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Alvira - Les enfants de Fador
Alvira - Les enfants de Fador
Alvira - Les enfants de Fador
Ebook286 pages4 hours

Alvira - Les enfants de Fador

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About this ebook

Le jour de ses 17 ans, Gabrielle, une adolescente comme les autres, est attaquée par une créature qui la laisse pour morte. À son réveil, elle trouve à son chevet Éléonore, l’énigmatique nouvelle élève de sa classe. Celle-ci révèle que Gabrielle vient d’un autre monde, Alvira, et qu’elle est l’un des six élus désignés pour libérer ce monde parallèle du règne du terrifiant Régent. Gabrielle, guidée par Éléonore, se retrouve alors plongée dans un voyage semé d’embûches, de tunnels secrets et de pouvoirs mystérieux, à la recherche des autres élus éparpillés sur Terre.

Gabrielle arrivera-t-elle à rejoindre les élus et accomplir sa destinée?
LanguageFrançais
PublisherÉditions AdA
Release dateApr 8, 2020
ISBN9782898038341
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    Alvira - Les enfants de Fador - Virginie Karagirwa

    sommeil.

    CHAPITRE 1

    Paris, France

    Lundi 8 septembre

    Le jour venait de se lever sur Paris, et Gabrielle, les yeux clos, pouvait sentir la lumière rougir ses paupières. Elle essayait de combattre cet adversaire décidé à interrompre son rêve. Elle avait juste besoin de se rappeler où elle en était. Ah oui, elle était au milieu d’un champ. Non, une clairière, c’est ça ; c’était une clairière et le jour commençait à tomber. Le paysage lui était familier. Ce n’était pas la première fois qu’elle faisait ce rêve. Des jeunes l’entouraient. Paniqués, ils l’appelaient à l’aide. L’adolescente essayait de déterminer la source de leur peur, mais ne pouvait voir qu’une silhouette au loin. Il fallait qu’elle se concentre un peu plus. Elle se sentait sombrer de nouveau dans le rêve. La silhouette se rapprochait. La jeune fille entendit un murmure, quelqu’un appelait son nom.

    — Gabrielle ! Gabriiieeeellle ! Réveille-toi, espèce de paresseuse, il est passé 7 h ! Ce n’est pas possible de dormir à ce point !

    En un éclair, la clairière et la silhouette s’évanouirent. Gabrielle ouvrit les paupières et fut aveuglée par l’abondance de lumière qui avait pénétré dans sa chambre. Sa mère était occupée à attacher les rideaux de chaque côté de la fenêtre.

    — Maman ! Argh !

    Gabrielle tira le bout du drap pour se protéger de la lumière, mais sa mère fut plus rapide qu’elle et rabattit la couverture au bout du lit en lui lançant un regard mécontent.

    — Je te signale que c’est la rentrée des classes aujourd’hui. Vicky va bientôt venir te chercher, alors lève-toi, bon sang !

    Alors que sa mère sortait en trombe de la chambre, Gabrielle, les cheveux en bataille et les plis du drap encore marqués sur la joue, mit tant bien que mal les pieds hors du lit.

    — N’oublie pas d’éteindre la lumière de ta fenêtre, cria sa mère du bas de l’escalier, tu sais bien qu’il faut économiser l’ampoule.

    Encore ankylosée par sa nuit de sommeil, Gabrielle traîna ses pieds jusqu’à l’ampoule accrochée près de sa fenêtre. La lumière l’aveuglait. Décidément, sa mère n’avait pas fait dans la demi-mesure quand elle avait acheté ces simulateurs d’aube. Elle abaissa l’interrupteur puis ouvrit la fenêtre pour écarter les branches de l’arbre qui lui bloquaient la vue.

    Dehors, le ciel revêtait son perpétuel gris opaque. Sans aucun nuage blanc à l’horizon, on aurait dit qu’un peintre amateur avait par accident déversé un tube de peinture grise sur le ciel. De sa fenêtre, Gabrielle avait vue sur une mince portion de l’avenue principale du quartier. Elle observait la faible clarté émaner du ciel sans qu’on puisse en trouver la source. Aussi loin que ses souvenirs remontaient, le ciel avait toujours été gris, la ville avait toujours été embrumée, et elle n’avait jamais aperçu le soleil.

