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La sixième réforme de l'État (2012-2013): Tournant historique ou soubresaut ordinaire ? (Belgique)
La sixième réforme de l'État (2012-2013): Tournant historique ou soubresaut ordinaire ? (Belgique)
La sixième réforme de l'État (2012-2013): Tournant historique ou soubresaut ordinaire ? (Belgique)
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La sixième réforme de l'État (2012-2013): Tournant historique ou soubresaut ordinaire ? (Belgique)

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Le présent ouvrage reprend les actes du colloque organisé par le Centre de droit public de l’Université Libre de Bruxelles au Parlement fédéral les 25 et 26 avril 2013. Le Centre, dans la lignée de ses travaux antérieurs, a eu pour ambition de fournir une analyse « à chaud » des chapitres essentiels de l’accord du 11 octobre 2011 pour une sixième réforme de l’État, et des premiers textes qui en ont concrétisé les termes. Une question générale a servi de fil rouge : la sixième réforme de l’État en chantier constitue-t-elle le véritable tournant historique évoqué par celles et ceux qui l’ont négociée, ou ne s’agit-il que d’un soubresaut ordinaire dans l’évolution ou la dégradation institutionnelle de l’État fédéral belge ?

Quatre interrogations supplémentaires ont orienté les réflexions. Premièrement, le volet institutionnel de la sixième réforme de l’État consacre-t-il l’existence d’une maison fédérale rénovée et assainie? Deuxièmement, une révolution copernicienne est-elle amorcée s’agissant du système de financement? Troisièmement, la sixième réforme de l’État offre-t-elle plus de cohérence, pour un meilleur service aux citoyens ? Enfin, quatrièmement, la Belgique appartient-elle à l’avenir ou au passé ?

Le colloque fut également l’occasion de rendre hommage à quatre professeurs – Philippe Lauvaux, Philippe Quertainmont, Michel Leroy et Rusen Ergec - qui, pendant toute leur carrière à l’Université Libre de Bruxelles, y ont perpétué la présence du droit public et cultivé l’esprit critique qui a animé ces deux journées. L’édition des actes de ce colloque est une manière d’en garder le souvenir.
LanguageFrançais
PublisherAnthemis
Release dateJun 26, 2015
ISBN9782874558061
La sixième réforme de l'État (2012-2013): Tournant historique ou soubresaut ordinaire ? (Belgique)

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    La sixième réforme de l'État (2012-2013) - Collectif

    YTTENDAELE

    Introduction

    Il n’y a pas d’école de droit public de l’U.L.B. Ce n’est pas un choix, c’est notre ADN. Notre Université est celle de la liberté et c’est bien celle-ci qui nourrit les travaux de chacun. Tel ne fut pas toujours le cas. Il est certain que les anciens, Walter Ganshof van de Meersch, Jacques Velu, André Vanwelkenuyzen, juristes brillants et dotés de fortes personnalités, entendaient peser sur les travaux de leurs assistants et leurs collaborateurs. Mais ceux-ci ont, le plus souvent, été réfractaires à toute confiscation de leur pensée et de leur imagination. Aujourd’hui, ce colloque est une manière de leur rendre hommage. Michel Leroy, Philippe Quertainmont, Philippe Lauvaux et Rusen Ergec, à l’instar de Monsieur Jourdain, ont fait la révolution sans le savoir et la génération actuelle leur doit beaucoup. Ce sont eux, précisément, qui ont fait que l’école de droit public de l’U.L.B. n’est pas une école, mais un foisonnement de femmes et d’hommes libres.

    Ce colloque s’inscrit dans la tradition du Centre de droit public, aujourd’hui dirigé de maîtresse façon par Julie Allard. Cela fait la cinquième fois que nous revenons en ces lieux – jadis le Parlement bruxellois et devenu depuis la Maison des Parlementaires – pour analyser les étapes majeures de la réforme de l’État et les grandes évolutions de notre droit constitutionnel. Ainsi avons-nous consacré successivement des colloques à la réforme du Sénat (1989), aux réformes de 1993, aux élections dans tous leurs états et (2000) et aux accords du Lambermont et du Lombard (2002). Notre fil conducteur a toujours été d’analyser l’actualité du droit constitutionnel, soit en temps réel, soit en anticipant des réformes à venir. Une telle démarche n’est pas sans risque : l’analyste manque de recul, travaille parfois sur des textes encore en devenir et ne bénéficie pas des études déjà menées par ailleurs. L’exercice n’en est pas moins tonique et utile, car il donne au monde scientifique et au monde politique, une matière brute, offerte au débat et aux controverses. Telle est la raison pour laquelle, une fois encore, nous avons organisé ce colloque avant même que l’ensemble des textes consacrant la sixième réforme de l’État ne soit voté.

    Notre démarche a toujours aussi été de donner la parole non pas exclusivement à des scientifiques confirmés qui, toujours, trouvent des tribunes pour s’exprimer, mais aux forces vives et jeunes de notre faculté. Le rôle d’un centre de recherche est de faire grandir et s’épanouir ses chercheurs et il n’est pas de plus beau défi pour eux, au seuil de leur carrière académique, que d’analyser des réformes à peine réalisées et d’offrir, avec leur fraicheur et leur rigueur, des points de départ à d’innombrables réflexions scientifiques. Nous sommes également profondément reconnaissants à nos collègues d’autres universités et aux responsables politiques, dans le cadre de nos tables rondes, de nous livrer leur regard aigu et subtil sur les thèmes débattus dans le cadre du colloque.

    Le défi qui est ici lancé aux orateurs est de répondre à une question iconoclaste. Qu’est-ce que la sixième réforme de l’État ? S’agit-il, comme l’ont unanimement suggéré les négociateurs, d’un tournant historique dans l’histoire de notre pays, intervenant de surcroît à un moment où d’aucuns doutaient de sa pérennité ? S’agit-il, au contraire, comme l’ont pressenti certains scientifiques, d’un soubresaut ordinaire dans l’édification du modèle fédéral belge ? Poser cette question aboutit, en filigrane, à se demander si les responsables politiques ne sont pas atteints par un virus qui consiste à donner bien plus d’importance qu’ils n’en ont aux compromis qu’ils sont parvenus à laborieusement conclure ou si les scientifiques, esprits chagrins par nature, ne sont pas viscéralement dominés par le besoin d’affadir et de minimiser l’œuvre des politiques. Bref, la question se pose de savoir si l’on peut réconcilier les regards respectifs portés par le monde politique et le monde universitaire sur la manière dont se construit et évolue la réforme de l’État.

    Enfin, au moment de conclure cette introduction, il nous est précieux d’exprimer notre gratitude à celles qui ont porté l’entreprise et rendu possible l’organisation de ce colloque. Il s’agit, tout d’abord, d’Anne Eloy des éditions Anthemis qui a magistralement veillé à son organisation matérielle et à la publication de ses actes. Il s’agit, ensuite, de Joëlle Sautois qui, avec une ferme sérénité, en a assumé la coordination scientifique et en a été dès le premier jour la cheville ouvrière.

    Annemie S

    CHAUS

    Professeur à l’Université Libre de Bruxelles

    Marc U

    YTTENDAELE

    Professeur à l’Université Libre de Bruxelles

    Avocat aux barreaux de Bruxelles et Nivelles

    PREMIÈRE PARTIE

    Le volet institutionnel : une maison fédérale rénovée et assainie ?

    À Philippe Lauvaux

    Philippe, tu es sans doute le plus fin et le plus rigoureux analyste institutionnel qu’il m’ait été donné de rencontrer. Tu as choisi Paris. Tu as choisi Philippeville. Et tes pas se sont éloignés de Bruxelles. Mais je n’oublierai jamais la main que tu m’as tendue il y a vingt-cinq ans quand ma carrière académique était bien près de se fracasser sur les remparts du mandarinat. Tu as été un directeur de thèse exigeant et complice, solidaire et rigoureux. Bref, un homme qui allie le raffinement, la culture et une générosité pudique. Tu es un homme qui ne s’intéresse en rien au pouvoir, qui n’est préoccupé que par les idées et les êtres, qui aime autant les idées que les êtres. Tu as tes secrets et tes complexités. Qui peut imaginer que derrière ton apparence délicate et élégante, tu as, perpétuant la mémoire des tiens, repris la ferme familiale de Philippeville ? Mais, que ce soit là ou ailleurs, jamais tu ne laisses ta pensée au repos et avec la distance géographique, une connaissance encyclopédique du droit comparé, tu es certainement l’un de ceux qui ont analysé, avec le plus de finesse, les institutions de notre étrange pays.

