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Sans peur
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Ebook432 pages6 hours

Sans peur

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About this ebook

Pendant 16 ans Ebony ignorait qu’elle était un ange. Et que sa véritable âme soeur, Nathaneal, était à sa recherche. Maintenant prête à entreprendre sa vie avec lui, en un cruel tour du destin, Ebony est capturée par un ange ténébreux et emprisonnée en enfer.

Tant qu’Ebony peut compter sur l’amour de Nathaneal, elle n’a rien à craindre. Mais pendant que Nathaneal remue ciel et terre pour parvenir jusqu’à elle, combien de temps pourra-t-elle combattre le mal avant d’en être dévorée?

Nathaneal la rejoindra-t-il à temps? Ces amoureux longtemps séparés seront-ils enfin réunis pour vivre leur destin?

Lisez-en plus sur l’étonnante histoire d’amour d’Ebony et Nathaneal.
LanguageFrançais
PublisherÉditions AdA
Release dateDec 19, 2016
ISBN9782897675448
Sans peur
Author

Marianne Curley

Marianne Curley lives in Australia with her family. She has experimented with different genres but finds writing for young adults to be the most challenging and satisfying. You can find her online at MarianneCurley7.com.

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    Sans peur - Marianne Curley

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    Copyright © 2015 Marianne Curley

    Titre original anglais : Fearless

    Copyright © 2016 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    Cette publication est publiée en accord avec Bloomsbury Publishing Plc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Traduction : Danielle Champagne

    Révision linguistique : Nicolas Whiting

    Correction d’épreuves : Nancy Coulombe, Féminin pluriel

    Conception de la couverture : Katie Everson

    Photo de la couverture : © Aleshyn Andrei/Shutterstock (jeune femme), © Natykach Nataliia/Shutterstock (aile), © pzRomashka/Shutterstock (ornement décoratif)

    Montage de la couverture : Matthieu Fortin

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89767-542-4

    ISBN PDF numérique 978-2-89767-543-1

    ISBN ePub 978-2-89767-544-8

    Première impression : 2016

    Dépôt légal : 2016

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes (Québec) J3X 1P7, Canada

    Téléphone : 450 929-0296

    Télécopieur : 450 929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Curley, Marianne

    [Fearless. Français]

    Sans peur

    (Avena ; tome 3)

    Traduction de : Fearless.

    Pour les jeunes de 13 ans et plus.

    ISBN 978-2-89767-542-4

    I. Champagne, Danielle, 1958- . II. Titre. III. Titre : Fearless. Français.

    PZ23.C855Sa 2016 j823’.92 C2016-941783-2

    Conversion au format ePub par:

    Lab Urbain

    www.laburbain.com

    Pour John...

    Pour les 35 ans où tu as su quand pousser une bonne blague et quand ne rien dire...

    Où serais-je sans toi, qui mets du soleil dans mes matins et qui chasses le froid de la nuit ?

    Aux prochaines 35 années, mon amour, peu importe où elles nous mèneront...

    1

    Nathaneal

    Il la dérobe sauvagement de mes bras. Il vole mon amour carrément sous mes yeux.

    Son esprit et le mien ont vécu ensemble à Peridis durant 3000 ans, et sachant qu’un jour viendrait où nous serions réunis sous notre forme mi-physique, mi-angélique, nous nous sommes aimés comme si les lendemains n’existaient plus. Nous connaissions notre destin : être ensemble pour l’éternité. Et nous avons juré de nous trouver l’un l’autre, peu importe le temps qu’il faudrait.

    Nous avons déjà surmonté tant d’épreuves, mais nous avions oublié le prince Luca — sa soif de pouvoir, son besoin de destruction et son désir d’Ebony.

    Mes frères Gabriel et Jérôme enjambant les corps à ma droite, Michael frayant sa propre voie à ma gauche, Sal et Uri à notre suite, nous partons affronter l’ennemi, prêts à suivre les Trônes ténébreux jusqu’aux plus sombres confins de Skade, si c’est bien là qu’ils l’entraînent.

    Je dois ramener Ebony.

    J’ai sous-estimé le prince Luca. Cette erreur — mon erreur — aura des conséquences catastrophiques si nous ne parvenons pas à le dominer. Le projet de Luca de créer des lecteurs de l’âme en mêlant le sang d’Ebony au sien pourrait menacer la survie et la liberté de l’humanité entière.

