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Le Gonmina
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Livre électronique330 pages5 heures

Le Gonmina

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À propos de ce livre électronique

Quelle histoire ! Rêvant de voir sa prose consacrée par le prestigieux prix Gonmina, Antoine part à la rencontre de ses amis et de ses voisins, de son quartier, Montmartre, et de sa ville, Paris. Il songe très vite qu'il pourrait bien en faire tout un roman.

Pendant que l'effervescence de son petit monde le ramène à la réalité, la coulisse des prix littéraires s'agite.

Inspiré par l'amitié, Antoine va écrire pour gagner le prix, mais il n'est pas au bout de ses surprises…

LangueFrançais
Date de sortie29 déc. 2020
ISBN9781393762911
Le Gonmina
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Auteur

Didier Voyenne

Après ses diplômes à l’ESSEC et au CNAM, où il a enseigné depuis en parallèle, Didier Voyenne a exercé une vie professionnelle intense dans diverses entreprises industrielles ou de services, dans les domaines comptables et financiers. Il a également co-écrit sur cette matière des ouvrages techniques. Pendant plus de vingt ans, il a pratiqué les échecs en compétition. Cependant, le théâtre, le cinéma et la littérature sont ses centres d’intérêts personnels, et l’écriture son envie profonde. Il a écrit trois romans et deux pièces de théâtre.

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    Aperçu du livre

    Le Gonmina - Didier Voyenne

    Le Gonmina

    ––––––––

    Roman

    AlterPublishing

    Photo de couverture :

    Toute reproduction interdite

    Photo de 4ème de couverture :

    Toute reproduction interdite

    Photo de Jean-Marc Pettina

    © Éditons Thélès, 2011 – 1ère édition

    ISBN : 978-2-303-00351-3

    © AlterPublishing, 2020 – 2ème édition

    ISBN : 979-8-584-91660-2

    La biographie de Didier Voyenne

    Didier Voyenne est né en 1956 à Compiègne au sein d’une famille de quatre enfants dont il est le dernier. Il habite aujourd’hui la Région Parisienne mais le midi de la France, où il a passé son enfance et son adolescence, et l’île de La Réunion, patrie de son épouse, sont aussi des lieux qu’il aime à fréquenter. Il est marié, père de trois fils et beau-père de deux filles, mais aussi grand-père trois fois.

    Après trois ans passés au Lycée Militaire d’Aix-en-Provence où il obtient son bac, il suit une année de classe préparatoire à HEC au Lycée Louis-Le-Grand à Paris puis intègre l’ESSEC à Cergy-Pontoise. Il suivra plus tard des études au Conservatoire National des Arts et Métiers où il obtiendra un Master 2 en Stratégie et Expertise Financières.

    Pendant plus de vingt ans, il a pratiqué les échecs en compétition. Il aime la marche, le ski alpin et la randonnée en forêt ou en montagne ainsi que les sorties ou voyages itinérants en VTT.

    Il mène une vie professionnelle intense exercée dans diverses entreprises industrielles ou de services dans les domaines comptables et financiers. La finance d’entreprise, dont il connaît toutes les techniques et toutes les facettes, est le métier de Didier Voyenne. Il l’a enseigné pendant de nombreuses années à l’ESSEC et intervient aujourd’hui au Conservatoire National des Arts et Métiers. Il a également co-écrit sur cette matière des ouvrages techniques tels que La Nouvelle Trésorerie d’Entreprise (Dunod), Le Credit Management en pratique (Les Éditions d’Organisation), Le Besoin en Fonds de Roulement, Le Crédit Inter-entreprises et La Finance Participative au service des entreprises (Economica/Collection AFTE) ou participé à un ouvrage collectif Finance et Contrôle au quotidien (Dunod).

    Cependant, le théâtre, le cinéma et la littérature sont ses centres d’intérêts personnels, et l’écriture son envie profonde. Il a écrit trois romans publiés chez AlterPublishing : Le Palindrome, Le Talent de Vincent et Le Gonmina. Il a aussi écrit Têtes en l’hair et L’anachorète parisien, deux pièces de théâtre publiées également chez AlterPublishing.

    Au-delà de son amour des mots et des arts, que ce soit la peinture, la sculpture et la littérature, il y exprime un romantisme moderne et un goût prononcé pour ses personnages qu’il fait évoluer dans des contextes forts en émotions et dans des lieux marquants.