    Marc U

    YTTENDAELE

    La révision de l’article 195 de la Constitution du 29 mars 2012 :

    « Ceci (n’)est (pas) une révision »

    Pierre V

    ANDERNOOT

    Conseiller d’État

    Maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles

    Introduction : d’une Constitution rigide à son assouplissement temporaire

    1. Quel paradoxe ! L’article 195 de la Constitution belge fait de celle-ci l’une des plus rigides, l’une des plus difficiles à modifier qui soit et pourtant, depuis la fin des années 1960, après seulement deux révisions, opérées en 1893 et en 1920-1921, sur des points certes essentiels (l’instauration en deux temps du suffrage universel pour les hommes et la possibilité de l’étendre aux femmes¹ ²), mais en nombre limité³, le texte fondateur de l’État belge est en révision quasi permanente – ainsi, depuis 1978, toutes les dissolutions des chambres, sauf celle de 1985, prélude à la brève législature 1985-1987, ont été provoquées par des déclarations de révision de la Constitution –, à l’image d’une société en constante et rapide mutation.

    Ces modifications ont été le reflet tant des évolutions culturelles et politiques se faisant jour au sein du corps social sur le plan de la conception qu’il se fait des libertés publiques (par l’intégration des nouveaux droits, comme par exemple les droits économiques, sociaux et culturels⁴ ou le droit au respect de la vie privée et familiale⁵) que sur celui, bien évidemment, de l’évolution des structures institutionnelles de l’État et de ses composantes. D’autres évolutions sont venues se greffer sur celles-ci, liées de manière plus ou moins accidentelle à l’actualité, mais témoignant d’aménagements structurels eux aussi, par exemple les nouvelles règles relatives à l’indépendance de la magistrature, sous l’aiguillon du Conseil supérieur de la Justice⁶, ou la création d’un service de police intégré, structuré à deux niveaux⁷.

    Il est donc assez naturel que les trois dernières déclarations de révision de la Constitution, à savoir celles de 2003, de 2007 et de 2010⁸, après un précédent non abouti en 1919⁹, aient inclus l’article 131 de l’époque, devenu l’article 195 en 1994, portant sur la procédure même de révision de la Constitution, dans la liste des dispositions concernées¹⁰.

    2. Tel fut donc le cas de la déclaration des 6 et 7 mai 2010, mais qui – nouveau paradoxe peut-être – ne fut concrétisée que de manière limitée.

    Alors que l’on pouvait s’attendre à ce que les négociations institutionnelles de la deuxième moitié de 2010 et de l’année 2011 mettent une révision structurelle de l’article 195 à son agenda, elle fut une des grandes absentes des accords de l’automne 2011 devant conduire à une réforme de l’État¹¹. La loi de révision constitutionnelle du 29 mars 2012, intitulée « Révision de l’article 195 de la Constitution », a en effet laissé inchangé le texte de l’article 195 tout en le « complét[ant] par une disposition transitoire », intitulée comme telle, qui ne modifie en rien la procédure de révision de la Constitution à temps constant, objet pourtant de la disposition « révisée », mais qui, par une disposition dont le champ d’application ratione temporis s’effacera avec la fin de la présente législature, en principe en mai 2014 :

    énumère en un interminable alinéa 1er une liste de quinze points (dont certains, par exemple le 4°, portent sur plusieurs éléments) qui sont autant d’habilitations conférées aux « Chambres, constituées à la suite du renouvellement des Chambres du 13 juin 2010, […], d’un commun accord avec le Roi, [de] statuer sur la révision des dispositions, articles et groupements d’articles suivants, exclusivement dans le sens indiqué cidessous » ;

    à l’instar de ce qui figure toujours, comme en 1831, à l’alinéa 5 de l’article 195, anciennement l’article 131, rappelle en un alinéa 2 que « [l]es Chambres ne pourront délibérer sur les points visés à l’alinéa 1er si deux tiers au moins des membres qui composent chacune d’elles ne sont présents ; et [que] nul changement ne sera adopté s’il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages » ;

    avant de conclure en un alinéa 3, tel Magritte qui décréta que la pipe qu’il avait peinte n’en était pas une, que « [l]a présente disposition transitoire ne constitue pas une déclaration au sens de l’article 195, alinéa 2 ».

         L’adoption de cette disposition « transitoire » à l’article 195 de la Constitution laisse entier le texte de cette dernière disposition, auquel elle s’ajoute donc et qu’elle ne modifie pas à droit constant, ce qui maintient toute sa portée à la déclaration de révision de mai 2010¹².

    3. C’est la démarche précisément suivie par le préconstituant de 2010 et le constituant de 2012 en la matière qui, dans le cadre de journées limitées à la sixième réforme de l’État sous la présente législature, fera l’objet principal du présent exposé¹³. Après avoir rappelé le contexte de cette révision réduite et provisoire, ainsi que ses enjeux (section 1), il en exposera les conditions d’adoption, ainsi que les contours principaux (section 2), et, après une évaluation constitutionnelle de la validité du procédé (section 3), il tentera de tirer quelques leçons de cette expérience pour les réflexions futures relatives à une révision cette fois structurelle et éminemment souhaitable de l’article 195 (section 4).

    Section 1

    Le contexte et l’enjeu de la révision

    Sous-section 1

    Le contexte constitutionnel

    4. Point n’est besoin de s’étendre longuement sur la procédure, bien connue, de révision de la Constitution, organisée de manière immuable depuis 1831 par l’article 131, devenu l’article 195, de la Constitution. Les étapes en sont les suivantes :

    la déclaration de révision adoptée de commun accord entre les trois branches du pouvoir législatif (en ce compris le Roi avec le contreseing de son gouvernement) à la majorité ordinaire au sein de chaque assemblée, sans tenir compte des groupes linguistiques, laquelle déclaration désigne « telle[s] disposition[s] constitutionnelle[s] » précise pouvant ensuite faire l’objet d’une éventuelle révision ;

    l’effet automatique de la dissolution des chambres qui en résulte et les élections fédérales qui en découlent ;

    les Chambres devenant alors constituantes sur les points figurant dans la déclaration, l’adoption, article par article, de la révision au double quorum des deux tiers, quorum des présences et quorum des votes, par chaque assemblée fédérale, suivie de la sanction et de la promulgation royales et de la publication au Moniteur belge¹⁴.

         En outre, en vertu des articles 196 et 197 de la Constitution, « [a]ucune révision de la Constitution ne peut être engagée ni poursuivie en temps de guerre ou lorsque les Chambres se trouvent empêchées de se réunir librement sur le territoire fédéral » et, « [p]endant une régence, aucun changement ne peut être apporté à la Constitution en ce qui concerne les pouvoirs constitutionnels du Roi et les articles 85 à 88, 91 à 95, 106 et 197 de la Constitution », qui concernent la monarchie, le statut constitutionnel du Roi, la dévolution du trône et la responsabilité politique de Ses actes. Il faut mentionner également l’article 198 de la Constitution, qui, sans nécessité d’une déclaration et donc d’une dissolution préalables des chambres, autorisent ces dernières, d’un commun accord avec le Roi, à « adapter la numération des articles et des subdivisions des articles de la Constitution ainsi que les subdivisions de celle-ci en titres, chapitres et sections, modifier la terminologie des dispositions non soumises à révision pour les mettre en concordance avec la terminologie des nouvelles dispositions et assurer la concordance entre les textes français, néerlandais et allemand de la Constitution ».

