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L’adulte âgé dans le droit des personnes et de la famille: Chronique de jurisprudence belge
L’adulte âgé dans le droit des personnes et de la famille: Chronique de jurisprudence belge
L’adulte âgé dans le droit des personnes et de la famille: Chronique de jurisprudence belge
Ebook410 pages5 hours

L’adulte âgé dans le droit des personnes et de la famille: Chronique de jurisprudence belge

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La question qui est au centre des préoccupations des auteures, membres de centres de recherches qui s’intéressent aux problématiques liées à la vulnérabilité, est de savoir si la mise en oeuvre des règles de droit positif permet la prise en compte des spécificités liées au grand âge. Il s’agit pour les auteures de vérifier, à la lumière d’une analyse de la jurisprudence belge, l’effectivité de la mise en œuvre des potentialités que recèle à cet égard le droit des personnes et de la famille.

Les auteures se sont en conséquence penchées sur les ordonnances, jugements et arrêts dont la motivation révèle que le (grand) âge d’une des parties ou d’une personne concernée de près ou de loin par l’espèce, a – ou n’a pas, malgré qu’il ait été invoqué au cours des débats – joué un rôle dans la décision finale, ainsi que sur ceux qui nourrissent la représentation sociale de l’adulte âgé. L’objet de l’étude consiste à analyser, à l’appui de ces décisions, la manière dont les magistrats sont amenés à prendre en compte les particularités liées au grand âge, dans l’application des règles juridiques, que celles-ci visent spécifiquement les personnes dites âgées ou qu’elles soient de portée générale.
LanguageFrançais
Release dateMar 30, 2016
ISBN9782804470050
L’adulte âgé dans le droit des personnes et de la famille: Chronique de jurisprudence belge

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    L’adulte âgé dans le droit des personnes et de la famille - Florence Reusens

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier.

    Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.

    Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.larciergroup.com.

    © Groupe Larcier s.a., 2016

    Éditions Bruylant

    Espace Jacqmotte

    Rue Haute, 139 - Loft 6 - 1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN : 9782804470050

    Les Cahiers du CeFAP

    Parus dans la même collection :

    Les nouveaux aspects juridiques de l’adoption : quelques thématiques spécifiques, 2009, 424 pages

    Des violences intrafamiliales perpétrées sur les enfants... à la déchéance de l’autorité parentale, Caroline Boudot, 2010, 192 pages

    Le statut juridique du couple marié et du couple non marié en droit belge et français, vol. 1, Les statuts légaux des couples, Jean Hauser et Jean-Louis Renchon (dir.), 2012, 712 pages

    Les après-midis d’études du CEFAP. Actualités en droit de la famille 2 octobre 2015. Questions actuelles en droit des successions

    L’hébergement égalitaire, 2015, 160 pages

    Préface

    Dans cette chronique de jurisprudence relative à l’adulte âgé dans le droit des personnes et de la famille, Florence Reusens et Alexandra Tasiaux nous livrent le fruit d’un travail de fourmis. Les auteures ont en effet passé à la loupe des centaines de décisions de nos cours et tribunaux afin de repérer celles dans lesquelles la notion d’adulte âgé intervenait pour fonder ou influencer le point de vue final adopté par le juge. En filigrane, la question centrale à laquelle les auteures cherchent une réponse au fil de leurs travaux est de savoir si les mécanismes juridiques actuels sont suffisamment efficients pour aborder les questions liées aux adultes âgés ou s’il convient de développer un « droit des adultes âgés », articulé autour de principes et de concepts distincts et spécifiques.

    Pour répondre à cette question et analyser en conséquence les décisions des cours et tribunaux, il s’agissait d’abord pour les auteures de définir la notion d’adulte âgé, et ce premier travail fut lui-même déjà complexe. En effet, s’agissait-il de privilégier le critère de l’âge ? Ce choix aurait certes été le plus simple. Dans ce cas en effet, le qualificatif d’âgé viendrait nuancer, à partir d’un certain moment, le concept d’adulte de manière stable et objective. Mais opérer un tel choix reviendrait aussi à perdre en couleur et en contextualisation. À 45 ans, l’adulte est un travailleur âgé ; à 65 ans, un travailleur est tellement âgé qu’il est en âge de prendre sa retraite mais jusque 80 ans, les gériatres le considèrent comme un « jeune âgé » qui ne devient vraiment âgé qu’à 80 ans, etc. Nous pourrions multiplier les exemples. Dès lors, les auteures ont pris le parti audacieux et difficile, dans le cadre de leurs travaux, de considérer l’adulte âgé comme « une personne qui renvoie cette image, réelle ou prétendue, à son interlocuteur, voire la revendique comme justiciable ».

