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Le feu du Phénix: Initiation
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Ebook303 pages4 hours

Le feu du Phénix: Initiation

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About this ebook

Une aventure aux vertus curatives pour le coeur et l’âme.

Le feu du Phénix - Initiation est une aventure spirituelle qui s’étend sur trois continents et sur autant de traditions basées sur des sagesses ancestrales. Elle propose un mélange de souvenirs de voyage, de narrations expertes, d’histoires spirituelles, d’exercices étape par étape et de pratiques initiatiques pour vous guider à travers votre propre voyage intérieur.
LanguageFrançais
PublisherÉditions AdA
Release dateJan 29, 2018
ISBN9782897860622
Le feu du Phénix: Initiation
Author

Tanya S. Lenz

Tanya S. Lenz est une auteure et une éducatrice initiée aux pratiques chamaniques des Andes péruviennes. Étudiante perpétuelle des rêves, de la littérature, de la médecine et des pratiques de guérison et des traditions portant sur la sagesse du monde, elle possède un doctorat en littérature médiévale britannique et est l’auteure de Dreams, Medicine and Literary Practice: Exploring the Western Literary Tradition Through Chaucer.

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    Book preview

    Le feu du Phénix - Tanya S. Lenz

    L’information contenue dans ce livre est transmise de bonne foi et n’est aucunement destinée à diagnostiquer un quelconque état de santé physique ou mentale ni à servir de remplacement à un avis médical officiel ou à des soins en ce sens.

    Nous vous prions de joindre votre professionnel de la santé pour obtenir des avis médicaux et des traitements. L’auteure et l’éditeur ne peuvent être tenus responsables par quiconque pour les pertes ou dommages de toutes sortes qui pourraient survenir à la suite de l’utilisation de ce livre ou de l’information qu’il contient.

    Copyright © 2016 Tanya S. Lenz

    Titre original anglais : Fire of The Phoenix

    Copyright © 2017 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    Cette publication est publiée avec l’accord de Llewellyn Publications, Woodbury, MN, www.llewellyn.com

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Traduction : Guillaume Labbé

    Révision linguistique : Féminin pluriel

    Correction d’épreuves : Nancy Coulombe et Féminin pluriel

    Conception de la couverture : Mathieu C. Dandurand

    Photo de la couverture : © Getty images

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89786-060-8

    ISBN PDF numérique 978-2-89786-061-5

    ISBN ePub 978-2-89786-062-2

    Première impression : 2017

    Dépôt légal : 2017

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives nationales du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes (Québec) J3X 1P7, Canada

    Téléphone : 450 929-0296

    Télécopieur : 450 929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC)

    pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Conversion au format ePub par:

    www.laburbain.com

    Pour la Terre mère et le Grand Esprit,

    pour les ancêtres et mes enseignants,

    et pour les enfants du soleil.

    Ô destin fortuné ! Ô trépas bienheureux

    Que Dieu donne à l’oiseau pour naître de soi-même !

    — Lactance, Le phénix

    prologue

    Les cartes

    Une vieille mégère aux cheveux blancs entra en boitillant dans la pièce où je me trouvais. Bossue par les années, elle s’empara d’une canne noueuse tandis qu’elle faisait les cent pas tel un genre de créature ailée, son châle à franges s’enveloppant autour de son corps trapu. J’observais la scène tandis qu’elle s’assoyait lentement sur une chaise en bois devant une petite table. Là, une bougie solitaire brûlait, remplissant davantage la pièce d’odeur de bois de santal que de lumière.

    — Assoyez-vous, dit la vieille femme d’une voix rauque en désignant de la main une chaise vide en face d’elle tout en jetant un regard dans ma direction.

    Ses yeux d’un gris vif me transpercèrent comme la foudre. Détournant mon regard d’elle, je jetai un coup d’œil vers une fenêtre minuscule percée dans le mur opposé. Elle encadrait parfaitement les pentes rocheuses sur lesquelles la maison de campagne était perchée. Regardant à travers l’épaisse vitre, je vis de vertes collines ondoyantes parsemées de nuages blancs et d’autres nuages orageux en formation au loin.

