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Vers Zarmina
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Ebook456 pages6 hours

Vers Zarmina

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About this ebook

L’inspiration pour ce récit est due à l’astronome Steve Vogt qui annonça vers 2010 la découverte d’une exoplanète qui lui semblait compatible avec la vie humaine et qu’il nomma du prénom de sa femme. Pour se rendre aussi loin, le seul véhicule disponible était la science-fiction.

Le récit s’étend sur deux cent soixante-cinq ans. Avec le soutien constant de l’équipe au sol, dix générations de terriens courageux, aimants, persévérants, vont franchir les 20 années-lumière, survivre sur la fameuse planète, et installer progressivement une colonie viable.
LanguageFrançais
Release dateJan 28, 2021
ISBN9782897754303
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    Vers Zarmina - Henri Bélanger

    fictifs. 

    Prologue

    En 1976, dans la petite ville de Cho Min, en Chine, un savant avait mis au point un appareil qui permettait de réduire par un facteur de vingt-cinq la taille des êtres vivants et des objets placés dans l’appareil. Jusqu’à maintenant, l’invention avait été gardée secrète. Grâce à cette innovation, la bourgade s’était progressivement taillé une niche très pointue dans le domaine des nanotechnologies.

    En 2025, les dernières observations astrologiques identifient plusieurs exoplanètes et évaluent leurs critères de compatibilité avec la vie des humains. La planète visée dans notre aventure n’a pas encore été officiellement reconnue à cause de l’imprécision des données disponibles. Certains astronomes prétendent qu’il s’agit plutôt du reflet d’une planète plus grosse dans le même système solaire. L’existence de Gliese-581g (nommée Zarmina) découlerait de l’hypothèse que la grosse planète Gleise-581d aurait une orbite circulaire. La non-existence de Zarmina s’accorde avec l’hypothèse que l’orbite de Gleise-581d serait elliptique prononcée. Zarmina est à 20,3 années-lumière de la Terre.

    Si la non-existence de Zarmina était constatée au cours du trajet, l’exoplanète de dépannage serait Gleise-667Cd, une planète voisine à raison de plusieurs années-lumière, et dont l’existence est elle aussi contestée. Sa masse serait presque sept fois celle de la Terre, donc la gravité serait très difficile à supporter. Ces systèmes planétaires sont situés dans la constellation de la Balance.

    L’expédition est audacieuse. Les défis colossaux. Mais la fiction procure des ressources additionnelles pour compenser la science et les avancées techniques qu’elle doit toujours devancer quelque peu, en acceptant le risque d’erreurs.

    Zarmina est le nom de l’épouse de l’astronome Steve Vogt, qui en revendique la découverte, et qui a donné ce nom à la planète Gliese-581g. Les planètes de l’étoile GLIESE-581 sont baptisées b, c, etc. à mesure de leur découverte. Gliese-581g est la dernière arrivée. Ce serait la quatrième planète de son système solaire en termes de distance à son étoile. Le premier nom de cette étoile, avant 1850, était HO Librae, d’après la nomenclature de l’époque, désignant sa localisation dans la constellation de la Balance et l’ordre de sa découverte.

    C’est cette planète qui a été choisie comme destination, avec toute la liberté que requiert la fiction. Je souhaite au lecteur un bon voyage.

    DÉBUT DE L’AVENTURE

    Le professeur Motodo¹ avait à cette occasion repris sa taille normale. Il enseignait toujours à l’université de Cho Min. De temps en temps, il assistait à des colloques internationaux en sciences physiques. Récemment, il s’était rendu sur l’île Sriharikota en Inde avec d’autres savants Chinois. Là se trouve le plus important site de lancement du pays. L’Inde et la Chine s’activaient depuis plusieurs années dans les lancements de satellites de communication. Les deux pays désiraient maintenant s’unir pour développer leur indépendance technique par rapport à leurs prédécesseurs : les États-Unis, la Russie, l’Europe et le Japon. Aussi, un des organisateurs du colloque termina la rencontre en exhortant les participants de lui communiquer toute idée, concept, méthode ou autre pouvant potentiellement donner un avantage stratégique à leurs deux pays dans la course à l’espace.

    De retour, Motodo discuta avec une assistante de recherche qui s’intéressait passionnément à cette question. Elle avait des idées très personnelles à ce sujet. Motodo la connaissait depuis longtemps. Elle avait passablement voyagé. Elle avait à son actif un tour du monde très particulier. Selon elle, il était possible de rendre les randonnées spatiales beaucoup plus économiques.