    À partir de cette définition, il est alors question de capacités physiques et mentales, d’histoires de vie, de relations humaines, de choix, de souhaits, de protection, d’interventions de tiers, proches ou moins proches… Bref, il est question d’humain. Mais face à l’humain, il est aussi question de droit et surtout de vérité juridique, nécessairement réductrice, puisque le droit ne retient par essence qu’une toute petite part de la vie, seulement celle qui permet d’appliquer les mécanismes juridiques en vigueur.

    À propos de ces mécanismes juridiques en vigueur, on relèvera bien sûr que, si certaines dispositions légales seront toujours inchangées au moment de la publication de cet ouvrage, le hasard du calendrier a eu pour conséquence que la législation en matière d’incapacité des majeurs a été fondamentalement modifiée à la suite de l’entrée en vigueur au 1er septembre 2014 de la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d’incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine.

    Cette modification législative n’enlève cependant rien à la pertinence et à l’actualité de cette chronique. D’une part, la chronique offre l’avantage de faire le point sur la jurisprudence lorsqu’il est question d’adulte âgé, d’autre part, le nouveau régime d’incapacité modifiera sans doute l’application des dispositions « techniques » de notre droit mais ni les faits, ni les situations vécues par les adultes âgés concernés. En ce sens, la chronique n’en est que plus riche puisque les situations vécues y sont abordées dans toute leur complexité et toutes leurs dimensions.

    Un des considérables mérites de l’analyse à laquelle les auteures procèdent est précisément de faire apparaître, en mettant en exergue les hésitations, les incertitudes, voire les contradictions des décisions des cours et tribunaux, à quel point le statut de la personne âgée est devenu complexe dans nos sociétés contemporaines.

    Il y a aujourd’hui un discours « jeuniste » qui tend à disqualifier le grand âge, au motif que ceux qui l’auraient atteint seraient nécessairement « démodés », voire « dépassés » au regard des mutations accélérées de la vie sociale et économique. Il est loin le temps où on les considérait, au contraire, comme les vrais sages, seuls aptes, en raison de l’expérience accumulée, à indiquer aux plus jeunes la voie de la modération et du juste équilibre.

    Mais, dans le même temps – est-ce par une forme de compensation ? – on entend malgré tout reconnaître à ces « vieux », exclus du champ social et économique, l’autonomie la plus large possible dans leur vie personnelle et patrimoniale, comme s’ils n’allaient jamais, en définitive, être atteints par le « grand âge ».

    Or, la réalité physique – oserait-on dire « naturelle » – est, au contraire, qu’à un moment qui est assurément très différent selon les personnes, leur histoire, les accidents de leur existence, une personne âgée va perdre sa pleine autonomie, c’est-à-dire sa pleine intelligence, sa pleine volonté, sa pleine lucidité.

    Doit-on, à ce moment-là, prendre davantage en compte qu’elle n’a pas encore complètement perdu son autonomie, ou, inversement, qu’elle a commencé à la perdre ?

    Comme le révèlent un grand nombre de décisions présentées par les auteures, telle est la question combien difficile qui se pose chaque fois qu’un juge est amené à examiner la validité du consentement exprimé par une personne très âgée.

    On peut comprendre que les magistrats hésitent à annuler une vente, une donation, un testament, tantôt par respect pour la liberté de toute personne de vendre, de donner, de tester, tantôt par souci de ne pas mettre à néant un acte qui, en tout cas lorsqu’il s’agit d’une vente ou d’une donation, a été accompli et a déjà sorti ses effets.

    Et pourtant, le consentement qui avait apparemment été exprimé par cette personne très âgée était-il un consentement « éclairé », pour reprendre une expression de plus en plus souvent utilisée et invoquée, avec l’objectif de protéger ceux qui n’avaient pas été en mesure d’appréhender complètement les multiples aspects d’un acte juridique qu’ils ont été appelés à signer dans des circonstances laissant planer un doute sur leur pleine intelligence, leur pleine volonté, leur pleine lucidité ?