    Didier Voyenne a obtenu le Prix AlterPublishing 2020 pour Le Palindrome.

    Le Gonmina

    Le passager sur le quai ne pleure pas le train qu’il a manqué, il pleure le voyage d’éternité qu’il ne fera jamais.

    ––––––––

    À l’amitié.

    Antoine

    Quand le ciel se rompra et que les étoiles se disperseront et que les mers confondront leurs eaux et que les tombeaux seront bouleversés, toute âme saura alors ce qu’elle a accompli et ce qu’elle a remis de faire à plus tard.

    Coran Sourate 82 La rupture

    §§§

    Les images du journal télévisé du matin défilent. Le journaliste présentateur commente avec plus ou moins de verve l’actualité du jour : une usine dans l’Oise menacée de fermeture et bloquée par ses ouvriers ; le kidnapping d’un enfant de cinq ans dans le sud de la France avec appel à témoin ; la réunion des ministres des finances de l’Europe à Madrid ; les résultats de la douzième journée de première ligue de football – très important, Lyon vient de se faire chiper sa place de leader par Marseille ! –.

    Antoine écoute distraitement cette litanie de nouvelles, jetant de temps à autre un œil sur l’écran. Il fait encore chaud en ce dimanche de fin d’automne et la journée promet d’être belle. Antoine ne regrette pas de s’être levé tôt, il pourra en profiter. À dire vrai, il aime ce moment calme où l’immeuble et la rue sont encore quiets, comme inanimés. Il a mis du temps, mais il ne le regrette pas, à se préparer un petit déjeuner roboratif : omelette au jambon et tomate, café noir très fort, jus de pamplemousse, pain de la veille grillé – il n’a pas eu ce matin le courage d’aller jusqu’à la boulangerie du coin de la rue chercher sa baguette tradition dont il aime particulièrement la croûte blonde et savoureuse, la mie un peu grise et onctueuse –, beurre, confiture, raisin muscat, le tout posé sur le bois brut de la desserte qui fait office de table de cuisine. Une vraie nature morte d’un peintre flamand.

    −  ... et avant de passer à la météo du jour, enchaîne le journaliste, notre page culture ; nous connaissons désormais la sélection du jury du prix Gonmina...

    Antoine dresse l’oreille à cette annonce. Le prix Gonmina, le plus prestigieux prix littéraire de langue française, celui que tout auteur rêve d’obtenir, celui qui rend riche et célèbre bien au-delà du cercle des libraires et des intellectuels – cependant cette richesse et cette célébrité reconnaissent-elles vraiment le talent ? –. Le prix Gonmina, le prix Gonmina... La pensée d’Antoine s’évade. Cela fait des années qu’il écrit, presque en cachette de sa compagne – sa femme ! – Sylvia, qu’il vit une vie parallèle dans l’écriture comme dans un refuge. Ainsi que beaucoup d’autres, il s’est essayé à cet exercice difficile, a produit des ébauches, a abouti à des choses somme toute satisfaisantes, quelques poèmes, nouvelles ou textes de chansons. Il a accumulé beaucoup d’idées et rédigé maints dialogues et autres descriptions qu’il a consignés dans plusieurs petits carnets – il en a toujours un dans sa poche pour ne rien perdre de ce qui lui passe régulièrement par la tête –. Il a même réussi à achever une pièce de théâtre. Pourtant, il n’a jamais osé se décider à aller plus loin, à mener jusqu’au bout un projet concret et engageant, se posant toujours la question évidente et omniprésente, la seule semble-t-il qui vaille d’être posée : « Cela va-t-il intéresser quelqu’un ? ». Jusqu’au bout, concret, engageant voulant dire se faire éditer et proposer au public, c’est à dire de façon presque exhibitionniste, porter à nu, sur le papier, le fruit de son imaginaire intime et le reflet de sa propre vie. Pudeur, peur, fausse modestie ? Qui sait ?