    — Ton idée a plein de bon sens. Mais elle ne sera pas facile à avaler pour notre collègue indien.

    — Il faut le rencontrer, dit la femme. Je t’accompagnerai.

    Malgré ses réticences, le savant indien accepta la rencontre sans trop de mal.

    Deux semaines plus tard, le professeur Motodo, qui portait très bien ses soixante-dix-huit ans, se présenta au bureau de Zanista Poril. Après les brèves présentations, il demanda à Poril de fermer son bureau à clé, ce qui fut accepté.

    — Je vais vous montrer… mais je vous demande une confidentialité absolue.

    — D’accord.

    Motodo sortit un boîtier de la grosseur d’un étui à lunettes. Une femme de huit centimètres de hauteur se dressa devant Poril. Celui-ci rajustait fébrilement ses lunettes.

    — Ça alors, comment est-ce possible ? Et quel est le rapport avec la course à l’espace ?

    Mietsa, la femme en question,² prit la parole :

    — Le rapport, c’est que nous pouvons fournir un équipage beaucoup plus léger.

    — En effet, répondit Zanista Poril, ça change tout.

    Ainsi débuta un projet très confidentiel, déguisé pour le moment en vol non habité. Zanista voulait un engin sécuritaire contre les radiations. Il prévoyait toutes sortes de dispositifs pour les « souris » qu’il voulait lancer dans l’espace, comme une rotation pour créer une gravitation artificielle, de l’eau et de la nourriture en libre-service, etc., du moins c’est ce qu’il disait à ses techniciens.

    Le savant prévoyait au moins quinze ans pour développer et construire le vaisseau.

    La construction de l’habitacle se ferait par les petites personnes à Cho Min.

    DÉBUT DE LA FORMATION

    DES COSMONAUTES

    Zanista Poril avait réuni des entraîneurs ayant l’expérience de missions indiennes antérieures dans une villa près de Bangalore. Un groupe de six personnes seulement fut mis dans le secret. Dans douze mois, ils devaient présenter à Poril le programme détaillé devant s’étendre sur six ans. À partir du dépôt de ce rapport, Zanista Poril aurait une autre année pour choisir un site, rassembler les équipements et engager le personnel supplémentaire qui serait nécessaire pour l’entraînement proprement dit.

    Dans un premier temps, Zanista choisit quatre candidats indiens, deux hommes et deux femmes, âgés de trente à trente-trois ans. Ces quatre volontaires durent se rendre à Cho Min, dans le laboratoire du professeur Motodo, pour les besoins de l’emploi. Ils se joignirent à Mietsa et son mari Kizo pour suivre le programme établi. Les sept premières années furent consacrées à l’étude du vaisseau, à mesure de sa conception et aux programmes des ordinateurs jusqu’à ce que tous ces appareils et équipements leur deviennent familiers. Après quelques années, ils faisaient partie intégrante de l’équipe de conception. À la fin, deux des Indiens furent éliminés, mais poursuivirent un entraînement parallèle, en tant qu’équipage de réserve. Le duo retenu était un couple d’Indiens mariés, Xéna et Ushi. 

    Parallèlement, Poril cherchait, autant en Inde qu’en Chine, des étudiants prometteurs qui pourraient se joindre à l’équipe finale. Il avait arrêté son choix sur deux universitaires et deux techniciens de haut niveau. Dès leur dix-huit ans, ils s’étaient joints pendant deux ans à équipe tout en terminant leurs études avec brio.

    Enfin disponibles à temps plein, ils furent intégrés au programme de Motodo à Cho Min.

    LE CONFINEMENT

    Ça commençait par un confinement complet pendant dix-huit mois. Le professeur Motodo était persuadé que l’isolement était la plus difficile contrainte du projet. Cette étape serait déterminante pour la sélection finale de l’équipage. Ce qui était envisagé, c’était une expédition sans retour, d’une durée de plusieurs dizaines d’années. Les autres étapes d’entraînement se tiendraient quelque part en Inde.

    Il était établi que l’équipage se composerait de trois hommes et trois femmes. À cette fin, huit personnes, dont quatre Indiens, incluant un fakir et un yogi, et quatre Chinois furent rassemblés à Cho Min pour l’étape de confinement. Une fois tout le monde réduit à la taille de Mietsa par la machine de Motodo, ils furent installés dans le laboratoire du professeur, avec les équipements semblables à ce qui était prévu sur le vaisseau. Il y eut deux semaines de formation, quant aux diverses tâches dévolues à chacun. L’équipe de support comprenait six techniciens et formateurs, qui assureraient ensemble une présence continue pendant les dix-huit mois de confinement.

