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Évacués
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Évacués

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About this ebook

Histoire basée sur des événements réels

Quelqu’un a déjà dit : « Chacun des 80 000 évacués de Fort McMurray a une histoire à raconter… » En voici sept.

Sept personnes, sept vies, un point commun: Fort McMurray. Cette fiction est inspirée de la tragédie qui s’est déroulée en Alberta en mai 2016. Bien que les personnages soient issus de l’imagination de l’autrice, leur vie pourrait être celle de n’importe quelle victime des terribles incendies survenus à Fort McMurray.

Plongés au cœur des événements, un pompier forestier, une adolescente, une infirmière québécoise et quatre autres personnages œuvrant dans différents secteurs racontent leur vie avant, pendant et après le drame. Malheureusement, certains vivront des catastrophes qui pourraient leur être fatales.
LanguageFrançais
Release dateMar 18, 2021
ISBN9782925049630
Évacués
Author

Isabelle Joannette

Isabelle Joannette, autrice du roman à sensation Évacués. Mariée, mère de trois enfants et diplômée en techniques d’éducation spécialisée, Isabelle Joannette travaille à la Commission scolaire de Montréal auprès de jeunes autistes. Cette fonction lui a inspiré l’écriture de quelques ouvrages pédagogiques, dont plusieurs portant sur la lecture. Passionnée par la littérature depuis toujours, elle a commencé à dévorer tous les romans qui lui tombaient sous la main dès l’âge de 9 ans, d’où, sûrement, son intérêt pour l’écriture. Évacués est son tout premier roman.

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    Book preview

    Évacués - Isabelle Joannette

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    Table des matières

    Remerciements

    Chapitre Un    La vie avant l’évacuation

    Chapitre deux L’évacuation

    Chapitre trois Après l’évacuation

    Chapitre 4      La rencontre

    Épilogue        10 ans plus tard

    Évacués

    Isabelle Joannette

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    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Évacués / Isabelle Joannette.

    Noms: Joannette, Isabelle, 1979- auteur.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200087517 | Canadiana (livre numérique)

    20200087525 | ISBN 9782925049616 (couverture souple) | ISBN 9782925049623 (PDF)

    | ISBN 9782925049630 (EPUB)

    Classification: LCC PS8619.O254 E93 2021 | CDD C843/.6—dc23

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) ainsi que celle de la SODEC pour nos activités d’édition.

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    Dessin de la couverture: Jim Lego

    Direction rédaction: Marie-Louise Legault

    ©  Isabelle Joannette, 2021 

    Dépôt légal  – 2021

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

    Imprimé et relié au Canada

    1re impression, février 2021

    Remerciements

    Merci à ma collègue Claudia qui me soutient dans tous mes projets, ainsi qu’à mes amis Facebook qui m’encouragent constamment sur ma page d’écrivaine. De même, un très grand merci aux éditions La Plume D’or qui ont cru en moi et qui ont vu le potentiel de ce roman. Je tiens aussi à remercier les éditions du Blé. Bien qu’ils aient refusé mon manuscrit, ils ont tout de même eu la gentillesse de me transmettre leurs commentaires, grâce auxquels j’ai pu améliorer mon histoire, qui a fini par trouver preneur. Enfin, un gros merci à ce journaliste qui sans le savoir, m’a inspiré l’idée d’écrire ce roman. J’ai malheureusement oublié son nom. Maintenant, c’est à vous, lecteurs, lectrices, de faire de ce roman un succès!

    Chapitre Un

    La vie avant l’évacuation

    Je suis né et j’ai toujours vécu à Lac La Biche. Quand j’étais tout petit, derrière la maison, mon père avait construit une grande galerie recouverte d’un petit toit. Le balcon au complet était muni de moustiquaires. Ma mère adorait se bercer là, le soir, pour profiter de la fraîcheur des brises d’été, bien à l’abri des moustiques et autres insectes.