    Ses parents lui parlaient souvent du temps où l’on pouvait juste ouvrir la fenêtre et sentir les rayons du soleil réchauffer ses épaules et son cou. Ils lui racontaient aussi l’époque où les rues étaient bondées par les foules sorties se promener, ou la facilité avec laquelle il suffisait de pousser la porte d’un magasin pour entrer. Il est vrai que cette vie avait l’air beaucoup plus agréable que celle d’aujourd’hui, même si elle soupçonnait ses parents d’idéaliser quelque peu leur passé. Gabrielle aurait aimé savoir quel effet l’on ressentait lorsqu’un rayon effleurait notre peau. Mais les rues silencieuses et les magasins protégés par des grilles en fer étaient ce qu’elle avait vu toute sa vie. C’était ce Paris-là qu’elle connaissait. Ne voyant rien de bien intéressant par la fenêtre, elle alla prendre sa douche puis rejoignit ses parents dans le salon au rez-de-chaussée.

    Le salon était assez sobre, avec des murs blancs et de grandes fenêtres. Sa mère avait délibérément choisi de peindre les murs en blanc afin d’accentuer la lumière émise par les simulateurs d’aube accrochés à chaque fenêtre du salon. Assis à table, ses parents étaient déjà prêts pour la journée.

    Sa mère, Catherine, portait comme à son habitude un tailleur bleu ainsi qu’un chemisier en lin. Elle portait des tailleurs, car elle disait qu’ils lui dessinaient de jolies courbes. Catherine était une brune avec des yeux brun foncé en amande qu’elle tenait de ses origines bretonnes. Elle n’était pas très grande, mais ses jambes fines la faisaient paraître plus élancée qu’elle l’était. Les jambes croisées et les coudes sur la table, elle dégustait son thé.

    Le père de Gabrielle, Pierre, assis à sa gauche, lisait le journal. D’assez grande taille, il allongeait avec nonchalance ses jambes alors qu’il parcourait, un à un, chaque article. Tout comme sa femme, il était brun aux yeux marron foncé. Il avait une fossette dans le creux de chaque joue.

    Les amis de Gabrielle étaient toujours étonnés par la jeunesse de ses parents. Sa mère l’avait eue alors qu’elle avait à peine 20 ans. Elle avait dû arrêter ses études. Quant à son père, plus âgé, il travaillait déjà et avait pu subvenir aux besoins de Catherine et de leur nouvelle fille. Sa mère lui racontait souvent que sa naissance était un vrai cadeau-surprise. Pourtant, bien qu’ils aient tous les deux eu peur lorsqu’ils avaient appris que Catherine était enceinte, ils n’avaient jamais regretté leur décision de fonder une famille si tôt. Aussitôt qu’elle finissait son anecdote, les yeux encore embués par l’émotion, Catherine devenait alors très sérieuse et lui récitait la phrase fatidique : Ce n’est pas une raison pour avoir un enfant trop jeune. Il faut d’abord finir tes études !

    Gabrielle observait ses parents alors qu’elle descendait l’escalier pour les rejoindre à table. Elle n’avait pas beaucoup de traits physiques communs avec eux. Gabrielle était née avec des cheveux châtain clair aux reflets d’or, des yeux noisette et un teint basané. Sa mère lui disait qu’elles avaient le même petit nez fin, la même taille menue, et qu’elle avait hérité du caractère calme et patient de son père. Comme chaque matin, elle les regardait s’adonner à leur routine quotidienne. Par habitude, elle savait ce qui suivrait lorsqu’elle vit le muscle de la mâchoire de son père se contracter et l’entendit émettre un grincement de dents.

    — Pfff ! Toujours les mêmes idioties. Je me demande bien pourquoi je continue à le lire.