    Au bout du tunnel, elle se contorsionne pour voir par-dessus l’épaule de l’ennemi qui la porte. Elle m’aperçoit. Nos yeux se rencontrent. L’espoir se faufile dans l’espace qui nous sépare, semblable à un arc-en-ciel après un orage. Je fais un signe de tête affirmatif pour lui signifier que je la suis, que je suis juste derrière elle. Un violet intense inonde ses yeux, et elle m’adresse l’ombre d’un sourire.

    Puis, les portes de Skade se referment net entre nous.

    La secousse provoquée par les 12 portes percutant le pont nous fait tous reculer en décrivant un grand arc. Des ondes de choc nous maintiennent dans les airs et nous refluent dans le tunnel. Nous luttons pour retrouver notre équilibre, nos ailes s’entremêlant. Quand notre chute s’amorce, des centaines d’anges, de lumière et des ténèbres, entrent en collision. C’est un cauchemar. Ma belle-sœur, Sami, me percute de côté lorsque des forces la propulsent horizontalement sur le pont. J’essaie de l’intercepter, mais elle se déplace trop vite. Je cherche son mari, Jérôme. En plein vol, il heurte Michael, et leurs ailes s’enchevêtrent au point de les faire tomber au sol l’un sur l’autre. Un Trône ténébreux débarque de nulle part. L’articulation de son aile cassée se loge telle une flèche dans ma gorge. Je l’arrache d’un coup sec. Du sang jaillit sur nous deux.

    L’hystérie collective s’installe à mesure que les blessures s’accumulent et que la douleur nous assaille. Étendu sur le pont, les mains serrées autour de ma gorge, je ne peux que penser à Ebony, et au fait que je l’ai perdue.

    —Non !

    Tenant toujours ma gorge, chancelant, je me remets debout et marche sur les corps pour m’approcher des portes. Un bruit au sol me fait baisser les yeux. Mon aile droite est fracturée à trois endroits et traîne par terre. Quand je baisse la main pour soulever mon aile, je suis soulagé de constater que seul un filet de sang a coulé de ma blessure à la gorge. Au moins, je guéris vite. Finalement, je me retrouve devant 12 portes chatoyantes en parfait état.

    Ebony. E-bo-ny !

    Une rage comme je n’en ai jamais éprouvé auparavant m’envahit avec une telle force que mes pouvoirs menacent de s’échapper par mes veines et de s’acharner sans discernement sur mes amis autant que mes ennemis. Elle grandit, prend de l’expansion, parcourt mes muscles et ma peau.

    —Michael. Isaac. Dégagez du secteur.

    Ils s’exécutent, et je rassemble mon pouvoir, imposant mes mains sur la portion des portes qui se trouve droit devant moi, y insufflant mon énergie. Avant même que la fumée et les gaz se dissipent, je vois que rien ne s’est produit. Les portes tiennent bon. Je rassemble à nouveau mon pouvoir, le maintenant et le faisant croître jusqu’à ce que la pression sous ma peau devienne intenable.

    —Reculez !

    J’inspire profondément, puis j’expire mon pouvoir de toutes mes forces en un seul souffle. Cette fois, le pont grince, mais lorsque les secousses cessent et que la poussière retombe, les portes blanches chatoyantes tiennent toujours, intactes.

    —C’est donc vrai, dit Michael en secouant la tête tout en fixant les portes. Le Grand Roi les a créées inattaquables à dessein, et même lui ne pourrait les ouvrir. C’était sa façon de nous protéger les uns contre les autres après la rébellion.

    —Il doit bien y avoir un moyen d’en fracasser une.

    Jérôme pose une main sur mon épaule.

    —Il pourrait être dangereux d’ouvrir ce que tu ne serais peut-être pas capable de refermer ensuite.

    —Il y a toujours une façon d’accomplir l’inconcevable.

    Et même si elle ne m’entendra probablement pas, j’établis une connexion mentale. Ebony ! Ebony, je jure devant les étoiles que je viendrai te chercher dès que j’en serai capable. Je te ramènerai à la maison.

    Michael jette un coup d’œil en bas du pont, là où la lumière bleue révèle l’entrée du Passage, la dimension séparant les mondes comportant des portails vers la Terre, Avena et Skade. D’un bout à l’autre s’étale un champ de bataille où les deux partis semblent s’être anéantis l’un l’autre.