    5.1. Parmi les caractéristiques principales de cette procédure, certaines d’entre elles découlant de la coutume ou résultant de consensus parfois vacillants de la doctrine, on peut noter les suivantes.

    5.2. Il a pu être observé que, selon le Congrès national, le caractère exceptionnel d’une révision impliquait qu’il y fût procédé à bref délai après la dissolution des assemblées et que donc la direction que les chambres constituantes étaient invitées à prendre devait apparaître clairement des débats entourant la déclaration¹⁵.

    Pareil constat ne saurait conduire à celui d’une exigence constitutionnelle et paraît en outre incompatible avec l’autre principe, selon lequel le préconstituant ne peut lier le constituant¹⁶. Ainsi que l’exposa le Premier ministre J.-L. Dehaene lors de l’adoption de la déclaration de révision de la Constitution de 1999, « au stade de la déclaration, il n’y a aucune prise de position quant au fond […]. On reprend donc un article dans la liste [des articles soumis à révision] uniquement pour en discuter plus tard, sans qu’il y ait là le moindre engagement de fond. »¹⁷

    5.3. La dissolution des chambres consécutive à l’adoption de la déclaration de révision implique la consultation du corps électoral, qui, par l’allure qu’il donnera aux chambres constituantes, conditionnera dans une mesure plus ou moins grande le sens des révisions envisagées¹⁸.

    Ce moment de la procédure est souvent dénigré comme étant sans effectivité, les électeurs étant prétendument préoccupés davantage par des enjeux propres aux campagnes législatives, à caractère socio-économique par exemple, que par des débats d’ordre constitutionnel¹⁹. Bernard Blero approfondit la critique en relevant que le débat électoral sur les perspectives de révision n’a pas lieu, que les déclarations sont trop hermétiques à cet effet, que la liberté normative du constituant est de nature à déforcer la vertu démocratique de la règle et qu’elle est en toute hypothèse vouée à l’échec, vu la pluralité de motifs liés à l’octroi d’un suffrage à telle ou telle formation politique²⁰.

    Il appartient sans doute davantage aux sociologues et aux politologues de se prononcer sur cette question, mais il paraît excessif de dénier toute portée, certes indirecte, à la consultation du corps électoral quant aux évolutions constitutionnelles envisagées. Les débats touchant aux structures de l’État et aux libertés publiques ne sont en effet pas sans liens avec ceux qui affleurent lors des campagnes électorales. Il serait d’ailleurs manifestement contraire aux réalités de contester que chacune des différentes étapes des réformes constitutionnelles, en tout cas celles portant sur les structures fédérales du pays, ont bien été précédées de débats entre les partis politiques, qui se sont positionnés, au su de leurs électeurs, sur les évolutions en perspective. En tout état de cause, le seul fait qu’il y ait la possibilité pour les électeurs d’influencer la composition de chambres constituantes ne saurait être sous-évaluée, au titre de l’exigence d’une « hoog democratische gehalte » de la procédure de révision, dont Jan Velaers se fait l’écho²¹. Au demeurant, le caractère solennel de la dissolution et de la convocation des électeurs peut conférer à cette phase le statut d’un « moment fondateur »²².

    5.4. Indépendamment de cette question spécifique du recours aux électeurs, la procédure comporte une période de suspension puisque, vu la dissolution des chambres et l’organisation d’élections qui s’ensuit, plusieurs mois séparent nécessairement l’adoption de la déclaration de révision de la révision ellemême. Il s’agit là d’un facteur de temporisation, évitant l’adoption de révisions dans la précipitation²³.

    5.5. La révision doit être limitée aux articles ou aux points mentionnés dans la déclaration de révision²⁴, ce qui n’interdit bien entendu pas d’insérer de nouveaux articles. La notion de « révision », inusitée en légistique ordinaire, a un sens « très général » ; elle peut comprendre le fait d’abroger, de modifier une partie d’article, d’en changer la rédaction, d’y ajouter un ou plusieurs points et d’insérer une disposition nouvelle²⁵. Mais cette exigence d’une révision article par article empêche de procéder à des révisions portant sur plusieurs articles en une seule et même loi de révision constitutionnelle et encore davantage à une révision complète de la Constitution. Cette règle ne fait évidemment pas obstacle à ce que, simultanément, dans les limites de la déclaration, plusieurs articles soient révisés en même temps par des lois parallèles de révision constitutionnelle.

    5.6. C’est à la double majorité des deux tiers, la première portant sur le quorum des présences au sein de chaque assemblée, la seconde sur celui des votes proprement dits parmi les présents, qu’enfin la révision doit être adoptée.

    Sur ce point, jusqu’en 1968, les règlements de la Chambre des représentants et du Sénat, prévoyaient que la deuxième exigence, portant sur la proportion de suffrages en faveur de la révision, se calculait sur la base du total des votants, ce qui avait en fait pour effet d’inclure les abstentions comme des votes négatifs, mais au cours de la législature 1968-1971, au moment de la première réforme de l’État, on en revint au système appliqué pour l’adoption des lois, à savoir le calcul sur la base du nombre de votes exprimés²⁶, ce qui réduisit le niveau d’exigence : à la limite, par exemple, une révision doit être considérée comme adoptée à la Chambre lorsque cent députés sur cent cinquante sont présents, parmi lesquels nonante-sept s’abstiennent, deux votent pour et un s’abstient²⁷.

    Déjà la procédure telle qu’organisée avant 1968 ne comportait pas l’exigence selon laquelle la majorité des deux tiers en faveur de la révision se calculerait sur la base du nombre total de membres de l’assemblée (à savoir, selon la configuration actuelle de la Chambre par exemple, cent députés sur cent cinquante), indépendamment du quorum des présences. La modification des règlements dont il vient d’être question, adoptée – soulignons-le en passant – à la majorité ordinaire au sein de chaque assemblée, s’est encore éloignée de cette exigence théorique.

    Les groupes linguistiques ne jouent donc aucun rôle institutionnel dans l’adoption des révisions. Il est toutefois difficilement imaginable, en fait, qu’une révision n’implique pas un consensus majoritaire dans chacun des deux groupes linguistiques des deux chambres²⁸, et ce d’autant moins que, comme c’est le cas dans le cadre de l’actuelle sixième réforme de l’État, de très nombreuses modifications apportées à la Constitution sont intimement liées à l’adoption de lois spéciales et conditionnent l’adoption de ces dernières, lesquelles requièrent, quant à elles, une majorité dans chaque groupe linguistique²⁹.

    5.7. Sauf bien entendu lorsqu’il s’agit d’insérer une disposition nouvelle ou d’abroger un article ou une partie d’article, il n’appartient pas au préconstituant de lier le constituant quant au sens dans lequel la révision doit être opérée³⁰. Compte tenu de ce qui a été rappelé ci-avant, au no 5.5, le préconstituant lie donc le constituant quant à l’objet de la révision, mais pas quant à son contenu.

    Un rapport précité de la Commission de la Chambre des représentants, rédigé à l’occasion de l’examen d’une précédente déclaration de révision de la Constitution, a résumé la doctrine en ces termes :

    « si les Chambres préconstituantes ne lient pas la Constituante, elles peuvent cependant manifester leur volonté de garantir l’intangibilité d’une disposition constitutionnelle lorsqu’elles limitent le mandat de la Constituante au libellé d’une disposition complémentaire par l’ajou[t] d’un alinéa ou par l’insertion d’un nouvel article se rattachant à un article existant. Ceci n’exclut pas, bien entendu, que certains articles nouveaux puissent avoir pour objet des matières non traitées dans la Constitution. Dans ce dernier cas, la rédaction du projet de déclaration explicite la volonté des Chambres préconstituantes. En résumé : en visant des articles existants, les Chambres ne lient pas la Constituante, mais celle-ci demeure limitée dans son droit de r[é]vision à la matière couverte par l’article. De même, si les Chambres décident de proposer une disposition nouvelle, elles doivent indiquer la matière à régler par la Constituante et celle-ci ne pourra traiter d’un autre objet. »³¹

    Lorsque le préconstituant annonce son souhait d’abroger tel article de la Constitution, le seul choix offert au constituant est celui d’y procéder ou de le refuser, mais non de modifier la disposition³².