    L’année de mes onze ans, ma famille et moi avons été chassées de la maison par un feu de forêt. À la télévision, j’ai vu les images des pompiers forestiers, alors qu’ils combattaient l’incendie. Ils ont été filmés par un journaliste en hélicoptère. Le plus incroyable c’est que la scène a été filmée chez moi. Des images vraiment impressionnantes! On voyait de la fumée sortir du toit de la galerie, pendant que les pompiers arrosaient la maison. Ensuite, l’un d’eux est monté sur le balcon et a défoncé le toit avec sa hache. Une mer de feu en est sortie et les flammes ont déferlé sur les moustiquaires et les planches du balcon. Avec de l’eau et un extincteur de fumée, ils ont tout éteint et sauvé notre demeure. Quand nous sommes revenus chez nous, j’étais fasciné de voir que la maison n’avait pas brûlé. C’est à ce moment que j’ai su ce que je ferais, plus tard, comme métier.

    Quand j’ai annoncé à mes parents que je souhaitais devenir pompier forestier, ma mère a jugé que ce n’était pas une bonne idée, du fait qu’il s’agissait d’un métier dangereux. Mon père ne s’inquiétait jamais de rien, alors que ma mère, elle, s’en faisait pour bien des choses. Voilà un portrait simple de mes parents!

    Finalement, ma mère s’est fait juste un peu de mauvais sang pendant ma formation de pompier. Ce qui l’a aidée, c’est que mon père a toujours eu les bons mots pour la rassurer. La première fois qu’elle m’a vu en uniforme, elle m’a dit que j’étais un beau jeune homme et que je briserais bien le cœur de bien des jeunes femmes. Cette phrase qu’elle m’a dite m’a donné l’idée de me rendre dans les bars en uniforme quand j’avais envie de draguer des filles. Ce stratagème m’a valu quelques conquêtes!

    Le jour où j’ai reçu une médaille de bravoure, ma mère a assisté à la cérémonie en pleurant comme un veau, tellement elle était fière et émue. Le geste qui m’a fait gagner cette médaille s’est déroulé durant le premier été où j’ai travaillé comme pompier forestier.

    Je suis parvenu à sauver une famille de campeurs que tous mes coéquipiers croyaient condamnée. Personne n’osait s’approcher de leur tente, car le brasier était trop fort et les arbres autour tombaient comme des mouches. Ce jour-là, j’ai fait preuve de témérité pour les secourir. Le père de famille était le seul à être conscient et à crier au secours, sa conjointe et leurs deux enfants s’étant évanouis à cause de la fumée. Je voulais sauver les enfants d’abord, mais le père a dit que sa conjointe était brûlée, que les blessures semblaient sérieuses et qu’il voulait que je la sorte de là avant les gamins.

    J’ai carrément sauté à travers les flammes avec la femme dans mes bras, pendant que mes collègues m’arrosaient. Ce fait, mon lieutenant ne voulait pas que j’y retourne, mais j’ai fait fi de son ordre. Cette fois, Michaël, un de mes coéquipiers, m’a suivi. On a pris chacun un enfant dans nos bras et ensuite, j’y suis retourné pour chercher l’homme, qui avait finalement perdu connaissance à son tour. J’ai eu du mal à le tirer de là, car il était costaud. Mes collègues ont réussi à créer une brèche dans le cercle de flammes qui m’entouraient, ce qui fait que je suis parvenu à réaliser ce sauvetage incroyable.

    Puisque l’homme était en arrêt respiratoire quand je l’ai tiré du feu, mon lieutenant a dû entreprendre les manœuvres de réanimation. Durant un instant, j’ai cru que nous allions le perdre, mais contre toute attente, il est revenu à la vie, non sans m’arracher un énorme soupir de soulagement.

    Après cette intervention, mon lieutenant m’a sermonné pour avoir pris autant de risques. En revanche, c’est avec un grand sourire qu’il m’a serré la main quand j’ai reçu ma médaille. Michaël aussi en a reçu une, ce jour-là. C’est un bon gars avec qui j’aime bien passer du temps. D’origine francophone, chaque fois qu’il parle anglais, il ne peut s’empêcher de pousser des jurons en français. Même si je ne comprends pas ce qu’il dit, je trouve ça marrant! Le mot que je trouve le plus drôle, c’est ciboire. Quand je lui ai demandé de traduire ces jurons, il m’a expliqué que plusieurs d’entre eux font référence à des objets religieux. C’est un peu étrange, pour moi!