    —Tu as raison, cousin. Il y a toujours une façon, et nous la trouverons.

    Des renforts arrivent de notre côté.

    —Uri, ils affichent tes couleurs.

    —Oui, ils font partie de ma division.

    Son ton est démoralisant tandis qu’il poursuit son explication :

    —Avant notre départ, j’ai préparé à l’action une brigade de 5000 soldats. J’espérais qu’ils viennent avant que nous perdions…

    Mon cœur tressaille lorsqu’il prononce presque le nom d’Ebony.

    —Je suis désolé, mon prince.

    Trouver un moyen de franchir ces portes et tuer tout ange qui tentera de m’empêcher de rejoindre Ebony m’apparaît plus importants que de passer une seule seconde à réconforter mon ami. Mais je suis reconnaissant à Uriel pour le soutien qu’il m’apporte, et il a besoin de le savoir.

    —Merci, Uri. Ils auraient effectivement été bien utiles.

    Il lève la tête, ses yeux jaune pâle étant soudain embrasés. Il place son bras droit en diagonale sur sa poitrine.

    —Mon prince, je te confie le commandement de mon bataillon composé de 100 000 soldats.

    —C’est très généreux de ta part, Uri, mais je n’ai jamais dirigé une armée.

    —Je serais honoré d’être ton lieutenant.

    Plaçant une main sur son épaule gauche, je me presse de mettre de l’ordre dans mes pensées.

    —J’accepte, Uri. Merci.

    —Attends, dit Gabriel en marchant sur les corps mal en point pour nous rejoindre. Tu peux aussi prendre mes troupes.

    Mes sourcils se haussent.

    —Les tiennes, mon frère ?

    —Seulement tant que tu en auras besoin pour récupérer ma future belle-sœur. Et je veux être ton premier lieutenant.

    Il adresse à Uri un sourire en coin amical.

    —Tu comprends, n’est-ce pas, Uri ?

    N’attendant pas la réponse d’Uriel, il revient à moi.

    —Entendu, frère ?

    Je regarde Uri, dans l’expectative. De toute évidence, Uri veut dire quelque chose qu’il retient.

    —Comme tu voudras, mon prince.

    J’acquiesce pour lui témoigner ma reconnaissance.

    —Dans ce cas, faisons bon usage de ces troupes. Gab et Uri, sécurisez la sortie. Aucun ange des ténèbres ne sort d’ici aujourd’hui. Envoyez vos équipes rattraper les froussards qui fuient par le Passage. Emmenez-les-moi tous.

    La main de Michael s’abat sur mon épaule, et je baisse la garde un instant.

    —Comment cela a-t-il pu arriver, Michael ?

    —Je connais Luca depuis le début. Nous avons joué et nous sommes entraînés ensemble, et nous avons mené des combats côte à côte, mais je n’ai rien prévu de tout ça. Alors, ne sois pas trop dur envers toi-même. Luca a tellement changé au cours du siècle dernier que ses actions sont difficiles à prévoir.

    —Elle m’a averti, tu sais.

    —C’est arrivé trop vite, dit Isaac, qui arrive accompagné de Jérôme et de Sal, conduisant une dizaine d’anges ennemis captifs. On ne peut jamais imaginer ce que recèle l’esprit d’un être aussi profondément maléfique.

    —C’est un truc que je devrai apprendre — et vite.

    Gab et Uri reviennent avec un grand contingent de prisonniers ; la plupart ont suffisamment récupéré pour pouvoir marcher, alors que certains qui sont plus gravement blessés ont besoin d’aide.

    Scrutant leurs rangs, mon regard s’arrête sur une blessure au cou d’une soldate. Elle perd son sang plus vite que n’agit le processus d’autoguérison. Elle ne se plaint pas, même si cette plaie la fait sans doute beaucoup souffrir. Je la désigne à Uri.

    —Emmène-la-moi.

    Arrivé à cette soldate, il la prend dans ses bras et revient vite vers moi. Il l’étend par terre devant moi. Je m’accroupis à côté d’elle et me rends compte que cette ange ténébreuse est mineure, ce qui explique sa lente autoguérison, ainsi que son artère carotide rompue. Je replace doucement la main qu’elle a posée sur sa blessure pour tenter de conserver sa tension artérielle. Gardant le contact visuel pour ne pas effrayer cette enfant, j’entreprends de la guérir.