    À la fin des deux semaines, Mietsa fut élue unanimement comme capitaine. Sa connaissance de la petite dimension était un atout indéniable. Mais son esprit énergique et sa détermination, qui lui venaient bien de sa mère, étaient aussi grandement appréciés de ses collègues. Les communications avec le laboratoire, les seules disponibles, seraient décalées selon les hypothèses de vitesse du vaisseau et de distance cumulative. Ainsi de quelques minutes, le décalage deviendrait des heures, des jours, des semaines, des mois. Les aménagements tentaient de recréer les espaces prévus dans le vaisseau.

    Les huit candidats purent visiter leur domaine. Ils furent surpris par la dimension des locaux. C’était plus spacieux que les appartements où ils habitaient auparavant. Tout comme dans le futur vaisseau, les hublots, inexistants, étaient remplacés par des écrans tactiles. Dans leur local de confinement, il s’agissait simplement d’écrans de téléphones cellulaires.

    Il y aurait des plantations hydroponiques, grâce à des végétaux développés à Cho Min dans les dernières décennies, pour fournir de la nourriture fraîche. Pour les protéines, il y avait du matériel de pisciculture et des alevins qui seraient consommables dans environ huit mois. Il y avait aussi les réserves de nourriture, d’eau et d’air, avec leurs systèmes de recyclage. Les matières organiques seraient traitées avec l’aide d’un éventail de bactéries et d’insectes. Tout ceci était rangé dans des casiers comme lors du lancement. Une fois la direction et l’accélération stabilisées, les équipements devraient être déployés à l’intérieur de l’habitacle. Cette chronologie serait respectée dans le local de confinement.

    Il y avait aussi deux appareils pour les exercices quotidiens, indispensables au maintien d’une bonne santé. L’électricité produite par la rotation des appareils était emmagasinée ou utilisée immédiatement selon les besoins. Il y avait les ondes de télécommunication, qui permettaient d’avoir des images télé à volonté, mais en décalé. Chaque groupe homme-femme disposait d’un espace entièrement privé, correspondant à une grande chambre et une petite salle de bain.

    Finalement, l’isolement commença. Mietsa était jumelée à son propre conjoint, nommé Kizo, le fils d’un ingénieur de Cho Min.

    La première journée fut consacrée entièrement à faire l’inventaire de tout le matériel. Oxygène, eau potable, systèmes de filtration, réserves de nourriture, équipements hydroponiques, graines et plantes de toutes sortes, équipements sanitaires, matériel médical, médicaments, meubles, vêtements, appareils d’éclairage, outils, réserves de boulons, rivets, plaques de divers métaux. Il y avait aussi une imprimante 3D pour le remplacement éventuel de pièces défectueuses. Les tâches étaient distribuées à chaque duo, avec rapports sur les ordinateurs. À mesure, chaque section de rangement ainsi vidée et répertoriée devait être remise en place exactement dans le même ordre.

    Enfin, on simula le départ. Ça obligeait à huit heures d’immobilité à peu près complète où chacun devait surveiller des écrans, vérifier des données, répondre à des questions des techniciens « au sol ». Ensuite, le tempo se modifia sensiblement.

    On s’attaqua à l’installation du matériel hydroponique. Le jeune couple chinois était expérimenté dans ce domaine. Lyan avait participé à l’installation d’une usine quelques années auparavant et avait contribué grandement à son amélioration. Son mari Raduno était un jardinier très calé. Les deux prenaient un plaisir évident à communiquer leurs connaissances. Le duo de jeunes Indiens, Itel le yogi, et Hani, prenait plaisir à installer les modules de support. Le duo des Indiens d’âge mûr, Ushi le fakir et Xéna, se chargea de tester et de mettre en marche les pompes et les appareils de dosage automatique.

    Chaque jour, il fallait s’astreindre à une présence continue aux écrans, d’au moins deux personnes en tout temps, et courir dans les cages d’écureuil au moins une demi-heure chaque personne. La première semaine, tout le monde était tellement occupé que le temps passa inaperçu. La deuxième semaine fut celle où on goûtait avec plaisir l’établissement d’une routine rassurante. Au-delà, il y avait un arrière-fond d’angoisse indéfinissable. Le duo du yogi faisait parfois ses stations d’immobilité dans la grande pièce qui était pour eux l’équivalent du plein air. Progressivement, tous les autres membres du groupe demandèrent des séances d’initiation. Malgré les tâches routinières qui demandaient au moins huit heures par jour à chaque personne, ce passe-temps fut très apprécié.

