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Selon la raison (Essais)
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Ebook212 pages2 hours

Selon la raison (Essais)

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About this ebook

Ce livre décrit quelques usages de la raison dans nos sociétés.

Une "méthode thérapeutique en philosophie" nous permet d'éviter d'être enfermés dans des mots qui auraient le pouvoir magique de créer ce qu'ils nomment.
"La pensée en ses commencements", fait sa part au doute, non pas un doute qui paralyse la pensée, mais celui dont l'inquiétude qu'il suscite, demande à être apaisée. "Ne jamais perdre son sang froid" serait la formule de tous ceux qui veulent mettre leur pensée et leurs croyances à l'épreuve de la discussion, pour les réviser, les changer, les aiguiser en somme.
Penser est une activité à haut risque et en tant que pôle mental de notre personne, elle reste une denrée rare. En explorant, dans le cadre des neurosciences, les relations du cerveau à la pensée, des questions se posent : Comment caractériser une pensée qui prend son envol ? Que permettent de voir des techniques comme celle de l'imagerie par résonance magnétique ? Situer en débat public nos "doutes et controverses" est une façon de promouvoir la participation des citoyens aux questions qui les concernent tous. La controverse crible les questions jusqu'à les incorporer dans le souci commun d'une émancipation qui n'a de sens, que lorsqu'elle est amplement partagée.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Agrégé de philosophie, Ali Benmakhlouf est professeur des universités à Paris 12 Créteil Val-de-Marne, membre du comité consultatif national d’éthique et président du comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’Institut de Recherches pour le Développement (IRD). Il compte aujourd'hui plusieurs publications à son actif, parmi lesquelles L'identité, une fable philosophique et Montaigne .
LanguageFrançais
PublisherDK Editions
Release dateFeb 18, 2015
ISBN9789954946947
Selon la raison (Essais)

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    Selon la raison (Essais) - Ali Benmakhlouf

    dite.

    La méthode thérapeutique en philosophie

    ÉVITER LES CRAMPES MENTALES

    Ce texte pourrait avoir pour sous titre « éviter les crampes mentales », selon l’expression de Wittgenstein. Il s’agit de cesser de vouloir que les choses soient comme on a décidé qu’elles étaient. C’est une façon de travailler les problèmes philosophiques relatifs aux notions d’obsession, de crispation, pour pouvoir engager une nouvelle modalité d’être, via le traitement de ces problèmes. Dans l’idée d’une thérapeutique, il y a celle de soin ; dans celle de méthode, il y a celle qu’on va s’acheminer vers quelque chose. Il ne s’agit ni de stocker des opinions ni de soutenir des thèses ni même de chercher à vérifier des hypothèses. C’est une situation où la philosophie n’est pas arrimée aux sciences pour être derrière la psychologie, ou derrière les mathématiques ou derrière une autre science. Les sciences sont des conventions, des hypothèses ; des hypothèses à vérifier et des conventions à respecter. La méthode dont il s’agit ici est une façon de voir synoptique, elle vise à éviter l’angoisse qui naît de l’absence de règles.

    CLARIFIER LE LANGAGE

    La première des angoisses vient d’un usage confus du langage. Prenons l’exemple du verbe « être ». Quand on dit, « la rose est rouge » ou « deux et deux est égal à quatre », ce n’est pas le même « est » qui est utilisé. Dans un cas c’est une prédication : « la rose est rouge », la rose appartient à l’élément rouge, dans l’autre cas, c’est une identité et non pas une appartenance et la crampe mentale est écartée quand on a distingué l’appartenance de l’identité.

    L’EXPRESSION PUBLIQUE DE LA DOULEUR

    Mon deuxième exemple est relatif à la souffrance. Il y a une opinion largement partagée selon laquelle j’ai un accès direct et privilégié à ma souffrance et indirect aux souffrances de l’autre. Selon Wittgenstein, c’est une grande illusion de penser qu’on a un accès direct et privilégié à soi-même et indirect et moins certain à l’autre. L’illusion consiste à penser que la douleur donne lieu à une expérience privée. Une expression de la douleur a toujours vocation à être adressée, si je dis que j’ai mal, je n’informe pas sur un état mental ; j’appelle au secours ! je fait un appel, c’est donc un fait public. L’expression comme « j’ai mal » est un simple prolongement de l’apprentissage primitif du « Aaaah », du gémissement, de la torsion, qu’elle soit verbale ou qu’elle soit comportementale. C’est via l’apprentissage du mot « mal » et du mot « douleur » que je dis « j’ai mal ». Il y a là une convention langagière. Une expression comme « j’ai mal » est une manifestation de la douleur.