    −  ... et les gonminés sont : Arthur Stuart pour « Los Angeles à Paris », Édouard de Parthe pour « Les novices », Camélia Isidora pour « Estramadure », Albert Demaison pour « Vivre et revivre » et enfin, un habitué des prix littéraires, grand favori de cette compétition, Michaël To pour « Dix sur dix ». L’heureux élu sera désigné à l’issue du traditionnel déjeuner qui aura lieu samedi en quinze au célèbre restaurant du centre de Paris « Chez Saurat »... sans transition, et comme promis la météo de ce week-end...

    La voix du journaliste se perd dans les limbes de la pensée d’Antoine qui imagine une suite à cette sélection :

    −  ... sans oublier, un nouvel auteur, totalement inconnu et grand outsider Antoine Malouin pour « ? »...

    Pour quel titre, pour quel roman au juste ? Ce petit détail fait retomber Antoine sur Terre : comme il n’a rien produit, il n’a rien à espérer, il n’a rien à prétendre.

    −  Tu divagues, dit tout fort Antoine.

    −  Qu’est-ce que tu dis ?

    −  Quoi ? sursaute-t-il.

    −  Je dis : « Qu’est-ce que tu dis ? », répète Sylvia qui vient de pénétrer dans la petite cuisine. Dis donc ! Tu ne te refuses rien !, en désignant, sans attendre de réponse à sa question, le copieux repas qu’Antoine n’a jusqu’ici consommé qu’à moitié.

    −  Tu veux que je te prépare quelque chose, reprend-il, content d’éviter ainsi la réponse à donner à la question de Sylvia, des œufs, un jus de fruit, un yaourt, thé comme d’habitude ?

    −  Oui, merci. Qu’est-ce qu’ils ont dit aux infos ?

    −  Rien de plus qu’hier soir : l’enfant kidnappé, les mouvements sociaux en cours, les ministres des finances européens à Madrid, le foot, ...

    Sylvia fait la moue pour exprimer son désintérêt pour tout cela et sans lui laisser le temps de finir – en avait-il envie ? –, lance :

    −  Que fais-tu aujourd’hui ?

    Antoine note sans sourciller qu’elle a dit : « Que fais-tu... » et non « Que faisons-nous... ». Elle n’y a mis aucune malice. Il se trouve qu’ils partagent leurs vies, mais chacun réalise la sienne de son côté depuis longtemps, qu’ils partagent le même lit par praticité ou habitude, mais qu’ils ne font plus l’amour depuis tout autant de temps, ou alors exceptionnellement. Insensiblement, le lien qui les unissait s’est distendu sans qu’ils s’en aperçoivent vraiment. Ils continuent de s’estimer et de se respecter, de passer régulièrement des moments agréables ensemble au théâtre, au cinéma, au restaurant, un week-end de temps en temps sur la côte normande ou dans le Perche, de faire des balades dans Paris où ils échangent sur leurs dernières lectures, sur les événements du pays ou sur les performances de tel acteur.

    −  Je ne sais pas encore, répond-il.

    −  Moi non plus.

    −  Je pense que je vais m’habiller dans la foulée et faire un tour sur la butte, improvise-t-il afin qu’elle ne lui propose aucun projet commun dont il n’a pas envie aujourd’hui.

    −  Ah bon, lâche-t-elle comme si elle était déçue, ce qu’elle n’est pas vraiment, comme tu veux.

    Antoine est soulagé, il va pouvoir poursuivre sa rêverie que Sylvia a interrompue. Où en était-il ? Prix Gonmina, Antoine Malouin, l’outsider, ... D’un seul coup, un grand fracas dans l’escalier, suivi d’une tambourinade à la porte de l’appartement. La magie est définitivement rompue.

    −  J’y vais, dit Sylvia.

    Elle ouvre la porte d’entrée et déboule dans le salon Madeleine, la gardienne de l’immeuble, toute essoufflée, toute rouge de sa course.

    −  Vous savez quoi, expectore-t-elle, vous savez quoi, comme si Sylvia et Antoine n’avaient rien entendu alors qu’elle a crié ces mots.

    −  Non, dit simplement Sylvia.

    −  Quoi, que se passe-t-il ? enchaîne Antoine, un tantinet plus inquiet.

    −  C’est incroyable, incroyable !

    −  Incroyable, quoi ? dit Sylvia

    −  Vous ne me croirez jamais !

    −  Si vous ne dîtes rien, Madeleine, on ne pourra effectivement rien croire, rétorque Sylvia, presque indifférente à l’excitation de la gardienne.