    C’est que – et c’est malheureusement la dimension la plus problématique du grand âge – le moment à partir duquel une personne va devenir dépendante d’autrui est aussi le moment où il existe un risque sérieux qu’elle devienne la victime des appétences de ceux qui instrumentaliseront cet état de dépendance.

    Il y a la dépendance matérielle, bien sûr, mais peut-être surtout la dépendance affective et psychique qui très souvent l’accompagne, car la « dés-autonomie » entraîne souvent avec elle la « dé-liaison » sociale et relationnelle.

    Or, les nombreuses décisions de jurisprudence analysées par les auteures font souvent apparaître que les tiers « intéressés » – comme on dit dans notre langage – étaient précisément très intéressés à ce qu’une personne âgée exprime un consentement qui allait être de nature à leur faire profit.

    On perçoit bien, à la lecture de cet ouvrage, que la tâche du juge est alors particulièrement délicate, et on peut assurément comprendre un certain préjugé favorable des auteures pour la préservation de l’autonomie de la personne âgée.

    Ce préjugé favorable, qui témoigne de leur bienveillance à l’égard de ceux qui restent évidemment des personnes à part entière, est assurément justifié par le souci du respect de la dignité de toute personne humaine.

    Mais, dans le même temps, une certaine réticence à annuler un acte juridique qui, le plus vraisemblablement, n’avait pas été accompli par une personne disposant de sa pleine lucidité, pourrait devenir un gage donné à ceux qui – et on a des raisons de craindre que ce ne soit plus une situation exceptionnelle – n’ont aucun scrupule à exploiter la vulnérabilité d’une personne âgée.

    C’est aussi défendre la dignité de la personne humaine que de la protéger de ces rôdeurs qui manquent de l’élémentaire respect à laquelle la personne âgée avait droit.

    Au final, les auteures nous emmènent, tout au long de ces pages, dans un voyage au travers de l’humain et de ses vulnérabilités mais aussi de ses ressources et nous montrent comment les juges, loin d’appliquer froidement quelques normes et principes à un sujet de droit, tiennent compte autant que possible de toutes les dimensions de l’adulte âgé, un être humain comme et parmi les autres.

    Sommaire

    L’adulte âgé dans le droit des personnes et de la famille : chronique de jurisprudence belge

    Introduction

    Chapitre I

    Le statut de la personne

    Chapitre II

    Le consentement en droit des obligations

    Chapitre III

    Les incapacités

    Chapitre IV

    L’adoption

    Chapitre V

    Les obligations alimentaires

    Chapitre VI

    Le couple

    Chapitre VII

    Les successions et les libéralités

    Chapitre VIII

    Le droit pénal de la famille

    Chapitre IX

    Le droit fiscal de la famille

    Conclusions – L’adulte âgé : spécificité ou transversalité ?

    L’adulte âgé dans le droit des personnes et de la famille : chronique de jurisprudence belge

    Introduction

    1. Plus qu’un phénomène de mode, la problématique du vieillissement de la population est un véritable fait de société. On ne compte désormais plus le nombre d’écrits – scientifiques, littéraires, journalistiques, psychologiques, philosophiques, sociologiques, etc. – qui s’y consacrent. Aucun domaine n’y résiste… et ce n’est pas le droit qui viendra contredire ce constat.

    La question qui est au centre de nos préoccupations actuelles est de savoir si la manière dont sont appliquées les règles de droit positif permet la prise en compte des spécificités liées au grand âge. Il s’agit par conséquent de vérifier, à la lumière d’une analyse jurisprudentielle, l’effectivité de la mise en œuvre des potentialités que recèle à cet égard le droit dans tous ses états.

    Mais qu’est-ce pour nous une personne âgée ou un adulte âgé et quelles sont dès lors les décisions sur lesquelles porte notre recherche ? Il y a évidemment la ou les « personne(s) âgé(s) » dont il est question dans certains textes légaux. Rares sont cependant ceux qui en donnent une définition (¹) ou précisent les contours de ce que l’on entend par ces termes. On peut donc difficilement, à partir de ces textes, tenter une définition que l’on pourrait qualifier de générique. En revanche, puisque, pour reprendre la formule du philosophe Didier Martz, « il n’y a pas d’absolu de la vieillesse » (²), on peut s’accorder, en l’absence de définition générale dans le champ juridique, à qualifier d’« adulte âgé » une personne qui renvoie cette image, réelle ou prétendue, à son interlocuteur, voire la revendique comme justiciable.

