Réussir la transmission ou l'achat d'une entreprise: Les clés de la réussite
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Réussir la transmission ou l'achat d'une entreprise - Sébastien Dossogne
Préface
Eric DE KEULENEER
PréfaceEric DE KEULENEER est ingénieur commercial (ULB - Solvay Brussels School of Economics). Il est titulaire d’un Master of Business Administration (Wharton School, University of Pennsylvania). Il est actuellement président du comité de direction de Credibe et professeur à la Solvay Brussels School of Economics. Il est également président de la Cinémathèque royale, administrateur délégué de la Fondation Universitaire, administrateur de plusieurs sociétés belges et président du Civic European Center.
Il a rédigé de nombreux articles sur des thèmes liés aux matières financières ; il est l’auteur d’un livre consacré à L’Autonomie bien contrôlée (1997) et co-auteur de l’ouvrage L’Entreprise surveillée (2003).
Il est régulièrement associé aux recherches et débats sur ses thèmes de prédilection : banques & finances, économie & gouvernance, énergie & électricité ou encore responsabilité sociale des entreprises.
Préface de
Eric DE KEULENEER
Ce livre nous parle de la transmission d’entreprise, terme particulièrement approprié à la problématique, tant l’entreprise est un organisme vivant et créatif, un élément essentiel dans le système d’économie de marché. Un élément qui accroît le potentiel de ce système, mais lui présente aussi des défis.
Certains ont tendance à considérer l’entreprise comme un objet qui s’achète et se vend à loisir, avec un grand détachement par rapport à cette entreprise. Un détachement qui permet des jugements froids et des décisions apparemment rationnelles. On supprime ceci, on allège cela, on cherche à réduire des coûts, à accroître l’efficacité immédiate. Accroître la valeur, dit-on alors avec une certaine emphase.
Mais traiter de la transmission d’une entreprise, c’est évoquer non seulement la propriété et son prix, mais aussi la prise en compte des richesses multiples de l’entreprise et des manières de conserver ces richesses, et de les confier à de nouveaux actionnaires et gestionnaires. Cela signifie non seulement en estimer le prix ou la valeur marchande, mais également veiller à ce que le savoir-faire et les valeurs qui y sont accumulées puissent être préservées et valorisées au mieux dans l’intérêt de toutes les parties. L’ensemble de l’entreprise, qui est fait de confiance et de loyauté entre elle et ses employés, ses clients et ses fournisseurs, peut alors continuer à fonctionner, et prendre un nouvel essor.
L’entreprise est devenue un élément essentiel dans le système d’économie de marché qui avait été décrit par Adam Smith dans La Richesse des Nations (1776). La lecture qu’il proposait de cette économie de marché soulignait que dans un marché où règnent la concurrence et la transparence, la poursuite par chacun des acteurs de leur intérêt personnel peut se faire de façon très naturelle et optimiser l’Intérêt Général. Dans ce système, le profit marchand est légitime, parce qu’il correspond alors à une véritable valeur ajoutée, provenant de la qualité du produit et de son prix juste : grâce à la concurrence et la transparence, il faut offrir de bons produits ou services, au juste prix, pour convaincre durablement des clients.
C’est une vision très positive qu’il propose, mais pas angélique. Il met en garde contre les entreprises disposant de monopoles ou de cartels (à son époque, ce sont surtout les Compagnies coloniales à chartes, ou les gens d’affaire se réunissant pour cartelliser les marchés, « conspirer contre l’Intérêt Général ») ; il dénonce leur tendance à abuser de leur position dominante et de leurs clients au bénéfice de quelques dirigeants, ainsi que leur capacité à survivre malgré une mauvaise gestion car elles échappent à la sanction des marchés. Il n’est pas angélique, mais il croit que les « gens d’affaire » (industriels ou commerçants) ont intérêt à se comporter de façon éthique avec leurs clients, leurs fournisseurs et leurs collaborateurs, puisque cette éthique de fonctionnement permettra d’établir la confiance et que cette confiance entraîne à terme une réelle valeur ajoutée. Il disserte longuement sur la notion d’ « intérêt personnel » qu’il propose de légitimer, en insistant sur le fait que les gens d’affaire peuvent trouver une gratification et un intérêt personnel à gagner de l’argent bien sûr, mais aussi à faire de bons produits, à susciter la satisfaction de leurs clients, à obtenir une bonne réputation qui étend et consolide leur clientèle.
