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La Malédiction de l'abbé Choiron: Thriller régional historique
La Malédiction de l'abbé Choiron: Thriller régional historique
La Malédiction de l'abbé Choiron: Thriller régional historique
Ebook185 pages2 hours

La Malédiction de l'abbé Choiron: Thriller régional historique

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Mystères et secrets dans l'Ardenne belge

Forgelez, en Ardenne, dans les années 1950. Un village droit planté dans le terroir, avec ses traditions, son dialecte, ses puissants et ses faibles. Arrive Choiron, le nouveau curé, qui, dans un instant de colère, laisse échapper une malédiction. Un jeune homme s’effondre, mort, dans la campagne. Comment ? Pourquoi ? Tout le monde s’interroge, à commencer par Choiron lui-même. Échappé à son milieu miséreux par la grâce du sacerdoce, promu intellectuel, professeur admiré, il a déjà appris à ses dépens qu’un prêtre reste néanmoins un pion entre les mains du haut clergé. Réduit à l’état de « curé crotté », le voilà aux prises avec le troupeau de Dieu, le vrai…

Armel Job vous plongera grâce à ce thriller historique à suspense au cœur de la région ardennaise des années 1950.

A PROPOS DE L'AUTEUR 

Agrégé de philologie classique, Armel Job a été pendant plusieurs années professeur de grec et latin avant de quitter le monde de l'enseignement pour se consacrer à l'écriture. Cette reconversion a été saluée par de nombreux prix littéraires. Auteur principalement de romans, certaines des œuvres d'Armel Job ont été adapté pour la télévision ou au théâtre.

EXTRAIT 

Ce matin, l’abbé Lucien Choiron est arrivé à la cure, vers les huit heures. Il est descendu d’une tapissière que personne n’avait jamais vue. Sur les portières étaient marqués le nom et l’adresse d’une firme de Haute-Ardenne.
Deux déménageurs rougeauds qui parlaient un wallon nasillard se sont mis à sortir quelques meubles et des dizaines de boîtes en carton. L’abbé Choiron leur prêtait main-forte. Il indiquait les emplacements et faisait quelques recommandations quand ils attrapaient des objets fragiles. C’est un petit homme dru, les cheveux en brosse et les traits taillés à la hache. Il a un air engageant, mais on sent bien qu’il s’y force. Naturellement, il imposerait plutôt le respect, la crainte même.
LanguageFrançais
PublisherWeyrich
Release dateFeb 18, 2014
ISBN9782874892332
La Malédiction de l'abbé Choiron: Thriller régional historique

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    La Malédiction de l'abbé Choiron - Armel Job

    I

    Ce matin, l’abbé Lucien Choiron est arrivé à la cure, vers les huit heures. Il est descendu d’une tapissière que personne n’avait jamais vue. Sur les portières étaient marqués le nom et l’adresse d’une firme de Haute-Ardenne.

    Deux déménageurs rougeauds qui parlaient un wallon nasillard se sont mis à sortir quelques meubles et des dizaines de boîtes en carton. L’abbé Choiron leur prêtait main-forte. Il indiquait les emplacements et faisait quelques recommandations quand ils attrapaient des objets fragiles. C’est un petit homme dru, les cheveux en brosse et les traits taillés à la hache. Il a un air engageant, mais on sent bien qu’il s’y force. Naturellement, il imposerait plutôt le respect, la crainte même.

    Les gamins qui passaient à vélo pour aller à l’école ont mis pied à terre à la mi-côte, en face du presbytère. D’habitude, ils ne conduisent leur monture par le guidon que dans le dernier raidillon. Mais ils ont envie de voir à quoi ressemble le nouveau venu. Ils marmonnent en français un prudent « Bonjour, monsieur le curé », des fois que l’inconnu appartiendrait à la vaste corporation des rapporteurs qui cafardent chez l’instituteur au moindre manquement à la politesse.

    Eh bien ! ce curé est un original. De un : il ne répond pas charitablement, mais avec bonne humeur, dirait-on. De deux : il a retroussé les manches de sa soutane. Savez-vous que les curés ne portent pas de chemise et que les soutanes ont une doublure blanche à rayures bleues ? Et les bras ! Le curé a des gros bras couverts d’un pelage noir.

