L’art du vol
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de vagues témoignages mentionnant un homme masqué. Voilà le peu d’informations dont dispose Agnès Watson, agente d’Interpol. Pourtant, la jeune femme cherche par-dessus tout à mettre la main sur ce mystérieux criminel qui empoisonne sa vie depuis tant d’années au point de la rendre folle. Est-ce la raison qui la pousse à faire appel au consultant le plus inutile qui soit?
L’arrivée de cet artiste aussi énervant que fainéant l’amènera pourtant plus proche qu’elle ne l’a été auparavant de ce mystérieux voleur, mais s’agit-il d’un simple hasard?
Benjamin Faucon
Né en 1983, Benjamin Faucon vit en Montérégie avec sa femme et ses enfants. Diplômé en histoire de l’art de l’Université Bordeaux Montaigne, il s’est consacré à l’écriture dès la fin de ses études. Ses deux premiers romans ont été publiés en Europe. Il a par la suite opté pour l’autoédition de ses six romans suivants. Après un passage par la littérature jeunesse, il s’est consacré entièrement au genre du roman à suspense. Ce choix fut confirmé en 2013 par la signature d’un contrat avec les Éditions AdA pour la série La théorie des géants.
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L’art du vol - Benjamin Faucon
Faucon.
1
Venise, Italie
L e moteur de la Ferrari 458 Italia résonnait dans la campagne v énitienne en un vrombissement très bruyant. Le bolide filait à toute allure sur l’ Autostrada A4 en direction de la Cité des Doges, doublant tantôt à droite, tantôt à gauche, les quelques véhicules circulant à cette heure matinale.
Les deux mains fermement posées sur le volant au style sportif, le conducteur n’avait qu’une idée en tête : retrouver son lit pour terminer une nuit qui avait été beaucoup trop courte. Certes, l’adrénaline que lui avait procurée sa sortie lui faisait dévorer la vie à pleines dents, savourer chaque moment de son existence de rêve, mais le manque de sommeil commençait à affecter son corps.
Il jeta un coup d’œil dans son rétroviseur, puis sourit. Tel qu’il l’avait prévu, sa petite course sur l’autoroute italienne n’avait été qu’une simple promenade. À son grand soulagement, la police était demeurée cloîtrée dans ses bureaux, lui ouvrant une véritable piste de course pour essayer son nouveau jouet. L’aiguille du compte-tours s’emballa, et le paysage défila de chaque côté de l’automobile à une vitesse folle.
Les voitures de luxe comptaient parmi ses plaisirs, qui étaient d’ailleurs tous plus coûteux les uns que les autres. Habitué des palaces et des chambres luxueuses, Lorenzo Erizzo aimait le faste et tout ce qui s’y rapportait. Véritable esthète, le jeune homme s’enthousiasmait devant les éléments portant en leur sein une quelconque notion artistique. Dès son plus jeune âge, cet intérêt grandissant pour les belles choses de la vie avait conditionné son développement. Vingt ans plus tard, rien n’avait changé si ce n’était qu’à présent, plus rien ne pouvait l’empêcher d’y goûter et qu’il ne ratait aucune occasion de profiter de cette existence sans limites qui s’offrait à lui.
Il relâcha la pression sur la pédale d’accélérateur à l’approche de la rue Liberta et apprécia le paysage qui se dessinait devant ses yeux. La Sérénissime, cette cité réputée autant pour ses canaux et ses balades romantiques que pour son passé historique, resplendissait sous les premiers rayons du soleil.
Le V8 de la Ferrari ronronna en passant devant les trois véhicules des Carabinieri qui entamaient leur journée à surveiller l’arrivée des premiers autocars de touristes.
Quelques minutes plus tard, le bolide pénétra dans un garage souterrain et s’immobilisa dans le silence de l’aire de stationnement.
Lorenzo laissa échapper un bâillement, puis motivé par la perspective de bientôt retrouver son lit, attrapa son sac à dos noir et descendit de son automobile de luxe.
Il marcha d’un pas rapide en direction du quai le plus proche pour y retrouver son Aquariva Super. La vue de son bateau au ponton d’acajou et d’érable suffit à le faire sourire. En construisant un tel engin, la firme italienne Riva avait une fois de plus offert à sa clientèle bien nantie un engin parfait pour naviguer sur les eaux vénitiennes. Le hors-bord présentait ce style on ne peut plus antique qui donnait l’impression aux badauds d’assister au passage d’un bateau tout droit issu d’un vieux film d’espionnage.
Les 380 chevaux agitèrent la surface de l’eau, mais en bon habitant de cette cité historique, Lorenzo se garda de conduire impunément et de nuire au travail des gondoliers qui pullulaient malgré l’heure matinale.
Le hors-bord se dirigea tranquillement vers l’est de la ville et disparut dans le dédale de canaux.
Malgré la fatigue qui le harassait, tiraillant le moindre de ses membres, le jeune homme ne put s’empêcher de s’offrir une promenade dans les méandres maritimes de Venise. Ses yeux balayèrent chaque façade des palais, étalant leur faste en se reflétant sur la surface des eaux, à la recherche d’un quelconque détail architectural qui lui aurait jusque-là échappé.