    LA GRAMMAIRE DES PLAINTES

    Prenons deux exemples venus du XVIe siècle, l’un à travers un auteur marocain et l’autre à travers un auteur français. Il s’agit de Hassan El Wazzan, dit « Léon l’Africain » et de Michel de Montaigne. Ils ont vécu durant le même siècle, l’un au début du 16e siècle, Léon Africain, et l’autre durant la deuxième moitié du 16e siècle.

    Ces deux exemples rendent compte de cette expression de Montaigne, qui va dans le sens de ce que je dis sur l’aspect public de la douleur : « Nos plaintes sont grammairiennes et voyelles »¹. Prenons l’exemple des pleureuses qu’on fait venir dans plusieurs contrées de la Méditerranée le jour de l’enterrement. C’est un usage public qui souligne la grammaire de la plainte. Nos plaintes sont grammairiennes, mais les difficultés de notre monde, et les plus grands abus du monde s’engendrent de ce que nous ne portons pas notre attention sur la précision des termes utilisés.

    Montaigne a perdu cinq ou six enfants en bas âge, et l’usage au 16e siècle est d’adresser une lettre de consolation à l’épouse. Montaigne venait de perdre un enfant de deux ans quand il écrit à sa femme : je vous console, mais pour ce faire je vous adresse les consolations de Plutarque qui a vécu la même situation et qui a écrit à ce sujet à sa femme. Il s’adresse à sa femme à travers une plainte répertoriée, à travers les consolations du Plutarque. C’est comme si le chagrin était un chagrin d’époque avec ses propres codes. Cela ne veut pas dire que la douleur de Montaigne n’était pas vive. Le fait qu’elle soit codée et publique dans son expression n’atténue pas sa vivacité.

    Le second exemple du XVIe siècle nous vient de Léon l’Africain. Celui-ci envoie au frère du roi Wattasside des épitaphes recueillies sur les tombes à Fez pour le consoler de la perte du roi père.

    La grammaire de la plainte passe par les épitaphes des tombes de Fez ou par les textes de Plutarque.

    Si les hommes n’extériorisaient pas leurs douleurs par le cri et le gémissement, ils n’apprendraient pas une expression comme « j’ai mal ». Si l’on a appris l’expression « j’ai mal », c’est parce que on a crié ou gémi un jour.

    A travers les exemples que j’ai donnés, il s’agit à chaque fois de défaire les nœuds de la mauvaise compréhension. Je peux avoir une mauvaise compréhension en en faisant une expérience privée, un comportement, un événement psychique, une image alors que c’est une grammaire aux règles précises. Je peux avoir une mauvaise compréhension des usages du verbe « être ».

    LES MODALITÉS D’ÊTRE

    Je vais m’arrêter sur trois exemples sur la manière dont le philosophe peut utiliser cette méthode thérapeutique, d’abord un travail sur les modalités d’être. Le mot de « modalité » renvoie aux possibilités d’être. Les choses peuvent être telles que je prétends qu’elles ne peuvent pas être. « Les choses n’ont pas à être telles que j’affirme qu’elles doivent être, les choses peuvent être tel que je prétends qu’elles ne peuvent pas être ». Il y a une expression coranique qui renvoie à cela : « Assa wa Assa : assa an takrahou chay’an wa houwa khairoun lakoum ; assa an tou hibbou chay’an wa houwa charroun lakoum ».² je traduis :

    « Peut être voulez-vous quelque chose et c’est un mal pour vous, peut-être évitez-vous quelque chose et c’est un bien pour vous ». La grammaire de la décrispation est un parler non résolutif qui utilise le conditionnel plutôt que l’indicatif.