    Pendant la cérémonie de remise des médailles, la famille qu’on avait sauvée était au premier rang, dans l’assistance, juste à côté de mes parents, de mon frère et de la famille de mon ami et coéquipier. À la fin, j’ai discuté avec les victimes, que je revoyais pour la première fois depuis le drame.

    La mère a été brûlée au troisième et quatrième degré sur plus de soixante pour cent de son corps et est devenue aveugle, mais elle était heureuse d’être encore vivante pour continuer à élever ses deux enfants. Ces derniers ont eu le dos complètement brûlé, mais ont miraculeusement survécu! Son conjoint m’a fait une longue et chaleureuse accolade, puis s’est mis à pleurer. Je l’ai gardé contre moi jusqu’à ce qu’il arrive à sécher ses larmes.

    Le temps a filé et je suis devenu moins téméraire. Michaël m’a dit qu’on ferait mieux de faire gaffe à nos couilles si l’on veut avoir l’occasion de gagner d’autres médailles! Le mot couilles, il le dit toujours en français. Plusieurs gars de l’équipe lui ont demandé ce que ça veut dire. Alors maintenant, tout le monde sait ce que sont des couilles.

    Avec son côté vantard, Mickaël se sert de sa médaille pour draguer les filles. Étant plus humble, je ne me vante jamais d’en avoir gagné une, même si j’en suis fier. À force de côtoyer mon ami, un jour, je lui ai demandé comment sa famille s’est retrouvée à Lac La Biche, alors que leur nom de famille est québécois. Il m’a répondu que ses grands-parents paternels sont nés, ont grandi et se sont mariés au Québec. Pour leur lune de miel, ils ont décidé d’aller camper dans l’Ouest canadien. Ils sont tombés en amour avec la région et ne sont plus jamais retournés dans l’Est!

    Pour parler, maintenant, de ma vie personnelle, je pourrais raconter l’un des moments les plus importants de ma vie. Il s’agit d’un événement qui s’est déroulé en 2003. J’étais pompier depuis quatre ans et on m’avait déployé en Californie. Le président des États-Unis avait demandé du renfort au premier ministre du Canada pour combattre l’un des pires feux de l’histoire de cet État. Plusieurs comtés étaient en train de brûler. Plus de deux mille maisons et bâtiments ont été réduits en cendre. Durant cet incendie, il y a eu des morts et des blessés graves, notamment au sein d’une équipe de pompiers qui s’était vue encerclée par les flammes.

    Lorsque mon équipe est arrivée au poste de commandement, nous avons assisté à une réunion pour recevoir les directives. Y assistaient également: quatre pilotes d’hélicoptère bombardier d’eau en provenance du Canada, venus sur place à bord de deux engins.

    Ce n’est pas le fait d’avoir été déployé là-bas qui m’émeut, mais plutôt une rencontre que j’y ai faite. L’un des pilotes canadiens faisant partie de l’équipe était une femme. Elle avait de longs cheveux noirs tressés. En l’observant, j’ai remarqué ses yeux et son nez. Elle semblait avoir des traits amérindiens, mais son teint était clair. Probablement qu’elle était métissée. Je la trouvais belle. Dans son cou, il y avait une lanière de cuir; sans doute portait-elle une amulette porte-bonheur sous son chandail.

    Je me suis surpris à espérer avoir l’occasion de l’aborder pour discuter avec elle. C’était comme si un magnétisme mystérieux m’attirait vers elle. J’écoutais d’une oreille distraite le commandant américain, qui expliquait alors le plan de lutte. Puis les gens se sont mis à bouger autour de moi; la réunion était terminée. Tout le monde se préparait à partir et il fallait se mettre au travail. La rêverie à laquelle je m’étais laissé aller m’avait placé dans un état de confusion. Je ne savais pas ce que je devais faire! J’ai donc demandé à Michaël de me breffer. Pour toute réplique, il m’a dit, en français: «Je t’ai vu mater la fille».

    —What did you say?

    —Sorry, budy. I saw you checking out this girl.