    La vieille femme rassembla ses épaisses cartes rondes répandues au petit bonheur à travers la table en une pile bien ordonnée. Elle les brassa à trois reprises de ses mains raides et enflées. Murmurant dans une langue que je ne reconnaissais pas, elle tira trois cartes de la pile et les disposa en une rangée horizontale devant moi, face vers le bas. Elle glissa un ongle long et jauni sous la première carte puis elle la retourna face vers le haut en la laissant retomber sur la table.

    — La Mort.

    Sa voix était grave et sèche. Elle demeura assise longuement avec les yeux fermés en respirant à peine avant de poursuivre avec des mots qui arrivèrent à mes oreilles telles des vagues.

    — Il y aura un temps de mise à l’épreuve. Des tests se présenteront à vous. Les uns après les autres. Il y aura de longs moments de vide. Des moments creux. Des moments sombres. Il y aura du chagrin et des luttes. Il y aura du feu et de la peur. Il y aura du mouvement et des voyages sur l’eau et dans l’air.

    Elle fit une pause avant de conclure.

    — Tout cela doit finir. Tout cela doit céder la place à quelque chose d’autre, quelque chose de plus, quelque chose… de différent. La Mort ne doit jamais être crainte, car elle est la promesse d’une renaissance.

    Ouvrant de nouveau ses yeux à faire frémir, elle retourna la deuxième carte et la laissa retomber de la même manière que la première.

    — Le Pendu, annonça-t-elle d’une voix traînante.

    La vieille mégère ferma de nouveau les yeux. Plusieurs minutes passèrent, puis son menton s’abaissa jusqu’à venir toucher sa poitrine. Je pensai alors qu’elle s’était peut-être endormie, mais elle releva la tête et parla.

    — Il y aura un temps d’entre-deux. Des sécheresses et des inondations. Une coupure de vieux liens qui vous attachaient et limitaient. Un meurtre de démons qui ont eu du pouvoir sur vous et les vôtres depuis beaucoup trop longtemps. Il y aura un temps de suspension, qui est paradoxalement une libération. Il y aura une initiation liée aux connaissances ancestrales. Une réorganisation de votre être. Vous ne devez pas avoir peur. Vous devez garder la foi et continuer. Ne regardez pas derrière vous.

    J’ai regardé la scène en silence, incapable de bouger ou de penser tandis que la vieille mégère retournait la troisième et dernière carte. Le Jugement. Elle s’adossa dans sa chaise avant de prendre la parole.

    — Il y aura un temps d’ascension. Mené par les enfants du soleil. Un temps de liberté, de nouveauté, d’espoir. Un temps de convergence, de plusieurs façons différentes. Il y aura beaucoup à faire. Ce sera laborieux. Vous vous élèverez et vous redescendrez. Vous avancerez en spirale comme les corps célestes dans l’espace. Ne soyez pas dupe ! — ce n’est là que le commencement.

    Première partie

    L’INDE

    Par la porte d’or

    Chapitre 1

    La cendre retourne à la cendre :

    Sur les rives de Mère Gange

    Varanasi, Uttar Pradesh, Inde

    Le chemin qui mène de l’enfer

    à la lumière est long et difficile.

    — John Milton

    Dans ce calme qui précède l’aube, j’ai ouvert la porte de ma chambre d’hôtel et j’ai marché sur toute la longueur d’un corridor sombre, m’arrêtant un moment au sommet d’un escalier à pente raide. Tendant la main à la recherche d’une rampe et n’en trouvant point, j’ai posé ma main sur le mur froid et rugueux pour conserver mon équilibre. J’ai fait glisser un talon en bas de la première grande marche de pierre et mon autre talon en bas de la deuxième marche. C’est en m’y prenant ainsi avec lenteur que je parvins à descendre cet escalier en spirale, m’immobilisant plus d’une fois en raison du manque de lumière et des marches inégales.

    Après ce qui me sembla être un long moment, je suis arrivée au rez-de-chaussée et j’ai ensuite progressé doucement dans l’obscurité totale du hall jusqu’à la lourde porte d’entrée. En l’ouvrant, j’ai inhalé de l’air chaud chargé de la puanteur des déchets, de l’urine, de bouses de vache et de fumée âcre. J’ai jeté un coup d’œil dans l’obscurité, et une pointe de peur m’a piqué la nuque alors que mes yeux discernaient une silhouette se tenant au bas d’un autre escalier abrupt.