    De plus en plus fréquemment, les déclarations de révision contiennent des indications, pour certains articles mentionnés, du sens dans lequel la révision devrait avoir lieu. On considère généralement que ces mentions ne lient pas le constituant³³.

    5.8. Selon la doctrine classique, même si la règle n’est pas expressément énoncée, lorsque les chambres constituantes modifient une disposition constitutionnelle, elles épuisent leur pouvoir sur celle-ci et seule une nouvelle déclaration, suivie donc d’une dissolution des Chambres, permet d’enclencher une nouvelle procédure de révision. Ainsi que l’explique Jacques Velu, « [l]a solution est rigide, mais elle est la seule qui respecte l’esprit de l’article 131 : l’appel au corps électoral doit permettre de dégager les aspirations de celui-ci quant au sens de la révision »³⁴. Cela ne vaudrait toutefois que lorsque le constituant a réglé la totalité de ce qui faisait l’objet de la déclaration de révision sur ce point mais « pas pour modifier des règles différentes qui seraient contenues dans un même article »³⁵.

    Selon des conceptions doctrinales plus récentes, fondées notamment sur la souveraineté du constituant, une succession de révisions sur le même objet au cours de la même législature peut se concevoir³⁶.

    5.9. La procédure de révision de la Constitution ne fait l’objet d’aucun contrôle extérieur aux chambres préconstituantes et constituantes elles-mêmes.

    La section de législation du Conseil d’État notamment ne doit pas être consultée et devrait décliner sa compétence si elle devait l’être³⁷. De même, en règle, elle ne se prononce pas sur cette procédure de manière incidente, pas même lorsqu’elle est consultée sur un avant-projet ou une proposition de loi ou de loi spéciale de mise en œuvre d’une disposition révisée de la Constitution.

    Dans un cas, le Conseil d’État a toutefois exprimé des réserves sur la validité d’une révision, non pas sur le fond, mais sur le respect par le constituant de la déclaration de révision quant à l’objet de l’amendement possible à la Constitution : dans un avis 28.079/2 donné le 13 août 1998 sur une proposition devenue la loi du 22 décembre 1998 ‘modifiant certaines dispositions de la deuxième partie du Code judiciaire concernant le Conseil supérieur de la Justice, la nomination et la désignation de magistrats et instaurant un système d’évaluation pour les magistrats’, intimement liée à la révision de l’article 151 de la Constitution qui, consécutive à l’affaire Dutroux, créa notamment le Conseil supérieur de la justice, le Conseil d’État a en effet relevé que, la déclaration de révision de la Constitution n’ayant pas ouvert à révision une disposition relative à un contrôle externe de la magistrature et n’ayant pas envisagé d’organiser un tel contrôle, « l’avant-projet de révision de [l’article 151 de] la Constitution, en ce qu’il institue un organe dont la compétence dépasse largement la matière de la nomination et de la promotion des magistrats, [qui était l’objet de l’article 151 avant sa révision], alors que la déclaration de révision de la Constitution n’envisage pas l’institution d’un tel organe, paraît méconnaître l’article 195 de la Constitution »³⁸. Ce cas est resté isolé.

    L’attitude générale d’abstention du Conseil d’État quant au contrôle des procédures de révisions constitutionnelles ne l’empêche pas bien entendu, s’il y a lieu, lorsqu’il est saisi d’un avant-projet ou d’une proposition de loi mettant en œuvre une révision de la Constitution encore à l’état de proposition³⁹, de signaler au législateur l’incompatibilité du texte législatif en projet ou proposé avec la disposition constitutionnelle elle aussi proposée, ce qui permet alors au constituant ou au législateur, selon le cas, d’adapter, munis de cette observation, soit l’avant-projet ou la proposition de texte législatif, soit la proposition de révision constitutionnelle⁴⁰.

    Sans contrôle a priori de la part de la section de législation du Conseil d’État, la procédure de révision n’en subit pas davantage a posteriori de la part de la Cour constitutionnelle⁴¹.

    5.10. Chacun aura relevé la rigidité de cette procédure, en raison essentiellement de sa distribution en deux législatures et de l’obligation de désigner dans la déclaration initiale les révisions article par article, mais surtout de la dissolution automatique des chambres faisant suite immédiatement à la déclaration.

    Cette rigidité n’a pu conduire qu’à des comportements tendant à la contourner. Xavier Delgrange et Hugues Dumont mentionnent et illustrent le procédé de la greffe, qui a conduit maintes fois le constituant à s’appuyer formellement sur une disposition soumise à révision pour y faire figurer des règles dont l’objet est différent de celui du texte modifié, sans que cela ait été envisagé par le préconstituant⁴², et celui des révisions implicites, par lequel la modification apportée à une disposition constitutionnelle en affecte en réalité une autre⁴³; ces procédés sont juridiquement condamnables, mais la fréquence de leur survenance témoigne de l’excessive rigidité de la procédure actuelle⁴⁴ ; M. J.-L. Dehaene, ancien Premier ministre, n’a d’ailleurs pas hésité à déclarer sur ce point que, « quoique la technique des modifications implicites soit généralement condamnée, cette pratique est passée dans le domaine public »⁴⁵.

    Il est également des circonstances politiques rendant impérieuse une révision constitutionnelle sans qu’il soit envisageable de dissoudre les assemblées : on rappelle en ce sens l’adoption de la loi du 9 mai 1919, inconstitutionnelle à l’époque, mais indispensable⁴⁶, instaurant le suffrage universel pur et simple pour les hommes et pour quelques femmes.

    6.1. Les éléments de rigidité relevés ci-avant expliquent partiellement les nombreuses habilitations offertes par la Constitution au législateur spécial, qui, si elles présentent des apparentements avec la révision de la Constitution, plus particulièrement quant à l’exigence d’une majorité des deux tiers de vote des députés et des sénateurs présents au sein de chaque assemblée, tout en ajoutant l’exigence d’une participation des groupes linguistiques, fixant le quorum majoritaire de présence et de vote au sein de ceux-ci⁴⁷, permettent l’adoption de réformes institutionnelles d’importance pendant la législature au cours de laquelle elles sont envisagées, ce qui leur vaut parfois dans la doctrine la qualification de « lois constitutionnelles » au sens matériel du terme⁴⁸. L’exigence des deux tiers tend à assurer un consensus suffisamment large au sein de chaque assemblée⁴⁹, ce qui rejoint l’objectif poursuivi pour la même exigence portant sur la révision de la Constitution.

    On se contentera de mentionner en ce sens les deux exemples suivants :

    l’article 39 de la Constitution, un des héritiers de l’article 107quater ancien et éclaté⁵⁰ de la Constitution, confie à la loi spéciale des dispositifs aussi importants que la création même des organes régionaux (sous la réserve constitutionnelle qu’il doit s’agir d’organes composés de « mandataires élus »), leurs attributions matérielles (sous la réserve constitutionnelle qu’il ne peut s’agir de matières communautaires⁵¹) et leurs compétences territoriales ; ces matières relèvent d’autant plus de la Constitution matérielle que le constituant, après avoir ainsi « déconstitutionnalisé » ces questions sur le plan formel par les dispositions précitées, les a reconstitutionnalisées partiellement sur le même terrain lorsque, le 7 juillet 1998, il adopta l’article 108ter pour modaliser la structure institutionnelle à la fois régionale et communautaire de la Région bruxelloise, devenue en outre incidemment, nonobstant les termes de l’article 107quater devenu sur ce point l’article 3, la Région de Bruxelles-Capitale ; cet article 108ter a été dépecé en articles 136 et 166 lors de la coordination de 1994⁵² ;

    l’interdiction faite aux juridictions de contrôler la constitutionnalité des lois n’a pu être levée que par l’insertion d’un article 107ter dans la Constitution en 1980, devenu l’article 142, mais, après que cette disposition ait, entre 1980 et 1989, limité la compétence de la Cour d’arbitrage ainsi créée au respect des compétences respectives des différents législateurs, le constituant de 1988, pressentant que l’extension de ces compétences aux seuls articles 6, 6bis et 17, devenus 10, 11 et 24, de la Constitution pouvait s’avérer insuffisante à l’avenir, a confié au législateur spécial, par l’article 107ter, § 2, alinéas 2, 3°, et 4, devenu l’article 142, § 2, alinéas 2, 3°, et 4, le soin d’étendre l’ampleur du contrôle au constat de la violation par une loi, un décret ou une ordonnance « des articles de la Constitution que la loi [spéciale] détermine », faculté dont le législateur spécial a fait usage le 9 mars 2003 pour étendre de manière significative la compétence de la Cour au contrôle du respect de l’ensemble du titre II de la Constitution et des articles 170, 172 et 191 de la Constitution, tandis la dénomination même de cette dernière, demeurée du domaine du constituant, fut adaptée en « Cour constitutionnelle »⁵³.

