Discover millions of ebooks, audiobooks, and so much more with a free trial

Only $11.99/month after trial. Cancel anytime.

Corps étranger (39)
Corps étranger (39)
Corps étranger (39)
Ebook236 pages2 hours

Corps étranger (39)

Rating: 0 out of 5 stars

()

Read preview

About this ebook

Il a suffi d'une seconde pour que mon existence bascule. Un plongeon, un pied qui a glissé, et je suis devenu tétraplégique.

A dix-sept ans. Le Samuel d'avant n'est plus, je dois me faire à l'idée…

Il paraît que la plupart des gens préféreraient mourir plutôt que de se retrouver dans ma situation.

Moi aussi, si on m'avait posé la question avant mon accident, c'est ce que j'aurais répondu.

Et je ne peux pas dire que je n'ai jamais pensé à la mort depuis…

Maintenant ?

Je ne sais plus. Maintenant il y a mes amis, ma famille, Clara… la vie.

Juste la vie.

La vie ordinaire, faite de hauts et de bas, de chagrins et de rires, comme celle des autres.

Chaque année, au Québec, de cent à deux cents personnes subissent une blessure à la moelle épinière, ce qui, bien souvent, se traduit par un diagnostic de paralysie irréversible. Du jour au lendemain, les victimes et leurs proches voient leur quotidien chamboulé. Après une phase plus ou moins longue de réadaptation, le véritable défi est de reprendre le cours de sa vie là où il a été mis en suspens.
LanguageFrançais
PublisherDe Mortagne
Release dateAug 9, 2017
ISBN9782896627073
Corps étranger (39)
Author

Ariane Charland

Ariane adore les histoires. Toutes les histoires. Les drôles, les tristes, les vraies, les fausses. La lecture et l’écriture ont toujours été ses passions, mais elle s’inscrit tout de même en traduction à l’Université de Montréal pour avoir un « vrai métier ». Elle obtient son diplôme en 2005 et commence tout de suite à travailler à la pige. Les années passent, et le vieux rêve la rattrape : écrire un livre et (idéalement, peut-être, qui sait?) le faire publier. Sa première série jeunesse paraît aux Éditions Michel Quintin, de 2012 à 2014, puis, en 2016, elle publie Comme un coup de poignard aux Éditions de Mortagne. La tête pleine de projets, Ariane ne quitte jamais la maison sans son stylo et son carnet de notes. Elle habite à Montréal avec son conjoint et leurs deux merveilleux enfants.

Read more from Ariane Charland

Related to Corps étranger (39)

Related ebooks

Children's For You

View More

Related articles

Reviews for Corps étranger (39)

Rating: 0 out of 5 stars
0 ratings

0 ratings0 reviews

What did you think?

Tap to rate

Review must be at least 10 words

    Book preview

    Corps étranger (39) - Ariane Charland

    Dix mois plus tôt

    L’eau est froide malgré le soleil qui plombe.

    On vient de finir notre dernier examen, on a pigé dans la réserve de bière de mon père et on est

    survoltés. Trois gars de seize ans qui célèbrent la fin de leur quatrième année du secondaire et qui se prennent pour les rois du monde.

    Juste avant de quitter l’école, j’ai enfin trouvé le courage de demander à Clara si elle voulait faire quelque chose avec moi pendant les vacances.

    Elle a rougi, a hoché la tête et a dit oui.

    J’ai envie de le crier sur tous les toits : « Elle a dit OUI ! ! ! »

    Mais je n’ose pas. À la place, je plonge dans la piscine. C’est ce qu’on fait depuis tantôt : on plonge, on sort, on boit une gorgée de bière, on replonge, on ressort, on reboit.

    « On », c’est mon cousin Rémi et moi. Noah, lui, se contente de siroter sa bière en se laissant dériver dans la bouée d’enfant jaune qu’il a dénichée sur une tablette de mon cabanon.

    Il ne sait pas nager. Ou à peine. Il n’a pas de piscine et n’a jamais suivi de cours de natation. Ce n’est pas bien grave, car l’eau n’est pas profonde ; c’est une piscine hors terre. J’arrose Noah du revers de la main.

    – Tu sais que tu as l’air ridicule, là-dedans ?

    – Eille ! T’as mis de l’eau dans ma bière !

    Rémi fait une bombe qui crée un raz-de-marée autour de lui. Noah crie et tente de protéger sa bouteille comme s’il s’agissait d’un animal sans défense.

    On éclate tous de rire.

    – Bon, maintenant, ma bière goûte le chlore !

