Les Soeurs Deblois, tome 1: Charlotte
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À propos de ce livre électronique
Cette magnifique saga, qui s’amorce dans les années vingt, a pour cadre une famille québécoise dont la mère hypocondriaque sombre inéluctablement dans les abîmes de l’alcoolisme et de la dépression aux côtés d’un mari qui refuse de voir la vérité.
Charlotte a quatre ans. Aînée de famille avec une mère presque toujours malade, elle doit, pour ses petites sœurs, être l’exemple à suivre. Charlotte, si responsable, autonome et compréhensive! Petite fille vive et intelligente, elle prend vite conscience de l’étrangeté du comportement de sa mère qui, malheureusement, en vient à être un réel danger pour ses proches. En perpétuelle quête d’amour et d’affection, Charlotte portera un regard passionné, colérique et désabusé sur sa famille et sur cette mère qui l’étouffent. Réussira-t-elle à s’extirper de ce climat malsain? Son père saura-t-il les protéger, ses sœurs et elle?
Une série bouleversante, criante de vérité, qui expose une réalité trop souvent tue, niée et incomprise. Une réalité plus répandue qu’on voudrait le croire…
Le talent de conteuse de Louise Tremblay d’Essiambre se confirme depuis la parution de son tout premier roman, il y a plus de 35 ans. Mère de neuf enfants, peintre et écrivaine prolifique, elle domine les palmarès des meilleures ventes québécoises avec d’inoubliables séries.
Louise Tremblay d'Essiambre
La réputation de Louise Tremblay-D'Essiambre n'est plus à faire. Auteure de plus d'une vingtaine d'ouvrages et mère de neuf enfants, elle est certainement l'une des auteures les plus prolifiques du Québec. Finaliste au Grand Prix littéraire Archambault en 2005, invitée d'honneur au Salon du livre de Montréal en novembre 2005, elle partage savamment son temps entre ses enfants, l'écriture et la peinture, une nouvelle passion qui lui a permis d'illustrer plusieurs de ses romans. Son style intense et sensible, sa polyvalence, sa grande curiosité et son amour du monde qui l'entoure font d'elle l'auteure préférée d'un nombre sans cesse croissant de lecteurs. Sa dernière série, MÉMOIRES D'UN QUARTIER a été finaliste au Grand Prix du Public La Presse / Salon du livre de Montréal 2010. Elle a aussi été Lauréate du Gala du Griffon d'or 2009 -catégorie Artiste par excellence-adulte et finaliste pour le Grand prix Desjardins de la Culture de Lanaudière 2009.
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Avis sur Les Soeurs Deblois, tome 1
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Aperçu du livre
Les Soeurs Deblois, tome 1 - Louise Tremblay d'Essiambre
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Première partie
Montréal, printemps-été 1928
Chapitre 1
— Ça y est, j’ai réussi !
Entrant d’un pas de parade dans la cuisine, Blanche posa bruyamment le document sur la table avec un sourire triomphant, ce qui, dans son visage anguleux et pointu, était bruyant à sa façon.
Tout, chez Blanche, était sonore les jours de grande forme.
Talon martelant les planchers de bois verni, voix haute et nasillarde s’infiltrant dans les moindres recoins d’une maison plutôt vaste, geste cassant et malhabile par manque d’habitude, Blanche envahissait l’espace dès qu’elle n’était pas à soigner quelque migraine ou un malencontreux problème de digestion dans la pénombre de sa chambre.
Raymond Deblois leva les yeux au ciel, agacé, réprimant un soupir d’impatience, lui plutôt avare de démonstrations et de mots, l’austérité de sa nature s’ajustant fort bien à la sévérité de ses traits, et repoussant le journal qu’il était à lire avant l’arrivée de sa femme, il fit semblant de s’intéresser à la chose.
— Réussi quoi ? Et qu’est-ce que c’est que ce papier ?
Le soupir de Blanche souleva le léger corsage et balaya la cuisine.
— Tu n’écoutes jamais quand je parle !
