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La revanche des innocents: Igisubizo
La revanche des innocents: Igisubizo
La revanche des innocents: Igisubizo
Ebook271 pages4 hours

La revanche des innocents: Igisubizo

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About this ebook

Cotonou, Bénin. Le 29 février 2004.

Chris fête son cinquième anniversaire. Il vient d’avoir vingt ans. Inscrit en première maîtrise, Il passe pour un surdoué. Il vit en bonne intelligence avec tout le monde. Mais profondément, il n’est pas heureux. Il a eu un passé terrible. Et chaque jour, il prie pour trouver la personne qui sera, pour lui, une solution, une personne en qui il investira tout son amour et toute sa confiance.
Quelques mois plus tard. Kumasi, région Ashanti, Ghana.
Par le plus pur de hasard, Chris rencontre une compatriote. Une jeune fille superbe. Igisubizo, c’est son nom. Avec elle non plus, l’histoire n’a pas été du tout tendre. Ils apprenent que leurs pères se sont battus dans des rangs opposés, pendant la guerre qui a ravagé leur pays d’origine, le Rwanda. Est-elle la solution attendue ? Si les noms sont plus que des simples labels pour des personnes humaines, peut-être : son nom, Igisubizo, signifie justement la solution...

Et si, de leur rencontre, jaillissait un nouvel espoir, et pas que pour eux seuls? vivre vraiment, après tant de souffrances et d’incertitudes, n’est-il pas une vraie revanche des vrais innocents ?
LanguageFrançais
PublisherXinXii
Release dateMar 2, 2020
ISBN9783966334402
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    La revanche des innocents - Gilbert Berwa

    Épilogue

    1. Un passé qui dépasse

    « Les nôtres ne sont pas devenus des chiffres. »

    Chris, qui lisait un ouvrage de plus sur l’hécatombe Rwandais, était profondément indigné.  Il était en désaccord avec cette manie des auteurs d’exploiter si froidement un sujet aussi triste. Il avait l’impression qu’ils se moquaient des malheurs de son peuple.

    « Les nôtres sont morts, nombreux. Trop nombreux. Mais ils ne sont pas devenus des chiffres. »

    Chris en avait vraiment mare de tous ces pseudo-historiens qui parlaient de ce drame humain en se  contentant de le décrire, avec beaucoup de talents certes, mais sans y mettre de leur cœur. Aussi professionnels et aussi sérieux  que pouvaient être leurs travaux, il en décelait leurs limites. Ces savants traitaient des gens, même morts,  uniquement comme des simples objets de leurs travaux.

    Les tueurs étaient invariablement cités, dénombrés, excusés ou condamnés. Certains considéraient des génocidaires comme des gens aux tempéraments primaires, qui auraient réagi brutalement à la mort de leur bien-aimé général-président-fondateur et père-de-la-nation. D’autres les décrivaient comme des imbéciles innocents, que les mauvais dirigeants auraient entraînés dans des massacres de leurs compatriotes, par une sorte d’hypnotisation contestable. D’autres enfin évoquaient une haine séculaire qui n’attendrait qu’à exploser, et que la suite des événements aurait déversée dans une horreur indescriptible. En fin, chacun soutenait sa thèse, avec énergie et pas mal de génie                                                                                                                                     

    Quant aux victimes, elles  étaient parfois plaintes, rarement regrettées,  presque jamais pleurées. Mais elles étaient inévitablement comptées, chacun avançant son nombre selon ses recherches, ou d’après ses estimations parfois aussi douteuses que tout son ouvrage. Inutile de préciser que chaque auteur affirmait, apparemment sûr de lui, que ses chiffres étaient certainement les plus proches de la réalité.

    Invariablement, l’auteur affirmait ou niait qu’il s’agissait d’un génocide, scindait le peuple en deux ou plusieurs parties qu’il nommait ethnies, classes sociales ou races. Chacun donnait son avis sur ce qui a dû se passer dans les têtes des gens, et ces génies essayaient de reproduire les images de ce qui s’est passé. Les résultats étaient si différents qu’un lecteur ordinaire ne pouvait que se demander si au moins l’un de ces auteurs était totalement en accord avec la vérité.