    2. Notre recherche s’intéresse en conséquence aux ordonnances, jugements et arrêts (³) dont la motivation révèle que le (grand) âge d’une des parties ou d’une personne concernée de près ou de loin par l’espèce, a – ou n’a pas, bien qu’il ait été invoqué au cours des débats – joué un rôle dans la décision finale, ainsi qu’à ceux qui nourrissent la représentation sociale de l’adulte âgé. L’objet de l’étude consistera à analyser, à l’appui de ces décisions, la manière dont les magistrats sont amenés à prendre en compte les particularités liées au grand âge, dans l’application des règles juridiques, que celles-ci visent spécifiquement les personnes âgées (⁴) ou qu’elles soient de portée générale.

    Comme le titre de la chronique l’indique, il ne sera question ici que des décisions prononcées dans les matières du droit des personnes et de la famille. L’objectif plus général que nous poursuivons est toutefois de brosser l’ensemble des branches du droit. Ce travail pourrait donner lieu à un ouvrage complémentaire.

    Enfin, le but que nous nous sommes assigné étant relativement large et aux fins de maintenir une structure cohérente, nous avons opté pour une présentation de la chronique qui suit en grande partie les rubriques de la Revue trimestrielle de droit familial, dans l’ordre qui leur a été attribué par le comité de rédaction.

    (1) Voy. p. ex. l’article 378 du Code wallon de l’action sociale et de la santé du 29 septembre 2011 qui, dans son titre II relatif au dispositif de la lutte contre la maltraitance des aînés, définit ces derniers comme les personnes âgées de soixante ans au moins. Les dispositifs wallons et bruxellois relatifs à l’hébergement dit « des personnes âgées » visent par ces termes les personnes âgées d’au moins soixante ans.

    (2) M.

    Billé

    et D. M

    artz

    , La tyrannie du « bien vieillir », Paris, Le bord de l’eau, 2010, p. 50.

    (3) Elle s’arrête par ailleurs aux décisions judiciaires prononcées avant le 1er septembre 2014.

    (4) Voy. infra, les développements relatifs à l’article 909, alinéa 2, du Code civil, nos 196 et s.

    Chapitre I

    Le statut de la personne

    Section I. Le droit au respect de la vie privée (¹)

    3. Le droit au respect de la vie privée ne s’entend plus uniquement comme le droit de ne pas voir révélés par autrui des éléments relevant de son intimité mais englobe plus largement le droit à l’autonomie personnelle en ce qu’il comprend « le libre épanouissement de chacun dans la société » (²). Il s’agit en réalité pour chaque individu, « de pouvoir déterminer librement, individuellement et dans ses relations sociales au sens large, comment il entend mener sa vie » (³).

    Dans la matière plus particulière des incapacités, Thierry Delahaye nous enseigne que les choses de la vie privée sont celles qui ne regardent personne et comprennent notamment la liberté « de se soigner ou de se négliger, d’entretenir les relations familiales ou de les fuir, d’aimer ou de haïr ses proches, d’être agréable ou non […] » (⁴).

    La jurisprudence relative au champ d’application des mesures d’incapacité regorge dès lors d’exemples où il est question de la préservation de cette liberté (⁵). Il s’agit en effet, pour la personne âgée, de voir sauvegardée autant que possible sa liberté élémentaire de gérer sa vie et ses affaires (⁶) et de ne pas se voir mise « sous tutelle » uniquement parce qu’elle est âgée et que son comportement déplaît à son entourage, voire à l’autorité publique (⁷). Ainsi, pour le juge de paix d’Ixelles, « le droit au respect de la vie privée s’adresse aussi aux personnes âgées » et « l’on ne saurait admettre que, sous le couvert de la loi du 18 juillet 1991, l’autorité publique s’immisce dans la vie privée des citoyens, uniquement parce que ceux-ci sont très âgés » (⁸).