    Volontairement, aucun jeu n’avait été emporté. Ils inventeraient et bricoleraient leurs propres jeux. La créativité était nécessaire et salutaire. Les huit développèrent l’idée d’une courte émission récréative qui pourrait être diffusée en « différée » sur Terre, une fois l’expédition révélée. Ils pourraient produire ainsi un épisode chaque mois environ. Les profits espérés pourraient être réinvestis dans le développement de propulseurs plus performants pour équiper les missions de ravitaillement chargées de les rejoindre. Ils auraient tout intérêt à faire un succès. Ils décidèrent de dévoiler cette idée aux directeurs du vol seulement une fois envolés. Ils demanderaient tout de même qu’on ajoute quelques caméras vidéo de bonne qualité pour usage interne.

    Les huit prirent l’habitude de se réunir par six (deux étaient toujours en devoir devant les écrans de communication) pour discuter à bâtons rompus de tous les sujets. Souvent, les participants profitaient de leurs temps de repos pour rédiger des écrits développant leurs réflexions personnelles. Chacun pouvait ainsi poursuivre les discussions qui l’intéressaient davantage à sa prochaine présence.

    Les plantations hydroponiques commençaient à atteindre la table. D’abord les laitues, puis les petits légumes. Puis les céréales et les légumineuses, le soja et le riz. Il fut possible de réserver les viandes ou poissons congelés pour les repas du samedi soir. Avec leurs horaires de faction aux communications, les couples prenaient parfois des repas dans leurs espaces privés. Mais le repas du samedi soir devint vite une institution. L’importance de marquer chaque jour le temps qui passe selon l’horloge de bord est tout de suite apparue comme un besoin vital. La lumière artificielle qui alimentait les plantations hydroponiques se fermait plusieurs heures chaque nuit, au rythme des jours terrestres. Un cahier simplement accroché près de la table était chaque jour numéroté par la première personne à s’y installer.

    Malgré l’omniprésence de l’équipe « au sol », le décalage des dialogues devenait plus accentué. À mesure, l’autonomie de l’équipe des cosmonautes s’affirmait. Ils en vinrent à discuter de qui serait sélectionné, qui serait éliminé pour composer l’équipage final de six personnes. Contrairement à tous les autres sujets de discussion, celui-ci laissait des plages de silences semés de tristesse.

    Mietsa intervint finalement.

    — Et si on était tous d’accord pour y aller tous les huit ? Les espaces privés pourraient être un peu plus petits qu’ici. Jusqu’à présent, il y a du travail pour tout le monde.

    Après un instant de silence, elle poursuivit :

    — Non seulement du travail, mais aussi du plaisir. Je propose qu’on fasse un démo d’émission créative. Pour passer notre message de solidarité, il faudrait de l’imagination. Des idées ?

    — On montrerait, dit Lyan, l’autre Chinoise, trois chambres vides, et huit personnes dormant dans une autre…

    — On montrerait huit couverts à table, et personne qui ne mange, ajouta Itel le yogi.

    — Quelqu’un sur le lit d’infirmerie, et tout le monde autour, dit Ushi le fakir.

    — Très bon début, conclut Mietsa. Qui se chargera d’écrire un scénario ?

    — Je veux bien essayer, répondit Lyan. C’est justement mon jour de repos. D’autres idées ?... Mon titre serait : Tous pour huit, huit pour tous, ou : Pour l’équité Inde/Chine.

    Lyan se mit au travail avec passion. Il s’agissait d’un plaidoyer, mais aussi d’une démonstration de la forte solidarité que le confinement faisait naître dans le groupe. Elle chercha un fil conducteur. Quelque chose d’imprévu. Elle imagina un virus, qui indisposerait simultanément trois cosmonautes sur un équipage de six, pendant cinq jours. Cette situation coïnciderait avec l’arrivée d’un objet inconnu signalé par l’équipe au sol, à partir des appareils de bord. 

    Pour le tournage, il fallait échapper aux caméras fixes transmettant à intermittence des images de l’habitacle. Il serait nécessaire de tourner uniquement dans les pièces privées. En effet, il n’était pas possible de prévoir quand les caméras de surveillance se mettaient en marche. Le contrôle se faisait via un programme aléatoire. Il fallut improviser des décors rappelant un poste de pilotage, avec des écrans, des claviers, des papiers, des crayons, etc. 

