C'est la fin du monde !
By Aimée Verret
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About this ebook
Mon rêve est de jouer dans les plus grands films hollywoodiens comme mon idole, Emma Watson. Mais, pour y arriver, j'ai encore des croûtes à manger. Alors je fais de l'impro et je participe à toutes les auditions que me déniche mon agente. Si seulement je pouvais éviter d'y croiser Ariane, ma rivale...
Mon dicton dans la vie ? Chaque problème a une solution. Même quand il s'agit des problèmes des autres… Certains diront que je ne me mêle pas de mes affaires. Moi, je dis que je rends service. Quand j'ai appris que le père de ma meilleure amie voulait qu'ils déménagent à Saguenay, j'ai décidé de ne pas rester les bras croisés. Perdre ma best au beau milieu du secondaire ? Jamais ! Ce serait la fin du monde !
Aimée Verret
Née à Montréal, où elle réside toujours, Aimée Verret fait son entrée dans le monde de l’édition en 2009. Réviseuse linguistique, elle est recherchée pour sa connaissance pointue de la langue qui ne sacrifie rien à la musicalité du texte. Elle devient ensuite directrice littéraire, notamment de la collection « La boîte à outils » des Éditions de Mortagne, qui aborde divers sujets d’actualité touchant les enfants, comme le TDA/H, l’anxiété et l’autisme. Au sein de la même maison, elle dirige la série Les Éternels et la reprise du Royaume de Lénacie de Priska Poirier, de même que plusieurs titres de la populaire collection « Tabou ». Parallèlement, Aimée publie quatre recueils de poésie, dont Monstres marins (Del Busso, 2019) et Dans mon garde-robe (La courte échelle, 2021), qui a figuré sur la liste préliminaire du Prix des libraires jeunesse 2022. Elle est aussi très connue pour ses nombreux livres qui s’adressent tant aux enfants du primaire qu’aux adolescents (Déracinée, Éditions de Mortagne, « Tabou », 2022). En 2021, après une résidence de création à la Bibliothèque de Rivière-des-Prairies, elle se joint au Cheval d’août à titre d’éditrice.
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C'est la fin du monde ! - Aimée Verret
Chine.
Une femme à la mer
— J’en reviens pas ! C’est tellement injuste !
— Les nerfs, Jenny ! C’est pas la fin du monde.
Assise dans les estrades de l’auditorium, où le cours d’art dramatique vient de finir, j’écarquille les yeux en me tournant vers Florence.
— PAS LA FIN DU MONDE ? On parle de ma carrière, tu sauras.
Vicky, ma meilleure amie, celle qui me connaît mieux que personne, intervient pour calmer les esprits.
— OK, c’est vrai que c’est pas cool de la part de monsieur Letendre de t’empêcher d’auditionner pour le rôle de Cyrano parce que tu es une fille. Moi aussi, je serais fâchée à ta place. Mais faut pas capoter juste pour une pièce de fin d’année. On peut pas vraiment dire que ta carrière est en jeu.
Je continue de rouspéter quand même.
— Ça le dérange pas que je joue Roxane même si je suis asiatique, mais il veut surtout pas que je me déguise en gars !
Personne ne réagit au fait que je viens de parler du premier rôle féminin comme si je l’avais déjà, alors que les auditions n’ont pas encore eu lieu. Je ne blague pas quand je parle de ma carrière : je suis une actrice. Une vraie. J’ai une agente et tout. J’ai déjà incarné un personnage dans un téléroman, où je suis apparue une demi-douzaine de fois – OK, je ne faisais que manger à la table avec les adultes, mais ça compte pour de l’expérience ! J’ai aussi participé à plein de publicités. D’ailleurs, j’en tourne une demain. C’est pour toutes ces raisons que j’estime avoir le droit de passer l’audition afin de jouer Cyrano. Roxane, je la trouve plate. Dans la pièce, elle est hyper superficielle au début, puis elle se fait avoir par les belles paroles du « héros ». Wow ! Méchant rôle !
Philippe, le dernier membre de notre gang, donne finalement son avis en me tirant la langue :
— Tu pourrais laisser la chance aux autres, des fois, Jenny !
— En tout cas, t’auras pas beaucoup de compétition pour Cyrano, soupiré-je. C’est presque sûr que tu vas être la vedette de la pièce.
Vicky et Florence ne se passionnent pas pour le jeu autant que Philippe et moi. Elles suivent les cours d’art dramatique avec nous parce que cette option les intéressait plus que le sport ou la musique, voilà tout. Phil, lui, c’est un naturel. Il est plus polyvalent que moi, car il a pris la peine de s’inscrire à des cours de danse et de chant à l’extérieur de l’école. Il rêve de gagner sa vie en jouant dans des comédies musicales.