    —Comment t’appelles-tu, soldate ?

    —Dajanie, murmure-t-elle, ses yeux écarquillés fixés sur les miens comme si j’étais un monstre ayant surgi de ses cauchemars.

    Je continue de parler afin de la distraire tout en essayant de localiser l’autre bout de son artère qui semble s’être rétracté profondément dans sa cage thoracique, l’inondant de son propre sang, l’étouffant peu à peu.

    —Quel âge as-tu, Dajanie ?

    —15 ans, mon seigneur.

    J’entends Michael et les autres, essoufflés autour de moi.

    —Tu es soldate depuis longtemps ?

    —Trois ans.

    Cette nouvelle me déstabilise tant que mes pouvoirs en sont stimulés. J’utilise cette énergie supplémentaire pour enlever le sang accumulé, repérer l’autre bout de l’artère et relier ensemble les parties sectionnées.

    Elle inspire une grande bouffée d’air et sourit, ses yeux s’emplissant de larmes, des larmes sur lesquelles je n’ai pas le temps de m’attarder.

    —Uri.

    —J’arrive, dit-il, raccompagnant aussitôt la jeune soldate à sa position.

    Mon regard s’attarde sur les autres prisonniers.

    —Combien y en a-t-il, Gab ?

    —Il y en a 900, et d’autres sont en route.

    Uri indique la lumière bleue.

    —En voici encore 500. Nous en avons capturé 50 qui fuyaient par le Passage. Où veux-tu que nous les placions tous ?

    —Ici, pour l’instant. Gab, peux-tu me dénicher un portier parmi ce groupe ?

    —Avec plaisir !

    Gab en prend cinq à part, poussant devant moi trois hommes et deux femmes, puis il se range à côté de moi et les regarde de travers.

    —Qui d’entre vous a le grade le plus élevé ?

    Personne ne se porte volontaire. Tous gardent le regard fixé droit devant ; il n’y a chez eux aucun clignement d’yeux pouvant trahir l’un ou l’autre. Luca les a bien entraînés.

    Je marche lentement devant eux, m’arrêtant pour sonder chaque paire d’yeux argentés, à la fois similaires et pourtant distincts. Quelque chose chez la dernière, la femme la plus grande avec des cheveux bruns lissés sur son crâne, attire mon attention. Son menton se tend de manière quasi imperceptible, et elle le soulève légèrement pendant mon inspection. C’est suffisant pour me donner envie de regarder plus profondément dans ses yeux. Elle ne bronche pas, mais sa fierté la trahit.

    —Toi, dis-je en pointant un doigt vers elle afin d’attirer son regard vers moi. Avance.

    Sans faire de bruit, elle fait un pas en avant.

    —Comment t’appelles-tu ?

    —Lailah, dit-elle en continuant de fixer devant elle.

    Sa voix rauque éveille un souvenir. Ah, oui. Quand nous sommes allés à Skade pour sauver les parents d’Ebony, c’était la portière principale. Même si notre accès avait été sanctionné par la cour, elle ne nous a laissés passer qu’après qu’Uriel lui a remis un petit sac de cailloux scintillants.

    —Eh bien, portière en chef, je n’ai pas de diamants roses sur moi aujourd’hui, mais dans ces circonstances, dis-je en baissant les yeux sur ses mains et ses pieds menottés, je suis sûr que tu comprends.

    Relevant les yeux, je lui donne un ordre.

    —Ouvre une porte — peu importe laquelle.

    Malgré la contrainte, elle ne peut s’empêcher d’esquisser un petit sourire suffisant, ce qui m’emplit de rage. J’ai peine à retenir mon envie d’effacer cette expression de son visage avec mon poing. J’ai besoin de son expertise. Ses yeux glissent vers les miens.

    —Je ne peux obéir à votre ordre, mon seigneur.

    —Pourquoi pas ?

    —Les portes ont été verrouillées.

    Des vagues de chaleur se propagent à partir du centre de ma poitrine.

    —Verrouillées ? Pour combien de temps ?

    Elle me regarde droit dans les yeux et sourit.

    —100 ans.