    Une chambre fut déguisée en infirmerie. Le compagnon de Lyan, Raduno, fut choisi comme malade, ainsi que Itel le yogi et sa compagne Hani. Mietsa et son copain Kizo personnifiaient les deux cosmonautes éliminés. Ils étaient hors champ. Ils n’apparaissaient qu’au tout début, faisant des adieux déchirants aux six élus. En fait, ils s’occupaient des enregistrements audio et vidéo, et de toutes sortes de tâches techniques pendant le tournage. Au moment où un KBO (Objet de la ceinture de Kuiper) serait signalé, le décalage de communication avec la Terre serait déjà quinze heures environ, une centaine de jours après le « départ ». Ce KBO serait inconnu des astronomes « au sol ». Son diamètre de quelques centaines de mètres, il serait situé dans la ceinture de Kuiper, au-delà de Pluton. Une collision serait à craindre. L’impact pouvant avoir lieu dans huit jours. Le message de la Terre rappelait les techniques de calcul permettant de choisir la meilleure des deux façons d’intervenir.

    Dans une telle situation, le succès de l’opération réside dans la rapidité de la décision et la précision des calculs. Il faut situer le KBO par rapport au vaisseau. Il faut connaître sa masse, sa vitesse et sa trajectoire. Ceci peut occuper deux personnes pendant vingt-quatre heures. La troisième personne valide garde contact avec la « Terre » tout en surveillant les trois malades. La fatigue gagnerait vite tout le monde.

    Pour ce qui est du vaisseau, trois choix seulement :

    1.      Arrêt des propulseurs principaux. Le vaisseau conserverait la vitesse acquise.

    2.      Si l’opération 1 ne suffit pas, retournement du véhicule et remise en marche des propulseurs. Ceci ne ferait que ralentir le vaisseau.

    3.      On ne fait rien, on conserve l’accélération constante.

    Si aucune de ces options n’est suffisamment sécuritaire, il faudrait envisager de dévier la trajectoire. Ce serait beaucoup plus complexe et dangereux.

    Il faudrait d’abord établir le temps de réponse du vaisseau pour les deux premières alternatives. Comme par hasard, les meilleurs mathématiciens à bord, Itel le yogi et sa compagne Hani, seraient deux des trois malades, le troisième étant Ushi, le compagnon de Xéna. Le meilleur de tous, Kizo, aurait été éliminé « avant » le départ, toujours selon le scénario de Lyan.

    Dans la vidéo, réalisée dans la cabine d’isolement sanitaire, le virus apparaissait progressivement, frappant successivement trois équipiers. Les prélèvements montrent que c’est le même virus. Lyan détermine aussi que ce parasite cellulaire est contagieux et dangereux. Aussitôt la capitaine « désignée », Lyan, décrète une quarantaine. Elle s’enferme avec les trois malades et son matériel d’analyse. Elle s’efforce de soulager les symptômes de fièvre et de tremblements. Cela dure huit jours.

    Aux ordinateurs, après quarante-huit heures, Ushi le fakir et Xéna sa compagne concluent que le ralentissement est la meilleure solution. Lyan est avisée. Les lits, les tables, sont fixés au plancher.

    En réalité, il n’en est rien. Nos cosmonautes sont cachés sous les lits et ils animent des mouvements saccadés. Les malades semblent sanglés solidement alors qu’ils actionnent des ustensiles pour mimer les mouvements incontrôlés des couvertures. Ces scènes, les plus importantes d’après la scénariste Lyan, sont reprises des dizaines de fois, jusqu’à ce que la coordination soit parfaite. Même la musique est originale. Ushi a sa flûte et Hani fait des tambours improvisés. Mietsa complète avec ses fameux cris d’insectes. La vidéo est prête.

    Il ne reste plus qu’à attendre que les assistants « au sol » annoncent la proximité de la ceinture de Kuiper. Cet anneau de débris de toutes dimensions dont un des plus gros, la planète naine Pluton, est situé au-delà des planètes officielles, mais fait tout de même partie du système solaire. La ceinture contiendrait plus de soixante-dix-mille corps de plus de cent kilomètres de diamètre dont plus de mille ont déjà été identifiés. La ceinture s’étend entre dix et vingt heures-lumière du soleil (entre quinze et vingt-huit milliards de kilomètres).

    Quand la ceinture fut annoncée, vint le temps de la simulation des coordonnées avec l’équipe « au sol ». La solution mathématique fut un simple arrêt des propulseurs pendant huit heures. Ils reçurent des félicitations pour la justesse de leurs calculs basés sur les données transmises par les assistants. Les autres activités, toutes vitales pour la survie, furent menées de front.