    6.2. Une option expressément prise par le préconstituant tendant à ne pas soumettre une disposition constitutionnelle à révision, comme ce fut le cas en 1999 pour l’article 162 de la Constitution, n’empêcha pas le législateur spécial d’adopter la réforme institutionnelle que cette révision aurait dû rendre possible : en l’absence de déclaration de révision portant sur cette disposition et même en dépit du constat du refus du préconstituant de mettre cette disposition en révision, le législateur inséra par la loi spéciale du 13 juillet 2001 ‘portant transfert de diverses compétences aux régions et communautés’ au sein de l’article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 « de réformes institutionnelles » des dispositions relatives aux pouvoirs subordonnés, octroyant ces compétences aux régions malgré le texte qui au sein de l’article 162 précité a pu être analysé par la section de législation du Conseil d’État, une partie de la doctrine et même le préconstituant de 1999, mais aussi celui de 1993, de 1995 et de 1997, comme réservant cette matière au seul législateur fédéral⁵⁴.

    6.3. Il ne faut certes pas réduire la fonction des lois spéciales à celle qui consiste à suppléer la Constitution, qui vient d’être commentée. Une autre de leurs fonctions fondamentales consiste bien entendu à faire participer de manière majoritaire la représentation de chaque sensibilité linguistique des chambres à l’adoption de ces lois à caractère organique⁵⁵, mais pareille préoccupation doit également se rencontrer en matière constitutionnelle comme elle se constate d’ailleurs dans les faits⁵⁶.

    Sous-section 2

    Le contexte historique

    ⁵⁷

    7.1. L’article 131, devenu l’article 195, de la Constitution, adopté sans beau-coup de débats par le Congrès national, a été rédigé sur le modèle de la Constitution hollandaise de l’époque⁵⁸, sauf l’important ajout de la dissolution automatique des chambres par l’effet de l’adoption de la déclaration de révision.

    Une première mention de l’article 131 dans une déclaration de révision est à lire dans celle publiée par le Moniteur belge du 23 octobre 1919. Selon le gouvernement, il s’agissait de supprimer la dissolution des chambres consécutive à l’adoption d’une déclaration de révision et de permettre l’organisation de referendums constitutionnels⁵⁹. Cette déclaration intervint dans le contexte de l’adoption de la loi du 9 mai 1919 instaurant le suffrage universel pur et simple pour les hommes et pour quelques femmes, dont il a déjà été question quant à son inconstitutionnalité, impossible à redresser avant la législature suivante⁶⁰. Cette déclaration, s’agissant de l’article 131, ne fut pas suivie d’effets et la disposition resta en l’état.

    7.2. Jusqu’à la décennie 2000, plus aucune déclaration de révision de la Constitution n’a mentionné les articles 131 ou 195. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de réflexions doctrinales se sont fait jour en vue d’adapter cette disposition. C’est ainsi que W.J. Ganshof van der Meersch, professeur de droit public et futur procureur général à la Cour de cassation, proposa en 1953 de soumettre l’article à révision dans le cadre du transfert de l’exercice de pouvoirs souverains à la C.E.C.A., seule institution de l’« Europe des six » de l’époque⁶¹ et qu’en 1964 c’est le professeur P. Wigny qui émit d’autres suggestions, tendant à distinguer les procédures de révision selon le caractère supraconstitutionnel, constitutionnel ou infraconstitutionnel des dispositions de la Constitution en cause⁶².

    Une proposition de déclaration de révision de l’article 131, déposée en 1968 par le député Fr. Perin⁶³, par ailleurs professeur de droit constitutionnel, qui tendait à supprimer l’exigence d’une déclaration de révision et donc la dissolution automatique des chambres, tout en envisageant la possibilité d’organiser un référendum constitutionnel d’approbation, n’aboutit pas davantage que les précédentes.

    En 1985, le Centre d’études de la réforme de l’État suggéra de maintenir la déclaration préalable, mais sans la dissolution automatique des chambres, tout en proposant un délai minimal d’un an entre la déclaration et la révision⁶⁴.

    Il est renvoyé pour le surplus à l’étude précitée de Chr. Behrendt pour la mention d’autres suggestions doctrinales, émanant notamment d’Y. Lejeune et J. Régnier, de H. Dumont, de Fr. Delpérée, de J. Van Nieuwenhove, de K. Rimanque, ainsi qu’aux contributions renseignées dans le présent article sur la procédure de révision⁶⁵.

    8. Sur le plan parlementaire, c’est après l’accord dit de renouveau politique du 26 avril 2002 conclu par les partis de la majorité arc-en-ciel du Gouvernement Verhofstadt I, qui envisagea une mise en révision de l’article 195 de la Constitution⁶⁶, que chacune des déclarations ultérieures de révision, à savoir celles de 2003, peu après le transfert difficile aux régions, par la loi spéciale précitée du 13 janvier 2001, du droit organique des pouvoirs subordonnés⁶⁷, de 2007 et enfin de 2010, inscrivirent l’article 195 dans la liste des dispositions à réviser⁶⁸. Parmi les motifs avancés par les gouvernements concernés pour envisager de réviser cette disposition, figuraient en bonne place la rigidité excessive du mécanisme actuel, cause de révisions implicites, la « fiction » de la participation du corps électoral, l’existence de conflits entre la Constitution et le droit international et l’accélération des évolutions sociales et sociétales⁶⁹. En 2010, ainsi qu’il sera exposé plus bas, c’est la possibilité offerte aux chambres issues des élections d’approfondir la réforme de l’État sur des points allant audelà de ceux faisant l’objet des articles inscrits expressément sur la liste de la déclaration, qui fut également à l’origine de la mention de l’article 195 dans la déclaration⁷⁰ ⁷¹.

    Sous-section 3

    Le contexte politique

    9. La chute du Gouvernement Leterme, au printemps 2010, fut causée par le désaccord persistant entre les partenaires de la coalition sur la demande, venant de l’ensemble des partis flamands représentés au Parlement, de scinder la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde, reposant sur le constat d’inconstitutionnalité dressé par la Cour constitutionnelle sur le maintien de deux circonscriptions électorales, cette dernière et celle de Louvain, ne coïncidant pas avec le territoire des provinces, contrairement à ce que la loi du 13 décembre 2002 ‘modifiant le Code électoral ainsi que son annexe’ prévoyait pour les autres circonscriptions⁷².

    Ce désaccord conjoncturel à l’origine de la crise cachait en réalité des dissensions davantage structurelles sur les conditions de la cohabitation au sein de la société belge de ses communautés et de ses régions, soulevant nombre de questions touchant à la solidarité interpersonnelle, au financement des entités fédérées, à l’étendue des compétences de ces dernières, à l’organisation du pouvoir législatif fédéral, etc., outre des conflits davantage locaux, mais soulevant des tensions entre des exigences de la démocratie et celles liées au respect de textes adoptés par la Région flamande et avalisés par le Conseil d’État, s’agissant de l’absence de nomination du bourgmestre par le Gouvernement flamand dans trois des six communes de la périphérie bruxelloise. Ces questions seront en toile de fond des diverses contributions au présent colloque, auxquelles il est renvoyé.