    2

    Ebony

    Luca m’agrippe avec une poigne de fer pour m’emmener à Odisha, la capitale de Skade. Ses ailes, aussi noires que son cœur, battent avec une synergie délibérée ; elles sont infatigables, aussi belles que laides. Son cœur — si c’est bien ce que je sens marteler contre mes côtes — palpite à un rythme dangereusement rapide.

    Oh, non, c’est mon cœur.

    Je n’entends pas le sien — sans doute parce qu’il n’en a pas. Cela ne m’étonnerait pas. Mais non, le voilà qui se manifeste, battant à un rythme régulier avec un bruit sourd.

    Autour de nous, formant une étoile à sept branches, des soldats Trônes ténébreux composent notre escorte. Leurs yeux argentés, entraperçus à travers les étroites fentes de leurs armures noires, brillent de fierté. Ils ont été victorieux aujourd’hui et le manifestent par les expressions suffisantes et arrogantes qu’ils échangent entre eux.

    Nous survolons des terres agricoles où des silos, des granges en ciment et des châteaux de pierre émergent de flancs de coteaux arides. À mesure que nous nous rapprochons de la capitale, les immeubles sont plus hauts, et les rues, plus près les unes des autres, s’emplissent de badauds curieux pointant le doigt vers le ciel.

    Est-ce vraiment en train de m’arriver ?

    Si seulement c’était l’un de ces redoutables cauchemars, quand Luca s’insinue dans mon esprit et m’amène séjourner dans son royaume ! Dans la sécurité de mon lit, je peux les supporter, sachant que je me réveillerai bientôt dans les bras de Nathaneal, qui en chassera tout souvenir persistant.

    Mais ça ?

    —Détourne le visage, dit soudain Luca d’un ton sec.

    Ce n’est pas un rêve. La voix de ce monstre est bel et bien réelle. La chaleur émise par son corps me brûle à travers mes vêtements. Le puissant battement des ailes bleu métallique des Trônes déplace l’air comme le sillage d’un avion — un air imprégné de l’odeur âcre du dioxyde de soufre, des effluves d’égout du sulfure d’hydrogène et de la puanteur reconnaissable de la chair en putréfaction. Je hume cet air et le goûte, et je n’ai d’autre choix que de le respirer.

    —Couvre ton visage !

    —Dites-moi pourquoi, et j’y songerai peut-être.

    —Qu’est-ce que tu racontes encore ?

    —C’est à cause de votre orgueil, n’est-ce pas ? Vous ne voulez pas que votre peuple me voie aussi amochée. Y a-t-il une tache du sang de vos anges sur ma figure ?

    Il examine mon visage et l’étudie avec une telle intensité que je regrette aussitôt mes mots. L’éclat anormal de ses yeux verts est pétrifiant. Je détourne le regard, mais à présent, il est dans ma tête, piochant partout dans mon cerveau comme avec un tisonnier. J’élève un barrage. Par nécessité j’ai acquis très vite cette compétence. Sa voix se radoucit.

    —Tourne la tête, ma dame, avant qu’elle soit calcinée par les vents volcaniques.

    Dans le paysage que nous surplombons, de la vapeur rouge fait irruption dans un grand vacarme. Les geysers s’élèvent haut dans l’atmosphère. L’un d’eux nous rate de peu, uniquement parce que Luca vire brusquement. Tandis qu’il reprend sa position, je jette un coup d’œil en bas, sur les marécages de boue rouge fumante, bouillonnant juste sous la surface.

    Merde, c’était pour me protéger.

    Eh bien, je n’aurais pas besoin de protection s’il ne m’avait pas emmenée ici. Je ne veux rien de lui. Je ne veux certainement pas qu’il se préoccupe de moi.

    Tout mon corps est secoué de tremblements. Je force mon cœur à ralentir, souhaitant qu’il se calme, ne montre pas la peur — ou la panique — et ne subisse pas de choc. Le constat de la réalité commence à s’installer en moi — une réalité à laquelle je ne suis pas encore prête. Peut-être que je ne le serai jamais... Mais afin de mettre les chances de mon côté pour m’en sortir, je dois accorder à mon cerveau du temps pour se mettre à jour.

    OK, Luca détient donc mon corps physique, et peut-être que je n’y peux rien pour l’instant. Mais il n’a pas à me posséder entièrement. Jamais il n’aura mon âme.