    Mon deuxième exemple vient de la pratique des mathématiques. Quand je dis d’un point de vue euclidien : « Entre deux points, vous pouvez tracer une droite », c’est comme si c’était toujours déjà effectué et cela c’est « l’habit de cérémonie sans pouvoir », selon Wittgenstein. La règle ne dit rien ici, ce n’est pas parce que vous pouvez la tracer, qu’elle est tracée de fait, c’est quand vous l’aurez tracée qu’elle sera tracée. La réalité a sa consistance en elle-même, elle n’est pas charriée par des rails infinis de la possibilité.

    Mon troisième exemple se rapporte à cette mythologie qui voudrait que quand on montre du doigt quelque chose, on sort du langage. On a l’impression que ce qui est indiqué du doigt n’appartient pas au langage mais au monde, par la définition dite « ostensive », celle qui montre les choses. Or le mur que je montre en disant qu’il est beige devient un échantillon susceptible de permettre la description. Il n’y a en fait pas de sortie du langage par le biais de la désignation et le doigt pointé fait partie du langage utilisé, et n’est pas une sortie du langage.

    La méthode thérapeutique consiste comme on le voit dans des montages de cas où l’on donne une analogie pour faire comprendre. Rendre explicite une analogie, la considérer comme une simple analogie, c’est lui ôter son pouvoir fixateur d’une essence. Il s’agit de la voir simplement comme un « voir comme ».

    Montaigne prête à Socrate l’expression : « Selon qu’on peut », « mot de grande substance ». Il s’agit d’inscrire les capacités dans une forme de vie, la forme de vie étant l’absorption réciproque du naturel et du social. Elle rend manifestes nos comportements selon les circonstances sans que celles-ci soient des excuses ou des prétextes pour s’absenter de soi.


    ¹ Montaigne, Essais, III, chapitre IV, PUF, collection quadrige, p. 837. Montaigne met l’expression au singulier.

    ² Coran, sourate La vache, verset 217 et 218.

    La pensée et ses commencements¹

    AU DÉBUT ÉTAIT L’ACTION

    Goethe aimait à dire que « quand on se consacre aux tâches exigeantes de tous les jours, on n’a plus besoin de révélation » ou encore : « Qu’est-ce que ton devoir ? L’exigence de chaque jour »².

    C’est bien une décision relative à l’action que de se demander à quoi on peut bien consacrer sa vie disait Spinoza : « Après que l’expérience m’eut appris que tout ce qui arrive communément dans la vie ordinaire est vain et futile, et que je vis que tout ce qui était pour moi objet ou occasion de crainte ne contenait rien de bon ni de mauvais en soi, mais seulement en tant que l’âme en était mue, je me décidai finalement à rechercher s’il n’y avait pas quelque chose qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et tel que l’âme rejetant tout le reste puisse en être affectée par lui seul »³. La recherche du souverain bien n’est pas une décision contemplative, intellective, elle est d’abord mue par le désir d’un mode de vie tranquille. C’est une décision éthique qui consiste à voir autour de soi, à comprendre ce que désirent les gens, à mettre sur la balance des raisons, le choix des modes de vie majoritairement suivis. Il résulte de cette recherche un doute quant à la valeur des certitudes affichées : les gens suivent les biens extérieurs (plaisirs corporels, richesses, honneurs) comme s’ils furent certains. En fait de certitude, ces biens n’ont que celle de l’obtention : comme beaucoup d’hommes les obtiennent, ils sont donc possibles. Mais il n’est pas sûr que leur obtention assure la tranquillité de l’âme recherchée : de la désorganisation corporelle issue de la recherche exclusive des plaisirs corporels, à l’aliénation à l’opinion d’autrui en raison de la recherche de la vaine gloire, en passant par la vie dangereuse dans laquelle s’engagent tous ceux qui font des richesses leur seul objectif, n’ayant jamais assez de moyens pour les assurer contre le vol, l’expérience montre assez que les biens extérieurs sont incertains quant à leur nature. La raison met en balance la certitude et l’incertitude des deux cotés. Les biens extérieurs sont certains quant à leur obtention, mais incertains quant à leur nature, et les biens certains quant à leur nature –ceux dont la définition dit qu’ils assurent une joie continue– ne sont pas sûrs d’être obtenus. « Je semblais vouloir perdre un bien certain pour un bien incertain »⁴, le bien certain extérieur pour le bien incertain comme Spinoza le définit.