Chaque matin, sa vie suivait ce même rituel alors qu’il s’évertuait à profiter de ce paysage de rêve tandis que les gens s’affairaient à leurs activités quotidiennes, certains sortant de la ville pour se rendre au travail tandis que les autres s’apprêtaient à veiller aux moindres désirs et caprices des milliers de visiteurs prenant d’assaut la cité flottante.
Lorenzo n’avait jamais connu ce genre de problème. Il pouvait effectivement se permettre de ne pas travailler, du moins pas dans le sens exact que les gens donnaient à ce terme. Certaines de ses activités le tenaient longuement en haleine, lui insufflant cette dose d’adrénaline qui lui était si chère, et gonflaient son portefeuille de sommes vertigineuses.
La coque du navire frôla le quai de pierre, puis s’immobilisa sans le moindre frottement. Il sauta sur le parvis et amarra son hors-bord pour finalement s’engouffrer dans le palace qui lui servait de maison.
Il gravit les marches menant à l’étage supérieur du bâtiment et déverrouilla la porte ouvrant sur ses appartements privés. Un luxe inouï s’étala aussitôt devant ses yeux. Tableaux de grands maîtres, meubles datant de la Renaissance et sculptures antiques agrémentaient un intérieur aménagé avec goût, parfaitement restauré dans le plus pur style vénitien.
Il se rendit jusque dans sa chambre et déposa son sac à dos sur son lit avant d’en sortir un épais tube de plastique. Avec des doigts de fée, il dévissa le couvercle, s’assurant d’éviter le moindre frottement avec l’objet qui se trouvait à l’intérieur de son écrin de voyage.
Un large sourire égaya son visage à la vue du rebord effilé de la toile roulée.
Il déroula la peinture exécutée par Jean-Baptiste Oudry¹ et admira la maîtrise de l’artiste. Le léopard peint par le Français était de toute beauté, et il se laissa envoûter par la perfection de l’œuvre.
Quelques secondes plus tard, Lorenzo ne put s’empêcher de pousser un soupir.
— Dommage qu’il s’agisse d’un contrat, déclara-t-il avant de rouler soigneusement la toile et de la ranger dans l’étui.
Il déposa le tube près de son lit, puis se glissa entre les draps pour se laisser finalement emporter dans les bras de Morphée.
1. Peintre français (1686-1755) se distinguant notamment par la qualité de ses représentations d’animaux.
2
Genève, Suisse
Trois ans plus tôt
U n cri d’homme des cavernes retentit entre les quatre murs défraîchis du petit appartement de la rue Jean-Violette.
Situé au numéro 30 Bis, dans un bâtiment de béton fréquemment attaqué par les canettes de peinture de jeunes cherchant à faire passer un message qu’eux seuls pouvaient comprendre, le logement de Noah Duhamel n’avait absolument rien de luxueux. En réalité, à l’instar de son logement, sa vie tout entière se situait aux antipodes des images que se faisaient les touristes en visitant Genève, s’imaginant que chaque habitant de cette ville vivait dans un luxe inouï. Dans son cas, il demeurait l’unique personne à blâmer, ayant choisi une vie de bohème à celle de travailleur.
Enchaînant les petits emplois sans prétention, rythmant sa carrière professionnelle de renvois successifs et d’embau-ches temporaires, l’artiste canado-suisse n’avait pas un seul moment tenté de faire la différence, concentrant toute son énergie sur son art.
Depuis son plus jeune âge, la photographie artis-tique avait agi comme un phare perdu au beau milieu de l’immensité de son imagination. Néanmoins, son talent avait tardé à se dévoiler à ses yeux comme à ceux de son public, le reléguant dans les tréfonds des galeries.
Les deux expositions qu’il était parvenu à organiser pouvaient servir de parfaits exemples pour démontrer la vie précaire des artistes. N’ayant vendu que quelques tirages, ces deux contrats avec ces galeries lui avaient valu un coupon pour l’aide sociale.
Trop fier pour l’admettre, et probablement trop fainéant pour se trouver un travail, Noah persistait dans son mode de vie, se cloîtrant chez lui pour travailler sur sa « grande » exposition, celle qui ferait de lui la vedette qu’il avait toujours aspiré être. Toutefois, l’inspiration peinait à venir et l’espoir de prendre un cliché incroyable occupait chacune de ses journées.
* * *
Il s’étira, puis déambula jusqu’à la porte d’entrée pour enfiler une vieille paire de chaussures. Il attacha ses cheveux blonds en une queue de cheval et sortit de son appartement en pyjama.
Quelque peu embrumé par sa courte nuit de sommeil, il préféra attendre de longues minutes l’arrivée de l’ascenseur plutôt que d’emprunter l’escalier au risque d’en descendre les marches sur le postérieur.
Après une longue attente, les portes en acier inoxydable s’ouvrirent sur une sonnerie monotone, et l’artiste pénétra à l’intérieur de la cabine vétuste.