    Après des années durant lesquelles mes parents m’ont inculqué que je n’en avais pas, que personne n’en avait, je connais enfin la vérité. Le paradis existe et a pour nom Peridis. Il existe un enfer appelé Skade et un monde nommé Avena, où vivent les anges. C’est là que je devrais être ; c’est là que j’aurais dû grandir, fréquenter l’école, de même qu’apprendre à voler et à utiliser mes pouvoirs sans m’épuiser.

    En réalité, je suis une vraie ange, ce qui signifie que je suis immortelle. Et si je ne sors pas d’ici, c’est donc que je vivrai éternellement en enfer.

    Si mon oncle, Zavier, n’avait pas effacé mes souvenirs peu après ma naissance, ce sentiment instinctif de mon identité se serait déclaré plus tôt. Il a participé aux manœuvres de mon enlèvement, et il m’a cachée sur Terre afin que ma véritable famille angélique et mon véritable amour, Nathaneal, ne puissent me trouver. Et quand Nathaneal m’a découverte, Zavier a manigancé avec mon meilleur ami pour que je doute de Nathaneal, pour m’attirer dans le piège de Luca. Zavier a fini par tenter de se faire pardonner. Mais c’était trop tard.

    Je ferme les yeux et visualise Nathaneal me portant à Avena. Mais ça ne fonctionne pas. Les bras qui m’entourent ne sont pas ceux de Nathaneal. Tout chez Luca est différent, de son corps trop chaud aux os durs jusqu’à sa voix enjôleuse bien maîtrisée. Même son parfum est plus vif, plus boisé, plutôt que doux, frais et ensorcelant.

    Comme si mon désir ardent l’avait fait apparaître, les yeux bleus de Nathaneal, toujours aussi pénétrants, se présentent devant moi. Mon cœur ralentit, et un soupir m’échappe quand sa voix forme des mots dans mon esprit : Ebony ! Ebony, je jure devant les étoiles que je viendrai te chercher dès que j’en serai capable. Je te ramènerai à la maison. Mes larmes coulent lentement. Je serre mes paupières pour les réprimer, et je lui réponds en pensée. Je te crois !

    Consumée par mes pensées de Nathaneal, je ne remarque pas notre descente. Je suis surprise quand Luca me dépose sur mes pieds. Je perds un peu l’équilibre, et ses doigts stabilisent mes hanches. C’est comme une caresse. Instinctivement, je pivote et le gifle.

    Il attrape mon bras et me tire d’un coup sec près de lui, trop près. Ses yeux émettent des éclairs et s’enflamment comme des feuilles d’automne prenant feu. Il se tient au-dessus de moi et insinue une image dans mon esprit.

    Je ferme les yeux et tente de le bloquer, mais rien n’arrête la bête qui apparaît dans mon esprit. Cette créature mesure au moins quatre mètres de haut, et ses yeux sont d’un jaune brillant. Elle a le corps d’un homme svelte bien formé, mais une tête de taureau et de longues cornes incurvées vers le haut. Elle est assise dans une chaise faite de vignes dorées tordues, d’où s’élèvent des flammes de part et d’autre. Autour de cette bête, des flammes s’échappent de pots noirs luisants.

    Son arrogance emplit l’atmosphère. Elle suinte de sa peau. Le monstre le sait et s’en sert comme d’une force. Il est tout-puissant et domine ce monde. Se reposant dans sa chaise de vignes enflammée, du feu autour de lui, il est le maître suprême ici, le seul et l’unique qui compte.

    Luca me révèle que cette bête est le véritable roi de Skade, et que la bête, c’est lui.

    3

    Nathaneal

    La nouvelle se répand vite, suscitant l’indignation, le choc et la panique parmi nous tous, même chez les prisonniers qui ont été coupés de leur monde. J’accuse, moi aussi, le coup des mots de la portière. Je m’efforce de rester calme. Je fixe la portière dans les yeux.

    —100 ans ? 100 ans ?

    —Oui, mon seigneur.

    —Puisque le roi Luca a verrouillé les portes, je suis certain qu’il peut les rouvrir, surtout quand il apprendra que j’ai capturé un bon nombre de ses soldats.

    —Même s’il pouvait déverrouiller les portes, mon seigneur, il ne ferait aucun troc pour nous.

    —Vraiment ? Aucun d’entre vous n’a de valeur pour lui ? Pas même l’un de vous ?