    Bien sûr, on constatera que dans les décisions ici évoquées et commentées plus loin, le droit au respect de la vie privée tel qu’il découle des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 22 de la Constitution n’est pas expressément invoqué comme tel, mais on admettra aussi qu’il apparaît en filigrane dans la motivation qui sous-tend la décision judiciaire, raison pour laquelle nous y faisons d’ores et déjà référence ici.

    4. C’est également le droit au respect de la vie privée qui sous-tend un arrêt de la Cour d’appel de Liège (⁹) statuant en degré d’appel sur une demande de désignation d’un administrateur judiciaire à l’une des parties âgée dans le cadre d’une procédure en liquidation et partage d’une succession.

    Les appelantes, fille et petite-fille de l’intéressée, critiquaient la décision du premier juge qui n’avait pas fait droit à la demande de « dire pour droit qu’un parent ne peut de manière indirecte déshériter un héritier de sa part réservataire telle que fixée impérativement par les articles 913 et 915 du Code civil » et de « désigner un administrateur judiciaire dont la mission consistera à répartir le prix provenant de la vente de l’immeuble appartenant aux parties en consignant les fonds nécessaires pour éviter qu’un des héritiers réservataires ne soit privé de sa part réservataire à la suite de l’opération constituée par la vente de l’immeuble ou, à titre subsidiaire de charger de cette mission le notaire désigné pour procéder à la vente de l’immeuble ». La petite fille estimait que sa grand-mère souffrait de troubles mentaux dus à son état de santé et à son âge et qu’elle ne disposait plus de lucidité et de bons sens au regard d’un prétendu éthylisme prolongé. Elle précisait également que sa grand-mère était sous l’influence totale d’une autre de ses filles et de la fille de cette dernière, ce qui lui faisait craindre une captation d’héritage.

    La Cour relève pertinemment que ce que les appelantes remettent en cause « est la possibilité pour leur mère et grand-mère de disposer de ses biens comme elle l’entend, estimant que celle-ci va certainement les déshériter ». Elle poursuit en précisant que « l’état actuel du droit belge protège contre toute atteinte à la liberté individuelle d’un être humain ayant toutes ses capacités mentales et physiques de disposer de ses biens comme il l’entend ; qu’il peut tout aussi bien faire des voyages, des gratifications à des œuvres de son choix, des frais de nourriture, d’habillement ou de loisirs élevés, sans que cette liberté puisse être brimée par ses héritiers potentiels », sauf pour eux à solliciter le cas échéant une mesure d’incapacité si celle-ci semble nécessaire. En l’occurrence, aucune mesure de ce type n’avait été sollicitée et il n’était du reste aucunement établi que les facultés mentales de la mère et grand-mère des appelantes étaient diminuées ou altérées.

    Quant à la question de la protection de la réserve héréditaire, la Cour considère qu’elle est exposée très clairement à l’article 913 du Code civil, avec comme sanction la réduction des donations qui dépassent la quotité disponible et « qu’il n’existe pas encore d’action ad futurum permettant à un héritier de vinculer le droit de son auteur d’user en toute liberté de ses propres biens ».

    La cour d’appel de Liège estime dès lors que la mesure sollicitée ne se justifie ni en fait ni en droit et confirme la décision entreprise.

    5. Le droit au respect de la vie privée, sans être expressément évoqué, apparaît aussi en filigrane dans un autre arrêt de la Cour d’appel de Liège (¹⁰), statuant sur le droit d’entretenir des relations personnelles qu’une belle-fille revendiquait à l’égard de son parâtre atteint de la maladie d’Alzheimer. On peut considérer que le grand âge de ce dernier a eu un impact dans la motivation de la demande de la belle-fille et dans l’arrêt de la Cour d’appel puisque c’est précisément parce qu’il n’était pas en mesure de manifester sa volonté qu’une décision devait être prise à sa place (¹¹). Il est vrai en revanche qu’il est plus question ici du droit au respect de la vie privée de la belle-fille que de celui du beau-père âgé et malade.