    Voilà de quoi épater à la récréation ceux du dessus du village qui n’ont pas eu la chance de l’apercevoir. Une opinion hardie point dans les esprits : que les curés seraient en définitive des hommes comme les autres. Évidemment, on mesure combien une théorie fondée sur un bonjour et quelques poils demande à être vérifiée. On verra ça au catéchisme.

    À onze heures, les déménageurs sont repartis, la vessie lestée de deux litres d’Orval et la bouche obstruée d’un cigare Taff. La mère et la sœur de l’abbé Choiron arrivent dans l’après-midi. Elles l’aideront à s’installer. La mère a décidé d’habiter avec son fils. La sœur vient juste pour donner un coup de main à l’installation.

    Choiron va jusqu’à l’église, juste à côté. Il s’agenouille sur la marche du banc de communion.

    « Seigneur, votre serviteur est là. Non point ma volonté, mais la vôtre ! »

    L’oraison cale. Pas moyen de redémarrer. D’expérience, Choiron sait que la volonté de Dieu le met en panne. Il n’aurait pas dû commencer comme cela. Vraiment, les desseins célestes ont bon dos. S’il est exilé dans ce trou, c’est quand même d’abord l’effet des lubies de l’évêque, qui s’est laissé bluffer par le supérieur du séminaire.

    ***

    Au séminaire, Choiron a été un professeur admiré. Le culte que lui vouaient ses élèves l’avait persuadé qu’il aimait passionnément son métier. Il l’abandonnait donc avec un sentiment de révolte, légèrement tempéré, il est vrai, par la satisfaction aigre-douce de serrer dans ses poings la palme du martyre. Il avait consacré son dernier cours de grec à l’ostracisme. Les étudiants avaient bien compris que c’était Aristide qui quittait la chaire.

    Aristide a l’impression de se retrouver à son point de départ. Il est né dans un bled coincé au milieu d’une mer de hêtres et d’épicéas. Quand on lui demande où, il n’ose pas le dire : il se réclame du chef-lieu voisin qui ne vaut pas beaucoup mieux. Son père était cordonnier accessoirement, et prin cipalement ivrogne. La famille habitait une cambuse composée de deux pièces : une cuisine dont la moitié était encombrée de godasses tordues, immatriculées par des étiquettes blanches, et une chambre où tout le monde dormait, la section mâle séparée de l’autre par un rideau pendouillant à une ficelle. Du côté de la pluie, il y avait un appentis qui abritait une vache et quelques chèvres. Quand on n’y vit pas, c’est ce qu’on appelle une chaumière pittoresque.

    Il y a les buveurs domestiques, qui hurlent et qui battent leur femme dans l’intimité. Ce n’est pas le genre du père, un taiseux qui endosse les reproches sans arrêter de ressemeler. Son vice, c’est la ribote, dans les kermesses, dans les foires. Il s’installe au café, il joue aux cartes, il offre des tournées, il s’abouche avec des commis voyageurs, il couche Dieu sait où. Ça dure en général trois jours. Le triduum, comme disent les gens. Alors il rentre, il cuve, puis quand son estomac lui permet de se plier à nouveau, il se penche avec un soupir pour ramasser une chaussure crevée, en attendant que ça lui reprenne.

    La mère s’en sort parce qu’on vit de pas grand-chose. Ils ont trois enfants, deux filles d’abord, et un garçon. Ils sont dociles. D’ailleurs, ils n’ont guère le choix. Les parents ont la main lourde. Lucien est bon élève, très intelligent. Le curé du village l’a pris en affection.

    C’est comme ça que ça se passe. Les curés se cherchent un successeur. Ils guettent pendant des années l’enfant du peuple qui aura le cœur assez pur et l’esprit suffisamment délié. Ils l’extirpent de la bicoque et lui font goûter au latin.

    « Regina ancillam amat : la reine aime la servante. Reginam ancilla amat : la servante aime la reine. »

    Si les déclinaisons font briller les yeux du gamin comme un jouet de Saint-Nicolas, le disciple est trouvé. Il vient avec plaisir. Il se réjouit de comprendre peu à peu les répons qu’il ânonnait à la messe. Le curé lui donne des lectures, il l’emmène en voyage. Ils vont à Namur, à Bruxelles, écouter un concert, voir les musées.