    Elle tressaille. Une douleur fugace et aiguë apparaît dans ses yeux, disparaissant aussitôt.

    —Même s’il acceptait un tel arrangement, Son Altesse a verrouillé les portes de manière que personne ne puisse les ouvrir, pas même lui, mon seigneur, pendant 100 ans.

    —Tu mens !

    —Non, mon seigneur, je ne mens pas.

    Je comprends que cette soldate s’est déjà résolue à la mort. Elle a accepté le destin de martyre.

    Cependant, tuer un soldat non armé, un prisonnier, jamais je ne franchirai cette limite. Tous les prisonniers devant moi en cet instant sont de simples soldats qui obéissent à des ordres. Ils ont confiance en leur roi, et même s’il les a effectivement abandonnés, ils acceptent de mourir pour lui.

    Que pensera Ebony quand elle apprendra cette nouvelle ? Perdra-t-elle sa confiance en moi ?

    Respire, cousin, me dit mentalement Michael en posant une main sur mon épaule.

    Il est toujours à mes côtés quand j’ai besoin de lui. J’écoute son conseil, et d’une manière ou d’une autre, mon envie d’exploser se résorbe — du moins pour l’instant.

    J’examine le grand nombre de prisonniers que Gab et Uri ont rassemblés tandis que d’autres encore descendent par la lumière bleue. Puisque les anges des ténèbres ne peuvent entrer à Avena et qu’il serait impossible de les laisser dans le Passage à cause des changements de paysages, il n’y a qu’un seul endroit où les emmener jusqu’à… jusqu’à quand ? Luca acceptera sans doute de négocier leur retour un de ces jours, même dans 100 ans.

    —Gab et Uri, préparez les prisonniers en vue d’un voyage. Nous les emmenons sur Terre.

    Gab cille ostensiblement, mais a la sagesse de ne pas remettre en cause mon ordre.

    —Destination, mon frère ?

    —Choisis trois de tes meilleurs soldats qui prendront les devants, et avertis les frères du monastère de Sainte-Croix. Ils devront informer monseigneur Laurent de notre besoin d’accéder aux installations souterraines. Ces pièces devraient suffire pour y enfermer les prisonniers jusqu’à ce que nous les agrandissions.

    —Compris, dit Gab. Tu sais, nous transporterons beaucoup de prisonniers sur Terre. Tu as fait un bon coup aujourd’hui, mon frère.

    —Si j’avais fait un bon coup aujourd’hui, Ebony ne serait pas…

    Je fais une pause pour rassembler mes pensées.

    —Ebony serait à côté de moi en ce moment et se préparerait à rentrer chez elle pour y rencontrer ses vrais parents pour la première fois. Voilà ce que j’aurais pu qualifier de travail bien fait.

    —Bien sûr, dit Gab.

    Jurant dans sa barbe, il poursuit en murmurant :

    —Je suis désolé, Thane ; je ne faisais aucun sous-entendu. Sa perte nous a tous ébranlés.

    Jérôme lui donne un coup de coude, sifflant tout bas :

    —Sa « perte », mon frère ?

    —Ah, merde !

    Gab me regarde dans les yeux. C’est la première fois que je vois de la peur dans les yeux de mon grand frère.

    —Thane, pardonne-moi. Je…

    Je secoue la tête. Je n’ai pas de temps pour les excuses, pas de temps pour quoi que ce soit, sinon pour trouver un moyen de sauver Ebony.

    —Oublie ça. Oublie ça !

    Salomon arrive, ajoutant plusieurs centaines de prisonniers au compte. Je l’appelle.

    —As-tu parlé avec ton informateur depuis la fermeture des portes ?

    —J’ai essayé à maintes reprises, mais il n’y a pas de réponse.

    —Continue d’essayer, Sal. Je veux savoir où Luca a emmené Ebony et… comment elle s’en tire.

    —Je m’en occupe, mon prince.

    Je l’observe qui vole dans la lumière bleue du Passage, mon esprit virevoltant alors que je songe à ce qu’il faut faire ensuite.

    —Isaac, comment sont tes techniques d’interrogation, ces jours-ci ?

    —Elles sont excellentes. Je suis content que tu me le demandes. Ai-je la permission d’y recourir ? dit-il, ses yeux errant posément au-dessus des rangées de prisonniers. Veux-tu que j’interroge l’un d’eux en particulier, mon prince ?