    Il la finit quand même en renversant la tête en arrière. Je nage jusqu’au bord de la piscine, où j’ai laissé la mienne. Elle est chaude, même si j’ai pris soin de la mettre à l’ombre. Je bois ce qui reste d’un trait. Ça goûte mauvais, mais je m’en fous.

    Il fait beau.

    Je suis bien.

    Je pense au sourire de Clara et à ses yeux bruns qui ont le don de me couper le souffle. Je n’ai jamais parlé d’elle à mes amis.

    Pas qu’on ne parle jamais des filles. Même qu’on en parle souvent, mais c’est toujours pour dire qu’une telle est hot dans ses jeans serrés ou que les seins d’une autre ont vraiment grossi depuis le début de l’année. Des conversations très édifiantes de gars de seize ans.

    Clara, c’est différent.

    Clara, elle me donne des papillons dans le ventre et j’adore la voir rire de mes farces ou des caricatures que je fais de nos profs.

    Clara, elle me donne envie de voler. C’est ce que je fais en prenant un élan avant de plonger dans l’eau froide. Mes parents me disent toujours de ne pas faire ça, que ça peut être dangereux, mais il suffit d’avoir la technique. On entre dans l’eau en restant près de la surface, les mains en premier.

    Sauf que là, mon pied glisse et je bascule plus vite que prévu. Je n’ai pas le temps d’envoyer mes mains en avant.

    Ma tête heurte le fond.

    Je sens le choc dans mon cou et mes épaules. L’air quitte mes poumons. Une chaleur irradie dans mon corps. Ça part du sommet de mon crâne et ça se propage jusqu’à mes doigts, jusqu’à mes orteils.

    Je ne sais pas si c’est parce que je me suis à moitié assommé ou si c’est mon cerveau qui sécrète un flot d’endorphines, mais je ressens tout à coup une grande paix. Je suis bien, là, dans l’eau, à flotter dans le silence. Mon corps remonte lentement sans que j’y sois pour quelque chose. Le sommet de mon dos crève la surface.

    Je ne peux plus bouger.

    J’ai le visage dans l’eau et je suis paralysé.

    Vendredi 15 avril

    L’asphalte mouillé brille et le ciel du matin me force à plisser les paupières.

    Accrochée au rétroviseur, la vignette de stationnement pour handicapé ballotte à chaque bosse sur la route. Je ne peux pas m’empêcher de l’observer. Je croise le regard de ma mère dans le miroir du pare-soleil. Elle s’est assise sur la banquette arrière pour me laisser le siège passager, à l’avant.

    Elle me sourit. Elle a l’air inquiète. Mon père aussi. Ça fait plusieurs fois qu’il ouvre la bouche pour parler, mais qu’il la referme sans rien dire.

    De toute façon, je sais ce qu’il veut me demander : « Ça va ? Tu tiens le coup ? Tu es sûr que tu es prêt ? Veux-tu nous dire ce que tu ressens ? » La raison pour laquelle il garde le silence, c’est qu’il connaît déjà mes réponses : « Bof, bof, bof et non. »

    Depuis que je suis invalide, il se prend pour un psy. Un psy aux prises avec un client très, très, très récalcitrant.

    On arrive devant notre maison. C’est bizarre. Elle est plus petite que dans mon souvenir. Peut-être parce que ça fait dix mois que je ne l’ai pas vue. Nous sommes en avril, mais la neige met du temps à

    fondre et il en reste encore sur le gazon.

    Devant la fenêtre du salon, le grand arbre auquel j’aimais grimper quand j’étais petit est toujours là. Par contre, les fleurs qui s’alignaient le long de la façade ont disparu. Même s’il est trop tôt pour les roses et les pivoines, je comprends que mon père a dû tout déraciner pour construire l’immense rampe qui occupe désormais presque l’entièreté du terrain avant.

    Mon père tourne dans l’entrée, arrête la voiture et coupe le contact. La vignette vacille. Ma mère se penche vers l’avant pour me toucher le bras.

    – Tu vas voir, dit-elle, on a tout arrangé pour que tu sois bien.

    Je hoche la tête. Elle me serre brièvement l’épaule et ajoute :

    – Je vais préparer ton fauteuil.

    Mon père pose sa main sur mon genou. Je ne sens rien. Il m’adresse un sourire qui se veut sûrement rassurant, mais qui traduit surtout son angoisse.

    – Ça ne sera pas long, m’assure-t-il avant de

    sortir du véhicule pour aider ma mère.

    Ils ont oublié de détacher ma ceinture. Ma mère a dit qu’elle le ferait quand elle l’a bouclée, au moment de quitter le centre. Elle a tellement de préoccupations à cause de moi, ces temps-ci ; c’est normal que certaines choses lui échappent. Tant pis, je devrais être capable tout seul. Ça fait partie des nombreuses tâches que j’ai dû réapprendre au cours des derniers mois.