    Puis il a retrouvé son anglais et m’a tout expliqué. On devait se rendre dans une zone broussailleuse pour créer un coupe-feu et tenter d’empêcher l’incendie d’atteindre un rang où se trouvaient quelques résidences, une église, une école, la mairie et un bâtiment où des produits chimiques inflammables étaient entreposés. Cet endroit avait été ciblé pour tenter d’éviter que le feu atteigne l’entrepôt de produits dangereux. Non loin de là, il y avait un marécage; c’est là qu’un des hélicoptères s’approvisionnerait en eau pour accomplir sa tâche, alors que le deuxième serait envoyé sur un autre front quelques lieues plus loin.

    Mon équipe a dû marcher une trentaine de minutes pour gagner le lieu de notre intervention. Avec notre équipement lourd sur le dos, il fallait être en forme pour marcher aussi longtemps. Au loin, les colonnes de fumée en provenance des feux étaient bien visibles. On percevait aussi la rougeur des flammes. Arrivés à notre destination, nous étions déjà en sueur. J’ai pris quelques gorgées d’eau dans ma gourde avant de m’atteler à ma tâche. Il restait environ cinq heures avant le coucher du soleil, et donc, il fallait abattre le plus de travail possible; car on ne pourrait continuer dans le noir. Quand j’entendais l’hélicoptère, je me demandais si la belle aux cheveux noirs était à son bord où si elle était partie sur l’autre front.

    Une fois la noirceur arrivée, on a quitté le site pour se mettre à l’abri pour la nuit. Le rang que nous devions protéger semblait avoir été sécurisé, mais il nous faudrait y retourner à l’aube pour nous en assurer.

    Au campement désigné, j’ai revu cette femme qui m’attirait tant, tandis qu’elle retirait sa chemise d’uniforme trempée de sueur. Elle portait une petite camisole avec un peu de dentelle, ce qui m’a permis de voir son porte-bonheur. C’était, comme je le pensais, un objet amérindien. Elle a sorti de son sac un T-shirt propre qu’elle a enfilé et à ma grande surprise, il était aux couleurs de l’école secondaire que j’ai fréquentée.

    Je tenais donc un motif pour l’aborder: on venait de la même ville. Nerveux et surpris de l’être, car habituellement, je suis confiant quand je drague, je me suis dirigé vers elle pour faire connaissance. En discutant avec elle, j’ai appris qu’elle avait terminé le secondaire deux ans avant moi. Sa mère était Amérindienne et son père, blanc. Elle s’appelait Jamie.

    Elle m’a fait certaines confidences, comme entre autres, celle où elle m’a raconté que durant son enfance, elle avait souvent été la cible des moqueries de ses camarades à cause de ses origines. Moi, j’étais aussi une cible, mais pour une raison différente: j’ai un frère trisomique. On s’est raconté beaucoup de choses, on se parlait comme si on était de vieux amis et on s’est côtoyé pendant les quatorze jours qu’a duré notre mission.

    Avant de retourner au Canada, nous avons échangé nos numéros de téléphone. Entre nous, je ressentais une chimie que je n’avais jamais ressentie jusque-là, mais j’ai gardé ce sentiment pour moi. J’en ai toutefois glissé un petit mot à Michaël durant le trajet de retour vers chez nous. Je sais qu’il aime que je montre de l’intérêt pour le français, alors, je lui ai demandé comment dire I’m in love! En fait, ce que Mickaël préfère, c’est quand j’essaie de répéter des mots ou des phrases dans sa langue maternelle. Donc, il a ri en m’entendant répéter: je suis en amour!

    Jamie et moi nous sommes fréquentés quelques mois, puis avons décidé de nous marier, avant de fonder une famille un peu plus tard.

    Au travail, quand j’ai annoncé à mes coéquipiers que je serais papa pour la première fois, un gars que j’ai toujours trouvé antipathique, mais sans savoir pourquoi, a eu des paroles méchantes devant cette annonce.

    —Avec ta femme qui est métisse, a-t-il dit, t’as pas peur que ton bébé ressemble à un indien?

    J’allais lui mettre mon poing sur la gueule, mais Michaël m’en a empêché, pendant qu’un autre gars a émis un commentaire pour faire comprendre à Philip que ce n’était pas correct de parler ainsi.

    —Où c’est que t’as été élevé pour parler de même? l’a-t-il sermonné. Ferme ta gueule au lieu de dire des choses aussi arriérées!