    —Interroge tous les prisonniers.

    Un silence absolu règne un moment.

    —Je veux qu’ils parlent. Je veux tout connaître sur les défenses de Skade. Je veux des renseignements sur toutes les résidences de Luca, de son palais dans la capitale jusqu’à son repaire secret dans la montagne. Je veux connaître les points d’entrée et de sortie. Les prisonniers doivent me fournir des cartes, des plans d’étages, des schémas, des programmes, des tunnels secrets. Je veux obtenir les noms des serviteurs, leurs routines, une description de leurs uniformes et de leurs habitudes quotidiennes, et je désire savoir où chacun dort.

    Tout en récitant ma liste, je circule entre les rangs et regarde les prisonniers dans les yeux.

    —Je veux savoir quels passages empruntent les serviteurs quand ils vont d’une pièce à une autre et ne veulent pas être vus. Je veux aussi des renseignements sur les bêtes. Où sont-elles gardées, quand sont-elles nourries et qui est responsable d’elles ? Utilise tes techniques pour t’assurer que personne ne ment. Chaque jour, tous doivent te donner des pistes, sans quoi ils seront privés d’eau pendant 48 heures.

    Michael opine. Voilà que tu penses comme un roi.

    Je lui décoche un regard noir. Je me fous d’être roi. Sans Ebony…

    J’imagine l’endroit où elle se trouve en cet instant, et mes pouvoirs resurgissent en moi. Pendant que je maîtrise cette énergie négative, Michael prend la relève pour donner aux soldats les instructions sur la manière d’entreprendre la tâche ardue de conduire les prisonniers jusqu’à la Terre.

    Je me rappelle qu’Ebony m’avait mentionné que la voix de Michael lui rappelait des cloches d’église, et je me retrouve à marcher en direction des portes chatoyantes tout en me demandant ce qu’elle pense de la voix de Luca.

    Michael place la paume de sa main sur mon épaule.

    —Nous la ramènerons, Nathaneal.

    —Je le sais, Michael, parce que je ne m’arrêterai pas tant que ce ne sera pas fait. Mais ce n’est pas pour aujourd’hui. Et cette pensée me tue.

    4

    Ebony

    Quand Luca me libère enfin, je recule de quelques pas en titubant et inspire une bouffée d’air bienvenue. Il me fixe en serrant les lèvres inspirant vivement par ses narines dilatées. L’apparition de cette créature semble l’avoir surpris autant que moi.

    Il faut absolument, absolument que je m’échappe d’ici. Nathaneal, où es-tu ?

    Je finis par me calmer suffisamment pour assimiler mon environnement. Ce n’est qu’à cet instant que je me rends compte que les Trônes ne sont plus là. Ces Goliath excellent lorsqu’il est question de se déplacer sans bruit, mais il ne faudrait pas que je perde conscience de ce qui se passe en ce lieu — pas même une seconde.

    Je dois sortir d’ici d’une manière ou d’une autre.

    Mais où est Nathaneal ? La dernière chose que j’ai vue, ce sont les portes qui se sont refermées net entre nous. Il me semble qu’il aurait trouvé à coup sûr un moyen de les rouvrir. Les soldats de Luca l’ont-ils intercepté ? Est-il blessé ?

    Respire…

    OK. Pour l’instant, je suis donc seule avec Luca — ou cette créature, ou peu importe ce qu’il est en réalité. Nous sommes à l’intérieur d’une cour surplombée d’un dôme, remplie de plantes en fleurs et d’arbres tropicaux luxuriants. De chaque côté de moi, deux longs corridors se font face, avec des arches, des colonnes blanches et un mur de brique derrière eux.

    Je fais quelques pas pour me distancier de la présence dominante de Luca. Il ne fait rien pour me retenir, se contentant de croiser les bras sur sa poitrine et d’appuyer ses hanches contre un mur de jardin en briques. J’interprète son geste comme la preuve qu’il ne sera pas facile de fuir.

    —Par où sommes-nous arrivés ici ?

    —Tu as manqué l’entrée lorsque tu as plaqué ton visage sur mon épaule.

    Je lève les yeux sur le dôme qui s’étend d’un bout à l’autre.

    —Je la trouverai.

    —Et quoi ? Tu t’envoleras ?

    J’ai envie de déloger le petit sourire satisfait

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