    Enfin, le jour arrive où l’enfant visite un temple plus sacré encore : le petit séminaire. Il assiste à la remise des prix au milieu de la foule noire du clergé. On sollicite l’inscription. Le gros supérieur du séminaire les reçoit. Il appelle le curé par le nom de sa paroisse, comme si c’était un aristocrate.

    « Alors, Villeborne, vous avez déniché l’oiseau rare ? »

    Qui paiera ? La mère, tant qu’elle pourra. Le reste, le précepteur y pourvoira, et l’Œuvre de la moisson. Chaque fois qu’un marchand de vaches agonise, comme il ne peut tout de même pas rembourser tout le monde, son confesseur lui suggère une pénitence sonnante et trébuchante. L’œuvre est très riche.

    Du petit, on passe au grand séminaire. Renoncer serait difficile. Il faudrait être bien ingrat envers notre mère la sainte Église qui nous a fait sortir du ruisseau. Sous la soutane parfois, on a bien quelque raideur. Il faudra se sacrifier. Tout le monde se sacrifie. On pense à sa pauvre maman.

    Voilà déjà les ordres mineurs. Les ordres majeurs suivent comme un abonnement. Tout d’un coup, on est là, tonsuré de frais, sur le parvis de la cathédrale pour la photo avec monseigneur, étourdi de retraites, de neuvaines, de macérations. La mère pleure, les sœurs ont acheté une toilette qui est quelque chose entre le bal et le deuil. Le monde chavire. Le vieux curé a envie de boire, il tient le bras du père qui a secrètement fait vœu de sobriété pendant l’office d’ordination. Il lui parle d’un certain bourgogne qu’il a mis en cave quand le jeune abbé était enfant de chœur. Ce soir, il prétend trinquer avec le cordonnier qui ne lui semble pas un si grand pécheur. S’il y a bien une chose dont tous les prêtres sont sûrs, c’est que le Christ lui-même ne crachait pas sur le vin.

    Monseigneur a décidé du sort de tous les nouveaux prêtres. Les plus lourdauds seront vicaires, la crème ira à l’université catholique. Choiron doit conquérir des grades en théologie. Les plus belles années de sa vie, ses deux uniques années de jeunesse. Il s’attable avec les philologues volubiles, les pâles historiens, les carabins cyniques qui l’appellent « l’abbé » et lui tapent fort dans le dos. Un moment, il croit qu’il appartient au genre humain. Il est bachelier, summa cum laude, il entame la licence quand un télégramme du vicaire général le convoque à l’évêché.

    « Mon cher Choiron, il faut nous rendre un service. Flamion est mort. Nous avons besoin d’un professeur de qualité pour terminer l’année. Je suis sûr que vous faites l’affaire. Vous êtes brillant, vous connaissez parfaitement l’esprit du petit séminaire. On n’y passe pas huit ans impunément (je plaisante). Bien entendu, vous reprendrez vos chères études en septembre. D’ici là, nous aurons trouvé un latiniste pour succéder définitivement à ce brave Flamion. »

    Les invitations de l’évêché sont des ordres ; ses engagements, de vagues intentions. Choiron succède à son vieux maître à qui il doit des cohortes de paradigmes latins et grecs qui errent dans sa mémoire comme des soldats débandés. Il bat le rappel de la morphologie, il forme les carrés de syntaxe, les ailes des concordances, les estafettes de temps primitifs.

    Il sait, en effet, comment on accueille un jeune maître dans une classe de quatrième. C’est la guerre. Les francs-tireurs cherchent à ouvrir une brèche où quarante freluquets cruels puissent s’enfoncer. Il suffit qu’un audacieux administre à tous la preuve que le professeur n’est pas à la hauteur. Ce coup porté, on pourra chahuter jusqu’à la fin de l’année.

    « Pardon, monsieur, pourquoi diceres est-il au subjonctif ?

    — Potentiel du passé, mon ami. Crederes victos : on aurait dit des vaincus. Grammaire : 258 b, bas de la page, si mes souvenirs sont bons. »

    Pour le premier cours, Choiron a appris les numéros de grammaire de toutes les colles qu’on pourrait lui poser. Il fait mine de ne pas voir quelques têtes qui plongent dans Van de Vorst à la recherche de la référence. Le mythe est installé. Choiron connaît la grammaire par cœur, y compris les numéros des règles.

