquiété.
Luis poursuivit :
– Cela faisait longtemps !
Ce retard ou le rendez-vous ? pensa Michel, qui avait oublié son irritation, trop heureux de voir son ami sain et sauf.
– Dis, Michel, tu sais que tu m’intrigues ! Je n’ai quasi plus de nouvelles depuis un mois, sauf quelques textos laconiques du genre : « Bosse tout le week-end, t’appelle plus tard. » En fait, tu n’appelles jamais. Quand j’insiste, je reçois comme réponse : « Suis encore au labo. T’inquiète. » Tu sais que le monde continue à tourner à l’extérieur de ton laboratoire ?
Michel connaissait bien son ami. Il savait qu’il était illusoire de vouloir l’interrompre durant ces quelques minutes de monologue, qui soulignait plus son caractère passionné que la volonté de monopoliser l’attention.
– Oui, poursuivit Luis sur sa lancée, je connais ta théorie de l’infiniment grand et de l’infiniment petit. Tu prétends que tu vois le monde dans tes fioles.
– C’est vrai que je te dois une explication, admit Michel.
– D’autant plus que ton dernier texto n’était pas mal non plus dans son genre, poursuivit Luis, en faisant défiler les messages sur son téléphone portable. Ah ! le voici : « Pour t’apprendre quelque chose que tu ignores »…
Il leva les yeux vers Michel :
– Mais il y a plein de choses que je ne sais pas. C’est d’ailleurs pour cela que je suis curieux, que je fouine, que je suis en prospection permanente, rit-il. Allez, salute, à nos retrouvailles. Alors, raconte !
Michel pouvait maintenant tranquillement entamer ses explications ; il capterait toute l’attention de son ami. Tout en savourant son plat, Michel précisa, entre deux bouchées, sa recherche intensive au laboratoire. Oui, Luis avait raison : il était resté des heures durant entre quatre murs. Son travail passionnant le justifiait. Son équipe semblait avoir mis au point une nouvelle technique qui permettrait d’accélérer la fabrication des vaccins.
– Tu te rends compte ? Nous devions finaliser le boulot afin de boucler un article qui sera publié dans un grand journal scientifique !
– Genre ?
– Genre « Nature » ou équivalent. Le boss doit encore décider. Mais c’est énorme !
– C’est surtout génial ! Je commence à mieux comprendre tes absences et ton mutisme. Et quand cela sera-t-il divulgué au grand public ? Là, c’est le journaliste qui parle !
– Même si nos conclusions sont réellement prometteuses, nous devons tempérer notre enthousiasme, car il s’agit d’une première. Habituellement, ce genre de résultat doit toujours être validé par une ou plusieurs autres études. Et a fortiori lorsqu’il s’agit d’un domaine délicat.
– Délicat ?
– Oui, les conséquences médicales sont énormes !
– Énormes ?
– Tu sais que ma motivation première, en me spécialisant en microbiologie, c’était ce foutu virus HIV. Bien sûr, entre-temps, les chercheurs ont développé des traitements qui permettent de stabiliser le malade, évitant une évolution fulgurante et fatale pour chaque patient contaminé. Mais il y a un hic.
– Quel hic ?
– Ces traitements sont extrêmement onéreux et ne sont pas à la portée de tous. Où trouves-tu le SIDA à l’état endémique ?
– Dans les contrées les plus pauvres, pardi !
– Voilà. Tu peux comprendre qu’une campagne de vaccination serait plus efficace et moins coûteuse que les trithérapies quasi inaccessibles dans les pays dits en voie de développement.
– C’est donc une excellente nouvelle pour le citoyen lambda !
– Oui, à condition que notre étude soit confirmée.
– Et ?
– Justement, je ne t’ai pas encore tout raconté.
– Michel, le cachottier !
– Si tu veux. Dans ce genre de recherche, il s’agit avant tout d’une collaboration multidisciplinaire, bien que ce soit mon équipe qui a réellement fait progresser cette étude.
– Waouh, je suis impressionné. Je savais que j’avais l’ami le plus doué qui existe !
– Tu exagères !
– Quand même ! C’est sincère ! Continue.
– Mon boss est aux anges, tu t’en doutes. Ce n’est pas tous les jours qu’on finalise une telle recherche. Dans notre petit monde, la nouvelle s’est vite répandue. Et avant même que la publication soit terminée, nous avons déjà eu des feed-back intéressants.
– Que veux-tu dire par là ?
– Hier, mon directeur m’a convoqué pour m’apprendre qu’une société pharmaceutique américaine – tu te rends compte ? – désire nous subventionner avec des moyens logistiques inespérés pour des chercheurs universitaires.
– Mais c’est géant, ça !