    La belle-fille en question était la fille de l’épouse du malade, veuve en premières noces. Sans entrer dans les antécédents procéduraux de cette espèce qu’il serait fastidieux de relater tant ils sont nombreux, on relèvera que la belle-fille avait cité sa mère en référé aux fins d’obtenir l’autorisation d’héberger chez elle son parâtre. Elle avait obtenu en première instance un droit de visite d’une après-midi par semaine. C’est l’autre belle-fille de l’intéressé ainsi que la sœur de son épouse qui interjetèrent appel de l’ordonnance de référé, dans la mesure où le premier juge avait déclaré leur intervention en la cause irrecevable, de même que celle de l’administrateur provisoire ad hoc désigné pour représenter le beau-père dans le cadre du litige. Par le biais d’un appel incident, l’épouse avait argué à titre principal de ce que c’était à tort que le premier juge avait accordé un droit de visite à sa fille et l’avait obligée à informer cette dernière de l’état de santé de son mari ainsi que des traitements lui prescrits.

    Au niveau de la recevabilité des différentes actions, la Cour estime que les deux belles-filles ont un intérêt moral à faire valoir, de sorte que leurs actions sont recevables. Tel n’est cependant pas le cas de la sœur de l’épouse, sa qualité de belle-sœur étant insuffisante à justifier son intervention. Quant à l’administrateur provisoire ad hoc, il a précisément été désigné aux fins de représenter le beau-père dans le cadre du litige initié par la belle-fille. Il a donc intérêt et qualité pour agir et son action est recevable.

    Au fond, la Cour estime que la belle-fille « conserve le droit d’entretenir des relations personnelles avec E. Du., vu les sentiments filiaux qui l’unissent à son beau-père, lequel a participé dès la prime jeunesse des enfants de son épouse à leur éducation ». Elle poursuit en précisant qu’« étant donné la maladie dont souffre E. Du., il y a urgence à ce que ces contacts soient maintenus ». La Cour autorise dès lors la belle-fille à recevoir chez elle son parâtre, une après-midi par semaine, mais prévoit que ces visites pourront être suspendues pour des raisons médicales justifiées par une attestation du médecin traitant. En revanche, considérant qu’il n’est pas démontré que l’épouse ne s’occupe pas valablement du beau-père, la Cour déclare que celle-ci n’est pas tenue d’informer sa fille du traitement médical de son époux, ni des décisions à prendre à cet égard (¹²).

    Section II. Le droit à l’intégrité physique – La protection de la personne des malades mentaux

    6. En vertu de l’article 2 de la loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux, une hospitalisation forcée ou une contrainte de soins en milieu familial ne peut être envisagée qu’à défaut de tout autre traitement approprié et à l’égard d’un malade mental, si son état le requiert, « soit qu’il mette gravement en péril sa santé et sa sécurité, soit qu’il constitue une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui ».

    Ce même article dispose aussi, en son second alinéa, que « l’inadaptation aux valeurs morales, sociales, religieuses, politiques ou autres, ne peut être en soi considérée comme une maladie mentale ».

    Les termes « malade mental » ne sont pas autrement définis. Selon les travaux préparatoires de la loi qui soulignent que les indications données au cours des discussions ne peuvent avoir qu’une valeur d’exemple, la loi ne vise que les personnes atteintes d’une maladie mentale grave, à l’exclusion dès lors de celles qui souffrent d’un trouble mental quelconque. Il est à cet égard expressément précisé que la loi ne s’applique pas aux personnes souffrant d’une simple sénilité (¹³)  (¹⁴). Analysant plus avant les débats parlementaires, le médecin et expert Philippe Boxho constate toutefois que la discussion s’est à un moment déplacée du terme « malade mental » à celui de « psychopathologie », ce qui atteste de la possibilité d’une très large interprétation de la notion de maladie mentale (¹⁵).

    7. Ainsi, se fondant sur les propos d’un autre commentateur de la loi du 26 juin 1990 qui, à la lumière des travaux préparatoires, précise que doivent être pris en considération « certains troubles qui ne relèvent pas de la pathologie d’une maladie, mais plutôt de la pathologie des traumatismes » (¹⁶), le juge de paix du second canton de Tournai estime qu’est atteint d’une maladie mentale au sens de la loi du 26 juin 1990, un homme âgé de 76 ans qui, à la suite de « plusieurs accidents vasculaires cérébraux liés à une hyperplaquétose », est affecté d’un « ralentissement de l’idéation et d’importantes variations d’humeur » (¹⁷). L’homme, au travers des troubles que provoquait son état de santé, se mettait en danger, en s’exposant au risque non négligeable de ne pas suivre sa médication avec toute la rigueur voulue. Le médecin, entendu par le juge, avait à cet égard attiré son attention sur ce que l’intéressé avait interrompu un traitement de liquéfaction de son sang qui lui avait pourtant été prescrit aux fins d’éviter la survenance de nouveaux accidents vasculaires cérébraux.