Cette fois, ce fut un sourire narquois que Raymond Deblois retint à grand-peine. Rompu aux diverses lamentations de Blanche, il ne portait parfois qu’une attention superficielle à ses propos. Non qu’il ne l’aimât pas, ce serait mentir que d’oser le croire, mais avec le temps il avait compris certaines choses, en avait accepté d’autres et se contentait de soupirer devant celles qu’il jugeait inacceptables. Mais puisque cette fois-ci, un document semblait étayer le fond de l’histoire, il replia soigneusement le quotidien, le rangea contre l’assiette du déjeuner et avec une curiosité sincère demanda :
— Je le répète : qu’est-ce que ce papier ? Et d’où viens-tu de si bon matin ?
Que Blanche soit déjà debout à une heure aussi matinale était en soi un exploit, mais qu’en plus, elle ait fait une toilette soignée tenait du prodige.
— Je viens du couvent. Je savais qu’à cette heure, la directrice ne se douterait pas que c’était encore moi. J’ai enfin réussi à lui arracher son consentement !
Et de brandir une liasse de feuillets comme un étendard victorieux.
— Ainsi Charlotte pourra commencer l’école dès septembre prochain. Tu ne te rappelles pas ? Nous en avions discuté.
Oui, Raymond s’en souvenait fort bien. D’autant plus qu’il n’était pas d’accord avec l’idée. Charlotte n’avait que quatre ans, bon sang ! Pourquoi cet empressement à vouloir l’éloigner de la maison ? Mais comme dans le vocabulaire de Blanche, le terme discussion englobait une notion de jeûne absolu quand elle n’obtenait pas ce qu’elle voulait, Raymond se rappelait aussi qu’il n’avait opposé qu’une tiède résistance, espérant qu’il ne s’agissait que d’une lubie passagère qui serait reléguée aux oubliettes dès la prochaine migraine en préparation. Mais il semblait bien que ce ne serait pas le cas. Blanche avait l’obstination tenace, à défaut d’une santé florissante, et elle en usait aussi libéralement que de ses migraines récurrentes ou de ses embarras gastriques répétitifs.
— Ainsi j’aurai plus de temps à consacrer à Émilie, qui me semble de bien faible constitution. De toute façon, Charlotte est mature pour son âge. Elle est prête à faire le grand saut, analysa Blanche sur un fond bruyant de casseroles malmenées. Je crois que je vais faire de la crème de blé pour Émilie. Elle me semblait un peu pâlotte hier soir. Elle doit couver une indigestion.
Et sans plus, Blanche ouvrit l’armoire pour sortir la tasse à mesurer et ensuite la glacière pour en retirer la pinte de lait.
Raymond, lui, se contenta de déplier à nouveau le journal. Il n’avait aucune envie d’entamer une discussion stérile qui ne conduirait probablement qu’à une migraine spontanée ou à une subite attaque de coliques. « Tu vois, j’avais raison. Émilie couve sûrement quelque chose, j’ai mal au ventre moi aussi. » La discussion serait avortée, ses arguments, d’aucun secours, et comme trop souvent hélas, il se verrait obligé de faire manger lui-même les filles avant de quitter la maison en catastrophe pour ne pas être trop en retard à son étude. Et si son épouse jugeait que sa dignité de mère avait été bafouée, il aurait peut-être même à courir chez la voisine pour lui demander de s’occuper des petites, le temps que Blanche se remette de son indisposition. La chose ne serait pas nouvelle. Deux rendez-vous d’importance dans la matinée suffirent donc à ramener son attention sur l’article qu’il lisait avec intérêt quelques instants plus tôt. Ce matin, il n’avait ni la disponibilité ni l’envie de se prêter à une parodie de discussion. Il laisserait venir, il avait le temps pour lui, on n’était qu’en mai et l’école recommencerait en septembre. Au besoin, il imposerait ses vues, ce qui ne serait pas nouveau. Tant pis pour les inévitables migraines qui s’ensuivraient, ou le jeûne soutenu qui soulignerait la mésentente, le bien-être de ses deux filles avait la priorité. Il quitta la maison à l’instant où celles-ci commençaient à s’agiter dans leur chambre, réclamant leurs parents à grand renfort de cris et de rires. La voix enjouée de Blanche qui leur demandait un peu de patience le poursuivit jusqu’au trottoir. Le temps de se dire qu’il devrait en être ainsi tous les jours, que ce serait normal, et il passa aux rendez-vous qui l’attendaient. Deux successions particulièrement délicates étaient au programme ce matin, et il se faisait un point d’honneur de satisfaire tous ses clients.