    Ils attendirent encore trois jours avant d’envoyer la vidéo. Selon le protocole, l’équipe au sol en prendrait connaissance environ quinze heures plus tard. Pour les besoins de la simulation, cette ceinture de Kuiper fut annoncée comme prévu au cours de la troisième semaine d’enfermement. Pendant le voyage, ce serait plutôt un mois et demi. On ne leur fit aucun reproche pour la vidéo non sollicitée.

    En bon fakir, Ushi trouvait que trente minutes de tournette étaient trop peu pour lui. Il faisait quatre-vingt-dix minutes de marche athlétique à la place. Il était grand et mince, avec la barbichette évidemment. Tout le monde s’en inspira. C’était un merveilleux passe-temps, et moins dur pour les genoux que la course. Ainsi les accumulateurs conservaient un très bon niveau de charge.

    Mietsa veillait à la santé des microbes bénéfiques et surveillait l’éclosion éventuelle d’organismes indésirables. C’était une condition de survie essentielle. Elle était l’experte en recyclage. Pas un gramme de matière ne lui échappait. La poussière de l’aspirateur, les eaux usées, les excréments… Elle était responsable de la santé et de la bonne odeur. Elle avait la collaboration inconditionnelle de tout le monde. Quand il la voyait débordée, Kizo l’aidait s’il le pouvait, ou glissait un mot discrètement à un collègue. Mais elle était intransigeante sur la qualité du travail, aussi tyrannique qu’un chef dans sa cuisine.

    Raduno prenait de plus en plus en charge le jardinage hydroponique. Il collaborait activement avec Mietsa pour le compostage. Il s’occupait de l’alimentation des alevins dans les bassins d’engraissement. Il veillait à la croissance de certains vers dont les poissons raffolaient. Il préparait aussi divers échantillons pour Xéna, qui tenait des dossiers très détaillés de l’évolution de la plupart des micro-organismes présents à bord. La variété de poisson choisie était le heterandria formosa gold, apparenté aux guppies. Ce poisson bien connu, qui atteint deux centimètres environ pour les mâles, et trois pour les femelles, est un des plus petits poissons au monde. C’était bien suffisant pour des convives qui en mesuraient à peine huit. Il se nourrit de matières végétales et d’invertébrés tels des vers et de petits crustacés. Originaire du sud-est des États unis, c’est un des seuls poissons d’aquarium qui provient d’Amérique du Nord. Il vit en liberté dans les eaux fraîches et végétalisées, aux déplacements lents ou stagnantes, et peut s’accommoder d’eaux saumâtres. Le mâle est pourvu d’un « gonopodium », pour la livraison du sperme à l’intérieur de la femelle. C’est un poisson vivipare, qui peut nager et s’alimenter dès sa sortie du ventre de la mère. Les spécimens utilisés pour l’expérience de dix-huit mois étaient simplement issus des fournisseurs habituels de poissons d’aquarium. Mais un groupe de biologistes préparait une mission aux États-Unis pour recueillir des spécimens sauvages. Ils sélectionneraient les individus représentant une gamme de variations génétiques la plus étendue possible. Ils prélevaient également des spécimens des plantes qu’ils affectionnent et des petits organismes dont ils se nourrissent. Pour cela, ils pataugeraient dans les fossés et les canaux, étangs et autres endroits peu profonds, connectés au lac Myakka et couverts de végétation dans les Everglades de Floride. Dans ces milieux, les femelles peuvent déposer les alevins et veiller sur eux à l’abri des prédateurs. Il fallait absolument prévenir la dégénérescence de l’espèce pendant des dizaines d’années. La gestion de cette source de protéines à bord du SABO ne sera pas une sinécure. Toutefois, ces poissons-moustiques, c’était leur nom commun, avaient une durée de vie maximale de deux ans. Une femelle peut donner naissance, quatre à cinq semaines après la fécondation, à deux ou trois alevins pendant sept jours. Et ces poissons ne sont pas cannibales. Donc il n’est pas nécessaire de séparer les jeunes des adultes. Leur régime se compose d’artémia (un crustacé arthropode qui vit dans l’eau salée et se nourrit d’algues vertes), ainsi que de vers microscopiques. En aquarium, il accepte divers aliments de texture fine.

    Kizo était le pilote en chef. Il se concentrait sur toutes les données disponibles à bord au sujet de leur itinéraire : données brutes d’observations cosmiques, analyses de rayonnements, traitements photographiques, surveillance constante d’objets non identifiés de toutes tailles, KBO, comètes et tout objet, même de petites dimensions, dont le seul contact, vu les vitesses impliquées, risquerait de coûter la vie à tous les passagers.