Le trajet le menant au rez-de-chaussée fut ponctué par l’apparition de voisins qui lui jetèrent un regard dédaigneux à la vue de son pyjama taché et troué. Ce genre de jugement ne l’atteignait aucunement, son estime étant tout simplement disproportionnée. Il les regarda quitter l’ascenseur en marchant d’un pas nerveux vers la porte de sortie et laissa échapper un bref rire. S’il détestait bien une chose, c’était de se lever pour se rendre quotidiennement sur le même lieu de travail alors que, selon lui, la vie avait beaucoup plus à offrir qu’une simple existence routinière.
D’un geste nonchalant, il déverrouilla sa boîte postale et s’extasia aussitôt en découvrant que le propriétaire de la galerie avait tenu promesse. Une enveloppe adressée à son nom avait été postée quelques jours auparavant.
Réalisant un véritable tour de main, Noah était parvenu à persuader le marchand d’art de lui faire une avance sur sa prochaine exposition. Rivalisant de basses flatteries et d’insistance, il avait réussi son pari. Son patron avait consenti à lui faire un chèque en échange d’une promesse de voir apparaître sur son bureau un nouveau projet dans le pur style des photographes à succès.
Délaissant l’aridité des intérieurs de maisons pour se plonger dans de sombres réflexions sur la nature humaine, Noah avait consenti à travailler sur un nouveau projet visant à plaire à un plus large public en échange d’une avance, mais les idées peinaient à sortir de son imagination. Le seul problème était qu’à ce jour, il n’avait pris aucune photographie et il allait probablement en être de même pour le reste de la semaine.
Il chassa ses problèmes de sa tête pour concentrer toute son attention sur le chèque aux quatre zéros qu’il tenait entre ses mains. À quoi pourrait-il servir ?
Soudain, un large sourire se dessina sur son visage.
* * *
À quelques mètres seulement de l’entrée, Noah ajusta le col défraîchi de sa chemise et descendit de quelques centimètres son pantalon, qui avait rétréci au lavage. Son seul complet avait aussi bien servi dans ses entrevues dans les agences de placement que lors des vernissages auxquels les différentes galeries de la ville avaient daigné le convier. L’effet du temps pouvait clairement se voir sur la surface du tissu, lui donnant un air vieillot collant parfaitement à son allure physique.
Il regarda son appareil, un vieux Leica argentique, qui pendait à son cou, son seul et unique compagnon de vie, qui avait jusque-là été en mesure de magnifier les quelques clichés pris pour ses expositions antérieures, et se demanda si la boîte grise et noire serait encore capable de prendre la photographie qui changerait tout.
Il leva les yeux en direction de la boutique Vacheron Constantin, dont la façade de pierre finement sculptée de bas-reliefs étalait sur l’extérieur du bâtiment tout le luxe qui pouvait se trouver derrière les baies vitrées.
D’un pas décidé, il pénétra dans le magasin pour dépenser l’argent qu’il avait obtenu de son marchand d’art de la façon la plus inutile qui soit dans un cas comme le sien. Son réfrigérateur était vide, tout comme sa garde-robe, mais son goût pour les montres le poussait à dépenser cette somme, si colossale pour lui, dans l’achat d’une pièce intemporelle.
Dès son arrivée, tous les regards des employés convergèrent dans sa direction pour aussitôt se diriger vers les autres clients fortement dépareillés avec l’allure vétuste qu’il dégageait. Bien qu’il ait fait un réel effort pour soigner sa toilette en fonction de ses maigres moyens, ses cheveux longs et sa barbe de trois jours accentuaient l’allure défraîchie de son complet.
Il ignora l’attitude dédaigneuse des vendeurs et effectua une visite des lieux, son regard s’attardant sur les différentes montres au prix exorbitant. Quelques minutes seulement lui furent nécessaires pour qu’il comprenne que les quelques deniers dont il disposait seraient tout bonnement insuffisants pour s’acheter l’objet tant désiré.
Envieux, il dévisagea les autres clients en s’attardant dans le magasin jusqu’à ce que le gérant s’avance dans sa direction, bien décidé à lui indiquer la porte de sortie.
Au même instant, un cri strident retentit.
Noah se retourna et vit une employée les deux mains posées sur ses joues, le visage aussi blême qu’un cadavre, en proie à une violente crise de panique. Le patron accourut dans sa direction et manqua également de s’évanouir en atteignant la vitrine.
— La Tour de l’Île² a disparu ! s’écria-t-il, en proie aux larmes.
En entendant le nom du modèle, Noah comprit qu’un objet d’une valeur dépassant l’entendement venait d’être subtilisé. Il dégaina son réflex argentique et enchaîna une série de photographies prises sur le vif.
Soudainement, son instinct le poussa vers la sortie. Avant même que les employés se remettent de leurs émotions et lui barrent la sortie, il s’extirpa du magasin et s’arrêta sur le perron.
Au même instant, une berline de luxe aux vitres légèrement teintées démarra en trombe, passant devant lui à toute allure sur la rue Kapellplatz. Il eut