    J’allais bientôt découvrir qu’il s’agissait du batelier qui allait m’escorter pour une excursion au lever du soleil sur le fleuve sacré qu’est le Gange, « Ma Ganga » (Mère Gange) comme on le nomme affectueusement en Inde.

    Lorsque je suis finalement parvenue à côté de lui, j’ai constaté que le batelier n’était pas plus grand que la hauteur de mon épaule. Il portait une simple chemise blanche en coton, et ses larges pieds nus dépassaient de sous son pantalon à revers. J’ai su immédiatement que je pouvais lui faire confiance. Son visage esquissa un chaleureux sourire qui illumina l’obscurité à l’aide d’une dentition presque complète aux dents de travers tandis que je serrais sa main forte et calleuse dans la mienne.

    — Je suis Kumar, dit-il en plaçant son autre main sur sa poitrine avant de s’élancer dans l’allée couverte de pavés à une allure très rapide. Venez… par ici ! murmura-t-il instamment, me faisant signe de le suivre.

    J’ai donc suivi Kumar tandis qu’il me guidait dans un labyrinthe d’étroits passages sinueux dans lesquels il aurait sûrement été difficile d’avancer même à la lumière du jour. C’était mon premier contact avec Varanasi, puisque j’étais arrivée après la tombée de la nuit le soir précédent. L’état des lieux et la disposition des bâtiments avaient donc été laissés à mon imagination. Nous avons contourné un coin serré et sommes venus bien près d’entrer en collision avec une énorme vache blanche qui déjeunait à même une pile de déchets qui s’étaient accumulés dans un recoin. Elle ne se donna pas la peine de quitter son repas des yeux ni même de bouger alors que nous appuyions nos dos contre un mur élevé pour la dépasser.

    Tandis qu’elle se trouvait là dans toute son énormité majestueuse, à mâcher une guirlande de fleurs rouges et orange, elle me donna l’impression qu’elle était consciente, à un certain degré, de son statut sacré sur cette terre d’hindous. Une fois que nous sommes passés à ses côtés, elle tourna un de ses doux yeux bruns vers nous. La grande cloche de cuivre qui pendait avec la chair tendre de son cou tinta doucement dans le calme de l’aube, se joignant au bruit des hommes qui chantaient au loin.

    Poursuivant notre route, nous sommes passés devant plusieurs petits sanctuaires qui luisaient déjà — ou encore — à la lueur d’une bougie. Le son de nos pas se répercutait sur les murs élevés tout près qui bordaient les passages pour piétons des deux côtés. Nous nous approchions encore du fleuve lorsqu’un grand groupe de pèlerins s’est glissé derrière nous en chantant « Ram Ram Ram Ram Ram Ram Ram », un nom représentant la conception hindoue de « brahman », la réalité suprême à la base de toute création. Les hommes portaient des vêtements blancs et orange vif qui enveloppaient lâchement leur corps et qui rougeoyaient comme la braise dans la nuit, s’opposant joliment à leur peau d’un brun foncé. Leur grande dévotion était palpable.

    — Les hindous viennent à Varanasi de très loin pour laver leurs péchés d’une vie — ou de plusieurs vies —

    dans les bras de Ma Ganga, expliqua Kumar par-dessus son épaule dans son anglais chantant au lourd accent. Certaines personnes marchent tout autour de la cité entière en un grand cercle. Elles vont marcher ainsi plusieurs fois pendant des semaines. Elles s’arrêtent dans les sanctuaires et les temples sur leur route pour vénérer les dieux. La plupart des gens viennent toutefois ici dans ce petit lieu sur le Gange. Dans ce court espace se trouvent plus de 100 ghats. Ce sont les marches ou paliers menant au fleuve. Ici, à Varanasi, continua-t-il en se retournant et en levant les yeux vers moi, beaucoup de ghats ont leur propre temple ou sanctuaire qui marque un événement important.