    Lyan, la compagne de Raduno, était médecin, tout comme Hani, la compagne de Itel le yogi. Les examens mensuels étaient un vrai plaisir tant elles s’efforçaient d’allier efficacité et gentillesse. Au cours des dix-huit mois, elles ne découvrirent pas de problèmes de santé importants dans l’équipage.

    Itel voyait à l’entretien général. Il découpait, soudait, boulonnait rivait au besoin n’importe quel matériau avec une égale facilité. Il décela et corrigea diverses connexions électriques et électroniques. Il réussit même à relancer des piles qui avaient cessé de fonctionner. Au besoin, il consultait Kizo ou Ushi le fakir.

    À mesure que les jours passaient, la cohésion du groupe se renforçait. Vers le dixième mois, ils refirent une « émission » vidéo. Le décalage appréhendé alors était soixante heures. Lyan avait imaginé une défectuosité de valve d’alimentation en hydrogène nécessitant un arrêt du propulseur principal suivi d’une sortie dans l’espace avec scaphandre. L’équipe des effets spéciaux releva le défi. Il fallait avancer sur la poutre reliant les réservoirs au vaisseau. Ils avaient utilisé du matériel de supports pour l’hydroponique rendus disponibles par une récolte de betteraves. La fausse poutre était placée sur un angle et Itel le yogi marchait sur les mains là-dessus alors que la caméra filmait à l’envers. Ils durent vider complètement un rangement pour simuler le sas. C’est encore Itel qui avait bricolé une porte de sas très réaliste avec de la pâte de sa composition. La bande sonore incluait une reprise du thème de la première « émission » en ouverture, et une nouvelle composition avec les mêmes instruments en fermeture.

    La préparation des repas s’organisait en consensus. La rotation des deux présences continues aux communications et au suivi de trajectoire exigeait le personnel frais et dispos. Les autres tâches offraient plus de latitude en temps normal. Il y avait beaucoup de temps normal. La deuxième priorité fut habituellement accordée à la préparation du repas du samedi soir.

    C’était la mi-enfermement, une certaine célébration était de mise. Deux personnes étaient désignées chaque semaine. Pour celle-ci, ce furent Mietsa et Raduno. Comme il y avait une surabondance de vers destinés aux poissons, ils les mirent à sécher dans la pompe à chaleur de déshumidification. Puis ils en firent une pâte assaisonnée avec des restes du dernier repas de poissons, cuits, séchés de la même manière. Après ajout de soja, de diverses épices, assaisonnements et colorants alimentaires, Raduno façonna huit faux-filets de poissons. Ce mets fut précédé d’un potage de légumes frais et de laitue accompagnée de tomates fraîches.

    La conversation tournait autour de cette trente-sixième semaine.

    — On n’a pas vu le temps passer, disait Lyan.

    — Ça tu peux le dire, répondit Kizo. On commence à peine à contrôler la cabane. Il faut admettre que c’est très réaliste comme habitat. Et les données qui nous sont fournies « avec décalage calculé » en font un simulateur de « déplacements » très crédible.

    — Je dirais, ajouta Itel, que les trente-six semaines restantes ressembleront davantage à des vacances.

    — Un toast, avec notre meilleur breuvage, l’eau pure, proposa Xéna.

    À ce moment, Lyan et Kizo se retirèrent pour remplacer aux ordinateurs Ushi et Hani. Attisés par le fumet depuis le début du repas, ils commencèrent à manger.

    — Dites donc, les cuisiniers, où avez-vous pêché ces gros poissons ? demanda Hani.

    En réalité, les « faux » filets étaient bien trente pour cent plus gros que les poissons de la pisciculture.

    — Tout au fond, répondit Mietsa, pour faire durer le suspense… En fait, il s’agit de sculptures dont la base protéinique provient de vers pétant de santé, un surplus d’inventaire que nous avons eu à rabais. Verdict ?

    — Pour l’originalité et l’audace, dix sur dix. Pour le goût, huit sur neuf. Désolé, mais ici le dix n’est pas disponible, conclut Hani.