    Pierre referma le journal puis commença à tartiner ses toasts. Il était d’humeur critique ce matin. Sur la couverture du journal qu’il venait de poser trônait en lettres grasses le titre : Seize ans déjà.

    — Seize ans, tout de même. Seize ans que la Grande Guerre a éclaté et rien n’a changé ! On est toujours en état d’après-guerre, le gouvernement préfère se concentrer sur les tactiques militaires plutôt que de s’occuper de la population, et personne n’arrive à comprendre ce putain de temps gris !

    Catherine lui caressa distraitement la nuque.

    — Ne t’énerve pas comme ça dès le matin, sinon tu vas être bougon toute la journée.

    Gabrielle prit place en face de ses parents puis se versa des céréales.

    Chaque fois que son père évoquait la Grande Guerre, c’était toujours la même chose : elle feignait l’ignorance alors que sa mère le réconfortait avant de vaquer à d’autres occupations. Après tout, il n’y avait pas grand-chose à dire sur ce sujet. La guerre avait plongé le monde entier dans le chaos et la plupart des gens avaient perdu l’espoir qu’un jour la situation s’arrange.

    Un attentat commis sur un groupe d’employés de l’ambassade des États-Unis en Angleterre avait été l’élément déclencheur. Les États-Unis avaient alors envoyé des agents secrets pour élucider l’affaire, mais ces derniers s’étaient fait arrêter par les autorités britanniques, furieuses que leur allié se permettent de se faire justice lui-même. Le gouvernement américain, après le refus de l’Angleterre de libérer les agents, avait attaqué son ancien allié. Le reste des pays du monde s’étaient alors rangés d’un côté ou de l’autre, et la Grande Guerre avait éclaté.

    La Grande Guerre avait duré six ans. Elle avait atteint un tel niveau que les dirigeants du monde entier avaient tenu une réunion extraordinaire, où ils avaient décidé d’un cessez-le-feu. Chaque pays avait accepté de se retirer de la guerre. Comme les suspicions ne s’amenuisaient pas, ils avaient unanimement décidé de rompre toute relation. Chacun pratiquerait une politique de protectionnisme. Dès ce jour, personne ne fut autorisé à voyager hors de son pays, les ambassades fermèrent leurs portes et il devint impossible de connaître les faits et gestes du pays voisin. L’ère de la Grande Guerre débuta avec en bagage à main un climat gris morbide dont aucun météorologue ne pouvait expliquer la venue.

    La guerre était bel et bien finie, pourtant l’atmosphère d’après-guerre ne s’évanouissait pas. Les pays continuaient de renforcer leurs armées et tactiques militaires au cas où un incident éclaterait. En France, le taux de crime avait poussé l’État à établir des mesures de sécurité élevée. Malgré l’air lugubre qui régnait dans le pays, les plus jeunes, comme Gabrielle, ceux qui n’avaient pas connu l’époque avant la Grande Guerre, s’étaient adaptés à ce style de vie.

    Pierre finit par reprendre son journal et en parcourut les articles. Gabrielle venait à peine de finir ses céréales lorsque la sonnette retentit. La porte s’ouvrit sur une blonde beaucoup plus grande que Gabrielle. Svelte, elle portait un jeans qui mettait en valeur ses formes ainsi qu’une tunique verte qui faisait ressortir ses yeux émeraude. Elle se balançait sur la pointe des pieds, les mains jointes en avant.

    — Coucou, Vicky ! lança Gabrielle après lui avoir fait une bise furtive sur la joue, puis s’élança dans l’escalier pour aller chercher ses affaires.

    — Bonjour, Catherine ! Bonjour, Pierre ! s’exclama Vicky, toujours sur le seuil de la porte.

    — Tu as faim ? demanda Catherine.

    — Non merci, j’ai déjà mangé.

    — Est-ce que vous allez vous promener en ville après les cours ? s’enquit Pierre, occupé à remplir la section mots-croisés de son journal.

    Vicky, habituée aux recommandations de Pierre chaque fois qu’elles décidaient de sortir faire les magasins, lui sourit.