    Autre bizarrerie, les actes et gestes des tueurs et des autorités de cette époque noire étaient mieux décrits et plus longuement expliqués que ceux des victimes. Peut-être parce que ceux qui avaient survécu à ces horreurs étaient peu nombreux, et que même la plupart de ceux qui avaient survécu étaient réduits à la misère et en proie au désespoir. C’est quasi-impossible de trouver le témoignage d’un mort, et difficile d’en récolter un de celui qui croupit dans la misère ou qui ne fait plus confiance aux êtres humains. Alors ces savants préfèrent récolter les souvenirs des témoins qui restent. Ceux qui ont participé au génocide et ceux qui les ont vus faire.

    Et surtout, Chris n’aimait pas cette  tendance à diviser les protagonistes du drame en deux camps, un camp des gentils et celui des mauvais. Ce n’est pas décent de décrire les personnes humaines comme on le ferait des pions du jeu des échecs, invariablement scindés entre deux fractions inconciliables des pions blancs et des pions noirs.

    Quant aux explications données par ces savants, elles laissaient un arrière-goût amer à n’importe qui de bonne foi, surtout à une personne ayant quelque peu souffert de ce qui s’est passé. Ce qui était, malheureusement, le cas de Chris. Le génocide de 1994 avait complètement bouleversé sa vie.

    C’est paradoxal, mais j’ai l’impression que plus j’en lis, moins j’en connais !, coucha-t-il sur la page de son carnet de note.

    Chris numérotait chaque réflexion qu’il écrivait. La phrase qu’il venait de mentionner était la quatre-vingt-quatorzième. Il eut  un sourire triste sur les lèvres. 94. Un chiffre qui sonne comme une cloche de glas dans la petite tête de Chris. Ça ne peut que le rappeler l’année mille neuf cent quatre-vingt-quatorze après Jésus-Christ. Surtout son mois d’avril. Une année à marquer de rouge sur la chronologie nationale rwandaise. Un échec de l’humanité, une sorte d’apocalypse pour des millions des gens. Des jours où le mal l’a emporté sur le bien, les gens devenus des gibiers traqués, d’autres des chiens de chasse, d’autres des témoins de ce spectacle macabre.  Une période pendant laquelle des justes étaient pratiquement impuissants, et toute bonne action dangereuse pour son auteur.

    Une époque pendant laquelle une sorte de paralysie frappait la majorité de ceux qui auraient pu faire du bien. Ils étaient ankylosés par la peur, devant tant de haine. L’amour animait peu de gens. Des grands cœurs. Mais  il leur fallait être assez téméraire pour tenter de sauver quelques vies. Leurs bonnes actions les condamnaient à mort, s’ils étaient découverts.

    Quels jours, quels lieux, quels gens !

    Ça faisait un bail que Chris lisait tout ce qu’il trouvait sur sa route, pourvu que ça concerne le Rwanda. Il aimait son pays, il voulait en connaître davantage sur son histoire, sa population, sa géographie. Seulement voilà, on dirait que tous les écrivains du monde se sont ligués pour n’écrire que cette horreur qu’avait été le dernier génocide du vingtième siècle. Une histoire qu’il ne pouvait pas oublier, même si ce n’était pas l’envie qui lui avait manquée. Il avait essayé de tout oublier, de recommencer sa vie sans ces mauvais souvenirs. En vain. Alors, il avait décidé de vivre avec. Sans beaucoup plus de succès, car une grande partie de cette histoire qui le tourmentait restait mystérieuse pour lui. Il y avait trop de « pourquoi » qu’il n’osait plus espérer se répondre.

    Pourquoi est-ce que tu lis ça tout le temps? Lui demanda Paul-Aimé Sokpo, son camarade et voisin de chambre. Est-ce que si j’allais étudier à Kigali, je passerais tout mon temps en train de lire ce qui s’est passé sous le régime du regretté Papa Eyadema?