En ce domaine, il était seul maître à bord et il connaissait la satisfaction du devoir accompli.
Raymond Deblois et Blanche Gagnon s’étaient connus par le biais d’amis communs. Un pique-nique sur le bord du lac des Deux-Montagnes, par une belle journée d’été, réunissait une bande de copains, pour la plupart des universitaires, venus de milieux cossus, le seul qu’ils connaissaient. Les filles étaient des sœurs ou des cousines, il y avait quelques amies d’enfance et, fait plutôt rare en ces années, deux d’entre elles étaient des pairs : Muriel et Gilberte faisaient leur médecine. Quant à Antoinette, une autre nouvelle dans le cercle des amis, elle était secrétaire à la faculté de droit et adjointe d’un des professeurs. C’était d’ailleurs Raymond qui avait invité cette dernière à se joindre au groupe. La jeune fille avait un sourire charmant et une tête bien faite. Quelques heures de discussion en sa compagnie avaient permis à Raymond de constater que sa réputation n’était pas surfaite : Antoinette, malgré ses origines modestes, était à n’en pas douter une jeune femme exceptionnelle. Dotée d’un sens de l’humour plein de finesse, dotée d’une mémoire remarquable et d’une aptitude particulière pour l’analyse, Antoinette plaisait grandement à l’esprit cartésien de Raymond. Son sourire éclatant, ses boucles tirant sur le cuivré et ses longues jambes fines s’occupaient aisément du reste de la personnalité du jeune homme. La journée s’annonçait donc prometteuse.
D’autant plus que la présence d’une vague cousine de l’amie de la sœur de Jean-Charles, son plus fidèle compagnon depuis l’enfance, laissait entrevoir une rencontre imprévue.
Assise sous les arbres, légèrement en retrait de la troupe bruyante, Blanche sirotait une citronnade.
Présentée par Jean-Charles qui répondait ainsi à une demande curieuse de Raymond, Blanche Gagnon offrit un sourire qui n’avait rien à envier à celui d’Antoinette. La délicatesse de sa constitution avait de quoi surprendre mais, habilement déguisée sous une robe de prix, cette maigreur pouvait s’appeler élégance, et la fermeté de sa poignée de main laissait présager une belle force de caractère. Raymond afficha un visage avenant.
Quand il lui proposa une promenade sur l’eau, la réponse alanguie de Blanche eut paradoxalement un effet stimulant sur l’esprit du jeune homme.
— Ma peau ne tolère pas le soleil.
Cette coquetterie, si c’en était une, eut l’heur de plaire à Raymond, qui avouait sans embarras une attirance marquée pour les rousses au teint nacré. Quelques éclats rougeoyants, savamment orchestrés par un soleil coquin qui se faufilait entre les feuilles bruissantes du gros chêne, achevèrent l’ouvrage. Approchant une chaise, Raymond proposa à la jolie dame de partager quelques moments de sa retraite, les qualités évidentes d’Antoinette venant de chuter au deuxième rang. De toute façon, la gentille amie était à disputer un match de tennis enflammé, à cent lieues des états d’âme de Raymond. Ils passèrent donc tous deux une excellente journée, Raymond prenant plaisir à partager des souvenirs de voyage avec Blanche et Antoinette s’en donnant à cœur joie dans des activités sportives qu’elle n’avait ni les moyens ni le temps de pratiquer assidûment.