    —C’est O.K., les gars. J’voulais juste faire une joke. Je m’excuse, Andrew.

    —Philip, compte-toi chanceux que j’ai pas laissé Andrew te péter la gueule! a répliqué Michaël en ajoutant le mot connard en français.

    —Wow, les boys, calmez vos nerfs! Je pensais pas que ma joke serait si mal reçue.

    Ayant décidé d’intervenir avant que la situation ne dégénère, le lieutenant nous a indiqué que la pause était finie, qu’il fallait nous remettre au travail, ce que tout le monde a fait sans rouspéter en raison de la tension qu’il régnait dans l’air. Toujours est-il que je comprenais maintenant pourquoi je n’ai jamais aimé Philip!

    Bref, je n’ai pas vécu d’autres problèmes du genre par la suite et la grossesse de Jamie s’est déroulée comme un charme. Elle n’avait pas trop de nausée et tout allait bien. À l’échographie de douze semaines, on nous a appris que nous serions les heureux parents d’une fille. Le 7 février, comme Jamie n’avait toujours pas accouché, son médecin a décidé de la provoquer.

    Elle a demandé à accoucher sans épidurale. Après dix heures de travail, il n’y avait presque pas eu de progression. Son col n’était ouvert que de quatre centimètres et je n’en pouvais plus de la voir souffrir autant. Je l’ai donc convaincue d’accepter l’épidurale. L’injection faite, il s’est écoulé six heures avant qu’elle n’accouche. Quand le bébé est enfin sorti, la pauvre Jamie, épuisée, m’a remercié d’avoir insisté pour qu’elle prenne l’épidurale.

    Pendant l’accouchement, j’ai eu quelques frayeurs. La première, c’est quand j’ai vu le médecin prendre un bâton pour crever les eaux de Jamie. J’ai serré les dents en me disant que ce gros bâton lui ferait sûrement mal une fois enfoncé dans son vagin!

    Ma deuxième frayeur est survenue quand j’ai vu l’anesthésiste arriver pour procéder à l’épidurale. Outre un masque chirurgical, il portait des gants stériles qui lui allaient jusqu’aux coudes, alors que les manches de sa blouse se trouvaient sous les gants. Il a ouvert une valise remplie de fioles et d’aiguilles de différentes grosseurs. «Pourquoi tant de précautions? Est-ce que l’épidurale peut être dangereuse pour Jamie?» m’étais-je demandé.

    Enfin, ma dernière frayeur, je l’ai ressentie après la sortie du bébé. Disons que j’ai un peu paniqué en voyant le médecin faire des points de suture à ma femme, qui grimaçait à chaque mouvement qu’il exécutait. Sans doute que l’épidurale ne faisait plus effet, car Jamie semblait beaucoup souffrir. Je n’ai jamais osé la questionner sur ce qu’elle a ressenti, du fait que je ne voulais plus penser à ces moments pénibles à regarder! Aussi, j’avoue avoir eu une pensée égoïste lorsque je me suis dit que le vagin de ma femme était maintenant abîmé. Je me suis même demandé si cela aurait un impact sur notre vie sexuelle.

    Deux ans plus tard, nous avons eu un autre bébé. Cette fois, par contre, la grossesse de mon épouse a été plus pénible. Elle avait continuellement des nausées et des brûlements d’estomac. Les médicaments ne faisaient aucun effet. Elle éprouvait du mal à manger et prenait peu de poids. En revanche, l’accouchement s’est déroulé en moins de six heures et sans épidurale. C’était un garçon. Sans l’avouer à Jamie, j’étais soulagé que notre dernier bébé soit un gars, car c'est ce que je souhaitais.

    Bien sûr, j’aimais notre fille, que je trouvais magnifique. Or, je voulais un fils pour pouvoir faire du sport avec lui plus tard. Je sais que c’est un cliché sexiste, mais j’avais hâte de lui montrer à frapper des circuits avec une batte de baseball. Je m’imaginais aussi en train de regarder le football et la boxe, avec lui, à la télé.