    Les élections de juin 2010 ont exacerbé ces tensions et leur résultat, outre un important contraste entre les tendances politiques sur le plan socio-économique se dégageant au nord, au centre et au sud du pays, ont révélé, essentiellement en Flandre, de fortes exigences réformatrices, allant bien au-delà de la scission éventuelle de la circonscription précitée de Bruxelles-Hal-Vilvorde et soulevant même, dans le chef en tout cas du parti devenu le premier en puissance électorale, la N-VA, des doutes sur son souhait de maintenir un cadre fédéral.

    Il en est résulté une longue et intense négociation entre huit partis, qui a abouti en octobre 2011 à un accord de principe (dit l’« accord papillon ») nécessitant des modifications fondamentales de plusieurs lois et lois spéciales, mais aussi, notamment pour affermir certaines garanties y inscrites, des révisions de la Constitution elle-même, allant au-delà de ce que le préconstituant avait ouvert à révision en mai 2010.

    Même s’il est fait abstraction du contexte de grave crise financière et économique traversée par la Belgique avec la plupart des pays de la planète à l’automne 2011, à l’issue de cette négociation, il aurait été inimaginable, voire suicidaire pour l’avenir du pays⁷³, de susciter une nouvelle déclaration de révision de la Constitution pour y intégrer celles des dispositions constitutionnelles ne figurant pas dans la déclaration de 2007 ; pareille nouvelle déclaration, par l’effet automatique qu’elle aurait induit sur l’organisation de nouvelles élections, aurait en effet paralysé la vie politique, sous la réserve du recours aux affaires courantes, pendant plusieurs mois ; en outre, l’issue de ces nouvelles élections était pour le moins incertaine, notamment quant au maintien du consensus péniblement obtenu en cette fin 2011.

    10. Le contexte politique de 2010 a provoqué l’adoption des déclarations de révision des 6 et 7 mai 2010, publiées à cette dernière date par le Moniteur belge, dans le but de dissoudre les chambres de manière anticipée ; on sait que, ces dernières décennies, la quasi-totalité des dissolutions anticipées de la Chambre et du Sénat a été provoquée par l’effet ainsi induit de plein droit par des déclarations de révision, dont l’adoption est alors elle-même avancée dans ce but⁷⁴. Il n’en reste pas moins que, sur le plan juridique, un nouveau processus de révision de la Constitution était ainsi enclenché et a conduit à la révision ici commentée de son article 195⁷⁵.

    Les déclarations de mai 2010 étaient particulièrement longues, comme la plupart de celles des précédentes fins de législature⁷⁶.

    Mais, vu notamment l’étendue insoupçonnée des résultats des négociations institutionnelles consécutives aux élections de juin 2010, l’ampleur du chantier ainsi proposé s’est révélée insuffisante et le cahier des charges a dû être substantiellement amendé. La nécessité s’est donc imposée de procéder à des révisions sur d’autres points que sur ceux offerts par le préconstituant⁷⁷. Il faut se rappeler que l’arrêt no 73/2003 précité du 26 mai 2003 de la Cour constitutionnelle, concernant notamment l’absence de scission de la circonscription de Bruxelles-Hal-Vilvorde, évoquait dans son fameux motif B.9.7 l’éventuelle prise en considération, dans une modification nécessaire du statu quo à propos de ladite circonscription en cas de maintien de principe de la coïncidence territoriale des provinces et des circonscriptions, de « modalités spéciales […] afin de garantir les intérêts légitimes des néerlandophones et des francophones dans [l’ancienne] province [de Brabant] »⁷⁸.

    Il est vrai que, comme pour la mise en œuvre envisagée du Pacte d’Egmont, mort-né, de 1977, l’« accord papillon » de l’automne 2011 aurait pu envisager une mise en forme normative par la législature suivante, après une nouvelle déclaration de révision de la Constitution, de ses aspects nécessitant pareille révision, mais dont la réalisation était rendue impossible par l’absence de déclaration sur ces points ; toujours comme en 1977, les points déjà concrétisés dans l’actuelle législature auraient pu voir leur entrée en vigueur suspendue à celle des révisions constitutionnelles complémentaires ainsi nécessaires⁷⁹. On sait ce qu’il advint de ce Pacte d’Egmont mais, plus fondamentalement, ce n’est pas l’échec de ce dernier qui explique le non-recours à ces formules en 2011-2014, mais bien la nécessité politique de l’urgence d’une solution, à concrétiser dès la législature en cours.

    Ceci étant, il peut paraître singulier que le procédé auquel il aurait fallu recourir pour aller au-delà des points énumérés dans la déclaration de mai 2010 n’ait pas été abordé dans l’accord « octopartite » de l’automne 2011⁸⁰. Ce n’est que plus tard, lorsqu’il fallut mettre en œuvre cet accord politique sur le plan juridique, que l’idée fut retenue d’une révision provisoire, dite « transitoire », de l’article 195 de la Constitution afin de compléter la déclaration de révision de 2010.

    Sous-section 4

    L’enjeu de la révision de l’article 195

    11. On a compris qu’il était capital, pour la réussite de la sixième réforme de l’État, dont la survenance pendant la législature postérieure aux élections de juin 2010 faisait peu de doutes, mais dont les contours étaient largement incertains, dépendant des équilibres politiques issus de ce scrutin, que fussent rendues possibles de larges adaptations de la Constitution, en ce compris sur des points qu’il était impossible de prévoir avant la dissolution de mai 2010⁸¹ ⁸².

    12. Il s’est en effet avéré important pour les chambres constituantes de fonder les nombreuses réformes initiées par l’accord politique d’octobre 2011 sur une base constitutionnelle solide, ce que Jeroen Van Nieuwenhove qualifie comme organisant un verrouillage (« vergrendeling ») du fédéralisme⁸³. C’est ainsi que la plupart des propositions de révision de dispositions de la Constitution déposées par les parlementaires issus des huit partis signataires de cet accord politique prirent soin d’établir le lien entre ces textes et les propositions de loi spéciale et de loi tendant à concrétiser cette sixième réforme et à faire figurer dans les développements des propositions de révision des articles pertinents de la Constitution d’importantes considérations selon lesquelles les propositions de lois spéciales et de lois devaient être comprises comme reflétant le vœu du constituant luimême. Les développements de ces propositions législatives ne se sont d’ailleurs pas privés de faire des renvois en sens inverse vers les propositions de révisions constitutionnelles. C’est d’ailleurs simultanément que l’ensemble de ces textes fut déposé, en trois phases : 1° printemps 2012 pour la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde, la réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles et les textes qui y sont juridiquement ou politiquement liés (la procédure de nomination des bourgmestres de la périphérie bruxelloise, la procédure particulière devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État en ce qui concerne le contentieux situé dans les communes périphériques, etc.) ; 2° printemps 2013 pour les textes en rapport avec la réforme du Sénat et du bicaméralisme ; et 3° automne 2013 pour les transferts de compétence aux communautés et aux régions et les modifications de leur système de financement, ainsi que les textes qui y sont liés, en ce compris, au passage, l’attribution d’une nouvelle compétence à la section du contentieux administratif du Conseil d’État, en application de l’article 144, alinéa 2, en voie de révision, de la Constitution, d’octroyer une « indemnité réparatrice » aux requérants victimes d’une illégalité constatée par la même juridiction.