    −  Dîtes, Madeleine, dîtes, suggère Antoine.

    −  Vous savez la nouvelle ?

    −  Non ! disent ensemble Sylvia et Antoine.

    −  Je vais vous la dire ! Marcel est de retour !

    −  Marcel ? interroge Sylvia.

    −  Marcel ? Marcel ! réalise Antoine, Marcel-Pierre de Préboist ?

    −  Oui ! acquiesce Madeleine dans un souffle.

    −  Marcel ? Le mari d’Amanda ? Cela ne fait-il pas dix-huit ans, ou quelque chose comme ça, qu’il s’est barré sans crier gare ? s’étonne Sylvia, et Amanda elle a dit quoi ?

    −  Elle lui a ouvert la porte, il est entré sans rien dire, si, « Bonjour » quand même, et voilà !

    −  Voilà quoi ?

    −  Voilà, rien de plus. C’était hier matin. J’étais dans la cage d’escalier, il est passé devant moi sans me dire quoi que ce soit, un vague pardon peut-être, a frappé à la porte, est entré dans l’appartement, a dit bonjour, la porte s’est refermée et aucun des deux n’est ressorti depuis lors. Donc, je n’en sais rien, relate Madeleine, tout excitée.

    −  Quelle histoire ! ne peut s’empêcher de s’esclaffer Antoine.

    −  Quelle histoire ? minimise Sylvia, comme si c’était banal.

    −  Dix-huit ans c’est un bail, c’est une vie ; on ne revient pas après dix-huit ans ! Qu’est-ce qui l’a poussé, qu’est-il arrivé, comment ose-t-il ? Et pourquoi ne le met-elle pas dehors ? Il faut aider Amanda, je pense qu’elle en aura besoin, ne trouvez-vous pas Madeleine ?

    −  Oui, Antoine, je le pense aussi, attendons seulement d’en savoir un peu plus.

    −  Je suis d’accord, reprend Antoine.

    −  Bon, ben vous me raconterez, je vais me recoucher, je me suis levée trop tôt, conclut Sylvia pour elle-même.

    Sylvia repart, tel un zombie, vers la chambre, laissant Madeleine et Antoine en pleine méditation.

    −  Quelle histoire ! répète Antoine.

    −  Quelle histoire ! lance Madeleine en écho.

    −  Dès que vous savez quelque chose, dites-le-moi, Madeleine.

    −  Évidemment. Vous qui connaissez bien Amanda, vous avez une idée ?

    −  C’est plutôt Sylvia qui la connaît. Une idée ? Pas vraiment, peut-être que...

    Alors qu’Antoine allait émettre une hypothèse, plus pour dire quelque chose que parce qu’il avait une idée, une sirène d’alarme tonitruante retentit dans la rue. Antoine et Madeleine se précipitent à la fenêtre.

    −  Encore la sirène du père Simon, constate Madeleine.

    −  À chaque fois, je me fais prendre, dit Antoine.

    Le père Simon, c’est lui qui tient la quincaillerie juste en face. Après trois cambriolages qui ont fait plus de dégât pour lui que de recette pour les cambrioleurs et dont il se demande toujours l’intérêt, il s’est décidé, il y a quelques mois, à installer une alarme. Sauf que celle-ci, mal ou trop bien réglée, se déclenche pour un rien, souvent lorsque qu’une camionnette de livraison un peu lourde passe un peu vite dans la rue.

    Antoine se penche à la fenêtre. Il voit le père Simon, un pantalon rapidement passé sur le pyjama, la moustache en bataille, les cheveux blancs ébouriffés, vitupérant et s’agitant dans sa boutique, en sortant, y entrant, lançant ses longs bras en l’air, faisant des moulinets, ameutant ou tentant d’ameuter le quartier, cherchant désespérément à étouffer ce tocsin moderne. Antoine s’amuse de la scène qui se répète toujours selon un scénario identique. Et, comme d’habitude, l’alarme s’éteint sans que le père Simon n’y ait été pour quelque chose. Cependant, il fait comme s’il avait dompté la tonitruante bête et explique à qui veut l’entendre – en général des badauds ou des passants surpris par cette agitation subite – comment il y est parvenu. Au bout de quelques instants, les badauds et les passants qu’il a alpagués, peu convaincus, s’égaient et le père Simon réinvestit fièrement sa boutique. Le quartier reprend sa sérénité.