Je pose ma tête sur son épaule et il m’entoure de son bras. C’est le fun d’avoir un ami comme lui. Entre nous, aucune ambiguïté : seuls les gars le font soupirer et lui chavirent le cœur. Il ne s’en cache pas et, heureusement, tout le monde respecte son orientation à l’école.
— Tu vas t’impliquer dans des projets cent fois plus tripants quand on ira au cégep en théâtre, me rassure-t-il. Tu vas pouvoir te déguiser en gars aussi souvent que tu veux !
J’éclate de rire.
— Ouais ! Dans trois ans !
— Bon, on va y aller, nous, votre impro va commencer, annonce Florence en ramassant ses cahiers et son sac à dos.
Chaque lundi midi, notre équipe travaille en vue des différentes compétitions avec d’autres écoles. Vicky et Florence n’en font pas partie, c’est pourquoi elles nous laissent pour aller manger. L’impro, c’est structuré comme un match de hockey. Il y a trois périodes, et on appelle souvent l’aire de jeu « la patinoire ». Chaque improvisation a une durée, un thème et un nombre de joueurs prédéterminés. Parfois les équipes jouent une après l’autre, d’autres fois en même temps. C’est le public qui vote pour attribuer les points.
Pendant nos entraînements, on fait des mini-parties, sans tenir compte du score. Pour devenir bon en impro, il n’y a pas de meilleur moyen que d’en faire constamment ! Même toute seule chez moi, j’essaie de m’exercer le plus souvent possible.
Ce que j’aime le plus de cette discipline, c’est que ça défoule. Pas besoin d’apprendre un texte par cœur. Tu peux devenir quelqu’un d’autre en un clin d’œil. Tout le méchant sort et, à la fin, tu es épuisé, mais tu te sens vraiment bien.
Comme n’importe qui, il m’arrive de geler et de ne pas trouver la bonne réplique, jusqu’à ce que, évidemment, plusieurs heures plus tard, j’aie LE flash qui aurait conquis le public. C’est tellement frustrant quand ça se produit ! Combien de fois aurais-je voulu remonter le temps pour prendre ma revanche !
D’habitude, je suis super excitée les lundis midi. Pas aujourd’hui. Ça ne me surprendrait pas qu’un petit nuage noir flotte au-dessus de ma tête, comme dans un dessin animé ! Pourquoi ? Parce que monsieur Letendre supervise l’équipe d’impro.
Dès qu’il revient dans l’auditorium, son sac à lunch dans les mains, je me renfrogne, le menton baissé, les bras croisés. Ben quoi ? Tant qu’à faire carrière comme actrice, aussi bien agir en diva !
Philippe attrape une feuille mobile et inscrit dessus : « Montre-lui de quoi tu es capable ! » Il a raison. Je vais faire regretter sa décision au prof !
L’entraînement commence et c’est bientôt mon tour. Monsieur Letendre me jumelle avec Jordan, un grand gars baraqué qui joue au football. Je n’ai jamais compris ce qu’il fabriquait dans notre équipe, d’ailleurs… Il me semble que l’impro se trouve à des années-lumière du football ! Peut-être que j’ai des préjugés. En tout cas, il ne manque jamais une séance et il est gentil.
— Improvisation comparée pour deux joueurs sous le thème : « Perdus en mer » ! scande notre prof. Durée : deux minutes. Catégorie : libre. Caucus !
Durant nos vingt secondes de consultation, Jordan et moi avons tout juste le temps de trouver une idée. Nous naviguerons sur un genre de bateau pirate en train de couler au beau milieu de flots déchaînés.
Coup de sifflet, c’est parti !
— La tempête ne se calme pas ! crie Jordan comme si le vent soufflait et que j’avais de la difficulté à l’entendre.
Il vacille sur ses pieds, ballotté par les « vagues ». Je m’agrippe à un cordage imaginaire et crie à mon tour :
— Nous ne tiendrons pas très longtemps ! Il faut mettre le canot de sauvetage à l’eau !
En grognant et en haletant, nous mimons le fait de décrocher quelque chose de très lourd. Jordan lance une échelle de corde par-dessus bord et il descend dans l’embarcation. Au moment où je m’apprête à l’imiter, il me prend de court en se mettant à hurler.
— UNE FEMME À LA MER ! Courage, Jenny !