    C’est comme ça qu’on devient un maître vénéré. Ça ne coûte qu’un petit effort de mémoire, le premier jour. Après quoi, il est permis d’inventer, à l’occasion. Plus personne ne vérifie. Vous êtes un oracle. Un oracle, retenez cela.

    Le cœur du jeune professeur d’abord un peu effarouché se rassure. Quelle jouissance de se tenir sur le seuil de la porte et de sentir le brouhaha de la classe retourner au silence ! Il grimpe à l’estrade et murmure : « Mais asseyez-vous, je vous en prie », comme s’il était surpris de la civilité du parterre. Au moindre manquement, il frappe le contrevenant du trait cruel de son ironie, qui lui ralliera les loyalistes à coup sûr. Il lui faut une attention sans faille. Il a besoin de s’emparer de tous les regards, il veut les voir s’allumer tous ensemble, il prétend à la simultanéité des sourires, des exclamations, des désarrois. Le distrait lui fait insulte. Il n’aperçoit plus que lui. Cet imbécile lui ôte le fil de ses idées.

    « Dumonceau, continuez la traduction !

    — Euh...

    — Excellent début, mon ami, mais encore...

    — Je ne sais pas où on est arrivé.

    Je ne sais pas où on est arrivé ! Comment pouvez-vous traduire Caesari omnia uno tempore erant agenda par Je ne sais pas où on est arrivé. Voyons, mon brave Dumonceau, Caesari, cela vous dit bien quelque chose ? Dois-je imaginer que vous rendez Caesari par je ? »

    Après la classe, il s’agit de rattraper Dumonceau, de le prendre par le bras, de lui parler avec amitié au point qu’il s’en aille quasi heureux d’une mortification publique qui lui a valu un entretien privé, chaleureux même, avec l’oracle. Oui, la faveur est omnivore. Même les offenses l’engraissent.

    Septembre vient. Tout l’été, Choiron a attendu la lettre du vicaire général qui le rendrait à l’université. Rien n’arrive. C’est la rentrée des classes. Flamion n’est pas remplacé. S’adresser à l’évêché, Choiron n’ose pas. On n’importune pas les princes de l’Église. Nul doute que le pasteur paît avec un soin jaloux chacune de ses brebis. Il sait mieux que nous-même ce qui est bon pour le troupeau.

    Les hivers sont longs en Haute-Ardenne et la vie est morne dans un séminaire. Choiron a l’idée de faire du théâtre. Il écrit une pièce, une grande machine, avec des chœurs, des chants, vingt décors. Il faut que tous ses élèves fassent quelque chose. On joue. Le public est déchaîné. Choiron doit monter sur scène et venir saluer.

    C’est parti pour quinze ans. Chaque année, il se met en devoir d’inventer un nouveau spectacle édifiant. Il crée, il adapte les classiques. Son tour de force, c’est de commuer les héroïnes en héros. Il ne se résout au travesti qu’en cas de force majeure. Passe encore que les biceps saillant du péplum d’Agrippine ou de Clytemnestre amusent la galerie. Mais Iphigénie, mais Antigone, impossible ! Toutes les passions, tous les amours se convertissent en amitiés viriles. Que de peine, que d’élucubrations ! Enfin, on se bat pour être de sa classe et il reste cette minute de gloire annuelle quand on le tire sur la scène pour balbutier quelques mercis savamment confus.

    Il y a trois mois, sans crier gare, le gros supérieur qui présidait aux destinées de l’institution depuis une éternité est mort. C’était un brave fumeur de gros-cul. Sa fonction consistait à flétrir la conduite des élèves le lendemain des grands chahuts, à remettre les bulletins trimestriels et à prononcer un discours le jour de la remise des prix. Le reste du temps, il lisait, il jouait au whist avec le clergé paroissial et, dès que le temps le permettait, il allait taquiner la truite. Tous les professeurs lui convenaient et il se félicitait de les voir se dépenser sans compter à débrutir les cerveaux grossiers qui leur étaient confiés.

    On l’a trouvé au bord de la rivière, plié en deux, les mains agrippées à son ventre comme un gardien de but ramassé sur le ballon de football. Crise cardiaque.

    Une semaine plus tard, le nouveau supérieur, un grand sec, siégeait au haut bout de la table du réfectoire des

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