La Question ouvrière à la fabrique néerlandaise de levure et d'alcool: Essai de solution pratique
By Ligaran and Jacob Cornelis van Marken
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La Question ouvrière à la fabrique néerlandaise de levure et d'alcool - Ligaran
EAN : 9782335017076
©Ligaran 2015
MAISONS OUVRIÈRES.
Henri de Louw Photo : Delft.
Avant-propos
L’appétit vient en mangeant, – et en mettant la plume sur le papier, la passion d’émettre vos idées vous prend de plus en plus et on en vient à faire un livre. C’est ce qui m’est arrivé, si toutefois l’on veut bien accorder le nom présomptueux de livre aux pages qui vont suivre.
M’étant associé de grand cœur à la « Société formée pour faciliter l’étude des diverses méthodes de participation du personnel dans les bénéfices de l’entreprise », j’assistais à l’assemblée générale annuelle du 17 mars dernier. J’y fus invité à exposer les systèmes de primes, de participation, etc., que j’ai introduits dans la Société anonyme « Fabrique néerlandaise de levure et d’alcool », dont j’ai l’honneur d’être le directeur. C’est l’accueil que rencontrèrent mes communications dans cette réunion, qui me détermina à publier ces pages. Dans ma première idée, ce travail ne visait qu’à la traduction d’un rapport sur la participation aux bénéfices, que j’ai rédigé en faveur de ce principe et présenté au Conseil d’administration de notre société anonyme au mois d’août 1880. Cette traduction une fois terminée, je ne pus résister au désir de compléter ce travail par la description de toutes les institutions que j’ai fondées dans l’intérêt du personnel et qui forment ensemble ce que j’ai eu l’audace d’intituler « Essai de solution pratique de la question ouvrière ». J’ai l’espoir de ne pas avoir fait une œuvre stérile, à une époque où tout le monde s’occupe de cette question, et doit s’intéresser à sa solution.
Quand j’invoque enfin l’indulgence des lecteurs français j’espère qu’ils chercheront dans cette prière autre chose qu’une phrase banale. Le style, je le sais, trahira l’étranger, qui n’a cherché que trop souvent, sans les trouver, le mot juste, la tournure française. Je suis du reste convaincu qu’auprès de tous ceux qui s’intéressent au but que je me suis proposé, le fonds moral et social de mon travail leur fera accepter la forme littéraire.
J.-C. van MARKEN Jr.
Delft, Septembre 1881.
Introduction
La société anonyme
Nederlandsche gist-en spiritusfabriek
(Fabrique néerlandaise de levure et d’alcool)
La Société anonyme « Nederlandsche Gist-en Spiritusfabriek » (Fabrique Néerlandaise de levure et d’alcool) a été fondée à Delft en 1869, au capital de 200 000 florins, sous la direction de l’auteur du présent volume. Dès le début, le directeur considéra le dévouement aux intérêts du personnel de l’entreprise comme devant former partie intégrante de sa tâche. Il exprima sa foi dans le principe de la solidarité des intérêts entre le capital, l’intelligence et le travail. Il se déclara convaincu que l’entreprise doit profiter à tous et à chacun des trois éléments qui président à sa prospérité ; qu’aucun d’eux ne doit, et ne peut même à la longue, prospérer aux dépens des deux autres, ni souffrir à leur avantage. Cette foi, cette conviction, cependant, avaient moins de chances d’être partagées, à mesure que la prospérité de l’entreprise se faisait attendre. Il est de mon devoir, toutefois, de constater avec gratitude, que le Conseil d’administration et les actionnaires de notre Société, malgré les déceptions du début, me laissaient parcourir sans opposition le chemin que je m’étais tracé. Ils continuaient à m’honorer de leur confiance, sachant qu’un système honnête et bien déterminé présidait à ma gestion.
La foule, moins indulgente, se moquait de mes idées et de mes innovations : « Belle philanthropie », s’écria-t-on, « mais pour les dividendes, point de nouvelles ! » J’ai toujours récusé ce nom de philanthrope, qui, même prononcé sans ironie, ne constitue pas, à mon avis, un titre d’honneur pour l’industriel pratique. J’ai la conviction intime que l’industriel de nos jours a une mission sérieuse à remplir, mais que, en la remplissant, il ne travaille point aux dépens de lui-même, mais au contraire dans son propre intérêt. Il faut être aveugle pour nier que la prospérité et la moralisation du travailleur, employé ou ouvrier, doivent augmenter et augmentent en effet, ses forces physiques et intellectuelles, encouragent son zèle et son assiduité, et par conséquent doivent contribuer et contribuent à la prospérité du patron.