– Mon boss m’a donc délégué, et me voilà en partance pour les États-Unis. Un contrat d’un an !
Luis était partagé : que son ami soit récompensé pour ses travaux lui procurait une immense joie ; le voir partir pour un an – reviendrait-il un jour ? – le chagrinait un peu. L’aspect positif l’emportait toujours chez lui. Il lui fit un large sourire et porta un toast !
San Francisco, banlieue chic, samedi matin
Ils avaient bien choisi leur jour pour cette foutue assemblée générale : un vendredi soir ! Autant dire que Ronny pouvait se torturer les méninges et qu’il serait difficile de passer à l’action avant lundi prochain. Il fallait faire vite, certes, mais aussi réfléchir ! Sa nuit fut agitée, et Jane devait se féliciter de dormir depuis quelques années dans des lits jumeaux. Il se tournait et se retournait sans cesse, cherchant péniblement un sommeil fuyant. Il avait transpiré abondamment, et ses draps étaient trempés. Lorsqu’il arrivait à somnoler, il se réveillait en sursaut, la tête envahie de cauchemars. Il entendait son père lui dire : « Tu vois, Ronny, tu es un bon à rien, un enfant gâté, tout juste bon à user tes fonds de culotte sur les bancs de l’école. Mais la vie, la vraie, a besoin de véritables hommes ! » Il se revoyait, la tête basse, n’osant pas affronter le bleu électrique des yeux de son père. C’était insupportable ! Voilà, à présent, que son père devenait chauve et, tout à coup, ce n’était plus lui, mais William, le traître, qui riait. Sa voix caverneuse provoquait une multitude d’échos qui lui donnaient la migraine. Il finit par se réveiller complètement, s’assit en se grattant le crâne. Ce maudit mal de tête revenait à la charge. Il tendit machinalement la main vers le tiroir de sa table de nuit, où il trouverait un antidouleur bien sûr produit par Jekabiotica. Il avala la pilule en grimaçant.
À nouveau, les questions sans réponses tournaient en spirale. Plusieurs aspects se mélangeaient : l’échec de sa politique de recherches aboutissant à un produit invendable, récusé par le FDA. Une seule étude – mais cela s’était avéré suffisant – avait pu démontrer une légère surmortalité avec son médicament.
C’était totalement inattendu, car chacun sait, il en était persuadé en tout cas, qu’en augmentant le taux de « bon » cholestérol, on diminuait les risques de maladies cardio-vasculaires.
Le pire, c’est que ses chercheurs ne trouvaient aucune explication. La logique scientifique était, selon lui, prise en défaut. Son équipe avait travaillé dur pendant de nombreuses années, et avec rigueur pourtant. Il avait contrôlé ce projet de très près, car il y croyait vraiment. Les premiers résultats de laboratoire confortèrent leur enthousiasme. Suivirent les expérimentations animales. L’efficacité du produit s’était confirmée ! L’être humain est, hélas, une machine à part. Sa crédibilité avait vacillé : insupportable à ses yeux ! Pour la firme pharmaceutique, c’était une catastrophe sans nom. Non seulement une somme colossale avait été engloutie dans ces années de recherche pour rien, mais le fiasco annulait des années de bénéfices en perspective en jetant le discrédit sur la société elle-même. L’action avait plongé : intolérable !
Ronny avait d’énormes besoins d’argent. Se croyant à l’abri, il avait souscrit des emprunts gigantesques pour sa maison, une propriété qu’il avait négociée avant le krach immobilier. Il l’avait donc achetée au prix fort. Il s’était offert également un Cessna pour ses déplacements dans tout le pays, car il détestait attendre. Sans oublier son magnifique yacht amarré dans la baie de San Francisco. Tout cela lui avait coûté plusieurs millions de dollars. Il était tellement persuadé de toucher le pactole dans les mois à venir. En voyant défiler les dollars, une nouvelle poussée d’adrénaline accéléra son cœur. Ronny repensa de nouveau à son père décédé subitement. Il
s’imaginait jeté à la rue, méprisé par tous, y compris par sa femme et ses enfants devenus des étrangers.
Il avait pourtant tout sacrifié pour ce poste qu’il briguait secrètement depuis l’université. Il avait accumulé des diplômes avec brio en travaillant comme un forcené pour être major de promotion. Il obtint brillamment un doctorat en chimie, abandonnant ensuite la recherche pour démarrer un cursus en économie et management. Il faisait également partie, comme tous les bons élèves, de clubs sportifs. Il estimait qu’il devait s’entraîner comme un athlète. L’observation d’une hygiène de vie avec une rigueur et une volonté sans faille était, selon lui, indispensable pour atteindre son objectif et devenir top manager. Pourquoi avait-il
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