    Madeleine est restée là, plantée comme une statue, regardant vaguement Antoine. Celui-ci, en se retournant, la voit là, tout surpris qu’elle n’ait pas bougé pendant la scène qui lui a semblé durer très longtemps.

    −  Au revoir Madeleine, à plus tard, lance-t-il machinalement.

    Madeleine sort de sa torpeur.

    −  Comment ? Ah oui, au revoir Antoine, dit-elle en s’éclipsant.

    §§§

    Le silence s’est de nouveau fait dans l’appartement. Sylvia s’est rendormie, enfin c’est ce qu’il semble à Antoine – Sylvia, depuis longtemps, s’est isolée sans avoir vraiment coupé les ponts avec lui ; ils se sont tacitement accordés sur cette façon de ne plus vivre leur couple tout en partageant le même espace – et la rue a donc retrouvé son calme dominical. Antoine finit son petit déjeuner vite fait, prend une douche rapide et s’habille en un tour de main, en noir. Jean, tee-shirt, veste, chaussettes, mocassins, tous noirs. Le noir est la couleur d’Antoine, celle dans laquelle il se sent au chaud, protégé, inconnu. Il n’est pas triste de nature, ce noir extérieur ne reflète en rien son moi intérieur fait d’explosion de couleurs, de torrents d’idées, de multiples musiques, de nombreuses images. Antoine est un volcan qui paraît éteint, dont les versants sont noirs du basalte qui le recouvre mais dont la lave jaune et rouge feu bout en lui, prête à déverser sa langue dévastatrice et reconstructrice.

    Dans la poche intérieure de sa veste, il glisse le carnet de notes qui ne le quitte jamais, dans une autre son portefeuille. Il récupère sur la desserte de l’entrée, là où il a l’habitude de les mettre chaque soir, ses clés, de la monnaie, un stylo noir et un autre rouge. Il enfouit dans la poche de son jean son téléphone portable et sa carte de transport qu’il trouve également sur la desserte, pour la même raison d’habitude que les autres objets. Fin prêt ? Presque ! Antoine, comme à chaque fois, se repasse dans la tête la liste de ces mêmes objets qu’il ne doit pas oublier d’emporter et grâce à ce toc il réalise qu’il lui manque quelque chose. Il farfouille dans le tiroir du meuble et tout au fond se saisit de ses lunettes... noires. Il les ajuste sur son nez, il est enfin prêt.

    Il ouvre et referme la porte d’entrée sans bruit, se coule dans l’escalier et descend discrètement, mocassins et tapis obligent, l’étage qui le sépare du rez-de-chaussée. Dans le hall, il jette un regard vers la loge ; il y aperçoit Madeleine qui, entre-temps, l’a réintégrée, lui fait un petit signe qu’elle lui rend. Il se soumet au rite qui consiste à appuyer sur le bouton où est inscrit le mot « porte » pour libérer celle-ci de son emprise magnétique. Il est dehors.

    Bien que cela n’ait pas grand sens, que, au contraire, cela soit un contresens, il prend une grande inspiration comme l’on fait à la campagne ou à la mer pour avaler un bol d’air dit pur et qui est censé revivifier. L’air de Paris vaut ce qu’il vaut, ni bon, ni mauvais. Ce que, en fait, Antoine vient de prendre en son corps, ce n’est pas uniquement de l’air, c’est un souffle puissant de liberté.

    Pas un chat dans la rue du Ruisseau. En fait si, il y a un chat, c’est celui de Madeleine, il s’appelle Noé, qui profite de l’occasion pour se glisser dans le hall alors que la lourde porte se referme avec lenteur. En tout cas pas d’humain, à part lui.

    Il remonte la rue sans véritable destination ; en tout cas, il se dirige vers la butte Montmartre. Au coin de la rue Cloÿs, il entrevoit le square Léon Serpollet qui s’accroche à la pente naissante de la colline et s’étage de ce fait sur plusieurs niveaux. Ses pas, comme souvent, l’y mènent naturellement.