    Quand notre fils est né, ses yeux étaient d’un bleu très clair. J’ai pensé qu’ils changeraient de couleur plus tard, puisque Jamie et moi, et même nos parents, avons les yeux bruns. Alors, quand il a atteint l’âge d’un an, c’est avec surprise que j’ai constaté qu’ils étaient tout aussi bleus!

    —Jamie, comment est-ce possible? ai-je demandé à ma femme.

    —Tu ne vas quand même pas penser que je t’ai trompé?

    —Pas le moins du monde! Je sais très bien que tu ne peux pas trouver meilleur que moi au lit! En plus, à part pour les yeux, notre fils est mon portrait tout craché!

    —Vantard! Mais c’est vrai qu’il te ressemble beaucoup. Je pense qu’il doit tenir ses yeux bleus de mon grand-père paternel. Quand je suis devenue assez grande pour analyser les choses et poser des questions, je lui ai demandé pourquoi ses yeux étaient bleus. Je voulais savoir s’il était malade, du fait que je ne connaissais personne d’autre qui avait les yeux de cette couleur!

    —Cette perspicacité ne m’étonne pas de toi, mon amour! Est-ce que ton grand-père te manque?

    —Parfois, mais j’étais quand même jeune quand il est décédé; j’avais sept ans. J’étais plus près de ma grand-mère maternelle, qui elle, a vécu très longtemps. D’ailleurs, sa mort est survenue seulement quelques mois avant que je fasse ta connaissance!

    —C’est vrai, je me souviens qu’au tout début de notre relation, tu as dit être en deuil de ta grand-mère.

    Au fil des ans, j’ai eu à répondre à des questions en lien avec la couleur des yeux de Brandon, mais j’ai fini par m’habituer à la situation!

    Lorsque celui-ci a eu trois ans, on s’est acheté une mignonne petite maison dans le quartier où l’on habitait. Nous avons profité d’une vente de succession pour obtenir cette maison pour une bouchée de pain! J’adorais son extérieur avec sa porte et ses volets jaunes. Quand on l’a visitée, Jamie est tombée en amour avec l’intérieur, dont les murs étaient tout en bois plutôt qu’en gypse.

    ***

    Moi, j’ai épousé un fermier. Mon mari s’appelle Jack. Celui-ci a pris la tête de la petite ferme familiale, en Saskatchewan, quand son père est devenu trop vieux pour s’en occuper. Je l’ai rencontré à l’église où nous allions chaque dimanche, lui et moi, en compagnie de nos parents. Quand je l’ai épousé, je venais tout juste de célébrer mes vingt et un ans.

    Un an après notre mariage, je suis tombée enceinte, mais j’ai fait une fausse-couche vers ma douzième semaine de grossesse. Un an plus tard, je suis à nouveau tombée enceinte. Cette fois, Jack m’a dit de rester au lit pour éviter de perdre le bébé. Durant tout ce temps, il s’est pratiquement occupé tout seul de la ferme. Il travaillait vraiment dur. Plus que quinze heures par jour, parfois plus, ce qui est beaucoup trop. Il était très fatigué à la fin de sa journée. Tellement, que je me sentais nulle de ne pas l’aider.

    Je me suis sentie soulagée quand j’ai mené ma grossesse à terme. Soulagée, aussi, que nous ayons eu une fille en bonne santé que nous avons appelée Ashley. Pendant mon accouchement, après vingt heures de contractions sans la moindre progression, le docteur a pris la décision de me faire une césarienne. Après celle-ci, j’ai eu du mal à me relever de mes couches. C’est là que Jack et moi avons choisi de ne pas avoir d’autres enfants.

    J’ai senti que mon mari était déçu à l’idée qu’il n’aurait jamais de fils, mais il a continué d’être un bon mari, un bon fermier et un bon père. Il s’est occupé seul de la ferme jusqu’à ce que le bébé fasse ses nuits, histoire que je puisse garder la forme et me remettre de ma césarienne.

    Un jour, après que j’aie recommencé à travailler à la ferme, alors que je rangeais des balles de foin avec Jack, j’ai fait une fausse manœuvre et plusieurs balles sont tombées sur moi. J’ai ressenti plus de peur que de mal, mais cet accident a incité Jack à me tenir à l’écart des gros travaux, histoire que je n’aie pas d’accident, ce qui du coup, a augmenté sa charge de travail.