    Ce n’était pas tout à fait comme des vacances. Le suivi obligatoire des ordinateurs devenait de plus en plus exigeant. Les techniciens leur servaient des simulations plutôt pessimistes du nuage d’Oort situé entre 0,6 et 1,5 année-lumière de la Terre. Cette sphère, située aux confins extrêmes du système solaire, contenait en effet des milliards de comètes. Mais le volume de cet espèce de ballon creux était si immense que la probabilité de croiser un objet céleste était infinitésimale. Il fallait tout de même répondre à l’exercice. Les heures de présence consécutives furent diminuées de huit à six heures. Chacun devait alors y revenir après vingt-quatre heures au lieu de trente-six heures. La routine jour/nuit, rythmée pour les plantes et pour la physiologie du corps humain, devenait oppressante. Les cosmonautes supportaient mal de se voir cantonnés dans la même heure du jour artificiel irradiant depuis l’étage. Heureusement, on s’habitue à tout. Ils réussirent à tenir le rythme pendant deux semaines. Ils furent très contents quand la période « nuage d’Oort » fut terminée. Pour trois-cent-vingt-sept alertes, environ vingt par jour, nécessitant chaque fois un suivi de trente minutes à sept heures dans les cas extrêmes, l’arrêt des propulseurs avait été commandé seulement deux fois. Ce travail avait quelque ressemblance à celui d’un contrôleur aérien. Itel avait été contrôleur aérien pendant quelques mois. Il avait été sélectionné pour la mission ZARMINA en raison, entre autres, de son exceptionnel sang-froid. Pendant les deux semaines de « ceinture d’Oort », il avait été jumelé à un moment ou l’autre, à chacun des sept partenaires. Il avait partagé ses techniques de relaxation avec chacun.

    Le reste des dix-huit mois permit à chacun de se familiariser avec l’instrumentation technique installée dans leur local, reproduisant autant que possible ce qu’il y aura à bord du vaisseau.

    Au sortir du séjour d’enfermement, ils furent accueillis par les petites personnes du laboratoire. Le premier choc fut de parler sans décalage à ces voix qui leur étaient devenues familières. Ils rencontrèrent ensuite le professeur Motodo en personne. Au cours du repas de bienvenue, la conversation glissa sur le sujet des vidéos clandestines.

    Mietsa parla pour le groupe.

    — Professeur, nous voulons rester ensemble tous les huit. L’esprit d’équipe est très fort. Il faut prévoir les aménagements de l’habitacle en conséquence.

    — Oh ! Ce que vous dites là ne me surprend nullement, rétorqua Motodo. J’ai vu ces vidéos plusieurs fois, et je vous connais depuis longtemps, chère Mietsa. C’est moi qui vous surprendrai en vous révélant mes derniers plans tout à l’heure. Les aménagements que vous souhaitez tous les huit sont intégrés à cette version. Nous aurons ensemble une dizaine de jours pour les améliorer, avant la production des premières maquettes physiques.

    Avec deux jours de repos seulement, les futurs cosmonautes et le professeur se retrouvèrent dans l’atelier de dessins. Les principales modifications demandées furent les suivantes :

    - Changer une des cages d’écureuil pour un appareil qui sollicite également les bras et une gamme importante de muscles.

    - Installer des sièges mobiles aux postes de travail, avec une hauteur de comptoir ajustable permettant le travail debout, sur un tapis roulant inclinable pouvant générer également de l’électricité.

    - Améliorer l’insonorisation des parties privatives.

    - Augmenter l’efficacité de l’éclairage hydroponique en confinant certaines sections.

    - Mieux ajuster la ventilation pour contrôler le rejet « nocturne » de CO² par les plantes.

    - Augmenter la diversité des bactéries disponibles, spécialement les variétés dénitrifiantes et fixatrices de l’azote.

    Pour compléter, il y avait les volumineux dossiers accumulés pendant ces fameux dix-huit mois. Maintenant, il fallait discuter de la durée prévue de l’odyssée.

    — Au moment où on se parle, dit Motodo, nous prévoyons quatorze ans d’accélération, vingt-quatre ans de vitesse constante, et un autre quatorze ans pour la décélération. Au total cinquante-deux ans avec un départ prévu dans trois à quatre ans. Notre doyenne, Mietsa, aura quarante-cinq ans au moment du départ, et quatre-vingt-dix-huit ans à l’arrivée. Les plus jeunes femmes, Hani et Lyan, auront soixante-seize ans quand le vaisseau se posera sur Gliese-581g. Depuis le début, nous savons tous que des personnes plus jeunes devront naître dans l’habitacle pour que l’établissement sur cette planète soit possible.

    La période idéale pour les naissances serait au début de la période de vitesse constante, dans dix-huit ans, alors que les jeunes femmes auront quarante ans… Avec moins de surveillance aux appareils de navigation, il sera possible de consacrer à temps complet deux personnes pour porter les enfants, les éduquer, leur enseigner les rudiments du langage, des sciences, des arts et des mathématiques. Ensuite, il faudra leur apprendre à consulter les documents qui sont à bord,

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