En impro, le premier principe à respecter est de ne jamais contredire son coéquipier. Je ne peux donc pas rétorquer : « Non, je ne suis pas tombée à l’eau pour de vrai ! Je vais super bien ! » Je n’ai pas le choix de jouer le jeu et de continuer dans la voie qu’il vient de m’imposer. Je me mets donc à battre des bras comme si je nageais contre les vagues et, juste comme j’ouvre la bouche pour parler, il me coupe :
— Tiens bon, Jenny ! Je vais te sauver !
QUOI ? ! ? Mais je n’ai pas envie qu’on me sauve ! Je n’ai pas besoin qu’on me sauve ! Je dois montrer à monsieur Letendre de quoi je suis capable, pas jouer les demoiselles en détresse qui n’ont jamais le premier rôle !
GO, Jenny, prends ta place ! Trouve vite une idée !
Je fais mine de nager sur le dos, comme si je me sentais tout à coup super détendue. Ça ne concorde pas du tout avec la proposition de Jordan, mais ça ne la contredit pas non plus. Je me trouve toujours dans la mer…
— Ne t’inquiète pas, Jordan ! L’eau est mon élément, car, en vérité, je suis… une sirène !
Voilà mon partenaire bouche bée, pour une fois.
— Ne crains rien ! m’exclamé-je avec un ton théâtral. Je file avertir le navire le plus proche pour qu’il vienne te sauver.
Et voilà le travail ! Qui incarne la demoiselle en détresse, maintenant ?
L’improvisation s’achève au coup de sifflet de monsieur Letendre, qui me surprend en annonçant :
— Bien joué, Jenny. Tu as su donner un côté humoristique à cette impro et, surtout, une tournure inattendue à un thème qu’on a vu des milliers de fois. Bel effort de ta part aussi, Jordan. C’était une bonne idée d’essayer d’intégrer de l’action dès le départ.
— T’es géniale ! me souffle Philippe lorsque je le rejoins. Il doit regretter de t’avoir refusé l’audition !
Soupe au lait
Je commence l’après-midi énergisée par mon triomphe durant l’impro, mais plus la journée avance, plus ma déception de ne pas pouvoir incarner Cyrano reprend le dessus. Je pense aux articles que j’ai lus sur Internet qui déplorent que les rôles intéressants soient toujours réservés aux hommes. C’est exactement ce qui m’arrive.
À ce qu’il paraît, à l’époque de Shakespeare, c’étaient même des gars qui jouaient les rôles de fille, parce qu’elles n’avaient pas le droit de monter sur scène ! Ha ! Ha ! Ha ! Je ne connais pas beaucoup de gars de troisième secondaire qui accepteraient ça !
Vicky et moi, on s’attend toujours pour rentrer à pied, parce qu’on habite l’une à côté de l’autre. Je la rejoins devant la case qu’on partage. Florence et Vincent, son chum, nous y retrouvent. Ça fait presque un an qu’ils sortent ensemble. J’imagine que Vincent lui prépare toute une surprise pour l’occasion. Il est si attentionné, il la traite comme une princesse ! Personnellement, je crois que ça me taperait sur les nerfs…
On s’emmitoufle dans nos foulards et nos tuques, puis on se met en marche vers l’arrêt d’autobus de Vincent et de Flo. J’agace Vicky en lui disant qu’elle va encore avoir un genre d’afro quand elle va enlever la sienne. Ses cheveux frisent tellement !
— Merci de me rappeler que je fais dur avec ça sur la tête ! dit-elle en grimaçant.
— Ben non ! Tes cheveux sont super ! Tu es la seule qui les aime pas. C’est juste drôle de te niaiser, parce que tu réagis toujours au quart de tour.
— Pff ! C’est toi, la plus soupe au lait de nous tous !
— C’est même pas vrai ! m’emporté-je aussitôt en me renfrognant.
Vicky écarte les bras en signe de victoire tandis que Vincent éclate de rire.
Habituée à mes humeurs teintées d’orgueil, elle change de sujet.
— Vous avez des plans pour ce soir, les amoureux ?
— J’aurais vraiment aimé jouer au jeu vidéo que j’ai reçu à Noël, mais je dois étudier mes maths, répond Vincent. C’est quoi, l’idée de mettre un examen dès la deuxième semaine du retour des fêtes ?
— Êtes-vous allés voir le nouveau Star Wars, avant-hier, finalement ? demandé-je tout en me tournant vers Florence.
C’est Vincent qui répond :
— Flo pouvait pas.
— Tu dois commencer à avoir hâte, Vince ! commenté-je. Tous les autres gars de l’école l’ont probablement déjà vu !
— Je suis patient ! lance-t-il avec un clin d’œil.
— Tu peux y aller seul, si tu veux, marmonne Florence. T’es pas obligé de m’attendre, hein.
— Je pensais que ça t’intéressait ?
— Oui, mais ça presse pas. Si