    Ses yeux noirs étincelèrent tandis qu’il augmentait la cadence.

    — Venez ! Vous verrez !

    Le soleil ne s’était pas encore levé au moment où nous avons atteint le rivage du fleuve sacré. Kumar me conduisit jusqu’à son petit bateau semblable à un canoë et m’offrit sa main tandis que j’y embarquais avec précaution. L’embarcation vacilla alors que je m’assoyais sur une planche en bois faisant face à la barre. Il détacha une épaisse corde bien sale puis s’empara des avirons, nous faisant progresser sur l’eau. Je suis immédiatement tombée sous le charme de la magie du fleuve dans la paix qui précédait la première lumière du jour. Le son rythmé du clapotis de l’eau sur les côtés du bateau m’attira dans un autre monde pendant je ne sais combien de temps, et j’ai à peine remarqué le moment où un autre batelier s’est approché à la hauteur du canoë de Kumar.

    Se penchant sur le côté de son embarcation, il obtint mon attention quand il tendit un plateau rempli de diverses choses colorées. J’ai alors jeté un coup d’œil interrogateur à Kumar, comptant sur lui pour qu’il m’offre des explications. Il me dit que c’était un cadeau pour le fleuve — l’offrande d’une prière.

    — C’est très bien, dit-il en souriant doucement, sa tête s’agitant de haut en bas. Vous devriez accepter. Il en demande seulement quelques roupies.

    La cynique en moi protesta contre cet « attrape-

    touriste ». Mais depuis un autre lieu — ce lieu où l’on m’avait attirée si aisément quelques moments auparavant —, j’étais tout à fait enchantée que cet homme ait pris le temps et le soin de préparer et de me présenter ce beau cadeau pour moi et pour le fleuve. « Pourquoi pas ? » pensai-je en lui remettant les roupies. Il sourit et s’étira au-dessus de nos bateaux pour déposer soigneusement le plateau dans mes paumes ouvertes.

    Observant maintenant le tout attentivement, j’ai pu remarquer qu’il s’agissait d’une simple assiette de papier blanc du genre que j’ai utilisé à de nombreuses reprises à la maison, pendant les barbecues en été et lors de rencontres entre amis. Elle contenait une haute pile de pétales de rose d’un rose foncé et de fleurs d’un orange vif ressemblant à des soucis, pas plus grandes qu’une pièce de vingt-cinq cents. Un côté de l’assiette accueillait un petit contenant de poudre de bindi rouge vif. Une bougie blanche brûlait au centre de l’assiette, projetant un halo de lumière sur les fleurs et les épices aux couleurs éclatantes autour d’elle.

    En approchant l’assiette de mon nez, j’ai inhalé les odeurs enivrantes qui s’en dégageaient. Une partie de moi voulait protéger ou posséder toute cette beauté fragile et sensuelle plutôt que de la mettre à flot sur le fleuve, et c’était précisément ce sacrifice qui rendait cette offrande sacrée.

    — Mettez la poudre de bindi sur votre troisième œil, ici, dit Kumar en indiquant le centre de son front.

    Il continua à parler tandis que je m’exécutais.

    — Cela concentrera votre pensée. Ça ouvrira et protégera votre troisième œil — le centre intérieur de l’illumination.

    Tenant encore l’assiette de mes deux mains, j’ai fermé les yeux et j’ai rassemblé mes pensées dans une prière silencieuse. Ouvrant ensuite les yeux, je me suis penchée sur le côté du bateau et j’ai soigneusement déposé le petit paquet sur l’eau. Je l’ai regardé se faire emporter ici et là par les vagues tandis qu’il dérivait vers des dizaines d’autres paquets de prières qui nous ont enveloppés dans un mandala tourbillonnant de flammes vacillantes.

    Kumar ramait à un rythme régulier au moment où le soleil s’est levé à l’horizon d’un côté de la petite embarcation en bois.

    — Là, dit-il en pointant de la tête en direction du rivage, c’est le ghat de Hanuman, le dieu singe. Connaissez-vous Hanuman ? Hanuman a secouru la déesse Sita après que cette dernière eut été enlevée par le démon Ravana. C’est une bonne histoire, mais elle est très très longue — trop longue pour le moment. Je vous raconterai cette histoire à votre prochaine excursion en bateau, dit-il en esquissant un sourire.