Adam Smith écrit à la fin du 18e siècle, lorsque la plus grande part de l’activité économique est assurée par des individus agissant en nom propre et responsabilité personnelle. À partir du milieu du 19e siècle, l’entreprise organisée en commandite ou en société, que l’on peut aussi appeler « entreprise institutionnelle », se généralise et permet de démultiplier les capacités productives du système. Elle permet de mobiliser des capitaux, des ressources humaines, des infrastructures considérables, tout cela dans la durée. Elle apporte toutefois aussi un risque de gigantisme nuisible aux mécanismes de marché, et dont les effets sont aussi, parfois très durement, imposés aux travailleurs. Il existe dès le 19e siècle des patrons soucieux du respect de la dignité sociale, mais ils ne le sont pas tous, et la course au seul profit a provoqué alors bien des dégâts et des réactions justement critiques.
Mais l’entreprise institutionnelle apporte une dimension essentielle pour la capacité productive du système, qui est une dimension de coopération entre tous les acteurs, coopération qui permet de définir et assurer au mieux l’intérêt de l’entreprise. Obtenir cette coopération fructueuse suppose aussi introduire une distinction très importante, on peut même parler de rupture, par rapport au système d’Adam Smith, puisque le dirigeant de l’entreprise (comme tous ses employés) doit privilégier l’intérêt de l’entreprise, et pas son intérêt personnel, dans une sorte de « contrat social », similaire à celui qui devrait lier les citoyens dans la vie publique. Le risque existe que cet intérêt personnel prévale, et pervertisse tant la définition que la poursuite de l’intérêt réel de l’entreprise, en créant alors ce que les économistes appellent le « problème d’agence » : le dirigeant, qui est l’agent des actionnaires, risque de poursuivre son intérêt propre, qui peut être très différent de celui de l’entreprise. Il faut que les dirigeants soient capables de viser l’intérêt de leur entreprise pour que celle-ci continue à s’inscrire harmonieusement dans le système de marché. Les dirigeants professionnels n’ont pas naturellement cette capacité, et les remèdes jusqu’ici apportés à ce problème, les bonus et options sur actions, ont souvent aggravé le problème en réduisant l’objectif de l’entreprise au seul enrichissement à court terme.
Les entrepreneurs qui créent une entreprise et la développent réconcilient généralement sans difficulté cette apparente contradiction, ce problème d’agence ; ils sont, tout comme l’individu qui faisait des affaires en nom propre au 18e siècle, capables d’éprouver un sentiment de gratification lorsque leur entreprise fait de bons produits, des services utiles et attrayants, lorsque leurs clients sont satisfaits, lorsque leurs employés collaborent à ce succès en trouvant une satisfaction dans leur travail. Les créateurs d’entreprise et entrepreneurs travaillent pour faire du profit bien sûr, mais ils savent que pour en tirer pleine satisfaction et consolider leur entreprise à long terme, il est important aussi qu’elle soit gérée en fonction d’un ensemble de valeurs. Dans cette phase, l’« entreprise entrepreneuriale » s’inscrit assez naturellement dans le système. On constate aussi que les héritiers de ces entrepreneurs à succès arrivent très souvent à maintenir la prospérité de leurs entreprises, à les transformer durablement dans une phase d’« entreprise familiale », et qu’ils sont alors en tant qu’héritiers et actionnaires, et sur de nombreuses générations, les gardiens des valeurs qui en font le succès.
On peut bien sûr espérer que les lois et règlements seront suffisamment bien faits pour éviter les comportements prédateurs. Des experts en gestion plaident depuis longtemps (le professeur Philippe de Woot en Belgique étant à cet égard un précurseur au niveau international) pour que les entreprises – y compris les plus grandes ne bénéficiant plus d’une influence familiale – prennent en compte leur Responsabilité Sociale ; certains dirigeants, s’inscrivant dans la ligne des grands patrons sociaux du 19e siècle, essayent de bonne foi de traduire cela dans des codes et de les appliquer, mais on est encore très loin d’atteindre des résultats suffisants, et sans législation et régulation forte, il est à craindre que les problèmes que de nombreuses entreprises posent au bon fonctionnement des marchés perdurent, en particulier tant que les rémunérations de leurs dirigeants sont structurées pour les encourager.
Il est donc important de se rappeler que les problèmes que connaît actuellement l’économie de nos pays ne sont pas inéluctables, et qu’ils ne sont pas la conséquence logique ou nécessaire du système d’économie de marché dans lequel nous vivons. Ils sont dangereux pour ce système, comme son premier défenseur l’avait compris et prédit, mais sont nettement moins importants dans un système basé sur des myriades d’entreprises de toutes tailles fonctionnant dans un marché concurrentiel et transparent. Si l’on veut renforcer notre système d’économie de marché et en atténuer les excès et les dysfonctionnements, il est bon de favoriser la multiplicité d’entreprises de toutes tailles et