    — Oui, mais ne t’inquiète pas, on n’ira que dans les endroits où il y a au moins 4 personnes, on n’entrera pas dans les magasins vides et on sera de retour à 21 h.

    Pierre, satisfait de cette réponse, replongea son regard sur son journal.

    Gabrielle dévala l’escalier, fit un signe de la main à ses parents et claqua la porte derrière elle.

    Quelques minutes plus tard, Vicky et Gabrielle étaient dans la rue principale. Leur école ne se trouvait qu’à 20 minutes de marche de chez Gabrielle. Vicky se balançait gaiement et faisait de grandes enjambées alors que Gabrielle, toujours plus lente, traînait le pas derrière. Il en était ainsi depuis leurs 11 ans. À cette époque, Gabrielle, sur le chemin du retour après l’école, s’était retrouvée nez à nez avec deux costauds de sa classe décidés à lui faire passer un sale quart d’heure. Vicky avait surgi de nulle part et avait assommé les deux gamins à coups de poings et de pieds bien placés. Dès lors, elles ne s’étaient plus quittées.

    — Qu’est-ce que tu fais à rêvasser ? Allez, active, on va être en retard !

    Vicky s’était retournée et agitait les bras devant le visage de Gabrielle.

    — Je ne me sens pas très bien. J’ai la nausée. Je crois que je n’aurais pas dû manger mes céréales aussi vite.

    Le teint de Gabrielle était pâle.

    Vicky s’arrêta et la regarda avec attention.

    — Si tu veux, dès qu’on arrive à l’école, tu iras à l’infirmerie.

    — Non, je n’ai pas envie de me retrouver à l’infirmerie dès la rentrée, je donnerais une mauvaise impression.

    Vicky ralentit le pas, puis prit le bras de Gabrielle.

    — Au fait, tu vas pouvoir revoir Devon.

    Un grand sourire s’était dessiné sur le visage de Vicky.

    Gabrielle ne put s’empêcher de l’imiter. Devon avait été leur grand sujet de discussion tout au long de l’année précédente. Il s’était retrouvé dans leur classe l’année dernière et Gabrielle avait le béguin pour lui. Ses deux parents étaient afro-américains, mais étaient installés en France depuis des années, bien avant la Grande Guerre, et avaient acquis la nationalité française. Devon était plutôt calme et ne parlait que lorsque nécessaire. Ce trait de caractère intimidait Gabrielle, qui n’avait, après un an, réussi à lui lancer qu’un maigre bonjour. Pourtant, à la fin de l’année, le garçon s’était approché d’elle pour lui dire qu’il espérait avoir de nouveau des cours avec elle l’année suivante. Elle avait attendu la rentrée scolaire avec impatience et ne pouvait laisser de petits maux de ventre gâcher ce moment.

    À leur arrivée, les deux filles s’engouffrèrent derrière le portail de l’école et se dirigèrent vers le bâtiment le plus près. Elles passèrent la porte d’entrée et grimpèrent quatre à quatre l’escalier situé en plein cœur de l’établissement. Arrivées au deuxième étage, elles poussèrent la porte de la salle où leur cours d’histoire allait débuter.

    Les élèves s’affairaient dans la classe. Des files serraient dans leurs bras celles qu’elles n’avaient pas vues de toutes les vacances. Des garçons criaient à l’écoute des exploits de l’un de leurs amis. Les autres, troublés par l’heure matinale à laquelle ils avaient dû se lever, somnolaient sur leur table. Vicky et Gabrielle s’assirent dans le fond de la classe, côte à côte. Gabrielle commença à scruter la salle à la recherche de visages familiers. Elle pouvait voir Nadège, l’intello exaspérée par le QI déficient de la plupart des élèves de la classe. Un peu plus loin derrière elle, cette idiote de Karine se pavanait avec des habits de marque et parlait bien fort pour que quiconque dans un périmètre d’un kilomètre puisse l’entendre se vanter d’avoir passé l’été sur un yacht. Même si c’était vrai, qui l’envierait d’avoir été en mer à se prélasser sous la brume et le temps grisâtre ?