    Paul habitait dans  une même  chambre que Chris, depuis que tous les deux s’étaient rencontrés à Cotonou pour poursuivre leurs cours de maîtrise en informatique. Paul était un solide gaillard de petite taille, corpulent, assez bavard et peu travailleur. Chris était un grand mince, plutôt réservé mais assez sociable, véritable rat de bibliothèque et très travailleur en classe. Malgré ces quelques différences, les deux jeunes gens s'entendaient à merveille.

    Comme  Chris parlait aussi bien le Français que l'Anglais, il servait parfois d’interprète pour Paul, notamment auprès d’une famille de missionnaires  libériens installés depuis peu à Cotonou et qui partageaient la foi de Paul. A vrai dire, ce n’était pas vraiment pour prier que Paul y allait volontiers. C’était plutôt pour rencontrer une ou une autre des filles qui vivaient avec ces hommes de Dieu, Bella Koungbanwobougou et Kadi Ouédraogo, que Paul draguait entre autres. Du coup, Chris l’interprète causait longtemps avec les missionnaires protestants, en l’absence de Paul qui était occupé à autres choses avec la petite Bella ou avec la grosse Kadi.

    Ces sorties énervaient un peu Chris, qui demandait souvent à Paul de se mettre à l’Anglais pour se passer de ses traductions. « Une langue apprise, c’est toujours mieux. Et l’Anglais est une langue internationale, tôt ou tard tu en auras besoin», ajoutait-il, à raison. Paul s’en moquait pas mal. Les cours de la faculté, disait-il, suffisaient largement pour chauffer sa petite tête. Il avait aussi besoin du temps de sortir boire un peu, de sortir avec Bella Koungbanwobougou, Kadi Ouédraogo ou une autre de ses nombreuses copines…

    Ce fut plutôt  Paul qui, un jour, arriva à convaincre Chris d’accompagner toute la bande de garçons dans un pub, dit maquis ou plus simplement un chaud dans le parler local. Le succès qu’il obtint  auprès des jeunes filles en cette seule sortie fut tel que ses amis, Paul y compris, choisirent de ne plus le laisser s’approcher de leurs petites amies. Ces dernières n’arrêtaient de leurs demander des nouvelles du beau-grand-sérieux-jeune-homme  qui avait été avec eux, certaines poussant la hardiesse jusqu’à demander son numéro de portable. Ce que, bien entendu, les jeunes gens se gardèrent de faire.

    Depuis, ils sortaient seuls, de peur que Chris ne leur pique leurs chéries. Ils se débrouillaient pour partir à son insu, et quand ils remarquèrent qu’il n’avait pas envie de partir avec eux, ils se sentirent soulagés. Ils sortaient du campus, revenaient bien tard, de temps en temps l’un  ou l’autre se faisant accompagner de son amie du moment. A  leurs sorties, ils laissaient Chris en train de travailler ou concentré sur un livre, et à leur retour, c’était toujours pareil. Des fois, ils ironisaient sur son acharnement aux études.

    -          "Tu travailles comme si tu n’espérais pas vivre longtemps wôh!", prétendait Grégoire Milogo.

    -          "Toi là, si je bosse comme toi, Wallah je vais mourir de surmenage en moins d’un mois" prétendit Mamadou Diallo.

    -          Eh, toujours les yeux  dans les livres ou rivés sur l’écran d’ordinateur… tu penses que c’est ça la vie toi? Il faut sortir, danser, avoir une copine, profiter de sa jeunesse. Lui conseillait Alphonse Tiendrebéogo, apparemment de bonne foi.

    Chris ne répondait jamais à ces critiques, se contentant de sourire. Il sourit même quand Alphonse avança que c’est à cause du temps passé devant les écrans que ses yeux étaient « gâtés » et qu’il portait des lunettes. Selon lui, il devait arrêter sinon ses yeux allaient pourrir. Un sourire, et la vie continue.

    Que pouvait-il dire? Il était un Béninois, étranger, le plus jeune de sa promotion. Il était là pour étudier et rien que pour étudier. Il n’avait pas vraiment choisi d’y venir, mais il aimait bien ce pays, petit comme le sien. Il aimait son peuple accueillant, son apparente cohésion malgré une grande diversité d’ethnies, de langues et de cultures. Quant à l’océan et à la plage, il y allait parfois pour nager et se relaxer.