    Dix heures. À cette heure-ci, il y a peu de monde et pas encore d’enfants. Cette absence enfantine est pesante dans cette partie basse du jardin par laquelle il est entré, car elle fait planer le souvenir des enfants juifs raflés dans ce quartier lors de la seconde guerre mondiale pour être emmenés dans des camps d’où ils ne revinrent jamais. Une stèle rappelle le martyr, là, à cet endroit. Le mail d’entrée est planté de ptérocaryas[1] qui dispensent encore leur ombre apaisante et leur fraîcheur bienvenue, n’ayant pas encore perdu leur feuillage bien que l’automne en ait jauni la parure, signe annonciateur de sa tombée prochaine. Antoine ne s’attarde pas et se rend directement sur la partie haute où des bancs sont encore inondés du soleil du matin qui, imperturbable dans sa course éternelle, ne tardera pas à les laisser dans l’ombre. Il s’assied sur l’un deux – il a le choix, aucun n’est encore occupé –. Dans son dos, une disgracieuse barre d’immeuble. Devant lui, la partie basse couverte d’arbres qu’il vient de franchir. Entre les deux, des bassins artificiels recueillent l’eau qui s’écoule de la partie haute par des conduits et cascades, après avoir traversé roseaux et autres plantes aquatiques.

    Antoine laisse aller ses pensées apparemment au hasard. En fait, il est taraudé par une idée depuis qu’il a vu à la télé le reportage sur les prix littéraires. Prix Gonmina, prix, prix, Gonmina, les nominés sont, les nominés – il n’aime pas ce mot, Antoine, même s’il s’est imposé –, écrire, écrire. Ce besoin d’écrire le tarabuste, l’asticote, le perturbe, l’occupe depuis des lustres. Et là, ça revient sur la table, ça le secoue, ça le trouble. Écrire ! Écrire quoi, écrire quelle histoire et pour qui ? Même s’il s’est essayé à tout, rien n’a vraiment abouti, « Touche-à-tout, touche-à-rien », disait sa mère. Écrire quoi, il faut trouver, il faut trouver...

    Un poème ? Qui n’en a pas écrit ? Exercices de style sur les bancs de l’école, reflets des premiers émois adolescents, expressions de l’étudiant révolté, pamphlets de l’homme mûr, blessures de l’amant déçu, réflexions du sage, témoignages de l’ancien qui passe la main en passant l’âme, les poèmes restent souvent cachés, intimes, anonymes. Consignés sur des feuillets ou des cahiers, ils sont la plupart du temps des secrets que l’on avoue sans se dévoiler vraiment, des trésors enfouis qui ne profitent à personne, des instants de vie qui ne seront jamais vécus, des envies qui meurent dans une impasse.

    Un poème ? Il suffit d’une idée fugace, d’un jeu de mots, d’une émotion, d’un choc, d’une vision auxquels on applique une mécanique bien huilée, des rimes qui sonnent, une musique intérieure que les mots vont traduire. Un poème, c’est court, c’est violent. On jette des mots sur un papier, on les bouscule, on les triture, on les agence et ils deviennent formes ondulées qui coulent très vite, comme un torrent de montagne dévale la pente pour terminer sa courte vie dans la rivière où il se jette, pour finir en une gerbe apothéotique d’éclats d’eau et de sons : la chute. Un poème, c’est un chemin escarpé, difficile à suivre parfois, douloureux souvent à cause de pierres saillantes qui le parsèment, tordent les liaisons et blessent les pieds. Un chemin qui, tout à coup, s’arrête net en s’ouvrant sur une plaine douce où les blés se donnent avec langueur au souffle du vent, ou qui se termine en cul de sac sombre, fermé par un mur froid, une caverne noire où l’âme du poète se perd et son lecteur aussi. Se perdent, mais ne s’égarent pas, cela veut simplement dire qu’ils ne paraissent, pour quelques instants, plus de ce monde portés qu’ils sont dans l’éther de la sensation et de l’émotion.

    Un poème ? Un poème ne suffit pas, ce sont des dizaines qu’il faut créer par autant d’idées originales, chargées de sensibilité et d’histoire, ce sont des centaines de mots qu’il faut assembler, ce sont des milliers d’étoiles qu’il faut regrouper en un chariot harmonieux pour illuminer l’âme et le cœur des lecteurs. La tâche est rude, n’est pas poète qui veut !