    Gabrielle détourna son regard de Karine puis se concentra sur le coin droit de la classe. Elle l’aperçut, adossé contre le mur. Devon fixait un point, le regard perdu dans le vide. Il était toujours aussi beau, avec son teint d’ébène, son visage fin et ses cheveux coupés courts. Il avait même l’air d’être un peu plus musclé. Elle s’était demandé si ses sentiments pour Devon se dissiperaient le temps des vacances. À le voir aujourd’hui, elle eut l’impression qu’elle ressentait quelque chose d’encore plus fort. C’était quelque peu effrayant. Elle avait même la sensation que tout son corps s’enflammait.

    Alors que Gabrielle était en pleine contemplation, Devon détourna les yeux vers elle. Pourquoi fallait-il qu’il se retourne ? De quoi avait-elle l’air à le fixer ainsi ? Elle ne pouvait pas se cacher ; il l’avait déjà vue. Elle décida de la jouer comme si de rien n’était et lui sourit avant de lui envoyer un signe de la main. Il répondit par un sourire timide. À coup sûr, elle devait être rouge comme une tomate. Le claquement de la porte de la classe interrompit ses pensées. Un petit homme rachitique se plaça face aux élèves.

    — Asseyez-vous. Je suis M. Dubinot, votre professeur d’histoire.

    L’homme en complet beige s’assit au bureau. Il sortit son étui à lunettes, deux craies, qu’il plaça à l’extrémité de la table, ainsi qu’un cahier rouge et un stylo. Il commença à faire l’appel.

    — Dis donc, il n’a pas l’air commode, souffla Vicky, occupée à inspecter les pointes de ses cheveux.

    Vicky leva sa main lorsqu’il appela son nom. Les élèves, curieux de mettre un nom sur chaque visage, se retournèrent pour l’observer. Les garçons restèrent quelques secondes en émoi à regarder la jolie blonde aux cheveux longs et au sourire ravageur. Les filles de la classe la fixèrent, évaluant le niveau de compétition que Vicky représentait. Leur expression laissait sous-entendre qu’elles se trouvaient devant une adversaire coriace.

    Gabrielle, habituée aux réactions engendrées par le physique avantageux de Vicky, détourna la tête pour regarder par la fenêtre tandis que le professeur continuait à vérifier la présence de chaque élève. Elle avait vue sur les arbres qui bordent la cour de l’école. Il y en avait de tous les genres. Certains arboraient un vert vif, d’autres restaient jaunes, voire rouges, toute l’année. Des scientifiques avaient expliqué que le temps gris avait altéré les saisons. Il n’y avait plus d’été ni d’hiver, mais une sorte de printemps et d’automne toute l’année. Le vent inclinait les branches des arbres, qui s’effleuraient, bercées par le vent qui menait la danse. Les feuilles prises dans cette valse donnaient l’impression qu’elles étaient sur le point de s’envoler. Gabrielle était fascinée de voir ce spectacle auquel elle n’avait jamais porté attention auparavant. C’était comme si les feuilles communiquaient entre elles et s’émoustillaient sous le souffle rempli d’anecdotes du vent.

    Gabrielle fixait l’un des arbres avec attention. Son immobilité dans ce tourbillon de mouvements l’interpellait. Ses feuilles réagissaient à peine sous l’impulsion du vent. Un sifflement particulier provenait de l’arbre, comme s’il émettait son désaccord face aux autres et refusait de se plier au doux murmure du vent. C’était un son si spécial, presque envoûtant. Gabrielle s’attendait même à voir réagir l’arbre d’une seconde à l’autre. Mais qu’est-ce qui lui arrivait ? Voilà qu’elle essayait de communiquer avec un arbre ! Malgré tout, elle ne pouvait détacher son regard de celui-ci. Elle sentit son estomac se resserrer. La nausée la reprenait.

    — Gabrielle Lanis !