    Je finirai par croire que par chez nous, on est vraiment bête. Chris avait osé penser  ainsi un jour. Il n’arrivait pas à s’expliquer comment ses compatriotes en étaient venus à s'entretuer, et pire avec tant de cruauté. Eux qui parlent une même langue, partagent une même culture et vivent souvent un même quotidien. Ceux qui décident d'éliminer leurs semblables, sont-ils vraiment sains d’esprit? Aux spécialistes de santé mentale de trancher. Chris était contre la guerre, sous toutes ses formes. Il trouvait que l’assassinat d’un être humain par un autre être humain est une aberration qu’aucune théorie ne peut expliquer. En aucun cas, un assassinat ne peut être excusé. Ce qui s’est passé peut être compris, difficilement, un peu comme on comprend des maladies et autres maux pour les combattre plus efficacement. Malheureusement, derrière des assassinats, il y a des assassins. Et eux, ce sont des gens. Des hommes, qui restent en vie après leurs forfaits. C’est horrifiant de penser qu’un homme peut donner la mort, et pire, avoir assez de culot pour justifier son acte. Le monde est un endroit dangereux. « Les hommes, c’est l’une des pires espèces animales qui vivent  dans notre monde».

    Chris eut l’impression que cette conclusion apparemment illogique était venue toute seule dans sa pauvre tête. Il s’en mordit les lèvres, honteux comme si quelqu’un aurait pu lire cette réflexion pessimiste dans ses pensées.  C’est qu’il se rendait  compte qu’il se mettait à penser comme les auteurs des livres qu’il critiquait auparavant: ceux qui s’attaquent aux causes et aux conséquences, ceux qui s'intéressent aux actes mais ne voient pas que ceux qui sont ainsi étudiés sont des gens comme eux. Ceux qui se demandent pourquoi et comment, sans voir le qui. Ceux qui se mettent en marge, qui se font omniscient et donnent des avis, condamnent et décorent des personnages historiques ou créés de toutes pièces.

    Comment ne pas se méfier de ceux qui se font passer pour irréprochables, sans jamais mettre en doute leur bonne foi et leur intégrité ? Chris se rappelait des paroles d’une sœur qui lui avait enseigné la religion aux premières années de l’école primaire : «  Quand on donne son avis, il ne suffit pas de blâmer ou de féliciter. C'est trop facile. Il faut faire un effort, se poser la question tant redoutée : et moi dans toute cette histoire ? À la place d’un tel ou un tel autre, dans sa situation, qu’est-ce que j’aurai fait, moi ?»

    De l’avis de Chris, certains auteurs ne semblent pas s’embarrasser de telles considérations. Confortablement assis dans leur bureau, ils osent traiter les gens de braves ou de poltrons, crient haro sur un tel, déclarent héros  tel autre. Ils mettent la honte sur un, justifient la gloire d’un autre. Leurs pouvoirs sur leurs personnages sont illimités. Quand il s’agit des personnes qui ont bel et bien existé, pensa Chris, cela devient indécent.

    Chris aurait aimé voir les auteurs et les soi-disant spécialistes sur terrain, en train de vivre les faits qu’ils décrivent. Sans signe distinctifs, totalement et réellement dans la peau de leurs personnages. Leurs partis-pris seraient alors moins agaçants, plus justifiés.  Mais lui, Chris, avait vécu cette  histoire qu’il achetait cher dans des librairies. Au fond, c’était souvent une même histoire, seulement vues des angles différentes et par des yeux différents. Chaque livre constituait une facette de cette histoire toujours aussi incomplète, souvent mal ou partiellement comprise. Parce que c’est une histoire des gens, et il fallait que quelqu’un parle des gens comme on parle à propos des gens, et non comme s’il s’agissait uniquement des objets de son travail.