    Même si je n’arrive plus à bouger mes doigts, j’appuie mon pouce sur le bouton rouge et je le presse vers le bas. Mes bras fonctionnent à moitié. J’ai encore l’usage de mes biceps, mais pas de mes triceps. Ce sont donc mes épaules qui prennent le relais. Après plusieurs secondes d’effort, le déclic se fait entendre et ma ceinture se rétracte.

    Ma mère ouvre ma portière au même moment.

    – Tu as réussi à te détacher tout seul ! s’exclame-t-elle comme si j’avais deux ans.

    Mon père approche en faisant rouler mon fauteuil. Il le place à côté de moi, en angle, de façon à ce que je puisse exécuter mon transfert, et applique les freins.

    Je commence par sortir mes jambes. L’une après l’autre, je les hisse hors de l’habitacle en glissant le dos de mon poignet sous mes genoux pour les soulever. Depuis que je me suis cassé le cou dans le fond de la piscine, mes poignets ne plient plus que vers l’extérieur.

    Lorsque mes pieds pendent sur le côté du

    véhicule, mon père me tend ma planche de transfert. Ça ressemble à une planche à découper, mais en plus long. Je la prends en insérant ma main dans l’un des deux trous prévus à cet effet.

    – C’est correct, dis-je à mon père. Tu peux la lâcher, je la tiens.

    Il ne la lâche pas. Je répète, en haussant le ton :

    – C’est correct, papa !

    – Tu es sûr ?

    – Oui !

    J’ai parlé sèchement. Je le regrette un peu, mais ça m’agace qu’il doute de moi.

    Il lâche enfin la planche. J’en loge une extrémité sous ma cuisse et appuie l’autre sur le siège de mon fauteuil. Les bras tendus et les coudes bloqués, je fais ensuite pivoter mon corps. Encore une fois, ce sont mes épaules qui se tapent tout le travail. Centimètre par centimètre, je déplace mon poids sur le bois verni. Mon père soutient mes hanches pour m’aider.

    Comme d’habitude, c’est quand je suis rendu à destination que mes genoux se mettent à tressauter. Ça m’énerve ! Dès que je change de position après un moment passé sans bouger, les muscles de mes jambes et de mon ventre se contractent sans me demander mon avis.

    – Ça va, Sam ? réagissent mes parents,

    probablement alarmés par mon air contrarié.

    Je hoche la tête pour éviter de parler. Mes spasmes feraient trembler ma voix et ça m’énerverait encore plus. Mes muscles finissent par se calmer d’eux-mêmes et mon père reprend la planche.

    Je pousse sur mes roues en manœuvrant pour contourner l’auto. Je dois pousser fort ; c’est plus difficile de rouler sur l’asphalte que sur le plancher lisse du centre de réadaptation. Je me suis exercé quelques fois à l’extérieur, bien sûr, mais pas assez souvent pour que ça devienne naturel.

    Mon père s’empare des poignées fixées à mon dossier pour me faire monter la rampe flambant neuve. Mes roues produisent un léger vrombissement sur les lattes de bois.

    – Je l’ai fabriquée avec Phil, m’apprend mon père. On a eu du fun ; ça faisait longtemps qu’on n’avait pas construit un truc ensemble.

    Philippe, c’est son frère jumeau, mon oncle, le père de Rémi.

    – C’est un peu à pic, s’excuse-t-il, mais tu vas t’y habituer, tu vas voir. Tu vas gagner de la force et ça va devenir facile.

    Je sens qu’il attend mon approbation, mais je n’ai jamais été très bavard. La seule chose à laquelle j’arrive à penser, en ce moment, c’est : « Notre terrain est défiguré à cause de moi. » Ma mère a mis tellement de temps à composer ses massifs de fleurs ! Et là, à cause de ma stupidité, elle a dû tout arracher.

    – Je vais planter des clématites dès qu’il fera assez chaud, m’informe-t-elle comme si elle avait lu dans mes pensées. Elles vont pouvoir grimper sur les barreaux. Je suis certaine que ça va être encore plus beau que l’aménagement qu’on avait avant. Est-ce qu’il y a une couleur que tu préférerais ?

    Je hausse les épaules. Je ne sais même pas à quoi ça ressemble, des clématites.

    – Sam ? insiste ma mère, qui n’a manifestement pas remarqué mon geste d’indifférence. Est-ce qu’il y a une couleur que tu aimerais ?

    – Non, maman. Choisis celle que tu veux.