    Toute la classe s’était à présent retournée vers elle et la regardait avec curiosité. Vicky la fixait aussi.

    — Gaby, qu’est-ce que tu fous ? souffla-t-elle.

    Le sifflement de l’arbre cessa et Gabrielle se tourna vers la classe. Elle s’était levée sans s’en apercevoir. Elle était si près de la fenêtre que son nez touchait presque la vitre.

    — Il faut toujours qu’il y en ait au moins un pour faire le pitre le premier jour. Merci, Mlle Lanis, tout le monde vous a bien remarquée. Vous pouvez vous rasseoir. Tsss…

    M. Dubinot lui lança un regard de dédain par-dessus ses lunettes, puis continua l’appel.

    Certains élèves ricanèrent, alors que Gabrielle, rouge de honte, se rassit. Mais qu’est-ce qui lui avait pris ? Elle ne se souvenait même pas de s’être levée. Que lui arrivait-il ? M. Dubinot termina l’appel et commença à détailler ce qu’ils étudieraient cette année. La Grande Guerre faisait partie du curriculum. On frappa alors à la porte. Visiblement énervé d’être interrompu dès le début de son cours, dont il avait déjà perdu cinq minutes en faisant l’appel, M. Dubinot lança un oui sec et impatient vers la porte. Une petite secrétaire rondelette en robe fleurie et semelle compensée entra, suivie d’une jeune fille.

    — Désolée de vous déranger, je vous amène une nouvelle élève, Éléonore Constelle. Elle vient d’être transférée à notre école.

    Telle une meute assoiffée de chair fraîche à la vue d’une nouvelle tête, la classe entière se tut. Tous les visages scrutaient à présent la nouvelle.

    — Dans quel collège étiez-vous ? s’informa M. Dubinot.

    Il regardait la feuille de transfert que venait de lui remettre la secrétaire, qui s’effaça sur le côté afin de laisser la jeune fille répondre. Lorsqu’elle s’avança, le cliquetis de ses bottes de cow-boy retentit. De loin, elle ne paraissait pas si intéressante. Elle était plutôt mince et de petite taille. Son épaisse frange brune lui recouvrait le visage, et elle était toute de noir vêtue. Elle n’était pas laide, mais n’avait rien de particulier. Toutefois, lorsqu’elle releva le menton pour répondre, les chuchotements cessèrent au son de sa voix.

    — École du 15e, c’est écrit sur la feuille.

    La nouvelle avait répondu de manière si sereine, mais avec un tel aplomb que même M. Dubinot avait relevé le nez de son papier pour examiner la jeune fille à l’air frêle. L’échange de regards entre le professeur et la nouvelle laissa la classe stupéfaite. La jeune fille se tenait avec le genou incliné et les doigts de sa main droite agrippés à la poche arrière de son jeans. Sa posture évoquait une attitude indifférente alors que son regard pénétrant intimidait.

    M. Dubinot, déstabilisé, dut prendre quelques secondes pour retrouver son ton habituel.

    — Euhh… Bon, allez vous asseoir à la table libre au fond.

    La jeune fille avança entre les tables, ignorant les visages qui la fixaient. Lorsqu’elle arriva au niveau de Gabrielle, ses yeux s’attardèrent sur elle. Gabrielle comprit alors la réaction de Dubinot : cette fille avait quelque chose dans le regard. C’était peut-être la couleur de ses yeux qui donnait ce sentiment de malaise. Elle avait des yeux bruns aussi foncés que ceux des parents de Gabrielle, mais un filet doré se dessinait tout autour de l’iris. L’adolescente n’avait jamais vu une telle couleur. La nouvelle détacha alors son attention de Gabrielle puis s’assit à une table un peu plus en arrière.

    Le cours, ainsi que le reste de la journée, se déroula lentement. Gabrielle resta nauséeuse toute la journée, mais tenta tant bien que mal de cacher son état. Elle tenait à finir ce premier jour d’école et ne désirait pas se faire remarquer une nouvelle fois. Elle oublia aussi sa

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