    Commencer en pensée c’est choisir un mode de vie. Ayant compris que les biens extérieurs nous font vivre ou dangereusement ou de manière servile, Spinoza opte pour le bien incertain d’obtention mais certain de nature comme un malade qui fonde ses espoirs dans un médicament, ne voyant pas d’autre issue que la mort s’il ne le prend pas : « Je me voyais plongé dans le plus grand danger et forcé de rechercher un remède, quoique incertain ; de même qu’un malade atteint d’une maladie mortelle, et qui prévoit une mort certaine à moins qu’il n’applique un remède, est contraint de le rechercher de toutes ses forces, si incertain qu’il soit ; car c’est en lui que gît tout son espoir »⁵.

    Sans projet global, sans intention de faire, l’action reste fragmentaire et la pensée en débris. Commencer en pensée c’est d’abord résoudre le problème de l’action inconstante et incohérente à laquelle nous sommes portés quand nous n’avons pas de projet. Reste à voir de quel projet il peut s’agir si la finalité est « la joie continue » et non le ballottement entre espoir et crainte que donnent le projet d’une recherche exclusive des biens extérieurs.

    LE DÉSARROI ET LE RISQUE

    Pour faire, je ne peux m’installer dans un doute permanent qui peut se révéler morbide. Descartes disait « une fois en sa vie » révoquer ses croyances passées, mais il ne nous proposait pas de faire du doute radical un état permanent. On voudrait bien s’appuyer sur quelque chose pour commencer. Mais comment établir cette première base sur laquelle on compte construire ? Ne sommes-nous pas conduits à une régression à l’infini ? La sortie de l’aporie initiale est bien décrite par Spinoza : « De même que les hommes au début, à l’aide d’instruments naturels et bien qu’avec peine et d’une manière imparfaite, ont pu faire certaines choses très faciles, et après avoir fait celles-ci, en ont fait d’autres, plus difficiles, avec moins de peine et plus de perfection, et ainsi s’élevant par degrés des travaux les plus simples aux instruments, et des instruments revenant à d’autres œuvres et instruments, en arrivèrent à accomplir beaucoup de choses, et de très difficiles, avec peu de labeur ; de même l’entendement par sa puissance innée se forme des instruments intellectuels, à l’aide desquels il acquiert d’autres forces pour d’autres œuvres intellectuelles et grâce à ces œuvres il se forme d’autres instruments, c’est-à-dire le pouvoir de pousser l’investigation plus avant : ainsi il avance de degré en degré jusqu’à ce qu’il ait atteint le comble de la sagesse »⁶.

    Ce passage appelle plusieurs remarques :

    – Il s’agit bien plus de perfectionner nos idées que de les produire, perfectionner nos idées pour en dégager toute la puissance. On n’est pas à la recherche compulsive d’une première méthode, il suffit d’une réflexion faite sur ce que nous savons déjà. J’ai assez de quoi être sage si j’étais bon écolier de moi-même disait Montaigne. Certes l’angoisse naît de l’absence de règles, mais à cette angoisse, on répond par l’usage en lequel une règle est donnée. Plus nous connaissons les moyens dont nous disposons, plus nous connaissons les moyens de les disposer ; plus nous connaissons la constitution interne de nos idées vraies, plus nous savons former des définitions pour rendre compte de cette idée ; plus notre esprit connaît ses forces plus il se dirige lui-même.

    – Pour savoir il n’est pas besoin de savoir, que l’on sait, mais pour savoir que l’on sait il faut savoir. La recherche du critère pour penser est donc non seulement impossible et contradictoire, mais elle est même vaine. Avoir l’idée d’une chose, comprendre une chose, avoir une idée vraie d’une chose, tout ceci est équivalent. Avoir une idée vraie c’est savoir qu’on a une idée vraie ; il y a simultanéité, « qui a une idée vraie sait en même temps qu’il a une idée vraie et ne peut douter de la

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