Le soir venu, au moment où Antoinette vint rejoindre le couple qui discutait joyeusement littérature afin de demander à Raymond de bien vouloir la raccompagner, les sourcils de Blanche ébauchèrent un léger froncement. L’empressement avec lequel Raymond répondit à la demande de cette grande blonde accentua le mouvement. Il semblait bien évident qu’il y avait un lien particulier entre le beau garçon qui l’avait si gentiment divertie tout au long de la journée et cette belle jeune femme. Le cœur de Blanche eut un battement douloureux. Antoinette était vraiment une très jolie jeune femme. Comment pourrait-elle rivaliser avec cette jeunesse éclatante, débordante de vitalité, elle qui avait hérité d’une santé fragile ? Une tristesse sincère traversa son regard, donnant à la délicatesse de ses traits une fragilité qui avait de quoi émouvoir un homme comme Raymond. Sous des apparences sévères, le jeune homme cachait un cœur tendre, qu’une éducation au sein d’une famille de filles (il avait cinq sœurs dont il était le cadet) avait façonné en ce sens. Veuve de son état depuis maintenant quinze ans, la mère de Raymond avait élevé son fils selon la conception qu’elle avait d’un homme supérieur. La prévenance, la galanterie, la délicatesse envers les dames étaient donc pour lui dans la normalité des choses. Et Blanche appelait incontestablement la protection.
Puis une nouvelle année universitaire commença et dès lors, il y eut un réel combat dans l’âme de Raymond.
Le jour, il assistait à ses cours, étudiait comme un forcené et partageait certains moments avec une femme qui le stimulait. Antoinette faisait appel à cette intelligence vive qui ouvre les horizons.
Le soir, il prenait des nouvelles de Blanche qui, à l’école de la bourgeoisie, peaufinait ses qualités de future maîtresse de maison, entre une grippe imprévue et un mal de gorge sournois. Néanmoins, elle interpellait tout ce qu’il y avait de doux et de tendre en lui.
Antoinette l’obligeait à se dépasser, parlant de cet avenir professionnel qui approchait à grands pas, discutant notariat et étude de prestige, et encourageait ce côté sportif qu’il avait toujours entretenu.
Blanche le ramenait à une dimension plus intime, parlant rêves et espérances d’avoir un jour une belle famille.
Les deux jeunes femmes fourbissaient leurs armes à même les émotions et les ambitions du jeune homme qui en était tout étourdi.
Une brève mais fulgurante maladie de Blanche précipita la décision de Raymond. Savoir la toute frêle Blanche hospitalisée lui fut brusquement mais irrémédiablement insupportable. Ce devait être là le signe qu’il attendait. Il lui semblait que la nature indolente de Blanche cadrait mieux avec son tempérament posé, alors qu’il arrivait parfois que le caractère explosif de la belle Antoinette le laisse perplexe. Sa présence auprès de Blanche se fit donc plus officielle.
Un an de fréquentations selon les usages, sous l’œil attendri des familles, permit de se mieux connaître. Un an où la fragilité congénitale de Blanche sembla prendre une sérieuse tangente vers la santé, ce qui était du meilleur augure aux yeux de Raymond. Un an où monsieur Gagnon, le père de Blanche, homme d’affaires intransigeant et prospère, jaugea le jeune homme et finalement, lui assura une clientèle assidue dès l’ouverture de son étude, projet qui devait se concrétiser dans les prochains mois. Cela acheva de convaincre Raymond : Blanche lui était destinée. Il fit sa demande en grande pompe, comme le voulait la coutume établie.
Pendant tout ce temps, dans l’ombre des dossiers à préparer, des recherches à exécuter et des parties de tennis, une jeune femme espérait toujours. Malgré l’assiduité de Raymond auprès de Blanche, Antoinette, de son côté, avait gardé l’espoir d’un éventuel revirement de situation. Raymond ne voyait-il pas que Blanche risquait d’être une compagne à problèmes ? Combien de fois avait-il dû remettre un rendez-vous d’étude ou reconduire une invitation parce que Blanche était dans une journée d’indisposition ? Il avait beau dire que Blanche avait bien meilleure mine, Antoinette était sceptique et se disait qu’il finirait par se lasser.
C’était sans compter le charme sans cesse renouvelé d’un sourire timide sous une cascade de boucles fauves.
Devant les événements qui se précisaient, un article à la chronique mondaine d’un quotidien annonçant les prochaines fiançailles de mademoiselle Blanche Gagnon, fille de l’homme d’affaires bien connu Ernest Gagnon, au jeune avoué Me Raymond Deblois, fils de Joachim Deblois, aujourd’hui décédé, la jeune femme dut admettre sa défaite auprès du beau Raymond. Elle s’était donc faite de plus en plus discrète, cherchant ainsi à mettre le plus de distance possible entre elle et Raymond.