    » Là, derrière vous, c’est Manikarnika. C’est là où nous avons commencé le tour de bateau. Manikarnika est le ghat de crémation principal où les cadavres sont apportés.

    Le commentaire de Kumar me tira directement hors de ma rêverie, même si j’avais déjà lu sur la crémation à ciel ouvert à Varanasi. Je me suis retournée et j’ai examiné le rivage, où j’ai pu voir de manière très nette de la fumée s’élever de trois feux différents.

    — « Manikarnika » signifie « bijou de l’oreille » — ce que vous portez à l’oreille, oui ?

    — Une boucle d’oreille, répondis-je en hochant la tête.

    — Oui, boucle d’oreille, répéta-t-il. Il est dit que Parvati, la femme de Shiva, laissa tomber sa boucle d’oreille dans un puits à cet endroit — un puits bien plus vieux que le fleuve lui-même. Vous pouvez voir que c’est un endroit très très vieux, plein d’histoires, de dieux et de déesses, de sang et de sueur et de feux qui donnent naissance à la vie. Manikarnika est un des ghats les plus sacrés pour les hindous.

    — Pourquoi ? demandai-je en regardant encore la fumée s’élevant depuis le rivage.

    — Ici, le cycle de la vie et de la mort se déroule en public pour que tous puissent le voir. Ce n’est pas comme en Amérique, où personne ne veut penser qu’il mourra un jour. Ici, nous acceptons la mort à chaque instant comme étant une partie nécessaire de la vie.

    Tout en écoutant attentivement Kumar, j’ai décidé que j’allais explorer Manikarnika de manière plus complète après le tour de bateau, même si je ne pouvais savoir à ce moment à quel point je deviendrais intime avec ce lieu au cours des jours suivants.

    — Et voici maintenant venue l’heure du bain du matin, dit Kumar en regardant vers un groupe de baigneurs qui venait soudainement d’apparaître sur le rivage opposé.

    Ils saluaient le soleil naissant avec un chœur de salutations et de chants.

    — Les hindous croient que de se baigner ainsi dans le Gange, typiquement à l’aube, lave les péchés, dit Kumar.

    J’ai regardé la scène tandis que des hommes et des femmes, nus et habillés, recevaient les bénédictions de l’eau, se libérant des entraves du samsara à chaque contact avec le fleuve sacré. Certains pataugeaient, mouillant soigneusement leurs saris colorés et leurs châles tandis que d’autres s’immergeaient complètement, l’eau sainte dégouttant de chaque cheveu et de chaque pore. Leurs prières et chants se répercutaient autour de nous tandis que le soleil naissant réchauffait nos visages.

    Nous sommes passés devant des hôtels, des magasins, des restaurants et d’autres bâtiments bordant le fleuve, dont plusieurs étaient couverts de peintures colorées ou de symboles sanscrits. Le son des avirons plongeant dans l’eau et le léger balancement du bateau m’ont de nouveau emportée dans un autre lieu. Nous sommes demeurés silencieux jusqu’à ce que nous arrivions devant une prestation bruyante qui se terminait à l’instant.

    — C’est la cérémonie Ganga Aarti, annonça Kumar en laissant les avirons reposer au-dessus de l’eau tandis que nous observions la scène. Cette cérémonie a lieu tous les matins et soirs. Vous devriez venir ce soir ! C’est très très populaire, pour les gens de la place et pour les visiteurs également.

    -

    C’est à ce moment que Kumar fit retourner le bateau et que nous avons commencé notre voyage de retour en remontant le Gange. Hypnotisée par ce que je voyais, ce que je sentais et ce que j’entendais, je ressentais que j’étais parmi ces âmes innombrables qui avaient de tout temps visité ces eaux pour la boire, se laver, se baigner et prier. Je voulais demeurer plus longtemps dans cette lueur, derrière le voile, et nous sommes revenus bien trop rapidement à Manikarnika.