    Des personnes humaines ont été lâchement assassinées. Dans une proportion injuste. Le problème n’est pas tellement leur nombre exact, car même un seul innocent qui meurt est un mort de trop. Et là ce fut des centaines de milliers de familles décimées. Pourquoi et comment cela des gens comme vous et moi ont-ils pu en arriver là? Qui étaient vraiment les victimes, et qui étaient réellement leurs bourreaux? Pourquoi ceux-ci ont tué, pourquoi ceux-là sont-ils morts ? Le fait que dans plusieurs endroits les gens ont été massacrés sans opposer une résistance, pas même faible, est inquiétant. Le fait que certains tueurs ont sauvagement assassiné des gens juste parce que leurs cartes d’identités n’étaient pas les bonnes est troublant. Le fait que les traits et la taille condamnaient certains à mort est trop injuste. Le fait que les enfants, souvent des enfants inconnus n’ont pas été épargnés est  bouleversant. Les petits  ont été lâchement assassinés, victimes de la haine des aînés. Révoltant.

    Non. Les victimes du génocide ne sont pas devenues des chiffres. Il ne faut pas les réduire aux nombres. C’est vil, c’est inhumain. Le nombre peut impressionner certes, voire horrifier, mais il est un peu vide. Derrière les statistiques se cachent des personnes qui ont vécu. Des gens qui avaient des projets, des rêves, des joies et des peines. Des peurs aussi. Des gens qui sont morts, parce que certains, prétendus leaders, en avaient décidé ainsi. Et parce que les autres les ont écoutés et ont été assez ignominieux pour mettre leurs ordres en exécution. Et parce que d’autres n’ont rien fait, ou les ont laissé faire. Des gens avaient leurs vies, leurs consciences. Puis les autres les ont tués.

    Que dire des bourreaux ? , se demanda Chris. Ils avaient des sentiments, eux aussi. Peut-on dire qu’ils étaient humains ? Ou qu’ils n’étaient pas humains ? Qu’étaient-ils avant, pendant et après leurs crimes ? Peu de personnes s’expliqueraient comment un tranquille paysan peut se muer en assassin. Pourquoi peut-il éliminer son voisin, qui partageait le même quotidien, les mêmes aspirations et les mêmes inquiétudes? Difficile à comprendre. Comment quelqu’un peut éliminer son collègue de travail et ami de longue date, quelqu’un qui le considérait à tort comme son meilleur  ami ? Non, les ethnies n’expliquent pas tout. La haine, la jalousie… et quand c’est un des époux qui élimine son conjoint d’un coup de machette ? Cela dépasse l’entendement. Est-ce vrai que tous les hommes sont capables des pires méchancetés ?

    Chris gardait la question posée.

    Si oui, le monde devient une sorte d'arène terrible. Les hommes sont pires que les animaux les plus féroces. Les animaux ne s’attaquent pas à leurs semblables, eux. Ils ne tuent pas parce qu’ils haïssent, mais parce qu’ils se défendent ou parce qu’ils veulent manger leurs proies. Alors que certains hommes n’aiment pas. Ils s’aiment, eux-mêmes. Comment savoir ceux qui aiment les autres? Difficile. N’importe qui peut faire du mal à n’importe qui, n’ importe où et n’importe quand. Peut-être certains ont même envie de faire du mal, c'est seulement l’occasion qui leur manque. Il suffirait donc d’un détonateur et… si seulement cette vision des choses  était erronée. Et pourtant, l’histoire regorge des exemples de méchanceté que les humains ne cessent d’imaginer, de barbarie que certains rénovent ou plutôt empirassent des années après  des années. Ce n’est pas ce qui devait arriver qui arrive, c’est ce qui pouvait advenir que des mauvaises gens favorisent ou même attirent.

    Était-ce ainsi que l’on pouvait expliquer ce qui s’était passé au Rwanda ? Trop simpliste, à l’avis de Chris. Même si il ne comprenait pas pourquoi et comment cela avait été possible. Chris refusait, tout simplement, de concevoir un monde où tout est basé sur la peur, la haine et la suspicion. Le Rwanda n’était pas comme ça. Ses compatriotes n’étaient pas animés par la haine, pas tous. Ses parents étaient les gens les plus aimants qu’il avait jamais connus. C’est grâce à l’amour, à celui de ses parents  et à celui de biens d’autres que le petit Chris était devenu ce Chris assis au bord d’un lit simple, à Cotonou. 