Elle se disait qu’un cœur blessé ne saigne pas toute une vie et que le sien finirait par guérir tôt ou tard.
Antoinette Larue était, de par sa nature, l’incarnation du dicton qui affirme qu’un esprit sain vit dans un corps sain.
De bonne amie, Antoinette passa donc au rang de secrétaire de faculté et quelques semaines plus tard, changea de nouveau de statut pour n’être plus qu’une connaissance que Raymond croisait parfois dans les couloirs de la faculté quand il avait à y retourner pour consulter quelque maître à penser.
Les années d’étude étant enfin derrière lui, Raymond n’avait d’yeux que pour sa Blanche et d’énergie que pour le bureau qui prenait forme à travers les préparatifs d’une célébration nuptiale d’envergure.
Et par un beau matin de mai, les tourtereaux convolèrent enfin en justes noces. Un voyage d’amoureux à Paris devait concrétiser cette union. Cette escapade était généreusement offerte par monsieur Gagnon qui n’avait jamais espéré si beau mariage pour sa petite Blanche, sa fille unique après deux garçons, son bijou, sa perle, qui malheureusement et tout comme sa mère, était de fragile constitution depuis la naissance et de ce fait, à son avis, condamnée au célibat. Facilement irritable lui-même, de la gorge comme de l’estomac, monsieur Gagnon admettait sans effort que la maladie était congénitale dans leur famille, même ses fils avaient tendance à avoir des migraines et étaient affligés de poumons fragiles qui s’enflammaient au moindre vent frisquet. Alors de voir ainsi sa petite Blanche épouser un tel parti comblait ses espérances les plus osées. C’était pourquoi il avait délié les cordons d’une bourse qu’il gardait généralement bien à l’abri des dépenses inutiles et avait offert ce voyage d’amoureux avec une prodigalité inattendue.
D’amoureux, le voyage n’eut que le nom.
Il fut en réalité une douche froide sur la passion dévorante de Raymond, car Blanche s’avéra d’une pudeur maladive dans l’intimité. Mal préparée par une mère puritaine, Blanche s’en était remise aux quelques lectures de livres à l’Index pour se dire à la fine pointe des connaissances en matière de sexualité. Deux semaines de douleurs et d’expériences désastreuses transformèrent l’espoir d’un quelconque plaisir délicieux en une notion de devoir désagréable.
Sans nul doute, Lady Chatterley n’était que de la pure fiction, sortie tout droit de l’esprit pervers d’un homme.
Dès leur retour, les migraines recommencèrent avec une régularité désespérante, et plutôt que d’avoir l’impression d’être un goujat, Raymond mit une muselière à ses désirs brûlants et prit l’habitude d’attendre que Blanche lui fasse signe, une fois ou deux par mois semblant être tout à fait raisonnable pour la nature plutôt fraîche de la belle dame.
Autrement, la vie en commun était agréable, Blanche s’affirmant comme une femme curieuse de tout, grande assidue des lectures en tous genres, capable d’échanges verbaux pleins de verve, excellente cuisinière et femme d’intérieur sans reproche. Bien sûr, les fréquents maux de tête, les embarras gastriques et les crampes de diverses natures mettaient un bémol à ce quotidien confortable, mais Blanche n’ayant jamais caché les faiblesses de sa constitution, Raymond n’avait qu’à s’en accommoder. Ce qu’il fit de bon cœur.
Et sa générosité fut récompensée. Quelques années plus tard, Blanche apprenait qu’elle attendait un bébé.
Les réactions furent aussi diverses qu’intenses.
Raymond sauta de joie, redevenu, subitement et irrévocablement, amoureux fou de son épouse.
Monsieur Gagnon se tordit les mains d’inquiétude. Sa fragile petite fille allait-elle survivre ?
Madame Gagnon poussa un gémissement plaintif : « Oh ! Ma pauvre petite. »
Quant à madame Deblois mère, tout heureuse d’être de nouveau grand-mère, elle offrit un