Les résultats des derniers exercices ont donné raison à cette appréciation, que l’union des intérêts fait la force de l’entreprise. Le succès de notre Société est devenu un fait rare dans les annales de l’industrie de notre pays. Après quatre années stériles, les actionnaires, en 1874, commencent à jouir de dividendes de 5 à 6 %. À mesure que les institutions en faveur du personnel se développent les bénéfices s’accroissent. L’exercice de 1877 rapporte 13 % au capital. L’année suivante donne des espérances encore plus élevées ; mais voilà qu’un incendie éclate dans l’usine, suspend tout travail pendant cinq mois et nous laisse avec une clientèle à regagner. Néanmoins les bénéfices permettent encore le paiement d’un dividende de 6 1/2 %. La vente des produits a bientôt dépassé le chiffre d’avant le désastre, l’exercice de 1879 donne aux actionnaires 24 %. Les agrandissements successifs des locaux ne suffisent plus à la demande croissante des produits de la fabrique ; vers la fin de 1880 mûrit le projet de construire une seconde usine, à côté de l’ancienne ; cette proposition est votée à l’unanimité par l’assemblée générale des actionnaires et le capital nécessaire de 200 000 florins souscrit plusieurs fois. En attendant l’ouverture du deuxième établissement, le dividende pour l’exercice de 1880 peut être fixé à 36 % ; et cela malgré les 19 000 florins de primes que nous avons payés au personnel dans le courant de cette année, malgré les 7 000 florins que, à la fin de cet exercice, nous avons réservés sur les bénéfices pour assurer aux membres du personnel des pensions dans la vieillesse. Et encore, ces résultats ne sont nullement dus à des conjonctures heureuses pour notre industrie mais aléatoires, ni à des spéculations avantageuses mais précaires : nos concurrents, et il y en a nombre dans le pays, se plaignent amèrement que le temps et les circonstances leur sont contraires. Le secret de notre succès ne doit être cherché, à mon avis, que dans le dévouement de tout notre personnel, dévouement qui nous a fait atteindre un certain degré de perfection dans la fabrication, obtenir des matières premières un rendement exceptionnel, qui nous a acquis la confiance d’une clientèle de plus en plus nombreuse et fidèle, et qui enfin a élevé notre fabrique de levure et d’alcool au niveau des plus étendues, des plus prospères, et, j’ose le dire, des mieux réputées du monde.
Tels sont les résultats de notre entreprise au regard du capital. Abordons maintenant l’objet de cet ouvrage. Exposons les principes, considérons les institutions, les moyens, qui, dans mon opinion, ont contribué, en grande partie, à cette réussite brillante ; arrêtons-nous à chaque institution, afin de déterminer le résultat de l’entreprise quant à l’autre élément coopérateur : le travail.
Le rapport, qui forme la première partie de ce volume, défend d’abord la nécessité d’assurer l’avenir des ouvriers ; il expose ensuite les relations entre les facteurs coopérateurs et le rôle que joue chacun d’eux dans l’entreprise, pour en conclure à la participation du personnel aux bénéfices, comme une question de justice et d’équité. Ce rapport, développant les idées générales de l’auteur sur la question ouvrière, forme pour ainsi dire la base de l’ensemble des institutions, décrites dans la deuxième partie du présent ouvrage. Les règlements de ces institutions sont chaque fois suivis, pour autant qu’il m’a paru nécessaire, d’un court aperçu sur leur origine, sur leur motif et sur les résultats obtenus.
Caisse des retraites pour la vieillesse et participation aux bénéfices
Rapport et propositions
À Messieurs les membres du Conseil d’administration de la Société anonyme : « Nederlandsche Gist-en Spiritusfabriek. »
Messieurs,
Lorsque je vous ai soumis notre bilan de fin décembre 1879, vous avez bien voulu accueillir favorablement ma proposition ayant pour but de prélever une somme de 3 000 florins sur les bénéfices de notre entreprise, pour l’appliquer à la fondation d’une caisse des retraites en faveur des membres de notre personnel.
La commission d’intéressés chargée de la vérification du bilan a donné son approbation à cette décision ; l’assemblée générale des actionnaires y adhérait par son silence.
En adoptant ma proposition, vous avez simplement résolu la question en principe, la discussion du mode d’exécution ayant été remise à plus tard. Dans notre dernière réunion, après un entretien préliminaire à ce sujet, vous avez manifesté le désir de me voir exprimer mes idées sur cette question par écrit et d’une manière plus étendue, pour faciliter ainsi la discussion verbale de la question, et permettre de la traiter ensuite avec toute la gravité qu’exige l’importance de la chose elle-même. Dans les pages qui suivent, je m’acquitte de cette mission. Si, d’une part, j’ai lieu de craindre d’avoir trop compté sur votre patience, j’ai l’espoir cependant, d’un autre côté, de rencontrer cette fois encore la même bienveillance, que jusqu’ici mes projets ont obtenue de vous. J’espère, d’ailleurs, que l’importance même de la grande question sociale que nous avons à traiter me fera pardonner l’épreuve à laquelle je crois devoir soumettre votre patience et votre attention.
On ne peut nier que la lutte pour l’existence n’occasionne à tous ceux qui sont condamnés à vivre d’un revenu restreint, et particulièrement à l’ouvrier, des soucis lourds et pesants. C’est déjà beaucoup quand l’existence de