    8. Le juge de paix de Fosse-la-Ville (¹⁸) s’est montré beaucoup moins souple près d’une année après l’entrée en vigueur de la loi du 26 juin 1990. La sœur d’une personne âgée de 81 ans avait sollicité la mise en observation de celle-ci à la clinique du Beauvallon à Saint-Servais, en régime fermé. Sa requête faisait état de ce que sa sœur avait été hospitalisée à plusieurs reprises dans une clinique psychiatrique, qu’elle ne se chauffait plus, se nourrissait très peu et vivait au mépris des règles d’hygiène. Lors de sa visite à la personne à protéger, le juge de paix avait pu constater qu’elle tenait des propos cohérents, sauf lorsqu’étaient évoqués des problèmes d’argent : elle prétendait notamment qu’on lui avait volé ses économies et qu’elle était ruinée. Le médecin-expert désigné par le juge de paix concluait quant à lui à un délire paranoïaque, ajoutant que l’intéressée « néglige sa tenue, dégage une odeur désagréable et vit dans une pièce froide où règne le désordre le plus total ». Cette dernière s’opposait catégoriquement à toute hospitalisation et voulait rester chez elle, prétendant ne pas être malade. Elle vivait seule depuis soixante ans dans une maison dont elle avait gardé l’usufruit à la suite du décès de son époux sept ans plus tôt. La nue-propriétaire était sa nièce, assistante sociale, en qui elle avait confiance et qui lui rendait visite une fois par semaine pour lui apporter de la nourriture.

    Selon le juge saisi, « lorsqu’une personne âgée vit seule dans une maison qu’elle occupe depuis de nombreuses années, il n’appartient pas au juge de paix de l’en expulser contre son gré et de l’enfermer dans un service psychiatrique, aux seuls motifs que cette personne se nourrit peu, ne se chauffe pas, vit dans de mauvaises conditions d’hygiène et tient des propos incohérents sur des questions d’argent ». En effet, « toute personne âgée a le droit d’user de ses jours comme elle l’entend et où elle veut ; […] le bien-être artificiel résultant de traitements subis en milieu hospitalier n’est pas une panacée et […] celui qui se refuse à suivre ce genre de traitements ne doit pas pour autant être considéré comme un déséquilibré ».

    Dans la mesure où la mise en observation en milieu fermé ne peut se justifier que si la personne constitue un péril grave pour elle-même ou pour autrui et qu’à défaut de tout autre traitement approprié, le juge de paix précise qu’il convient de se montrer particulièrement circonspect et de ne recourir à cette mesure qu’à titre exceptionnel. Il estime en l’espèce qu’il n’y a pas lieu d’y recourir, « du moins dans l’immédiat ».

    En revanche, puisqu’il ressort des différents témoignages recueillis – notamment médicaux – que l’intéressée tient des propos délirants à propos de son patrimoine et qu’elle est inapte à assumer elle-même la gestion de ses biens, le juge estime qu’il lui incombe de lui désigner d’office, comme le lui permettait l’article 488bis, b), § 1er, alinéa 2, ancien du Code civil (¹⁹), un administrateur provisoire chargé de la protection de ses biens (²⁰). Il désigne ainsi la nièce de la personne protégée, qui s’en occupe, jouit de sa confiance et est son héritière (²¹).

    9. Dans le même sens que le juge de paix de Fosses-la-Ville, le juge de paix du second canton d’Anderlecht indique que « le seul fait pour une personne âgée de refuser de quitter son logement n’établit pas l’existence d’une maladie mentale dans le chef de celle-ci » (²²). Le juge avait en l’espèce été saisi par le procureur du Roi d’une demande de mise en observation d’une personne âgée dans le service psychiatrique d’un hôpital, dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article 9 de la loi du 26 juin 1990. La mesure initialement prise par le procureur du Roi dans le contexte de cette procédure d’urgence faisait suite

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