    Une nouvelle ? C’est un dessin que l’on trace avec des mots quand on ne maîtrise pas l’art du crayon si habile à croquer une situation pour faire comprendre le sens que l’on veut en tirer. Des mots qui doivent projeter une image dérangeante, inquiétante peut-être, une émotion forte, intolérable qu’il faudra satisfaire. Une nouvelle, c’est un lent début pour une fin brusque, sans appel, que l’on prépare par quelques pages où l’on ébauche un paysage ou une maison, un contexte ou une énigme, dans lesquels on installe des personnages vite brossés, où l’on noue un drame qui va trouver là son paroxysme et éclater dans les dernières lignes, les derniers mots. Une nouvelle, c’est l’orage de fin d’été qui renfrogne en quelques minutes son visage sombre, qui organise la dépression de l’atmosphère qu’il rend électrique, qui prépare, par une chaleur étouffante, le besoin, l’envie, la nécessité, le désir d’aller vite au dénouement, cette explosion de nuages noirs qui rendent en une averse violente toute l’eau lourde d’énergie qu’ils avaient accumulés. Cet éclat de violence, ce déluge d’émotions, cette inondation de sentiments, comme un barrage qui cède à des années de pression sans se soucier de ce qu’il va ainsi provoquer, constituent la fin nécessaire de cette brève histoire à laquelle on n’a pas eu le temps de s’habituer et qui vous laisse trempé, exsangue, hagard, frustré de ne pas en savoir plus alors que tout a été donné. Tout, c'est-à-dire ce que l’auteur a voulu et su dire en si peu de phrases ; tout, c'est-à-dire ce que l’auteur n’a pas voulu ou pas su écrire en si peu de pages ; tout, c’est ce que l’auteur vous laisse le soin de compléter, d’en combler les manques et d’imaginer l’avant qu’il n’a pas écrit et l’après qu’il ne pouvait plus écrire.

    Une nouvelle ? Une, c’est satisfaisant et frustrant en même temps. Une ne fait pas une œuvre, juste la lueur d’une œuvre. Et même si l’on arrive à en créer plusieurs, encore faut-il ne pas se répéter, faire en sorte qu’elles soient cousines par le style et en même temps étrangères par leurs thèmes, différentes par leurs ressorts dramatiques. Et il n’en reste pas moins que, à peine rentré dans l’histoire que telle ou telle raconte, on en sort très vite, certes ému, commotionné, interloqué, cependant sans avoir eu le temps de s’habituer aux lieux, aux personnages, sans avoir eu la possibilité de s’assimiler à tel ou tel et d’avoir vécu l’histoire ou participé soi-même à l’intrigue, lecteur nécessairement en marge pour ne pas troubler l’effet surprenant, fondement de ce style.

    Quoi alors ?

    Une chanson ? Des mots qui, par le support de la mélodie, véhiculent avec force et émotion une histoire, une idée, un personnage, une situation, un pamphlet. Des mots qui se percutent ou s’enchaînent, épousant la musique, fusionnant avec elle. Une chanson, c’est une nouvelle poétique ou un poème romancé qui est tout sans la musique ou rien sans elle, qui vous parle, vous interpelle, qui pénètre votre cerveau en imposant sa ritournelle et l’air qui la porte. Une chanson, ça tient en presque rien, cent mots suffisent à créer une ambiance, un choc, un plaisir, à susciter l’indignation, le dégoût, la révolte. Ce n’est pas un hasard si ce sont les chansons qui accompagnent les révoltés, galvanisent les révolutionnaires, soulagent les exclus et les bannis, fêtent les mariés, bercent les enfants, égratignent les puissants, émeuvent les amants. Pourtant, là encore, c’est l’auteur qui envoie un message à l’auditeur qui, pris de court, le reçoit sans pouvoir rien modifier, qui le prend en entier sans pouvoir rien y changer, ni rien y apporter. Pire, le texte peut être éclipsé par la mélodie qui prend le dessus sans vergogne, qui s’impose, qui envahit l’oreille et la tête de l’auditeur à l’en obséder à tel point que, même avec un texte indigent, quelconque, banal, on fait des succès – il vient alors à l’esprit d’Antoine, une chanson de cet acabit : « No milk today, my love has gone away [2] » dont l’air tourne dans sa tête malgré

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