    En ce sens, à titre d’exemple, on peut lire ce qui suit dans les développements de la proposition de révision devenue l’article 157bis de la Constitution (« Les éléments essentiels de la réforme qui concernent l’emploi des langues en matière judiciaire au sein de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, ainsi que les aspects y afférents relatifs au parquet, au siège et au ressort, ne pourront être modifiés que par une loi adoptée à la majorité prévue à l’article 4, dernier alinéa. – Disposition transitoire – La loi fixe la date d’entrée en vigueur de cet article. Cette date correspond à la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2012 portant réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles ») :

    « […] l’objectif de cette disposition est de donner un fondement constitutionnel au choix de ne plus pouvoir modifier qu’à la majorité spéciale un certain nombre d’éléments essentiels de la réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles. C’est le constat que cette réforme touche au cœur des grands équilibres qui œuvrent à la paix communautaire qui justifie – par analogie avec ce que prévoient les autres dispositions de la Constitution qui, à l’identique, touchent à ces grands équilibres – cet ancrage constitutionnel.

    Les éléments essentiels et le sens dans lequel ils seront traduits dans la loi sont précisés ci-dessous. Ils sont d’ores et déjà connus du Constituant, dans cette dimension particulière, au moment où il est appelé à se prononcer sur la présente révision constitutionnelle. Ce faisant, celui-ci marque son accord sur les options prises (voir C.C., no 18/90 du 23 mai 1990 et C.C., no 124/2010) […]. »⁸⁴

    Suit dans les développements l’énoncé des différents éléments qui, dans la proposition devenue la loi du 19 juillet 2012 ‘portant réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles’ sont considérés par les auteurs de la proposition de révision de la Constitution et donc, n’ayant pas été démentis au cours des travaux parlementaires, par le constituant lui-même, comme essentiels, ce qui à la fois commande l’interprétation du texte législatif et limite les possibilités de critique de celui-ci au regard de la Constitution.

    Des considérations largement similaires, sinon identiques, sont à lire dans les développements de la proposition de loi elle-même⁸⁵.

    13.1. Ceci a permis au Conseil d’État, dans son avis sur cette proposition de loi, de conclure au « lien particulier » entre celle-ci et la disposition constitutionnelle dont elle procède, à savoir l’article 157bis alors à l’état de proposition⁸⁶, et ce malgré le fait que ce lien n’est expressément formulé que dans les développements des propositions en question⁸⁷.

    Cet exemple n’est pas isolé. Ceux qui suivent montrent les limites du contrôle exercé par le Conseil d’État au regard de la Constitution, vu le fondement constitutionnel conféré à plusieurs options des propositions de lois spéciales et de lois tendant à la mise en œuvre de l’accord politique de la fin 2011, fondement puisé non seulement dans les textes des dispositions en voie de révision, mais aussi dans les développements qui les précèdent. Cela montre tout l’intérêt, pour les auteurs de la réforme, de disposer de fondements constitutionnels qu’il eût été impossible de bâtir sur la seule base de la déclaration de révision de mai 2010.

    13.2. Dans plusieurs de ses avis sur les propositions de lois spéciales et de lois, la section de législation du Conseil d’État commence par définir le cadre de son contrôle préventif en y incluant les textes constitutionnels tels qu’ils sont encore à l’état de propositions. Pour garder le même exemple, l’avis 51.195/AG précité donné le 3 mai 2012 sur la proposition devenue la loi du 19 juillet 2012 ‘portant réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles’ rappelle ce qui suit :

    « 5. En principe, le Conseil d’État examine une proposition de loi qui lui est soumise à la lumière notamment de la Constitution et des traités internationaux pertinents en la matière.

    En ce qui concerne le cadre constitutionnel à prendre en considération, il y a lieu de tenir compte en l’occurrence de la manière dont le Président de la Chambre des représentants formule sa demande d’avis. Il demande au Conseil d’État de donner un avis sur la proposition de loi actuellement à l’examen ainsi que sur une autre proposition […], et invite à cet égard le Conseil d’État à se prononcer ‘over de overeenstemming van het [voorliggende] wetsvoorstel met de Grondwet, zoals deze van kracht zal zijn wanneer het hiervoor vermelde voorstel tot herziening [van de Grondwet] door de grondwetgever zal zijn aangenomen’. À cet égard, le président fait spécifiquement référence à la proposition, précitée, visant à insérer un article 157bis dans la Constitution. Dans le passé, le Conseil d’État a déjà donné suite à des demandes visant à obtenir un avis sur un projet ou une proposition de loi à la lumière d’une révision de la Constitution encore inachevée⁸⁸. Le Conseil examinera également la proposition de loi qui lui est soumise, à la lumière de l’article 157bis de la Constitution, tel que celui-ci sera rédigé après approbation de la proposition de révision de la Constitution susvisée.

    Le présent avis est évidemment donné sous la réserve expresse que le texte de la nouvelle disposition de l’article 157bis de la Constitution, telle qu’elle sera finalement, par hypothèse, adoptée, sera conforme à la proposition de révision de la Constitution actuellement à l’examen, ou qu’en tout cas, si le texte proposé devait encore faire l’objet de modifications, le texte final aura, à l’égard de la proposition de loi à l’examen, les mêmes effets juridiques que la révision de la Constitution actuellement proposée⁸⁹. En outre, le Conseil d’État peut uniquement considérer la proposition de révision de la Constitution en fonction de l’interprétation qui doit y être donnée au regard, notamment, des développements de la proposition. Le présent avis est par conséquent donné sous la réserve expresse que, même si le texte de cette proposition de révision de la Constitution reste formellement inchangé, les travaux parlementaires de la révision de la Constitution ne lui donneront pas en fait une autre portée que celle voulue initialement par ses auteurs. »⁹⁰

    Le Conseil d’État n’adopte cette attitude bienveillante, qui n’est pas la sienne lorsqu’un projet d’arrêté royal par exemple lui est soumis avant l’adoption parlementaire de la loi, qui lui donne son fondement⁹¹, que lorsque la proposition de révision a été déposée sur le bureau de l’une des chambres⁹².

    Cette même méthode est assumée par le Conseil d’État lorsqu’il est invité à examiner un avant-projet ou une proposition de loi dont la validité suppose l’adoption parallèle d’une loi spéciale : son contrôle se fonde notamment sur la base de l’avant-projet ou de la proposition de loi spéciale⁹³.

    13.3. Le Conseil d’État accomplit alors classiquement son office, mais en tenant dûment compte du cadre constitutionnel en projet.

    Par exemple, faisant application de cette approche dans un autre avis dans lequel il avait émis des considérations similaires⁹⁴, il a ainsi pu indiquer, sur des dispositions proposées tendant à modifier le Code électoral dans le cadre de la réforme du Sénat, qu’il ne confirmait pas une critique antérieure fondée sur l’article 67, § 1er, 3° et 4°, de la Constitution quant à la désignation des sénateurs de communauté par leur groupe politique du Parlement concerné plutôt que par ce Parlement lui-même ; il a exposé ce qui suit sur cette question :

    « Au regard des articles 67 et 68, proposés, de la Constitution, le Conseil d’État estime à présent que cette critique ne doit plus être rappelée dans sa généralité. L’article 67, § 1er, 1°, 2°, 3°, 4° et 5°, proposé, de la Constitution dispose certes encore que les sénateurs des entités fédérées sont désignés par les parlements des communautés et des régions. Dans l’article 68, § 1er, alinéa 6, proposé, de la Constitution, il est toutefois uniquement prévu que le sénateur visé à l’article 67, § 1er, 5°, est désigné par le Parlement de la Communauté germanophone à la majorité absolue des suffrages exprimés. Une telle désignation n’est toutefois pas prévue explicitement pour les autres sénateurs des entités fédérées. Ce procédé est d’ailleurs aussi compréhensible. En effet, un suffrage à la majorité ne peut pas garantir que les sièges du Sénat soient répartis suivant le système de la représentation proportionnelle, déterminé par la loi. Bien que l’article 68 de la Constitution ne prévoie pas lui-même explicitement une désignation par les formations politiques, il paraît, en prévoyant de répartir les sièges ‘entre les listes suivant le système de la représentation proportionnelle déterminé par la loi’, laisser suffisamment de marge de manœuvre au législateur pour prévoir un système dans lequel la désignation par la majorité d’une formation politique du Parlement doit être considérée comme une désignation par le Parlement lui-même. »⁹⁵

    La même attitude est observée par la Cour constitutionnelle, qui s’abstient de toute critique lorsqu’elle constate que le législateur consacre une option du constituant⁹⁶; en ce sens, par son arrêt no 124/2010 du 28 octobre 2010 annulant le décret de la Communauté flamande du 23 octobre 2009 ‘portant interprétation des articles 44, 44bis et 62, § 1er, 7°, 9° et 10°, du décret du 25 février 1997 relatif à l’enseignement fondamental’, la Cour constitutionnelle a interprété l’article 5 de la loi spéciale du 21 juillet 1971 à la lumière des travaux préparatoires concomitants de l’article 59bis de la Constitution⁹⁷. Il conviendra d’observer si, lors de son examen des recours introduits contre les lois spéciales et les lois du 19 juillet 2012 mettant en œuvre la première phase de la sixième réforme de l’État et des questions préjudicielles ayant ces lois spéciales et lois pour objet⁹⁸ et, le cas échéant, d’autres lois spéciales et lois adoptées dans le cadre de cette réforme, la Cour adoptera la même attitude.