    Oui, l’amour existe. Chris ne savait plus que penser. Il lui avait fallu beaucoup de travail pour ne plus réduire son pays natal aux mauvais souvenirs et au danger potentiel. D’ailleurs, le danger humain était partout. Dans tous les coins du monde, les humains font partie d’une des  très rares espèces dont les membres s’entretuent pour des différents intérêts. Mais  Chris n’avait point peur des gens. Il savait qu’il finira par mourir, tôt ou tard. Il n’en avait pas peur, il était né et quand un être vivant est déjà né, il s’achemine vers sa mort. Lentement peut-être, mais sûrement. Végétaux, bêtes et humains, aucun être vivant n’y échappe. C’est une question de temps.  La façon dont on va mourir, ce ne sont que des détails.

    Mais qu’un homme puisse décider de mettre fin aux jours d’un autre, cela devrait révolter le plus cynique des hommes. De quel droit? Malheureusement, il devait le reconnaître, le monde semble s’habituer à cette anomalie. Les meurtres, les assassinats et même les guerres sont, pour certains, devenus des mots parmi tant d’autres. Et qui font le quotidien des humains. Ça explose à la télévision, ça bombarde à la radio, du sang coule sur internet, des cadavres ornent les premières pages des journaux. Et les gens appellent cela « «actualité », ils échangent leur avis dessus en dégustant leur tasse de café.

    Au mot génocide, certains ne sont pas plus émus que s’ils entendaient parler d’un vaste abattage de bétail. Les plus savants en dénombrent quelques-uns, des juifs, cambodgiens, des tutsi etc. mais rares sont ceux qui comprennent ce qu’est vraiment cette horreur: un groupe des gens qui décide que tout un peuple doit disparaître de la face du monde. C’est déjà trop monstrueux d’avoir un tel souhait, mais de là à le décider, puis en concevoir un plan, de se doter des moyens et surtout en arriver à l'exécuter… certains humains sont plus méchants que le Diable, accusé souvent à tort d’être le responsable de bien des maux. Si seulement ces méchants et les gentils ne présentaient pas les mêmes traits physiques, si seulement un signe distinctif se dessinait sur le front de toute personne ayant des mauvaises intentions. Si seulement quelqu’un qui fait du mal était remarqué à l’œil nu. Si au moins tous les mauvais se reconnaissaient  comme tel, au lieu d’essayer de se faire passer pour des honnêtes personnes. Si seulement… Malheureusement, il n'en est pas ainsi dans la vie.

    Quand on a vécu l’indicible, le passé dépasse parfois tout ce que l’on peut assumer. Mais à quoi bon le mettre devant soi, jusqu’à ce qu’il devienne un obstacle qui empêche d’avancer? Il fait de nous qui nous sommes, car l’histoire n’est pas un facteur que nous avons. Notre histoire nous détermine, chaque période vécue construit ou détruit quelque chose aussi bien dans notre corps que dans notre esprit.

    Un instant, Chris se souvint d’une fille avec qui il avait voyagé en avion. Une belle face, avec un sourire ravissant, un regard charmant et une présence d’esprit incroyable. Et un corps de rêve avec ça. Une femme à l’air intelligente et qui inspirait confiance. Tout en causant, Chris avait feuilleté son passeport. Son nom lui avait paru familier. Uwera Pacifique. Une petite photo était entre les pages du passeport. Elle glissa et tomba sur le siège. Chris se baissa pour la ramasser.

    C’est alors qu’elle vit des prothèses dont la jeune fille se servait pour tenir debout. La belle Uwera n’avait pas de pieds. Ses jambes avaient été coupées. Probablement pas par un chirurgien, mais par un méchant homme. Quelqu’un qui espérait que la mort allait s’en suivre. Non, elle n’était pas morte. Les militaires du F.P.R., alors rebelles, l’avaient ramassée parmi les cadavres. Elle agonisait, mais n’était pas encore morte. Amenée chez le médecin militaire, elle avait été sauvée contre toute attente.

    C’est avant sa guérison  qu’Uwera avait su qu’elle était enceinte.  De l’homme qui lui avait coupé les pieds. Celui-ci avait commencé par la profaner. Il l’avait violée là, dehors, à la lumière du soleil. Quatorze ans, deux

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