    Kumar attacha le bateau avec la corde, et j’ai débarqué tout juste sous les feux fumants de la crémation. J’ai remercié Kumar pour le tour et je l’ai payé en lui demandant s’il pouvait accepter d’être mon guide encore un certain temps, s’il savait quelque chose à propos de Manikarnika.

    — Bien sûr que je connais Manikarnika. Je suis né à Varanasi et j’ai vécu ici toute ma vie.

    Acceptant mon offre, il posa le pied à terre, et nous nous sommes frayé un chemin en direction des feux de crémation. Ce fut une promenade relativement paisible, puisque Varanasi était toujours majoritairement endormie, l’intimité de la nuit n’ayant pas encore été brisée par les mendiants et les vendeurs racoleurs qui allaient bientôt apparaître. C’était inévitable.

    — On dirait qu’en Occident, les gens semblent faire semblant de ne pas voir la mort, ou bien ils l’ignorent, dit Kumar. Est-ce que c’est vrai, d’après vous ?

    — Cela a été vrai, mais je pense que ça change, répondis-je.

    — Vous voudriez apprendre, oui ? Laissez-moi vous montrer. Burning is learning, cremation is education, dit-il en riant avec l’élocution polie d’un acteur expérimenté. (L’expression, courante en Inde, pourrait se traduire par « Brûler, c’est apprendre. La crémation, c’est de l’éducation. »)

    Sans doute avait-il répété ces mots plusieurs fois auparavant à des touristes comme moi. C’était peut-être banal, mais c’était également vrai : beaucoup d’Occidentaux pourraient bénéficier d’une petite éducation en ce qui concerne la mort.

    — Pour un hindou, le fait de mourir à Varanasi offre la moksha, ou la libération du cycle de la renaissance. C’est pourquoi tant d’hindous se donnent beaucoup de mal pour voyager jusqu’ici lorsque la mort est imminente.

    » Ici, dit-il en pointant du doigt, vous pouvez voir les corps en train de brûler.

    Je le suivis et je vis de nouveau trois feux en train de brûler, comme ce que j’avais vu depuis le fleuve. Ne ressemblant pas aux feux de camp, ils étaient faits de simples piles de bois.

    — Vous pouvez voir les corps brûler, répéta-t-il en pointant du doigt.

    Mon estomac se retourna quand j’aperçus un pied solitaire émerger du feu le plus proche, le torse auquel il était fixé à l’origine ayant apparemment déjà été consumé par les flammes. Malgré la puanteur indescriptible qui piquait mon nez et mes poumons et la brume grisâtre qui demeurait suspendue dans l’air, je gardai mes yeux fixés sur le feu, indéniablement fascinée par cette démonstration ouverte de la mort qui montrait la vérité toute simple de l’expression « les cendres aux cendres, la poussière à la poussière ».

    — À Manikarnika, continua Kumar, les corps brûlent jour et nuit, et les feux sont allumés à l’aide d’une flamme conservée à l’intérieur d’un bâtiment tout près. Il est dit que cette flamme brûle continuellement depuis de nombreux siècles et qu’elle n’a jamais été éteinte.

    » Vous pouvez voir ici, continua-t-il en faisant un geste vers les rangées de crémation, qu’il y a trois niveaux de crémation. Les corps qui brûlent au plus bas niveau sont ceux de caste inférieure. Les corps qui brûlent plus haut sont ceux de caste supérieure. En Inde, les castes sont transmises de génération en génération et déterminent le rang social et la position, expliqua Kumar. Le système de caste est une partie profonde des croyances hindoues comme la réincarnation, et ces croyances se répandent dans la société indienne.

    Je suis émerveillée de ce signe de pouvoir global du système social et religieux hindou. Si la caste se prolonge jusque dans la mort et au-delà de celle-ci dans la renaissance, il n’est pas étonnant que les hindous viennent chercher la libération en mourant à Varanasi.

    — Nous ne brûlons pas les bébés qui sont morts, continua Kumar d’un ton neutre. Ni les femmes enceintes, les jeunes enfants, les sadhus, ou ceux qui meurent de la lèpre ou d’une morsure de serpent. Dans la tradition hindoue, ces gens se sont purifiés dans leur vie ou dans leur mort et n’ont donc pas besoin

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