    – OK. De toute façon, on a encore le temps… Je pourrais te montrer des photos sur Internet.

    À son ton, je comprends que je l’ai déçue. Elle aurait aimé que j’embarque dans son projet, mais c’est trop me demander pour l’instant. Je contemple la rampe et je ne vois qu’une affreuse rampe pour handicapé qui, même avec des fleurs, de la peinture et tout le reste, ne sera jamais rien d’autre que ça.

    Sur le seuil, je remarque que mes parents ont déjà accroché une corde à la poignée pour que je puisse refermer la porte si jamais je décide de sortir seul un jour. Ça ne risque pas de se produire de sitôt ! Pendant que ma mère déverrouille, je laisse mon regard errer dans la rue.

    À trois maisons de la nôtre, monsieur Chen est en train de balayer son perron. Nos yeux se croisent, mais il détourne aussitôt les siens. Un peu plus

    loin, des enfants nous observent sans retenue. Une voiture passe. Je ne reconnais pas ses occupants, mais, évidemment, ils tournent la tête vers la rampe et le gars en chaise roulante, c’est-à-dire moi.

    Je suis la nouvelle curiosité du quartier, la bête de cirque, le freak show de la rue.

    Mon père me pousse à l’intérieur. Je devrai apprendre à soulever l’avant de mon fauteuil pour pouvoir franchir le seuil moi-même. On me l’a

    montré, au centre, mais j’ai encore peur de tomber à la renverse et de me retrouver comme une tortue sur le dos, incapable de se remettre sur ses pattes. Ou sur mes roues, dans mon cas.

    J’ai des roulettes antibascule conçues justement pour éviter qu’une telle chose se produise, mais ça m’effraie quand même.

    Mes parents enlèvent leurs bottes. Moi, je garde mes souliers. Je détache mon manteau en insérant mon pouce dans l’anneau de porte-clés fixé à la fermeture éclair. Mon père m’aide à le retirer et il le suspend au portemanteau. J’incline la tête pour attraper ma casquette entre mes paumes et la lui donner. Je repère alors les crochets qu’il avait vissés pour moi, plus bas sur le poteau, il doit y avoir au moins dix ans. J’avais complètement oublié leur existence… J’hésite un peu, puis j’étire mon bras et y accroche mon chapeau.

    Ma mère m’ébouriffe les cheveux. J’ai les mêmes qu’elle : bruns et juste assez bouclés pour être indomptables. C’est un geste qu’elle faisait quand j’étais petit. Je ne sais pas si c’est parce que je suis assis (et donc à portée de main) qu’elle a eu cette impulsion, ou si c’est simplement parce qu’elle est nerveuse.

    Le portique donne directement sur le salon, où je décèle immédiatement des changements. Je m’y avance lentement.

    – Comme tu le vois, dit ma mère, on a remplacé le tapis par du bois franc pour que tu puisses mieux circuler.

    Je fais le tour. Ils ont mis les livres et les DVD sur l’étagère à côté de la télé, et ont monté le lecteur pour que tout soit à ma hauteur. Ma nouvelle hauteur. Avant l’accident, j’étais presque aussi grand que mon père. J’ai toujours dépassé Rémi et Noah. Maintenant, je suis assis en permanence, alors j’ai la taille d’un enfant de huit ans.

    Après le salon, je roule jusqu’à la salle à manger. Là aussi, les changements me sautent aux yeux. La table a été tournée et il n’y a plus de chaise d’un côté. J’en déduis que ce sera ma place.

    Je pousse sur les roues de mon fauteuil pour aller à la cuisine. Je passe sans problème par-dessus la baguette de bois qui marque le début du plancher de tuiles. Mes parents me suivent. L’îlot qui délimitait cette pièce et la précédente a disparu, mais on en voit encore les traces sur la céramique.

    Mon père désigne le bout du comptoir.

    – Je pensais poser une tablette, juste ici, et y installer une petite plaque chauffante pour que tu puisses te cuisiner des trucs. Ça va être une affaire de rien, tu vas voir : un carré de mélamine, des

    supports et deux pattes en bois.

    Ma mère enchaîne :

    – On avait aussi l’intention d’enlever les armoires sous l’évier pour que tu puisses te servir du robinet plus facilement.

    Elle indique les armoires en question avec des gestes de courtière immobilière. À titre de rappel, je soulève mes mains aux doigts inutiles.

    – Je ne pense pas pouvoir me verser un verre d’eau ou me faire à manger bientôt.

    Mon père s’accote sur le comptoir.

    – Peut-être pas maintenant, intervient-il, mais ça va venir. On va

    Enjoying the preview?
    Page 1 of 1