    Un soir, il m’a souligné que quand il serait vieux, il n’aurait pas de fils à qui léguer la ferme. Alors, à quoi bon continuer de travailler si dur s’il n’y avait aucun héritier pour prendre la relève? Il voulait donc tout vendre et déménager, histoire qu’il voulait changer de vie. Je lui ai signifié qu’Ashley pourrait très bien hériter de la ferme, mais il a répondu qu’une ferme, c’était l’affaire d’un homme, pas d’une femme. Nous avons discuté un certain temps et il s’est montré si inflexible, que je me suis découragée.

    Je savais que ma fille adorait vivre à la ferme et jouer avec les animaux. J’étais donc déçue que Jack veuille vendre, mais je n’ai malheureusement pas réussi à le convaincre d’abandonner son idée. D’un autre côté, je voyais bien qu’il s’épuisait au travail et que nous ne gagnions pas beaucoup d’argent. Nous n’étions pas pauvres, nous ne manquions de rien, comme on dit, mais il arrivait parfois que nous eussions un peu de mal à boucler notre budget lorsque les récoltes étaient mauvaises. À ce compte-là, je comprenais un peu pourquoi il voulait vendre la ferme et faire autre chose.

    Comme Ashley avait cinq ans, j’ai indiqué à mon époux que je tenais à ce qu’elle termine son année scolaire avant notre déménagement et il a accepté. Je lui ai alors demandé où il souhaitait vivre et comment il entendait gagner sa vie.

    —J’aimerais aller vivre à Fort McMurray. Il paraît qu’il y a de bonnes jobs, là-bas, et des bons salaires, m’a-t-il répondu.

    —Où est cette ville et qu’est-ce qu’elle a de particulier?

    Il m’a appris que Fort McMurray se trouvait en Alberta et que dans cette région, l’exploitation pétrolière créait beaucoup d’emplois. Quand nous avons pris notre décision, il s’est rendu sur place à bord de son pick-up, sans Ashley et moi, histoire de dénicher un travail et un logement. C’était la première fois qu’il partait de la maison. M’y retrouver seule avec Ashley me semblait un peu étrange. Je me suis un peu sentie prise au dépourvu.

    Je me suis occupée de la vente de la ferme et de nos biens. Au début du mois d’août, nos affaires en Saskatchewan étant réglées, ma fille et moi avons pris l’avion pour aller rejoindre Jack.

    Mes beaux-parents, qui étaient toujours propriétaires de la ferme, ont gardé le quart du produit de la vente et nous ont laissé le reste. Ils ne voulaient prendre que ce dont ils avaient besoin, histoire d’être à l’abri des tourments financiers. Il faut dire qu’ils vivaient modestement. C’est sans doute pour cette raison qu’ils n’avaient pas besoin de beaucoup d’argent.

    Quand Ashley et moi sommes montées dans l’avion pour nous rendre en Alberta, la petite était très excitée. Elle s’est assise à côté du hublot et s’amusait à compter les nuages. Quand elle s’est lassée de ce jeu, elle s’est mise à imaginer que les nuages avaient différentes formes. Alors, elle cherchait à quoi ils ressemblaient.

    —Regarde, maman, celui-là ressemble à un cœur. Et celui-ci, à un bébé chat tout mignon. 

    Elle trouvait ainsi plein de formes et j’ai participé à son jeu. Ensuite, elle a inventé des histoires. Elle me racontait que des fées vivaient dans les nuages et s’amusaient à sauter dessus. Grâce à son imagination débordante, elle ne s’est pas ennuyée une seconde durant le voyage.

    Notre avion s’est posé à Edmonton. Après quoi, nous avons pris un autre vol pour Fort McMurray. Quand nous sommes arrivées, Jack nous attendait. Voilà deux mois qu’Ashley n’avait pas vu son père. Inutile de dire qu’elle lui a sauté dans ses bras pour le couvrir de bisous. Après avoir récupéré nos valises, nous nous sommes rendus au stationnement pour monter dans le pick-up. Pendant le trajet, Ashley ne faisait que raconter à son père ce qu’elle avait vécu à l’aéroport et

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