    À l’inverse, en l’absence de disposition constitutionnelle pertinente et au terme d’un examen critique de la proposition de loi ‘modifiant les lois spéciales du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises’, qui prévoit une nouvelle forme de coopération, à savoir l’adoption par les communautés et les régions de « décrets conjoints » et d’arrêtés conjoints d’exécution de ces décrets conjoints, le Conseil d’État a dû se résoudre à conclure que

    « [l’]introduction de la possibilité d’adopter un décret conjoint ou un décret et ordonnance conjoints en tant que nouveau type de norme est une modification à ce point importante du cadre institutionnel dans lequel les communautés et régions interviennent qu’elle doit être prévue expressément par la Constitution même ou à tout le moins en vertu de celle-ci⁹⁹.

    Si l’intention des auteurs de la proposition était de créer un tel instrument, une révision de la Constitution serait donc nécessaire. Dans ce cas, la proposition de loi spéciale ne peut dès lors pas se concrétiser. »¹⁰⁰

    Il est également renvoyé à la réserve émise par le Conseil d’État au sujet de l’article 48 de la proposition devenue la loi précitée du 19 juillet 2012 ‘portant réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles’, qui, en l’absence de consolidation constitutionnelle de cette disposition, constate au sujet des pourcentages retenus pour la fixation provisoire des cadres et des cadres linguistiques des tribunaux et des parquets concernés que

    « les chambres législatives doivent être en mesure de justifier que les pourcentages retenus sont en rapport raisonnable avec l’objectif poursuivi, tant en ce qui concerne les tribunaux francophones et néerlandophones qu’en ce qui concerne les magistrats du parquet et le personnel d’appui. L’attention est, à cet égard, attirée sur la responsabilité que l’État législateur est susceptible d’encourir en cas de dépassement du ‘délai raisonnable’. »¹⁰¹

    13.4. Mais, si l’on revient sur la méthode qui a été privilégiée dans le cadre de la sixième réforme de l’État, consistant à examiner et à interpréter de manière globale à la fois les propositions de révision de la Constitution et celles tendant à modifier des lois spéciales et des lois, ainsi qu’il est exposé au no 12 ci-avant, il est intéressant d’observer les conséquences qui en ont résulté en l’espèce, toujours quant à la détermination du cadre juridique du contrôle exercé.

    Si l’on prend toujours pour exemple l’avis 51.195/AG précité du 2 mai 2012, portant sur la proposition devenue la loi du 19 juillet 2012 ‘portant réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles’, la section de législation précise tout d’abord que la loi proposée, même en tenant compte de ce « lien particulier », ne lui conférerait pas un caractère constitutionnel et que ce lien avec une disposition constitutionnelle ne le priverait donc pas de sa compétence d’examen :

    « 7. Ce lien étroit avec l’article 157bis, proposé, de la Constitution, n’a cependant pas pour effet de conférer un caractère constitutionnel à la loi proposée même. L’article 157bis, proposé, de la Constitution, ne contient en effet pas lui-même les dispositions qui figurent dans la proposition de loi, mais se limite à prévoir qu’une modification des ‘éléments essentiels’ de la réforme que poursuit la proposition de loi ne peut être apportée que par une loi adoptée à une majorité spéciale.

    La circonstance que le texte proposé à force de loi implique que le Conseil d’État est compétent pour apprécier si toute la proposition de loi, y compris les ‘éléments essentiels’ visés, est compatible avec la Constitution et les traités internationaux pertinents en la matière »¹⁰².

    Toutefois – et c’est ici qu’apparaît le passage fondamental de l’avis sur ce point –, le Conseil d’État déduit ce qui suit du lien entre la proposition de révision constitutionnelle et la proposition de loi quant à la validité constitutionnelle de celle-ci, portant non seulement sur la conformité de la proposition de loi à l’article 157bis proposé de la Constitution, qui est la disposition la plus étroitement liée à la proposition, mais aussi sur la conformité à l’ensemble des dispositions de la Constitution, en ce compris ses articles 10 et 11 garantissant les principes d’égalité et de non-discrimination, qui auraient pu éventuellement faire surgir des questions :

    « Il va sans dire que, pour cette appréciation [de la compatibilité de la proposition de loi avec la Constitution et les traités internationaux], le Conseil d’État doit tenir compte des développements relatifs à la proposition de révision de la Constitution. Il en ressort en effet que le constituant est lui-même d’avis que les ‘éléments essentiels’ visés de la proposition de loi sont conformes à la Constitution et que, notamment, aucun problème ne se pose en ce qui concerne la compatibilité de ces éléments de la proposition de loi avec les principes d’égalité et de non-discrimination, garantis entre autres par les articles 10 et 11 de la Constitution. Il n’appartient pas au Conseil d’État de remettre en cause cette appréciation du constituant. »¹⁰³

    Cette considération est d’autant plus remarquable que le texte de l’article 157bis en question ne porte pas sur le contenu de la réforme, mais sur la qualification d’« éléments essentiels » s’attachant à plusieurs de ses éléments, tels qu’ils résultent des seuls développements de la proposition de révision de cette disposition constitutionnelle.

    13.5. En dépit de ce qui précède, le Conseil d’État croit nécessaire de lever tout doute quant à la compatibilité de la proposition de loi à la Constitution, même si l’on devait faire abstraction de ces développements et du fiat constitutionnel qu’ils tendent à imprimer à l’égard de l’ensemble de la Constitution :

    « Même si le Conseil d’État prenait en considération exclusivement le texte de l’article 157bis, proposé, de la Constitution, son appréciation ne serait d’ailleurs pas autre, eu égard à ce qui suit.

    Comme l’indique notamment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour constitutionnelle, lorsque l’on apprécie divers éléments d’une réforme de l’État, il importe de considérer l’ensemble de la réforme¹⁰⁴. Lorsque l’on cherche à atteindre un équilibre au sein de l’État fédéral au moyen d’un ensemble complexe de règles¹⁰⁵, une certaine limitation des droits fondamentaux ou une certaine différence de traitement entre des catégories de personnes peut se justifier au regard de l’objectif poursuivi par l’ensemble de la réforme¹⁰⁶ – ‘[la sauvegarde d’]un intérêt public supérieur’¹⁰⁷ –, à tout le moins dans la mesure où les mesures prises peuvent être raisonnablement considérées comme n’étant pas disproportionnées à l’objectif général poursuivi par le législateur¹⁰⁸. C’est d’autant plus vrai lorsque ‘l’équilibre ainsi créé repose sur un large consensus entre les communautés’¹⁰⁹.

    Dans une telle matière, c’est par essence au législateur qu’il appartient de juger de quelle manière il y a lieu d’atteindre l’équilibre recherché¹¹⁰.

    Eu égard à la proposition de révision de la Constitution qui doit être adoptée en même temps que la proposition de loi – à la majorité requise à cet effet par la Constitution –, à la marge d’appréciation étendue dont dispose le législateur en cette matière, à l’objectif que les auteurs de la proposition de loi poursuivent, à savoir

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